[Interview] Joffrey Lauvergne : « Pop est vachement différent »
Ravi de son rôle en début de saison après son arrivée aux Spurs, l’intérieur français a connu des passages bien plus difficiles derrière. Ce qui ne l’empêche pas de porter un regard très intéressant sur la mythique franchise texane et son coach… voire aussi Frank Ntilikina, qu’il a découvert.
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Joffrey, commençons par le plus récent : où en est ton doigt ?
En fait, ça me gène, car quand la balle m’arrive dans la main, je sais pas, elle doit taper dans la coque, qui me presse à un endroit, c’est chiant… Donc j’appuie ailleurs pour relâcher la pression, tu vois ? Je l’ai encore pour deux semaines là. De toute façon c’était soit ça, soit je me faisais opérer. Et si je me faisais opérer, c’était le même temps pour que cela se répare, sauf que je n’aurais pas pu jouer pendant ces 6 semaines…
L’an dernier, alors que tu étais déjà à Chicago, tu nous disais que tu trouvais que le Thunder est l’une des organisations les plus pros que tu aies connues…
(Il coupe) Ouais… et je pense en avoir fait quelques unes (sourire) !
Tu retrouves la même chose aux Spurs, qui sont reconnues comme la meilleure franchise des vingt dernières années ?
En termes de résultats oui. Après en termes d’organisation, c’est tout pareil. Comme Sam Presti (le GM du Thunder) était aux Spurs avant, il a fait énormément de choses similaires. J’apprends au fur à mesure, mais il y a des choses que je retrouve ici. La bouffe par contre, c’était même mieux au Thunder ! Il y avait des chefs, tout ça, incroyable. Même si ce sont des détails, tu sais, bout-à-bout quand même, les détails ça compte. A l’arrivée ça te fait sentir mieux… Je vais te dire un truc con, mais quand j’étais à OKC, même quand on n’avait pas entraînement, j’étais content d’aller manger à la salle ! Parce que c’était tellement bon. Et puis tu passes du temps avec les gens du club, tes coéquipiers, tout ça. Ce sont des petits détails qui peuvent faire une différence à l’arrivée. Mais ici, c’est vraiment bon aussi.
Qu’est-ce qui est particulier à San Antonio ?
Le fait que certains joueurs de l’équipe jouent depuis tellement longtemps, avec le même coach aussi, c’est vraiment impressionnant par rapport à d’autres équipes que j’ai faîtes, où le roster change, ils se renouvellent… Ici, ils jouent de la même manière depuis vingt ans en gros, donc c’est assez impressionnant. Certains systèmes aussi. Genre ils vont t’en faire un, la dernière fois qu’ils l’ont fait c’était il y a trois ans, et ils te le rejouent aujourd’hui comme si c’était hier ! Tu vois ? Alors qu’on ne l’a jamais vu à l’entraînement… Des trucs comme ça. C’est spécial.
C’est un basket particulier aussi ?
Disons que l’équipe a pas mal changé aussi, il y a beaucoup de nouveaux joueurs, même si le noyau est là depuis longtemps. Donc la différence par rapport aux autres équipes que j’ai faîtes, c’est ce noyau dont on parle. Ils sont super intelligents au niveau du jeu, pas juste talentueux et jeunes. C’est ça la plus grosse différence. Parce qu’Oklahoma, je pense qu’on en avait parlé l’année dernière, ça manquait vachement d’expérience finalement. C’était Russ, et quand il n’était pas sur le terrain ça devenait compliqué. Parce qu’on continuait d’essayer de faire comme quand lui était sur le terrain. Et c’était super dur forcément, parce que comme personne n’a son talent, voilà…
« C’est compliqué d’arriver au clash avec les coaches américains »
Est-ce que tu as l’impression que les Spurs ont cherché à te connaître plus qu’ailleurs aussi ? Ils sont assez réputés pour leur vie de groupe…
Je n’ai pas forcément senti une attention particulière. Tony m’a dit que quand il avait été question de me signer, Pop avait demandé vachement de trucs sur moi. Mais sinon, non, pas vraiment plus qu’ailleurs. A part bien sûr quand je suis arrivé à Chicago, puisqu’il n’y avait pas le temps, c’était pendant la saison. Mais sinon on essaie quand même de te connaître un peu, partout où je suis passé.
Te sens-tu enfin compris au niveau du jeu ?
Bah, je ne sais pas trop. J’étais parti pour dire cela au début de l’année, et depuis ce n’est pas aussi bien que la manière dont ça avait commencé. Je me suis blessé entre-temps, donc est-ce que cela va redevenir pareil ou pas, je ne sais pas, on verra. Mais c’est vrai que ça avait vraiment bien commencé. J’étais vraiment super satisfait avant que je ne me blesse. De mon rôle, de comment j’étais utilisé, tout ça. Et après je me suis blessé pendant un mois. Je recommence juste depuis début janvier à ne plus avoir mal à la cheville. Donc ça je suis content, parce que je commençais à en avoir marre un peu quand même. Mais on verra, la saison est encore longue, les playoffs, machin…
Pop me disait qu’il avait l’impression que toutes tes capacités n’avait pas été utilisées dans les équipes NBA précédentes. Cela a plus été le cas ici ?
Encore une fois, on ne va pas parler de maintenant, parce que j’ai été blessé un mois avec ma cheville, après j’ai eu trois semaines en ayant mal, en boitant, à chaque fois que je devais m’échauffer, c’était relou… Là, je commence doucement à enlever mon truc au doigt, donc bon, j’ai eu plein de m…, voilà. Mais au début de l’année c’est vrai que j’avais vachement de liberté et la balle passait beaucoup par moi avec le second groupe. Pas forcément tout le temps pour que je joue, mais aussi pour faire jouer tout le monde. Après, depuis que je suis revenu, bon… Mais ça n’a rien à voir avec comment on joue, c’est par rapport à moi. Et puis tu sais, depuis que je suis arrivé en NBA, à chaque fois, selon l’équipe et le coach pour qui je jouais, on me demandait des trucs très différents. A Denver on m’a demandé d’être un 5 qui roule et qui reste dans la raquette, à Oklahoma j’étais un Davis Bertans (son coéquipier aux Spurs), alors que ce n’est pas mon jeu non plus. Parce qu’ils avaient besoin d’un mec qui pouvait shooter à trois points, donc j’étais stretch-4 alors que ce n’est pas mon jeu non plus. Et voilà quoi, à chaque fois je fais ce dont on a besoin. Parce que je fais tout plutôt bien, mais rien d’exceptionnellement bien. En NBA c’est peut-être un défaut. Parce que les mecs ils aiment bien se reposer un peu sur un seul truc. Donc moi à chaque fois on m’a toujours demandé des trucs vachement différents…
Même avec des minutes limitées, tu as régulièrement un rôle de passeur aux Spurs. C’est un aspect qui te parle ?
Naturellement, je ne sais pas si c’est ce qui me parle le plus. Mais j’ai vachement progressé sur ça au contact de Vincent (Collet) et Boris (Diaw), avec l’équipe de France. En regardant et en m’expliquant c’est vrai qu’il y a des trucs sur lesquels j’ai énormément progressé à ce niveau. Maintenant, j’ai des facilités sur cela que je n’avais pas avant. Pour être honnête, je m’en suis vraiment rendu compte un peu la saison dernière, mais surtout cet été. Je me suis rendu compte – parce que cet été j’ai beaucoup plus joué, et un jeu plus réfléchi que ce qui pouvait l’être à Oklahoma – que j’avais beaucoup progressé sur les lectures de jeu, tout ça. Et même aujourd’hui je me sens vraiment bien sur ça.
«Pop est vachement différent, il pense en-dehors de la boite »
Tu nous avais dit il y a deux ans ça ne colle pas toujours avec tes coaches. Pop nous a dit que ça passait très bien, que tu lui rappelles Boris. Qu’en est-il de ton côté ?
C’est vrai que j’avais dit ça (quand il débutait en NBA), mais par rapport à tous les coaches que j’ai eu aux Etats-Unis, c’est difficile d’être en conflit avec eux. Parce que finalement c’est très difficile d’avoir une relation conflictuelle avec les coaches américains – même si je ne veux pas faire une généralité, comme si je les connaissais tous – vue la manière dont ils font les choses… Ils sont vachement en retrait, ils ne sont jamais seuls à prendre une décision, il y a toujours vingt-cinq personnes qui la prennent, tout ça. Donc c’est quand même compliqué d’arriver au clash ! Mais lui c’est sûr que – par rapport aux autres que j’ai eu encore une fois – il est vachement différent. Il est beaucoup plus… Il pense beaucoup plus en-dehors de la boîte, tu vois ? Tu sais, les Américains ils sont quand même souvent très dans le politiquement correct, ils ne veulent pas vexer, ils ne veulent pas blesser, tu vois. Et lui est vachement différent là-dessus. C’est une personnalité quoi.
Est-ce aussi parce que la vie avec les coaches en Europe est différente, la fréquence des entraînements notamment ?
Peut-être indirectement, un peu. Mais surtout, malgré tout, les gens, selon d’où ils viennent, ont une éducation en commun et des manières de se comporter, de voir les choses, qui sont similaires. Le monde n’est pas éduqué de la même façon partout et je pense que les Américains en général sont comme ça.
Pop vient te parler directement ?
Oui, de temps en temps, et pas forcément de basket ! Il parle de tout, de vin… Et c’est naturel. D’autres le faisaient parfois, mais tu avais l’impression que c’était plus le truc que l’on doit faire pour être poli, tu vois ? Tu vois ce que je veux dire ? Pour être poli, pour être bien vu, tout ça. Alors que lui, c’est juste parce que… (il pince ses lèvres et souffle) Si ça se trouve, pendant quinze jours il ne t’adresse pas la parole, et puis un jour, je ne sais pas pourquoi il vient te parler. Comme j’ai dit, je crois que je n’apprends rien à personne, c’est une personnalité quoi. Il est différent.
Tu t’attendais un peu à ça déjà ?
Moi, je n’avais pas spécialement d’image de lui quand je suis arrivé. Je savais juste que c’était un coach qui avait gagné beaucoup de titres et voilà. Et après les histoires que j’avais pu entendre de Boris ou Nando, mais après je n’avais pas… Je savais deux-trois conneries, du genre qu’il avait fait l’armée (l’Air Force plus précisément), des trucs comme ça, mais voilà quoi. Et de toute façon, j’aime bien juger les gens pas forcément par ce que l’on m’a répété d’eux, mais par le moment où je les rencontre vraiment.
« J’ai vachement aimé voir jouer Frank Ntilikina »
Tu as pu observer Frank Ntilikina deux fois en 10 jours entre décembre et janvier. Es-tu surpris de le voir avoir un rôle aussi important à 19 ans ?
Je ne sais pas, je pense que quand tu te fais drafter très haut comme ça, surtout dans une équipe où il n’y a pas d’autre personne à ton poste, tu es sensé jouer. Donc ce n’est pas vraiment une surprise pour moi qu’il joue quoi. Après, encore une fois, pour être très honnête, fin décembre c’est la première fois que je voyais ce qu’il a fait. Et j’ai vachement aimé. Il joue pour l’équipe, il fait les passes au bon moment, il ne garde pas le ballon. Ça déjà, surtout dans cette ligue, c’est déjà beaucoup.
Beaucoup sont surpris par sa maturité…
Je ne sais pas. Oui, surprenant, parce qu’il est jeune. Après, ça dépend des joueurs. Parce que des fois il y a des joueurs qui apprennent d’abord à réfléchir comment jouer au basket pour ensuite apprendre à développer leur shoot et leurs qualités individuelles. Et des fois – souvent – aux Etats-Unis c’est l’inverse : les joueurs sont très jeunes, très talentueux avec la balle, machin, mais ils ne comprennent pas le jeu. Donc lui, bien sûr il est talentueux aussi, mais peut-être il est juste en avance sur la compréhension du jeu, tout ça. Mais bon, il a fait combien de temps avec Vincent (Collet, à Strasbourg) ? Donc ce n’est pas très étonnant non plus.
Tu commences à réfléchir à ce qu’il pourra faire sous le maillot bleu ?
Bah, ce ne sera pas cet été déjà je pense (rires) ! Bon, je ne pense pas forcément à ça franchement. Je sais qu’il est Français, donc je sais que cela va arriver, mais je n’y ai pas pensé.
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York