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Reportage : le basket ciment des réfugiés tibétains en Inde

Il y a dix ans, Karan Madhok, reporter pour Slam Online, avait rencontré Thakpa Kunga, jeune homme de 17 ans, qui après une matinée remplie de méditation et d’exercices philosophiques, séchait régulièrement la prière avec ses camarades réfugiés du Tibet, pour aller transpirer sur les terrains de basket. Ils s’extirpaient alors de leur monastère à 2000 mètres d’altitude dans les montagnes de l’Himalaya du côté de l’Inde, pour aller tâter le ballon sur le playground voisin, sans même prendre le temps de quitter leurs robes. Rares étaient ceux qui étaient chaussés de baskets, la plupart évoluant en tongs.

Dix ans plus tard, Kunga a continué son chemin pour devenir moine, suivant ses études à Dharamshala, ville bien plus grande mais toujours proche de McLeod Ganj, son monastère initial. Ce parcours n’a pas empêché le jeune homme d’amplifier sa passion pour le basket. Tous les ans, il dispute le Martyr’s Memorial Basketball Tournament, championnat principalement organisé pour les réfugiés tibétains ayant fui le régime chinois, tout comme l’ont fait Kunga et près de ses 150 000 congénères (dont 94 000 vers l’Inde), depuis un massif exode tibétain en 1959.

Le basket, c’est comme méditer. Ça me permet d’évacuer toutes mes tensions. Quand vous jouez au basket, vous oubliez tous vos problèmes. » Thakpa Kunga

En parcourant l’Himalaya, le reporter a pu découvrir de nombreux réfugiés tibétains : des moines prêts à tout pour atteindre le nirvana, des réfugiés avec des histoires pleines de danger et de peur, des jeunes gens pleins d’ambitions voulant profiter de l’économie montante de l’Inde… Mais beaucoup étaient réunis par une passion commune, le basketball.

© Karan Madhok / Slam Online

Le Tibet est la deuxième plus importante province chinoise. Celle-ci se trouve sur le plateau le plus haut du monde et a été le sujet de très nombreuses disputes entre l’Inde et la Chine qui, depuis 1950 a obtenu la complète souveraineté de la région. Pourtant, beaucoup de Tibétains s’y sont opposés, se battant pour sortir de cette domination imposée. Comme souvent dans ces conditions, la violence est apparue inéluctable aux yeux des différents protagonistes. Les jeux olympiques de Pékin ont ainsi permis de dévoiler cette problématique à la face du Monde, quand des centaines de Tibétains furent tués ou arrêtés en raison de manifestations allant à l’encontre des olympiades. Ces dix dernières années, 140 moins tibétains se sont publiquement immolés pour protester contre le gouvernement chinois.

En 1959, Tenzin Gyatso, le 14e Dalai Lama s’est alors exilé en Inde pour se protéger, conseillant à tous ses disciples de le suivre à McLeod Ganj. Beaucoup de Tibétains se sont ainsi retrouvés réfugiés. Suivre le Dalai Lama était pour beaucoup le meilleur moyen possible d’envisager une nouvelle vie, et c’est toujours d’actualité. Près de 2500 Tibétains tentent encore l’expédition chaque année, traversant les montagnes dans la nuit pour éviter de se faire prendre. A Dharamshala, une commission, le CTA (Central Tibetan Administration),  a d’ailleurs été spécialement élaborée pour accueillir ces nombreux exilés.

Aujourd’hui, deux discours sont proéminents au sein de la population tibétaine. Il y a ceux qui demandent une totale indépendance par rapport à la Chine, et ceux comme le Dalai Lama qui luttent dans un premier temps essentiellement pour obtenir une autonomie. Cela dit, aucune des deux approches ne semble fonctionner tant la Chine reste ferme sur ses positions, et tant elle tient à conserver le monopole sur toutes les ressources exploitables sur le territoire tibétain.

Retour en Inde à Dharamshala, juste à côté du CTA, où a été construit le Gangyi Court, playground moderne et rénové sur lequel se déroule le Martyr’s Tournament chaque année. Le jour des finales, le coin est alors rempli. De jeunes fans portant les T-Shirts de leurs idoles NBA, mêlés à des moines en robe, grouillent alors près du terrain, pendant que quelques drapeaux prônant l’indépendance du Tibet flottent dans les airs.

© Karan Madhok / Slam Online

Parmi ces fans Tsetan Tenzin, 30 ans, préparateur de médicaments à base de plantes tibétaines à l’hôpital de la ville et fervant supporter de la Example Team, éliminée en début de tournoi. Né au Tibet, il a suivi ses parents à l’âge de sept ans pour rejoindre la frontière et ne les a jamais revus depuis. Sa passion pour le basket est alors née à Mussoorie, dans le Nord de l’Inde. Cette pratique l’a facilement suivi lorsqu’il a déménagé à Dharamshala quelques années plus tard.

On joue énormément au basket à Dharamshala, parce que comme ça, au milieu des montagnes, il n’y a pas de meilleur endroit pour les gros matchs. Les Tibétains adorent la NBA. Mon joueur préféré est Stephen Curry, comme lui, je shoote beaucoup de loin. Au Tibet les gens jouent beaucoup au basket, notamment à l’école. C’est donc normal que les réfugiés, quand ils arrivent en Inde, continuent à jouer. » Tsetan Tenzin

© Karan Madhok / Slam Online

La Chine, avec 1,3 milliards d’habitants, détient la plus large base de fans NBA au Monde. Même si ce sport a toujours été populaire, la draft de Yao Ming avec le premier choix par les Houston Rockets en 2002, les a poussés sur le devant de la scène. La CBA (ligue chinoise) est en pleine émergence avec d’anciennes gloires NBA comme Stephen Marbury qui viennent en plus de toucher pas mal d’argent, marquer l’esprit des fans. Une statue de bronze a même été construite à l’effigie de l’ancien joueur des Nets en plein centre de Pékin, grâce à la participation financière de près d’un million de fans.

Dans l’ombre de la CBA, la NBL qui même si elle dispose de beaucoup moins d’argent que sa grande sœur, est désormais bien installée en tant que deuxième ligue la plus importante du pays. Depuis cette année, elle dispose à Lhasa d’une équipe tibétaine accueillant ses adversaires chinois dans une salle que l’on appelle « le terrain le plus haut de la planète », à 3659 mètres d’altitude. Même si à première vue, cette initiative pourrait paraître positive d’un point de vue économique, les Tibétains n’apprécient pas. Elle est en effet le symbole d’une politique que les autochtones refusent. Ceux-ci estiment en effet, et à priori à juste titre, qu’en poussant le développement d’infrastructures ultra-modernes dans la région tibétaine, la Chine détériore l’environnement par ce qu’ils appellent un génocide culturel.

Bien que la commission internationale des droits de l’Homme ait plusieurs fois protesté contre ces initiatives communistes tuant peu à peu une façon de vivre, un langage et une spiritualité propres à la région tibétaine, le gouvernement chinois n’entend rien à ce jour. En expliquant ce phénomène à de nombreux leaders d’organisation humanitaires par divers voyages autour de la planète, l’actuel Dalai Lama a pu remporter le Prix Nobel de la Paix en 1989. Ainsi, en organisant le Martyr’s Tournament, Wangden Krab, habitant toujours à McLeod Ganj tient à revendiquer certaines idées bien précises.

Ce tournoi permet aux Tibétains de se rappeler qu’ils sont issus d’un peuple de martyrs qui ont dû sacrifier leur pays natal. La plupart des jeunes Tibétains d’ici sont nés en Inde ou sont arrivés très tôt. Avec ce tournoi, on veut qu’ils se remémorent leurs ancêtres, afin que la jeunesse soit toujours unie et sensible concernant cette cause. Nous nous battons toujours pour une totale indépendance. Nous parlons bien sûr sans arrêt à tous les gouvernements mondiaux de la situation actuelle critique du Tibet, impliquant la perte de la liberté d’expression et le non-respect des droits de l’Homme, mais ceci reste sans conséquence. Un paquet de Tibétains ne se projette toujours pas en Inde. Ils rêvent encore de leur terre natale. » Wangden Krab, organisateur du Martyr’s Tournament

Il faut dire que Wangden Krab a de qui tenir. Son grand père a du subir trente ans de prison après s’être battu dans la guerre face à la Chine dans la fin des années 50, tandis que son père fut lui aussi arrêté lors d’une manifestation contre la déforestation. Ces éléments ont poussé le jeune Krab à migrer vers l’Inde en 1999, à l’âge de seize ans.

Dans les écoles tibétaines d’ici, il y a toute sorte de joueurs, des grands, des petits, des bons, des mauvais, mais tous s’essaient au basket et sont assoiffés d’apprendre ce sport. C’est un sport freestyle, avec moins de cadre et de règles que ce que les gens imaginent. Il n’y aucune limite dans le basket. Tout le monde peut venir sur le terrain et jouer. » Wangden Krab

De par son histoire, McLeod Ganj présente une communauté très variée de réfugiés tibétains, de travailleurs indiens, de moines et de touristes qui vivent dans une relative harmonie. La culture tibétaine y est extrêmement préservée. La plupart des enfants réfugiés parlent encore le langage de leurs parents, connaissent les chansons populaires, parlent des « freedom fighters » tibétains, et rêvent de Lhasa comme d’une terre promise.

Régulièrement, quand la période approche, le tournoi est au centre des discussions. Des jeunes, des moines, mais aussi des travailleurs hommes ou femmes ne parlent alors plus que de l’évènement. Chez les filles c’est d’ailleurs l’équipe du Tibetan Medical and Astrological Institute de Men-Tse-Khang qui s’est imposée cette année, en étant vêtue des couleurs du Miami Heat. Les garçons de ce même institut, qui portaient tous sur leur maillot d’échauffement un slogan « Free Tibet » avec le portrait du Dalai Lama, ont d’ailleurs joué un grand rôle au cours de la finale, encourageant l’équipe féminine de bon cœur. Mais après ce match décisif, c’est une toute autre émulation qui monta dans les gradins à l’approche de la finale masculine entre Dhasa, équipe comprenant majoritairement des Tibétains de seconde génération, nés en Inde et les Nomads, jeunes joueurs réfugiés depuis beaucoup moins longtemps.

© Karan Madhok / Slam Online

Dans cette rencontre, l’intensité est vite montée, chaque équipe insistant sur des drives compliqués au milieu d’une foule de défenseurs. Pas de dunks, mais des lay-ups très athlétiques souvent ponctués par des and-1. Pourtant, c’est finalement grâce à une série de shoots longue distance que les Nomads ont construit petit à petit leur avance, attisés par la foule qui hurlait à chaque missile provenant de derrière la ligne à 3-points. C’est dans un tonnerre d’applaudissements et sous un nuage de drapeaux tibétains, que ces derniers se sont finalement imposés de trois petits points pour boucler ce grand tournoi.

Même si au vu de la politique extrémiste de la Chine au Tibet, le basket ne sera sûrement pas suffisant pour servir de ciment nécessaire pour rapprocher le peuple tibétain et le gouvernement chinois, il apparaît que ce sport peut être utile à une autre échelle. Pas Chinois, pas Indiens, les Tibétains sont coincés dans un purgatoire dans lequel ils ne bénéficient d’aucune vraie terre à eux d’un point de vue géographique. Tout ce qu’ils ont, c’est leur communauté, leur culture, leur spiritualité… mais aussi le basket. C’est ainsi que ce sport participe à son échelle à la survie du patrimoine tibétain et qu’il donne envie à de nombreux fans à travers le Monde de s’intéresser aux problématiques inhérentes au Tibet depuis maintenant plus de soixante ans.

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