Étude : Comment fonctionne le rebond ?
Il y a quelques jours, Kirk Goldsberry, rédacteur sur le fameux site d’analyses, Grantland, réalisait une étude fort intéressante ciblée sur le domaine du rebond. Et même si tout le mérite revient à l’auteur, basket-infos a pensé qu’il pourrait être intéressant d’évoquer ici les résultats de cette analyse, bien alimentée par les nouvelles caméras SportsVU présentes désormais dans toutes les salles NBA.
Goldsberry introduit son article par une situation de jeu visant le Français, Joakim Noah réputé outre-atlantique comme un expert du rebond. Sur le gif qui va suivre vous pourrez ainsi voir Jimmer Fredette prendre un tir, alors que le pivot est au niveau de la ligne des lancers-francs. Dans le mouvement qu’il effectue, l’intérieur semble ainsi savoir exactement où le ballon va tomber, à droite de l’arceau, se positionnant ainsi parfaitement. Au bon endroit, au bon moment donc ! Simple coup de chance ? Sixième sens développé par Noah ? Il y a sûrement plus que ça, et c’est sur ce paramètre que l’étude va se pencher.
Les nouvelles caméras évoquées en début d’article, qui peuvent prendre 24 images par seconde, ne servent pas seulement à savoir quel est le joueur qui parcoure le plus de distance ou à savoir quel est le plus rapide. Effectivement, elles peuvent également aider à répondre à une question que les analystes se posent depuis tout temps : mais où retombent les rebonds ?
Sur la saison 2013-14, il faut savoir qu’environ 100 000 shoots ont été loupés, ce qui signifie un bon paquet de rebonds. Mais malheureusement, tous ne retombent pas au même endroit, et il semble difficile d’être au bon endroit quand il faut. Alors de quoi est finalement fait ce que depuis tout temps, l’on appelle imprécisément l’instinct du rebondeur ?
La première chose à prendre en compte fait partie des fondamentaux du basket-ball : les écrans retard, que l’on appelle aussi box out outre-atlantique. Voici pourquoi dès qu’un shoot est tenté, les joueurs commencent automatiquement à lutter pour la position, afin de maîtriser leur vis-à-vis dans le dos et ainsi s’accorder plus de chances de récupérer la gonfle. Cependant, même si cela permet en effet d’attraper plus de rebonds, en protégeant une zone sous le panier, les trajectoires aléatoires des ballons, ainsi que les ricochets sur le cercle et la planche ne font pas des écrans retard une science exacte.
Grâce aux caméras SportsVU, nous pouvons désormais voir non seulement où retombent les shoots manqués, mais aussi à quel endroit ils sont récupérés par les rebondeurs. Ceci a ainsi permis à Grantland d’effectuer plusieurs cartes des rebonds aussi parlantes qu’intéressantes.
La première chose à noter est que les fruits ne tombent jamais bien loin de l’arbre, et évidemment, la plupart des rebonds (environ 80%), sont pris dans un rayon de deux mètres autour du cercle (en NBA en tout cas). Ces stats augmentent d’autant plus pour des tirs près du panier, qui en plus d’être presque tous récupérés dans un petit périmètre, retombent aussi régulièrement à droite de l’arceau qu’à gauche (voir graphique ci-dessous). Ainsi, pour ce type de rebonds, un bon écran retard pourrait être régulièrement efficace, car il est bien plus aisé de protéger une zone de deux mètres de diamètre qu’une qui ne mesurerait ne serait-ce qu’un mètre carré de plus.
La théorie semble donc plutôt simple à comprendre pour les shoots près du cercle, mais tout se complexifie ensuite. Voici pourquoi il est important de prendre en compte différents types de paramètres : la distance du shoot, la direction du tir (à gauche ou à droite du cercle) ainsi qu’un paramètre aléatoire. Ce sont ces trois domaines que Grantland a décidé d’approfondir.
La distance du shoot :
La plupart des observateurs auront déjà sans aucun doute remarqué, sans caméra hi-tech à l’appui, que les shoots longue distance entraînent des rebonds captés plus loin. Ceci est tout simplement une loi physique due à la force qu’utilise le shooteur pour tirer. Cela dit ceci reste une théorie vague. Oui, plus le shoot et pris loin et plus le ballon retombe loin, mais où exactement ? C’est là que les caméras SportsVU entrent en scène pour apporter des données plus précises. Nous pouvons ainsi remarquer que les tirs qui retombent le plus loin (à 2,50m du cercle en moyenne) sont ceux qui sont pris face au panier derrière la ligne des 3-points. Pas de surprise donc, mais le graphique ci-dessous nous donne beaucoup plus de détails sur cette distance moyenne à laquelle retombent les ballons en fonction de la distance à laquelle les shoots sont ratés. Par exemple voir que même les shoots pris les plus loin retombent à moins de trois mètres du panier, semble étonnant. Ceci peut cependant être expliqué par le fait que quand un joueur tire de loin c’est qu’il est démarqué et a créé un certain spacing, ce qui implique plus de joueurs présents sous le panier. Ceci limite ainsi les lois de la physique qui auraient pu conclure que le ballon devrait retomber plus loin.
La direction du tir
Évidemment, la zone de retombée du ballon dépend également de l’angle du tir par rapport au cercle. Pour illustrer ce point Grantland a décidé de prendre en compte les tirs à 3-points manqués depuis le corner la saison dernière. Au vu des effets vus précédemment, ce genre de shoots impliquera forcément des rebonds dits longs (2,2 mètres en moyenne), mais la zone du rebond dépendra également fortement du corner où le shoot aura été manqué. Voici ainsi deux graphiques analysant les tirs pris dans le coin gauche, puis ceux pris dans le coin droit. Comme vous pourrez le voir, la plupart de ces tirs sont récupérés de l’autre côté du shooteur par rapport au cercle, et qu’environ 10% retombent en dehors de la raquette. Il est ainsi plus aisé de connaître la meilleure zone possible pour se placer en cas de tirs effectués à moins de 45 degrés. Sans surprise, le schéma est le même en miroir des deux côtés. Et même si les meilleurs rebondeurs ne se l’expliquent sûrement pas, il est certain que leurs réflexes inconscients connaissent ce facteur !
Même si l’on connaît avec plus de précisions ce paramètre qui fait en sorte que la plupart des rebonds pris sur des shoots à moins de 45 degrés retombe du côté opposé au tireur par rapport au cercle, tous ne retombent pas là… Ce serait évidemment trop simple. Comment expliquer alors que certains ricochets décident de faire l’exact inverse de ce que font la plupart des autres ?
Le docteur en physique John Fontanella, auteur du bouquin The Physics of Basketball s’est ainsi intéressé à la question.
Le ballon de basket a tendance à passer de l’autre côté du panier pour les rebonds en raison de la loi de Newton qui révèle qu’un objet en mouvement continuera sa trajectoire à moins d’être contredit par une autre force. En conséquence, un ballon de basket qui suivra une trajectoire de gauche à droite, continuera sa course à moins d’être heurté par le cercle qui exercerait alors une nouvelle force sur la balle. Mais pour que la balle revienne vers la gauche, il faudra qu’elle heurte le cercle d’une certaine façon, en absorbant une collision frontale. La plupart des forces exercées par le cercle altèrent la trajectoire du ballon, mais elles ne sont souvent pas assez fortes pour obliger le ballon à suivre ensuite une trajectoire inverse. »
John Huth, prof à Harvard a par la suite approfondi cette théorie en distinguant trois types de tirs manqués : le air-ball, la brique, et les shoots qui tapent le cercle. C’est évidemment cette dernière famille de tirs manqués qui apporte le plus de paramètres aléatoires à la trajectoire de la balle, vu que le cercle est comme le dit don nom, de forme circulaire. Ainsi, en tapant le fond du cercle, ou alors lors d’un shoot bien trop court, la balle à des chances de revenir vers le tireur.
Il faut ensuite noter que les joueurs NBA ne shootent que rarement des air-balls, car leurs tirs touchent le cercle dans une très grand majorité des cas. Cependant, la trajectoire d’un air-ball est toujours beaucoup plus facile à envisager par les rebondeurs, vu qu’elle n’est jamais déviée. Pareil pour le briques, qui rebondissent sur une surface plane.
Ce qu’il faut finalement retenir, c’est que même si la majorité des tirs retombe du côté opposé, une quantité non négligeable reviendra vers le tireur. La preuve avec ces deux tirs de Corey Brewer. Le premier tir est un manqué typique. La balle rebondit sur l’arrière du cercle et continue sa trajectoire de l’autre côté du panier, avant d’être récupérée par un Chandler Parsons bien positionné.
Le second tir est bien trop court. La collision avec le cercle est forte, et le ballon revient vers le joueur. Ce genre d’action n’est pas rare en NBA, et Robin Lopez semblait l’avoir bien anticipé.
Même si l’idée reçu affirmant que le ballon a de très grandes chances de retomber du côté opposé pour ce genre de tirs est vraie, il faut la prendre avec des pincettes, car seuls 56% de ces ballons la valident. Les 44% restant ne sont donc pas à négliger malgré ce que beaucoup auraient pu penser.
Ce qui est plus intéressant à savoir, c’est que la plupart des ballons qui retombent du côté du tireur sont des rebonds plus longs que ceux qui retombent du côté opposé. En effet, pour qu’une trajectoire prenne une direction opposée après un choc, il faut que ce choc soit suffisamment violent. Ceci entraîne ainsi logiquement une plus grande distance de retombée du ballon.
Charlie Rohlf, analyste du sport, explique ce paramètre :
Pour que le ballon parcoure un minimum de deux mètres après avoir heurté le cercle, il faut qu’il tape avec suffisamment de violence le tout devant de l’arceau pour revenir vers le tireur, ou alors la partie intérieure du devant du cercle, pour arriver du côté opposé. Il y a une variété d’angles beaucoup plus importante pour laquelle ce sera le cas numéro un qui aura lieu, plutôt que le cas numéro deux. La plupart des angles utilisés par les tireurs provoquent souvent un effet où la balle rebondit vers le haut après avoir tapé le cercle. Mais quand vous prenez en compte seulement les chocs violents permettant d’éjecter un ballon à plus de deux mètres du panier, il y a beaucoup plus de chances de frapper le devant du cercle que le derrière. »
Pour conclure, si l’on décide de se placer du côté opposé au tireur il vaut mieux se placer proche du cercle, alors qu’il vaudra mieux prendre quelques distances lorsque l’on se situe de son côté : une science que les joueurs faisant preuve d’un instinct du rebond développé connaissent forcément, inconsciemment au moins.
Un paramètre aléatoire :
Malgré toutes ces démonstrations intéressantes, chaque shoot manqué semble vouloir défier les lois des théories physiques. Même si les principes fondamentaux sont guidés par une logique plus ou moins certaine, la beauté du rebond reste dans cette part de hasard quant à définir le point d’arrivée du ballon, et malgré ces belles études, qui pourra consciemment savoir à chaque fois si le shoot touchera plutôt l’intérieur du cercle que l’intérieur, sera long ou court, sera tiré avec suffisamment de force pour revenir vers le tireur ou non, etc… ? Personne ! Mais l’instinct du rebondeur réside sans aucun doute dans la maîtrise et la diminution des incertitudes liées à ces paramètres, mais ceci ne s’apprendra qu’après de nombreuses heures passées à suer sur les terrains, et à lutter pour chaque rebond.
Ainsi, la technique la plus sûre, reste encore et toujours ce bon vieil écran retard enseigné en mini-poussin. En sacrifiant son corps et en augmentant la taille de la zone protégée, il est ainsi évident de comprendre que l’on maximise les chances que le ballon retombe ensuite dans cette même zone. C’est ensuite grâce à l’instinct, analysé plus tôt que se fait la différence entre les excellents rebondeurs et les autres…
Grantland n’a d’ailleurs pas évoqué le physique et les capacités athlétiques des joueurs dans leurs chances d’attraper un ballon. Ceci dit, même si ces paramètres semblent important à prendre en compte (un joueur de 2,15m aura forcément plus de chances qu’un jouer d’1,85m), ils ne paraissent pas essentiels dans cette étude. En effet les points analysés précédemment semblent bien plus intéressants à analyser tant leur importance parait plus grande. Parlez-en à Dennis Rodman et à ses 2,01m ! Il faut de plus avouer que tous les joueurs NBA ont aujourd’hui des capacités athlétiques assez surnaturelles, et qu’il est plutôt très rare d’y croiser un intérieur d’185m (sic).
Ces nouvelles caméras sont donc en train de révolutionner le monde de l’analytique en NBA, qui permet comme pour ce thème, de transformer des idées reçues en véritables données scientifiques. Et quand l’on sait qu’elles permettent aussi de savoir que Chandler Parsons et Jimmy Butler sont les joueurs qui courent le plus sur un terrain, alors que Patty Mills est celui qui va le plus vite, nous pouvons vraiment dire que nous entrons dans une nouvelle ère dans le domaine de l’analyse statistique et le scouting des joueurs.
Mais le charme du rebond reste son côté incertain, imprévisible. Et même si l’on peut se faire une idée assez grossière de l’endroit de récupération du ballon grâce à ces données scientifiques, il n’est jamais possible de l’évaluer de façon précise. Le design de l’arceau y est pour beaucoup, et peu importe à quel point la technologie est pointue, c’est bien ce côté aléatoire dans de nombreux domaines inquantifiables statistiquement (voir dossier réalisé à ce sujet), qui fait la beauté du basket. Difficile d’affirmer le contraire même si Kawhi Leonard ou Boris Diaw auraient bien aimé savoir à quel endroit retomberait ce shoot de LeBron James en 2013. En effet, c’est finalement Chris Bosh qui a capté la gonfle, participant ainsi à l’un des plus grands moments de l’histoire des finales NBA.
Au final, comme le dit Kirk Goldsberry :
Il y a des choses que les données scientifiques peuvent affirmer, mais il y en a d’autres que seul Joakim Noah connaît ! »