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Cahier des rookies: Murray et Hield, shooteurs en souffrance

Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.

[dropcap] P [/dropcap] endant que Joel Embiid fait le show à Philadelphie et se dirige déjà vers un titre de Rookie of the Year, d’autres rookies vivent la vie habituelle d’un débutant dans la grande ligue : de longs passages sur le banc, des difficultés au shoot, des maux de crâne à répétition en essayant de saisir le concept de défense collective face à des joueurs plus rapides, plus puissants et plus intelligents qu’à l’université. Les temps sont durs pour la draft 2016, plombée par la blessure de Ben Simmons au point que seul Buddy Hield dépasse, et de très peu, les 10 pts de moyenne en ce début de saison. Comme chaque année, le pourcentage de réussite des rookies est en berne, phénomène tout ce qu’il y a de plus normal. Un scoreur passant de la NCAA à la NBA est comme un musicien découvrant un orchestre symphonique après des années à jouer dans la fanfare du village; il doit réapprendre le rythme, le positionnement, accepter de se mettre en retrait, se fondre dans un collectif plus grand que lui.

Cette nuit, Buddy Hield a égalé son record en carrière, avec 18 pts à 8/13 dans la claque prise par les Pelicans contre les Lakers. Une performance qui fait du bien dans un début de saison où même les deux shooteurs les plus talentueux de la draft 2016, Hield et l’arrière canadien de Denver Jamal Murray, ont toutes les difficultés du monde à avoir un impact offensif. Avant les matchs de cette nuit, les statistiques des 6e et 7e choix de la draft faisaient, après une petite dizaine de matchs, mal au cœur :

  FG% 3P%
Buddy Hield 34.4 % 23.5 %
Jamal Murray 29.1 % 28 %
  Offensive Rating Defensive Rating Différentiel
Buddy Hield sur le parquet 98.4 106 – 7.6
Buddy Hield sur le banc 103.7 108.7 – 5
Jamal Murray sur le parquet 104.8 109 – 5.2
Jamal Murray sur le banc 104.3 106.3 – 2

That’s not good. Mais alors, not good du tout. Murray a manqué ses 17 premiers shoots cette saison, avant de sortir un peu la tête de l’eau lors des derniers matchs. Hield, décrit comme le meilleur shooteur de NCAA depuis Stephen Curry, ne réussit même pas un tir primé sur quatre. Quant aux stats collectives, elles n’arrangent guère le tableau. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce genre de chiffres, les lignes ci-dessus indiquent que New Orleans inscrit 98.4 pts sur 100 possessions lorsque Hield est sur le terrain, contre 103.7 lorsqu’il est sur le banc. Pour le dire autrement, les Pelicans marquent 5.3 pts de plus (sur 100 possessions, toujours) lorsque Hield ne joue pas. Surprenamment pour un joueur annoncé comme un défenseur médiocre (ce qu’il est), NOLA défend également légèrement mieux avec lui sur le terrain (2.7 pts de moins). Quant à Murray, il améliore de très peu l’efficacité offensive des Nuggets (+ 0.5) mais plombe leur efficacité défensive (- 2.7). Bref, aucun des deux n’a un impact positif sur les performances de l’équipe.

A la veille de la dernière draft, Murray et Hield étaient unanimement reconnus comme les deux meilleurs arrières de la promotion, ainsi que les scoreurs les plus accomplis. Non pas que leur jeu soit semblable : Jamal Murray a un profil de combo guard, proche de celui de CJ McCollum, capable de jouer à la fois avec et sans ballon, tandis que Buddy Hield, moins à l’aise balle en main, avait montré à la fac de plus grandes capacités athlétiques et une efficacité redoutable en spot-up shooter. Leurs zones d’action, par ailleurs, n’étaient pas exactement les mêmes. Pour faire simple, Hield était beaucoup plus efficace près du cercle et à 3-pts, tandis que Murray utilisait plus souvent le tir à mi-distance :

Peinture Mi-distance 3-pts
  Pourcentage de tirs dans cette zone Réussite Pourcentage de tirs dans cette zone Réussite Pourcentage de tirs dans cette zone Réussite
Buddy Hield 37.9 % 59.7 % 8.1 % 36 % 54 % 45.5 %
Jamal Murray 42.6 % 51.1 % 17.8 % 42.9 % 39.6 % 35.2 %

Ces différences se retrouvent aujourd’hui dans leur jeu NBA, mais sous forme affaiblie, révélant parfaitement les problèmes que rencontrent un shooteur faisant la transition NCAA/ NBA. Murray continue à shooter davantage à mi-distance que Hield, mais le point commun entre les deux joueurs est que ni l’un ni l’autre n’arrivent à s’imposer physiquement dans la raquette, là où ils allaient chercher un grand nombre de leur points l’an dernier.

Buddy Hield :

  Pourcentage de shoots pris dans la peinture Réussite Différence
NCAA 37.9 % 32.3 % – 5.6
NBA 59.7 % 48.4 % – 11.3

Jamal Murray :

  Pourcentage de shoots pris dans la peinture Réussite Différence
NCAA 42.6 % 23.6 % -19
NBA 51.1 % 38.5 % -12.6

 

Que se passe-t-il lorsqu’un arrière rookie se retrouve face aux baobabs qui gardent les raquettes NBA ? Il souffre, manque son tir ou se fait éventuellement contrer, et décide par conséquent de prudemment se replier sur ses bases arrières, où le défi physique est moins important. Voilà ce que nous disent les chiffres ci-dessus : Hield et Murray vont nettement moins souvent au cercle, une décision qui paraît sage vu leur taux de réussite très médiocre dans cette zone. Le problème n’est pas nouveau pour Jamal Murray, puisque son déficit athlétique était déjà une inquiétude des scouts avant la draft. Murray a énormément de mal à se défaire d’une défense un peu étouffante, que ce soit lorsqu’il monte au cercle ou en un-contre-un. Son pourcentage catastrophique lorsqu’il fait face à un défenseur très proche en atteste : seulement 14.3 %. Le problème semble moins grave pour Hield, qui a déjà des chiffres plus encourageants.

 

[dropcap] A [/dropcap] u-delà de toutes ces questions techniques, le fait est que ni Hield, ni Murray n’ont encore réellement trouvé leur place dans la rotation de leur équipe. Chacun d’eux joue une vingtaine de minutes par match en sortie de banc, un temps de jeu tout à fait honorable pour un rookie. A Denver, Murray est presque exclusivement utilisé comme second arrière, comme il l’était avec Kentucky, aux côtés de Emmanuel Mudiay ou Jameer Nelson. C’est peu de dire que la cohabitation avec Mudiay, qui assure la mène avec la sobriété d’un éléphant dans un jeu de quilles, a plus de bas que de hauts. Sur 95 possessions jouées en commun, Mudiay et Murray ont un abominable net rating de – 19 ! (Pour les novices : sur 100 possessions, les Nuggets avec Mudiay et Murray encaissent 19 pts de plus qu’ils n’en marquent). Ce chiffre baisse spectaculairement à – 1.4 avec Jameer Nelson, le meneur du banc de Denver : Nelson est un vrai meneur, plus expérimenté, qui est capable de mettre en valeur l’arrière qui l’accompagne.

Murray a absolument besoin d’un meneur à ses côtés, à l’heure actuelle, même si les 29 possessions qu’il a jouées sans Nelson ni Mudiay, mais avec l’autre rookie Malik Beasley, ne se sont pas avérées catastrophiques. Le Canadien est encore peu efficace lorsqu’il est le dribbleur sur pick & roll, avec 0.53 pts marqués par possession sur cette phase de jeu, une des pires marques de la ligue. Sa peur du contact explique en partie cette lacune, qui le pousse à naviguer loin des écrans. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas de vraies qualités. Sur l’action ci-dessous, il marque ainsi exactement le petit temps d’hésitation nécessaire pour que les défenseurs se demandent s’il va ou non jouer le pick & roll avec Faried, temps suffisant pour qu’il puisse armer un joli fadeaway qui fait mouche:

 

Le jeu NBA n’a jamais été aussi favorable à un joueur du profil de Murray, un shooteur-dribbleur aux qualités physiques moyennes. Il n’y a a priori pas de raison qu’il ne trouve pas son rythme au fur et à mesure, comme il semble le faire depuis une semaine. Qui ne serait pas intéressé par un joueur capable de dégainer derrière l’arc en sortie d’écran? Voyez plutôt:

 

Murray peut aussi être un passeur tout à fait intéressant, capable d’avoir la patience nécessaire pour attendre le moment exact où donner le ballon:

 

La question vient plutôt de ce que les Nuggets veulent faire de lui. Avec Mudiay, Gary Harris, Will Barton et Malik Beasley, Denver a beaucoup de jeunes joueurs à développer sur les postes arrières. La franchise possède également une belle réserve de tours de draft et certains contrats intéressants à échanger. Affirmer aujourd’hui que Murray est perçu comme une des pièces essentielles du futur des Nuggets est bien difficile; si le front office, d’une manière ou d’une autre, a besoin de l’échanger pour récupérer une star éventuelle, il y a peu de doutes qu’il le fera. Même sans aller jusque là, il semble évident que sa place dans l’effectif reste à affirmer plus clairement. En attendant, le jeune Canadien ne peut guère faire autre chose que progresser du mieux possible pour se rendre indispensable.

 

[dropcap] D [/dropcap] ans une misérable équipe des Pelicans où marquer un panier sans l’aide d’Anthony Davis semble une torture, Buddy Hield a moins de concurrence. Il shoote, presque frénétiquement, porté par sa mentalité de catch-and-shooteur (40% de ses tirs sont pris sans dribbler). Près de 6 tentatives à 3-pts en moyenne, en vingt minutes, bien plus que n’importe quel rookie ces dernières années. La machine a beau être bien enrayée pour l’instant, le fait est que l’ancienne star d’Oklahoma n’a visiblement pas de doute sur ses capacités, puisqu’il continue à arroser sans vergogne. Hield n’aime rien tant que déclencher son tir légèrement à droite ou à gauche du terrain, et non en face du panier ou dans les corners (seulement 4 tirs tentés cette année). Cela fait de lui une arme fatale en transition, où il est capable de tirs primés à la Curry/Lillard:

 

Evidemment, ce genre de paniers est plus facile à mettre lorsque la défense adverse décide, comme celle des Kings ici, que défendre sur le porteur de balle n’est sans doute pas si intéressant. Mais le problème de Hield, contrairement à Murray, n’est même pas la pression défensive ou la sélection de shoots: sa réussite sur les tirs complétement ouverts n’est que de 26.9 %! La stat, finalement, est presque rassurante: Hield se crée des opportunités, mais n’a pas encore trouvé son rythme. L’état de déliquescence des Pelicans devrait, paradoxalement, l’aider dans ce sens, puisqu’il y a peu de chances que son temps de jeu soit sacrifié sur l’autel des performances collectives.

Hield a un besoin absolu de cette réussite. Sans elle, il devient un joueur médiocre, moyen en défense, proche du trou noir en attaque, où il ne brille pas par sa propension à passer la balle:

 

L’action ci-dessus se finit par un panier, mais le tir que prend Hield n’est pas particulièrement efficace. Il se montre incapable de reconnaître la possibilité du pick & pop avec Anthony Davis, alors même que la défense des King a laissé ce dernier complétement ouvert, pas plus qu’il ne regarde Moore (n°55), bon shooteur démarqué. Plus âgé que Murray, Hield a moins de chances de progresser dans ce domaine. Avec Jrue Holiday et Tyreke Evans à ses côtés, quand ils seront de retour, Hield n’aura pas besoin de jouer souvent le rôle du porteur de balle. Raison de plus pour se mettre à mettre ses tirs le plus vite possible, d’autant que son futur à New Orleans semble plutôt sûr: contrairement aux Nuggets, les Pelicans n’ont que très peu d’assets ou de jeunes joueurs à gros potentiel. Hield a été drafté parce qu’il était censé pouvoir être efficace en NBA rapidement et amener de l’aide à Anthony Davis. Hield, après chaque match, clame sa confiance. « Je vais y arriver », affirme-t-il comme un mantra, tout à fait conscient de passer par une phase de transition que tout rookie expérimente:

J’ai besoin de me détendre, de prendre des bons shoots et de laisser le jeu venir à moi. Pour l’instant, je m’excite un peu trop, mais il n’y a rien de grave.

Hield suit visiblement les conseils de Lance Stephenson, coupé par les Pelicans depuis, qui lui a conseillé de ne pas s’arrêter de shooter, persuadé que les tirs allaient rentrer. Le match de cette nuit semble donner raison à l’ancien Pacer. Qu’il trouve son rythme ou non au fil de la saison (et on parierait plutôt sur la première solution), Hield aura au moins réussi un premier exploit cette saison: mettre « mentor » et « Lance Stephenson » dans la même phrase.

Stats en provenance de NBA.com et de NBAWowy. Les citations de Buddy Hield proviennent de The Bird Writes.

 

[highlight] Rookie Watch [/highlight]

  • La bonne surprise de ce début de saison s’appelle Malcolm Brogdon, choisi au deuxième tour de la draft par les Bucks. Dans une équipe de Milwaukee qui tourne plutôt bien, Brogdon profite de la blessure de Middleton pour gratter 20 minutes de jeu par soir, avec une grande efficacité. A bientôt 24 ans, Brogdon n’a pas la plus grande marge de progression du monde, mais il montre chaque soir qu’il est un vrai joueur NBA, impressionnant de clame et de maturité. Jason Kidd utilise souvent Brogdon dans des lineups avec Antetokounmpo et un second arrière (Terry ou Vaughn), ce qui permet au rookie de jouer off the ball. Brogdon n’est pas un grand shooteur, la grande majorité de ses shoots venant dans la peinture, mais il est suffisamment polyvalent pour jouer poste 2 et poste 1, défendre correctement et amener son écot offensif. Bref, une très bonne pioche pour le moment.
  • Kris Dunn a bien du mal à s’imposer aux Wolves, au point que Tom Thibodeau lui préfère très régulièrement Tyus Jones depuis 3 ou 4 matchs. Comme prévu, Dunn est un défenseur remarquable, qui ne lâche jamais son vis-à-vis grâce à sa grosse intensité physique. C’est également un bon rebondeur, et il perd assez rarement le ballon lorsqu’il assure la mène. Offensivement, en revanche, c’est à peu près le néant. Dunn a tenté 22 jump shots cette saison, et en a réussi… 4. A l’heure actuelle, il ne peut compter que sur des lay-ups pour inscrire quelques points. Autant dire que le projet de Thibodeau d’associer Rubio et Dunn a du plomb dans l’aile, puisqu’aucun des deux n’est capable d’être une menace au tir.
  • Joel Embiid est bon. Même très bon. Il faut donc que vous lisiez son portrait par Guillaume.
  • Si les lottery picks ne sont que modérément au rendez-vous en ce début de saison, on voit apparaître toutes sortes de rookies inattendus, capables de décrocher un rôle dans des équipes plus que correctes: Malcolm Delaney à Atlanta, Andrew Harrison à Memphis, Pascal Siakam à Toronto, Rodney McGruder à Miami ou Semaj Christon à OKC. A confirmer, bien sûr.
  • Les joueurs cités ci-dessus ont foulé le parquet plus longtemps que Dragan Bender. Scandale.
  • On pensait honnêtement que les deux ailiers draftés par les Hawks, Taurean Prince et DeAndre Bembry, auraient plus de temps de jeu. Pas de chance pour eux, Thabo Sefolosha et Tim Hardaway Jr pètent le feu en sortie de banc. Sauf blessure, la saison pourrait être longue pour ces deux-là.
  • La palme du plus mauvais shooteur des rookies revient pour l’instant à Andrew Harrison, qui shoote à 29.5 % avec un délicieux 19 % derrière l’arc. Heureusement, il compense par de la défense et un peu de playmaking. Juste derrière dans ce prestigieux classement, le rookie de Memphis Wade Baldwin (29.7 %).

 

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