[Interview] Giannis Antetokounmpo « C’est ça qui me fait kiffer le basket »
Pour comprendre ce qui anime la superstar en devenir, titulaire au All Star Game ce weekend, à 22 ans tout juste, il suffit de lui parler du jeu. Ou plutôt, de le laisser en parler, comme il l’a fait pour Basket Infos.
Giannis, on te voit encore franchir un palier cette année. Est-ce que l’équipe t’avait fixé des objectifs l’an dernier, à la fin de la saison ?
On n’a pas tellement parlé. John Hammond (le General Manager) ne m’a pas vraiment parlé, ou donné des objectifs. Il n’a pas cherché à me dire si l’équipe voulait me voir faire ci, ou me voir faire ça. Ils ne voulaient pas me mettre de pression je pense. Ils savent que je veux progresser. Ils savent que je bosse tous les jours. Ils n’ont jamais cherché à me mettre la pression et à me dire : « l’an prochain, on veut que tu fasses cette chose-là ». Jamais.
Comment vis-tu le fait d’être devenu le leader absolu de cette franchise ?
(Il grimace) C’est difficile. Ce n’est pas facile d’être un leader tous les soirs. Ce n’est pas facile (il insiste sur ce mot). Mais j’ai pris cette responsabilité et il faut passer ce palier. L’âge, ça ne compte pas. Que tu aies 22, 21 ou 20 ans, si c’est toi le leader de cette équipe, tu dois franchir un palier. Tu dois toujours être vocal. Tu dois toujours parler. Je l’accepte. Mais ce n’est pas facile par contre. Mais c’est ce que mon équipe veut que je fasse, donc c’est ce que je vais faire.
Au-delà du poste de meneur, unique pour un joueur de ta taille, qu’est-ce qui te plaît dans le fait d’être le créateur pour les Bucks ?
Ça justement. (Il sourit) Être un créateur. Que ce soit pour moi ou pour les autres. J’adore créer une action. J’ai toujours été comme ça, depuis que je suis tout petit, dès que j’ai commencé le basket. J’aimais créer des actions pour mes coéquipiers. Donc faire ça à ce niveau ? J’aime vraiment ça. Tu joues contre les meilleurs, tu crées une action contre les tous meilleurs. Pour toi ou pour tes coéquipiers. J’adore ça. C’est ça qui me fait kiffer le basket.
C’est une chose à laquelle tu pensais, avant que ce soit officialisé sur le parquet ?
Oui, je me suis toujours vu comme un créateur.
La première expérimentation n’avait pas tout à fait marché. Qu’est-ce que tu as dû faire pour y parvenir finalement ?
Pour y arriver ? Tu dois tout connaître. Tu dois connaître les systèmes. Tu dois connaître tes coéquipiers. Tu dois parler beaucoup plus aussi. Ton équipe doit t’entendre. Entendre ta voix. Sur chaque action. (Silence) C’est ça la clé. Et c’est le plus dur.
Tu as fameusement déclaré que quand Jason Kidd t’a interdit de jouer meneur au début, tu t’es dit : « non mais c’est qui ce type, qu’est-ce qu’il a fait ? », puis tu as vu son palmarès, regardé des vidéos et fait : « OK, d’accord »… regardes-tu encore ses vidéos ?
Oui, dès que je peux. Son premier match que j’ai vu, c’était contre Steve Nash, le score c’était genre 138-140, double-prolongation (il se frotte la tête et prend un air abasourdi)… Il a sorti un triple-double, Nash a scoré genre 40 points (il grimace encore puis secoue la tête). C’était un match incroyable. Je regarde toujours des séquences vidéos, de plein de joueurs. Pas juste Jason Kidd…
« Le match n’est plus le même après »
Oui, tout le monde dit que tu passes beaucoup de temps à étudier les vidéos, les systèmes, c’est ça aussi la clé qui t’a permis de jouer à ce poste, en NBA ?
Oui. C’est clair. Tu dois vraiment y passer beaucoup de temps. Tu dois tout apprendre du jeu. Tu dois étudier le jeu, constamment. Tu dois bosser là-dessus tous les jours. Moi j’aime ça. Surtout quand tu vois les résultats. Ça te… (il cherche ses mots) Ça te remplit. Ça te remplit de joie. Quand tu exécutes une action surtout. (Son visage s’illumine) Quand tu es sur le terrain, que tu te tournes vers ton coéquipier et que tu lui dis : « prépare-toi, la prochaine action, c’est ça ». Quand tu lui dis de passer côté opposé du ballon, que tu feintes un tir ou un départ au panier, et que derrière tu lui balances la gonfle, qu’il se tourne vers toi après et qu’il te dit : « merci »… Ça, ça te remplit de bonheur. Le match n’est plus le même après.
Voir de nouvelles possibilités aussi ?
Ça aussi, c’est clair que c’est excitant ! Tu as vu un truc que tu ne voyais pas avant, puis tu arrives à le réaliser sur le terrain, par exemple une passe, une option que tu n’avais pas vraiment imaginé, et là tu la vois, tu la fais et ça marche… C’est carrément excitant !
Presque tout le monde sait que tu domines les cinq catégories statistiques majeures des Bucks (points, rebonds, passes, contres et interceptions). As-tu aussi l’impression d’impacter toutes les action sur certains matchs ?
Parfois oui. Ça arrive. Tu as cette sensation, oui. Pas à tous les matchs, mais certains matchs, de la première à la dernière minute, j’ai l’impression d’être présent sur chaque action.
Ça devient un objectif du coup ?
Oui. Oui. C’est ça mon objectif. Je veux arriver à ce niveau-là. Être comme ces gars, tu sais. (Il réfléchit en secouant encore la tête) LeBron, Magic… Westbrook, Kawhi. Ces gars-là ont tellement d’impact, c’est comme s’ils avaient la balle dans les mains sur chaque action. Chaque fois, tu les vois faire quelque chose. Ça peut être une passe, ça peut être un rebond, ça peut être une bonne action défensive, ça peut être un tir, ça peut être créer une action… Donc j’espère que je vais pouvoir continuer à travailler dur et, un jour, être à ce niveau.
C’est une meilleure sensation qu’un triple-double ?
Oui, carrément, carrément ! C’est bien meilleur qu’un triple double.
Tu regardes tes stats, des fois ?
Non, mais je compte les victoires (petit clin d’oeil) !
« J’ai hâte du futur de notre équipe »
Il y a un autre joueur de 7 pieds qui semble avoir un avenir plus que prometteur aux Bucks, le rookie Thon Maker. Que peux-tu nous dire sur lui et votre relation ?
Il apprend le jeu tous les jours. J’essaie de l’aider le plus possible, de lui donner des conseils, autant que je peux, dès que j’ai l’occasion. Il est plutôt solide en ce moment. Il apprend encore, mais il parle beaucoup ! Il parle vraiment beaucoup sur le terrain. Ce n’est pas du trash-talking, il parle vraiment comme un leader, il est très vocal. Il peut faire beaucoup de choses en plus. Il peut prendre des rebonds, partir en dribble, il peut rentrer quelques paniers… et il ne va que progresser ! On peut dire qu’il a confiance en lui, aussi.
Tu te reconnais un peu en lui ?
Je vois beaucoup plus que ça en fait. Je vois sa faim et son éthique de travail. J’ai hâte de pouvoir jouer avec lui pour plusieurs années. Je ne peux pas attendre. C’est excitant. J’ai hâte du futur de notre équipe.
Et quand tu regardes vers le passé, réalises-tu le chemin parcouru ?
Je crois que les difficultés que j’ai connues (il était fils d’immigrants clandestins en Grèce et vendait des breloques aux touristes dans la rue pour ramener un peu d’argent), ça m’a rendu plus fort. J’ai vu comment ma famille a dû travailler dur, pour moi et mes (trois) frères. J’ai vu leur éthique de travail et j’ai utilisé cela comme exemple quand je me suis mis au basket. Je dois travailler dur dans tout ce que je fais, car ils m’ont donné une opportunité pour une vie meilleure. Le basket a changé ma vie de plusieurs manières. C’est quelque chose que j’aime profondément. J’aimerai toujours le basket. C’est le basket qui m’a permis de faire beaucoup de choses. En jouant au basket, je peux soutenir ma famille, pour plusieurs générations. Ça n’a pas changé seulement ma vie, ça a changé la vie de toute ma famille. Le basket, ça représente beaucoup pour moi.
« Mon premier souvenir de All Star Game, c’est Nate Robinson qui saute au-dessus de Dwight Howard »
Quand as-tu entendu parlé du All Star Game pour la première fois ?
Le All Star Game NBA ? Pour être honnête avec toi, je ne m’en rappelle pas. Je crois que le premier que j’ai vu, c’est quand Nate Robinson a sauté au-dessus de Dwight Howard… J’étais vraiment jeune.
C’était en 2009.
2009 ? Oh, donc j’avais 14 ans… Ça c’est vraiment le premier que j’ai vu.
Te rappelles-tu quand tu t’es dit : « je vais en faire partie » ?
Peut-être l’année dernière, en début de saison. J’avais vraiment travaillé dur, j’avais fait pas mal de progrès pendant l’été et je commençais à voir les résultats. Et quand j’ai vu ce que ça donnait sur le parquet, ça m’a donné de la confiance. Je me suis dit : « je peux être à ce niveau-là ».
Es-tu un peu nerveux quand même avant ton premier All Star Game, comme titulaire en plus ?
(Catégorique) Non. Non. Je me dis : « amuse-toi et joue dur », c’est tout.
Jason Kidd t’a-t-il donné des conseils ?
Juste de m’amuser. Et que je pouvais dire non. Que si on me demande de faire beaucoup de choses, je devrais juste dire non et me reposer !
Quel est ton prochain objectif ?
Je veux être un gagnant. Je veux que mon équipe gagne. Et j’espère devenir une meilleure personne chaque jour.
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York