Ne tirez pas sur l’oiseau siffleur
Scène inhabituelle et pourtant passée relativement inaperçue lors du retour des Braqueuses à Paris, au lendemain de leur défaite en finale face à l’Espagne. Mathieu Cavada, journaliste pour iTélé, attend les Françaises à leur descente du bus, et vient interviewer Céline Dumerc. Sentant de la frustration -et c’est bien normal- dans les réponses de la capitaine de l’Equipe de France, celui-ci lui demande :
“Vous en voulez à l’arbitrage?”
“Non, non. Si c’est pour poser ce genre de questions, c’était pas la peine de venir.” lui répond Dumerc, avant de s’éloigner.
Céline Dumerc prend une position radicalement différente de celles des joueurs, entraîneurs, dirigeants, journalistes, commentateurs, consultants, polémistes ou simples spectateurs. Questionner la responsabilité de l’arbitrage après une rencontre sportive est devenu automatique, et on a assimilé le fait que l’on puisse tenir l’arbitre pour coupable de la défaite d’une équipe. Poutant, Céline Dumerc estime elle qu’une telle question n’a pas sa place dans une interview au lendemain d’une finale continentale. Malheureusement, elle est l’une des seules.
L’arbitre ne fait pas rêver. Quand on vient voir une rencontre sportive, on vient voir des joueurs, parfois même on vient simplement pour les beaux yeux d’un seul joueur. Personne ne vient voir l’arbitre, personne ne veut le voir prendre de l’importance. On voudrait que tel un souffleur, il se cache sous le parquet, pour ne pas avoir à supporter sa présence au détriment des acteurs du jeu. La différence, c’est que contrairement à celui qui vit dans une trappe sous les planches, l’arbitre est un acteur du jeu au même titre que les joueurs.
En anglais, on appelle l’arbitre the referee, c’est à dire celui à qui l’on se réfère, celui qui sait. Pourtant, chacun estime en savoir plus que l’arbitre, notamment du fait de pouvoir disposer d’une large palette d’outils télévisuels censés mettre en lumière des éléments que l’arbitre ignore. Chacun peut ainsi se prendre pour l’arbitre, même si personne ne voudrait être l’arbitre. Le spectateur se rêvera Kobe Bryant, et pourra même prendre sa place derrière une manette le temps d’une partie de NBA 2K. S’il rêve de pouvoir un jour entendre son nom scandé par le speaker du Staples Center, vêtu de la tunique des Lakers, pour rien au monde il ne voudrait être en bord de ligne sous la triste chemise gris clair de Joey Crawford.
En revanche, il ne se gênera pas pour contredire le jugement dudit Joey, capable de déceler, souvent derrière son écran à des milliers de kilomètres de la scène, quelque chose que Crawford, à un mètre de l’action, n’aurait pas vu. Parfois même devant un streaming pixellisé comme un porno japonais. Tout le monde se prend pour l’arbitre, sans vouloir l’être. Si chacun des acteurs du sport et de sa médiatisation peuvent se permettre de le faire, pourquoi le spectateur n’en aurait-il pas le droit?
De la même manière, la décision de la NBA d’instaurer un règlement plus sévère au niveau des critiques des joueurs et coaches envers l’arbitre a été quasi-unanimement reçue avec véhémence. Mais où va-t-on si on n’a plus le droit de gueuler sur l’arbitre? Dans la bonne direction. On dit souvent que dans la NBA actuelle, Rasheed Wallace ne pourrait pas jouer un match entier. C’est vrai (il a d’ailleurs été expulsé après deux fautes techniques en une minute en début de saison) et c’est tant mieux. L’arbitre mérite le respect au même titre que les autres acteurs du jeu, et même davantage, si l’on se réfère au sens du terme anglais évoqué plus haut.
Don’t hate the Player, hate the Game, a-t-on coutume de dire. L’arbitre est là pour faire appliquer un règlement, et si certaines de ses décisions ne plaisent pas, il convient de se plaindre des règles et non de celui qui les fait respecter. Par exemple, la NBA propose depuis 2009 une règle différente de la FIBA en ce qui concerne les marchers. Combien de spectateurs critiquent des décisions arbitrales relatives aux marchers sans avoir pris connaissance du texte définissant le contenu de cette variation de la règle? Non seulement le spectateur se permet d’affirmer que sa vision des choses est meilleure que celle du référent en matière de règles, mais également sans avoir connaissance des règles elles-mêmes.
De la même manière, la NBA impose plus ou moins tacitement à ses arbitres de protéger les superstars. Si les stars sont blessées, les matches font moins d’audience et les salles vendent moins de tickets, il est donc cohérent dans une logique mercantile de faire en sorte que les contacts envers les meilleurs joueurs soient sanctionnés plus sévèrement. Les différences de traitement entre les joueurs ne sont pas le fait des arbitres, mais des règles -encore une fois plus ou moins tacites- qu’ils sont tenus d’appliquer. L’arbitre n’a pas vocation à être équitable, mais à faire respecter les règles qui régissent le jeu.
A partir de ce postulat, et contrairement à d’autres sports plus réglementés comme le Football Américain, il convient de rappeller que le Basket implique une importante interprétation de la part de l’arbitre. Si le contact semble à première lecture des règles relativement prohibé, chaque joueur sait qu’en réalité il est impossible de jouer sans lui. Là où dans un autre sport chaque match doit être arbitré de la même façon que le précédent, l’arbitre de Basket est dans un tout autre cas de figure, et pourra lui siffler un match différemment d’un autre.
Pourquoi? Tout simplement parce que chaque match est différent, en particulier en termes de contact et d’intensité. On dit souvent qu’on ne siffle pas de la même façon en saison régulière et en Playoffs, et c’est vrai, parce que l’intensité n’est pas la même. L’arbitre ne doit pas garder une ligne directrice sur tous les matches qu’il va arbitrer au cours de la saison, en revanche il doit le faire sur un match. Selon sa permissivité sur les contacts au premier quart-temps, il sifflera les mêmes fautes lors des trois suivants. Si l’arbitre s’est montré sévère dans le premier quart, il signalera dans le quatrième des fautes qui sembleront illogiques au spectateur qui aura vu un match plus permissif la veille, mais qui seront en réalité cohérentes au vu de la ligne directrice qu’il a donnée à la rencontre.
L’arbitre ne définit que la façon dont les règles sont appliquées. En poussins ou en pupilles, il pourrait même prendre des décisions contraires aux règles afin de donner une portée plus pédagogique à son jugement. Ce n’est pas le cas au niveau professionel où il doit appliquer le règlement à la lettre, un règlement dont certains points sont soumis à son interprétation. Lui, en tant que référent, a donc raison là où le spectateur aura tort. Règle numéro un, l’arbitre a toujours raison. Règle numéro deux, si l’arbitre a tort, la règle numéro un s’applique. Dans tous les cas, son avis, éclairé par une connaissance experte des règles, sa proximité avec les joueurs et la façon dont il dirige le match, vaut bien plus que celui d’un consultant sur un plateau télé.
Bien sûr, l’arbitre est un être humain, il est donc confronté à sa propre émotivité lorsqu’il est au sifflet. L’atmosphère d’une salle survoltée lors d’une demie-finale de Conférence, les postillons d’un Dwyane Wade qui vient lui hurler au visage auréolé de son statut de superstar, les insultes échangées par les joueurs sous son nez, les dernières secondes pesantes d’un match serré, autant de pressions extérieures auxquelles doit faire face l’arbitre là où le spectateur pourra en toute décontraction désavouer son jugement. Faire face à une foule qui hue ou qui acclame influe sur la façon d’arbitrer, puisque bien évidemment personne ne veut voir 48 minutes de lancers-francs. Une responsabilité dont est totalement détachée chaque personne qui n’est pas derrière le sifflet lors du match.
Afin de lui permettre de pouvoir se détacher de ces pressions extérieures, la NBA a ajouté au cours de ces cinq dernières années de nombreux cas de figure où l’arbitre peut s’assister de la vidéo. Si elle n’est pas gage absolu de vérité, la vidéo permet de trancher des cas où l’interprétation n’est pas impliquée, comme par exemple si la balle a quitté la main du joueur avant ou après le buzzer -même si cela reste également un cas discutable, Brad Miller ayant marqué un shoot en 2009 dont il était impossible de déterminer s’il était valide ou non.
Cette utilisation de la vidéo n’est utile que réglementée de façon stricte, comme elle l’est actuellement. Si l’arbitre utilise la vidéo pour déterminer quel joueur a touché la balle en dernier avant qu’elle ne sorte et qu’il remarque une faute qui lui avait échappé, il ne peut pas la siffler. De cette manière, il n’est pas influencé par le ralenti, qui ajouterait finalement une pression de plus à celles auxquelles il fait déjà face. L’utilisation de la vidéo en NBA est une des plus efficaces du sport, on pourra néanmoins déplorer le fait qu’y faire recours soit de plus en plus systématique, l’arbitre ayant parfois peur de se voir critiqué pour n’avoir pas demandé son usage.
Compte tenu des différents points évoqués, il semble que comme l’estime Céline Dumerc, l’arbitrage n’a pas a être débattu à l’issue d’un match. Premièrement, parce que les personnes susceptibles d’en parler sont moins compétentes pour le faire que l’arbitre lui-même, et font souvent preuve d’une méconnaissance des règles qui rend caduc tout jugement à l’égard de celui qui les fait respecter. Deuxièmement, parce que chaque match doit être arbitré d’une façon différente compte tenu de son enjeu et de son intensité, rendant une nouvelle fois nuls et non avenus les avis qui compareraient la décision d’un match avec celle du précédent. Troisièmement, parce que l’arbitre du fait des deux raisons précédentes et des outils à sa disposition est le plus à-même d’interpéter et les règles et le match, contrairement à un observateur qui n’est pas sur le terrain.
L’arbitre n’est pas nuisible au jeu, il est le garant de son bon déroulement. Il n’influe pas sur le résultat du match mais simplement sur la façon dont il se déroule. Pourtant, comme l’oiseau moqueur du roman d’Harper Lee, il est le premier qu’on montre du doigt, bien qu’il ne cause de tort à personne, car il ne peut pas se défendre. La NBA tente de l’assister en faisant évoluer les règles de manière à assurer sa protection, et a même instauré des amendes si l’on vient à émettre des critiques à son encontre. Plutôt que de s’insurger du fait qu’on ne puisse pas critiquer l’arbitre, demandons nous plutôt s’il est pertinent de critiquer l’arbitre. Céline Dumerc a choisi son camp, moi aussi.
Lucas (@SwitchtoLK)
Article très intéressant !
Mais je pense que la personne qui a écrit cette article est sportif et comme tout sportif, quand on est dans un match on se rarement en cause et on s'en prend souvent a l'arbitre, même si après le match, avec du recul on nuance les propos.
Le problème qui se pose c'est que les arbitres se sentent tout le temps agressé et se renferme et n'avoue jamais ou très rarement avoir fait une erreur, car malgré ce qui est dit, ils font der erreurs. Et au final certains arbitres se croient tout permis et mettent des fautes techniques incompréhensibles (cf Joey Crawford sur Tim Duncan)
Bel article, c'est important de rappeler tout ça. Je suis moi même arbitre, et faut voir ce qu'on se prend sur la tronche (et encore je suis que niveau régional). Notons aussi qu'une décision doit être prise en 1/4 de seconde, on a pas le temps de réfléchir ou de laisser l'avantage.
Cependant vous parlez de la cohérence et c'est là à mon avis le point le plus important et ce qui à mon sens donne de la crédibilité à l'arbitre. Et c'est là ou je me permettrai d'émettre quelques critiques sur l'arbitrage de la finale de l'Euro.
(SUITE) Tout le match on a été bassiné avec les consignes qu'auraient reçu les arbitres de laisser jouer au maximum, et je dirai tant mieux, je suis moi même partisan de ça. Mais la cohérence à mon avis encore une fois, n'était pas au rdv. Qu'on ne siffle pas les fautes sur prises de position ou su le jeu en poste bas, OK, mais sur un tir c'est le minimum. Quand aux fautes que je qualifierai de "légère" sur la remontée de balle, un coup on les siffle, un coup non. Je ne parlerai pas des 4 fautes en 40s en début de dernier 1/4.
Après, vous l'avez dit et je le sais par expérience, que c'est toujours plus facile depuis les tribunes ou depuis son canapé. Mais perso j'ai trouvé que le tout manquait un peu de cohérence. est ce que ça a fait perdre les françaises, je sais pas, je pense qu'elle se sont mises à la base dans une situation compliquée. Mais voilà.
excellent article, étant arbitre et joueur, je comprends les 2 camps. C'est vrai que lorsqu'on est arbitre, on ne peut pas se permettre de faire d'erreur et encore moins de la reconnaitre ensuite car là on perd toute crédibilité face aux joueurs, un boulot difficile, ce que je détestais le plus était les 4ème quart, lors d'un match serré, tu as autant de pression sur tes décisions que les joueurs ! Le respect de l'arbitre est présent en jeunes mais il se délite petit à petit ! Quand on voit les superstars NBA hurlés sur l'arbitre c'est un mauvais exemple donné aux jeunes, il faut qu'en NBA on siffle de la même façon pour une star et pour un joueur lambda
Excellent!!! Il est vrai qu'à la fin du match j'en voulais à l'arbitre mais la, tu m'as remis les idées en place^^
Enfin un arbitre dans les commentaires. Ca doit être difficile d'arbitrer un match ! Comme vous tu l'as dit il faut rendre une décision en 1/4 de seconde, et en plus on est sur le terrain et pas devant la télé , au frais !
Et pour une fois c'est UNE sportive qui sert de modèle :D
Ah mais ça c'est obliger hein, quand tu perd, t'a l'impression que c'est jamais ta faute, c'est soit celle de l'arbitre qui est mauvais ou alors c'est la Malchance…
Je suis pas d'accord, au contraire. Savoir reconnaître ses erreurs permet justement de conserver sa crédibilité. En tout cas c'est comme ça que j'ai été formé et par expérience, je sais que ça passe mieux avec les joueurs.
Je suis arbitre et je suis même pas majeure et à tous les match je reçoit systématiquement des insultes ou remarques de joueurs plus vieux que moi alors que pour la plupart il ne connaissent presque pas le basket et ses règles. Et c'est vrai que l'arbitre est tous le temps mis pour responsable de la défaite par l'équipe vaincu…Limite on a l'impression que l'on a pas le droit d'avoir un libre arbitre (justement) et qu'on doit toujours écouter les joueurs ou supporters avant de siffler..
En tout cas merci pour ce magnifique article ^^
J'arbitre parfois des jeunes catégories et je te rassure (dans l'aisne) les petits commence à dénigrer les arbitres aussi…comme quoi la jeunesse par en sucette…