[Interview] Evan Fournier : « Il va falloir hiérarchiser en équipe de France »
Après le succès face à New York (105-100), l’arrière du Magic espère que les dernières victoires vont remettre le groupe sur de bons rails, suite à une mauvaise passe collective et individuelle. Le meilleur scoreur français en NBA et chez les Bleus pointe aussi des travaux à effectuer en sélection nationale et assume vouloir en être le leader.
Evan, avec deux victoires en trois matchs, l’équipe passe un peu le cap de cette série de neuf défaites d’affilée subie en novembre. Comment ça va du coup ?
Forcément, tu te sens mieux. La qualité de vie est meilleure ! Quand tu es dans une série de défaites comme cela, c’est misérable. Mais ça ne fait que deux matchs sur trois et cela n’efface pas ce qu’il s’est passé.
A quoi attribues-tu cette mauvaise passe ?
Il y a eu un peu de tout ! Il y a eu le fait que l’on ait mal joué, le fait que l’on ait joué quasiment tous les matchs à l’extérieur, contre de bonnes équipes… Et on s’est un peu perdus quoi. Je pense que l’on peut faire de très bonnes choses, mais je pense que l’on a encore un effectif fragile, où quand vraiment on est dans une mauvaise série, ou que ça devient difficile, les mauvaises habitudes ressortent. Et c’est vraiment cela qu’il faut que l’on élimine pour devenir une bonne équipe.
C’est quoi justement ces mauvaises habitudes ?
Ne pas se passer la balle ! Pas se passer la balle et pas se faire confiance, tout simplement. Que ce soit en attaque ou en défense. On se replie un peu sur nous-même et il faudrait faire tout l’inverse…
Que dit ton coach, Frank Vogel, du coup ?
Il nous dit la même chose. De toute façon, le changement doit se faire individuellement. C’est à dire que nous les joueurs on doit se remettre en question, et essayer de toujours progresser et de faire ce qu’il y a de mieux pour l’équipe. Après, bien sûr que le coach joue un rôle là-dedans, avec ses changements, ses systèmes, tout le travail vidéo, mais bon… Frank c’est quelqu’un de très positif en tout cas. Qui veut toujours voir le bon côté des choses. Donc il est resté positif pendant toute cette période. Forcément ce n’était pas facile tous les jours, mais on travaillait sereinement quoi. Après, ça n’empêche pas que l’on se sent comme des merdes !
« Quand on gagnait, on était conquérants, donc s’en éloigner, c’est ça qui fait mal »
Ceci dit, la plupart de ces défaites étaient assez logiques, vu les adversaires, non ?
Oui, c’est vrai. Mais le truc c’est que la façon dont on a commencé notre saison, si tu raisonnes comme cela jusqu’au bout, on a gagné des matchs que l’on n’aurait pas dû gagner. Quand on gagne contre Memphis, quand on éclate Cleveland à Cleveland, quand on éclate San Antonio… Tu vois ? Si on suit ce raisonnement là, on n’aurait pas dû les gagner ces matchs. Mais on était conquérants, ensemble, et c’est pour cela qu’on les a gagnés ! Donc de s’éloigner de cela, c’est ça qui fait vraiment mal.
Surtout pour autant de matchs…
Oui, car au-delà de ça, c’est la manière dont on perdait. On se faisait éclater, on ne jouait pas ensemble. On était tous frustrés… Tu te réveilles le matin, t’as l’impression que tu es dans un cauchemar. Quand tu traverses ce genre de truc, c’est vraiment dur, parce qu’en plus avec ce groupe, ça fait plusieurs années qu’on est comme ça quoi, donc c’était limite: « ah putain, ça recommence ! ».
Individuellement, ce n’était pas trop ça non plus …
Forcément, j’ai souffert dans cette période aussi. Tout le monde d’ailleurs. Parce que quand l’équipe ne tourne plus, bah tu te frustres, tu commences à rater tes tirs… Ouais, ouais. J’étais dans cette période de mauvais matchs là. Mais ça ira mieux.
« Ce n’est pas les même tirs quand la balle ne tourne plus ! »
Le plus flagrant c’était ton manque d’adresse, d’où cela venait-il du coup ?
Parce que déjà, tu n’as pas les mêmes tirs ! Quand la balle ne tourne plus bah… Faut que tu ailles les chercher tes tirs ! Donc tu te frustres… Quand tu ne touches pas un peu la balle bah tu te dis : « putain, ça fait longtemps que je ne l’ai pas touchée ». Donc quand tu la touches, tu es nerveux, tu ne prends pas les meilleures décisions, et c’est compliqué !
Et tu peux faire quelque chose dans ces moments-là pour retrouver un peu d’adresse ou de sensation quand même ?
Rien. Sincèrement, rien. Tu sais, l’adresse c’est quelque chose de vraiment particulier. Quand je rate – par exemple ce soir j’ai manqué des tirs que je n’aurais pas du louper –, je m’en veux, mais bon je tire et après c’est… « fuck » quoi. C’est pas grave.
Certains font un peu des trucs en-dehors du terrain pour se remettre dedans. Toi non ?
(En souriant) Ouais, je prends un petit verre de Jack avant, ça me détend !
Ah, tu sais, Steve Kerr avait utilisé deux fois la cuite comme remède (en universitaire et avec les Bulls, deux anecdotes racontées dans In the Year of the Bull, par Rick Telander)…
Ah ouais ? Non, non, non. Forcément, quand tout va mal avec le basket, ta vie est un peu compliquée, car notre vie tourne autour de ça. Donc tu essaies d’avoir des ondes positives, te rafraîchir un peu les idées, mais sinon je ne change pas de routine.
Dois-tu aussi parler aux autres dans ces cas-là, dans un rôle de leader ?
Rôle de leader ? Quand il y a des choses à dire, on le dit, mais des fois il n’y a rien à dire quoi. Si tu ne sais pas les choses que tu devrais faire mieux, de toi-même, bah… bonne chance ! Et puis, avec le coach, il y a eu du travail vidéo qui a été fait, donc les choses ont été dites, mais parler des fois cela ne sert à rien, il faut le faire. On le sait tous ! Sur les interviews de fin de match, on dit tout le temps : « ouais, il faut que l’on joue dur, faut que l’on joue ensemble… ». OK, d’accord, mais bon… On le fait quoi !
« C’était notre problème numéro un en équipe de France »
En tout cas, pour l’équipe de France, Florent Pietrus a dit (dans Le Vestiaire sur SFR Sport) qu’il manque un leader et qu’il te voit toi dans ce rôle. Comment le prends-tu ?
Je ne suis pas surpris, parce que Flo il me connaît. On a même une très bonne relation. Flo, c’est un combattant, un gars qui a vraiment de l’expérience (230 sélections en équipe de France), donc forcément c’est toujours plaisant à entendre, mais ça ne me surprend pas. De toute façon, je ne vais pas te le cacher, j’ai envie d’avoir ce rôle-là, c’est quelque chose que j’aime.
Tu nous as déjà dit que tu es plus leader par l’exemple que vocal, mais à un moment donné faut-il avoir cette discussion dans le groupe, pour caler certaines choses ?
Non, il n’y a pas de discussion. De toute façon tu cales quoi, tu viens et tu dis : « eh les gars c’est moi le leader » ? Non. Non, non, non. Ça ne se passe pas comme cela. Pour moi le leadership c’est quelque chose qui se passe sur le terrain et qui se gagne par le respect. Et les choses se font naturellement de toute façon. On va pas te nommer : « toi tu vas être le leader ». C’est comment on met en place les choses sur le terrain et ensuite cela se fait naturellement. Il ne faut pas forcer.
Mais quand même, à un moment il y a des choses à dire…
Bien sûr ! Mais de toute façon les gens qui ont souvent des choses à dire sont ceux qui jouent 35 minutes. Les gens qui jouent cinq minutes… Genre le petit rookie ce n’est pas lui qui va ouvrir sa bouche. Donc le rôle du terrain est tout le temps relié au rôle que tu as dans le vestiaire. C’est extrêmement rare sinon. Où alors il faut que ce soit un ancien comme Flo, qui ne jouait plus beaucoup mais son rôle c’était cela justement, c’était d’amener son expérience. Mais il n’y a plus d’anciens, à part Boris.
Justement, dans cette nouvelle génération, tu penses que les autres peuvent te voir comme un leader ?
Ouais, clairement. De toute façon, dans cette équipe j’ai joué avec pas mal de gars en jeunes. Et donc clairement en jeunes j’étais le leader quoi. Mais parce que j’avais beaucoup de responsabilités sur le terrain. Non pas parce que je l’ouvrais en dehors. Quand j’avais des choses à dire je le disais… Mais de toute façon l’important avec l’équipe de France là c’est comment on va hiérarchiser le terrain justement. Parce que je pense que cet été, c’était notre problème numéro un. On se cherchait trop sur ça. Notre cinq majeur, on se posait pas mal de questions. On était tous un petit peu… pas perdus, mais on se marchait un peu dessus tous.
Les rôles n’étaient pas assez définis ?
Ce n’est même pas que les rôles n’étaient pas définis. Mais si tu as deux joueurs de post-up qui sont dans la même équipe et qui sont dans le même cinq, comment tu les fais cohabiter ensemble ? Quand tu as trois arrières-scoreurs qui sont ensemble, comment tu fais pour qu’ils jouent ensemble ? Ce n’est pas facile ! Et il n’y avait pas du tout de mauvaise pensée ou quoi. Mais forcément tu te marches un peu dessus, c’est inévitable.
Comme quoi, l’abondance de biens, parfois…
Ouais, voilà. Et c’est compliqué franchement. Ce n’était pas facile. Ce n’était pas facile pour les joueurs et je pense que ce n’était pas facile pour les coaches qui étaient là aussi.