Êtes-vous un hooligan de la pensée basket ?
Depuis quelques temps, le meilleur youtubeur du monde, Lê Nguyen Hoang alias Science4All, développe une série de vidéos traitant de la démocratie sous l’angle de la théorie des jeux, en utilisant donc la magie des mathématiques ainsi que la philosophie pour nous amener à réfléchir sur notre démocratie. La dernière vidéo de cette série, intitulée « Etes vous un hooligan politique », et dont je me suis inspiré (pour ne pas dire que j’ai plagié) de manière totalement évidente et recherchée, m’a emmené à réfléchir sur bien d’autres choses. Et en l’occurrence, sur le basket.
Voilà ce que Lê nous expose : l’intuition d’abord, la raison ensuite.
Autrement dit, si on prend l’exemple du basket puisque c’est ça qui nous intéresse : on a une première intuition sur un joueur, une équipe, un trophée à remettre, etc, et à partir de cette intuition, on va bâtir un raisonnement fait d’arguments pour justifier cette intuition.
De manière très personnelle, tout cela (et tout ce que contient cette vidéo et que je vous épargne) m’a forcé à me remettre en question. Étant moi même friand de basket, mais plus encore, d’évaluation de joueur, si l’on pousse la réflexion a son paroxysme, on peut alors affirmer sans trop de difficulté que chaque analyse réfléchie est illégitime. En effet, chaque raisonnement que l’on bâtit est basé sur une première intuition, qui n’a rien de concret ou de réfléchi, qui pourrait presque se résumer à une impression visuelle éphémère qui pourtant forge de manière presque définitive notre avis et notre analyse que l’on va développer.
Prenez le cas d’un prospect de draft par exemple. Il me suffit d’avoir une première bonne impression sur un jeune joueur universitaire, via un premier highlight aperçu à la va-vite, pour que mon opinion soit faite, puis qu’elle soit forgée par l’analyse ou la réflexion faite derrière. Même si je regarde 10, 15, 20 matchs supplémentaires dans leur intégralité, la théorie de « l’intuition d’abord, la raison ensuite » nous dit que tout ce travail aura pour but de graver dans le marbre cette première impression en essayant de dénicher un maximum d’arguments allant dans ce sens. Personnellement, ça me fait peur, de savoir qu’une grosse dose de travail peut s’avérer futile.
C’est presque une question de chance, en fait. Si, par un quelconque concours de circonstances, votre premier avis, votre intuition est bonne, tant mieux. Sinon, et ben tant pis pour vous, votre imbécile de cerveau va veiller à vous conduire toujours plus dans le faux. Le tout sans même vous en rendre compte, puisque vous aurez même l’impression d’avoir la logique, la raison et le bon sens de votre côté ! Cette théorie déterministe me fout les jetons.
Plus encore, Lê nous décrit également la polarisation de groupe dans sa vidéo, qui est une extension de cette théorie d’intuition/raison. Cette polarisation de groupe a cette caractéristique : regroupez ensemble des individus pensant tous individuellement une même chose, le groupe va exacerber cette chose-là, cette opinion.
Illustration concrète : le débat pour le titre de MVP de cette année. Beaucoup voudraient le donner à James Harden et beaucoup d’autres à Russell Westbrook (et moi au milieu qui place Kawhi Leonard dans le top 2, mais là n’est pas la question). Ce que cette polarisation de groupe nous raconte, c’est que mis ensemble, la fan base constituée de gens pensant que Harden le mérite plus va faire ressortir un avis encore plus tranché qui impose que Harden est très largement devant. La fan base de gens pensant que Westbrook le mérite plus va faire ressortir un avis encore plus appuyé que celui de chacun personnellement, qui est que Westbrook mérite très largement le trophée.
Dans les deux cas, cette formidable machine à laver prend des individus pensant très personnellement que l’un le mérite plus que l’autre pour ensuite aboutir, après rinçage et essorage de groupe, que l’un mérite mille fois plus que l’autre, et qu’il n’y a même pas débat. Sauf que c’est paradoxal si on peut dire de deux candidats « c’est lui et y’a pas débat ». Justement, si on peut le dire de plus d’une personne, c’est qu’il y a débat, en fait. Stephen Curry l’an passé, y’avait pas débat en effet, il était tellement au-dessus, tout seul au-dessus, qu’il n’y a pas eu débat. Pour Harden et Westbrook, c’est incohérent qu’on puisse entendre des deux « il n’y a pas débat ».
Un des problèmes à cela, ce sont les réseaux sociaux, voire internet tout entier. Dans le but de toujours plus toucher l’utilisateur personnellement, tous les sites développent des algorithmes qui analysent vos données, vos préférences, vos avis, tout cela selon vos clics un peu partout sur le net, et vous proposent ensuite des clics potentiels similaires. Sur twitter, ça va être des gens qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous. Sur des sites commerciaux, ça va être des produits similaires à ceux que vous avez consultés. Etc.
Ces algorithmes créent un effet de renfermement sur soit. Sauf que, vous l’aurez compris, plus on se replie sur soit, moins on ouvre la machine à laver pour se frotter aux avis détergents…euh divergents du sien, plus la machine va tourner vite, longtemps, et sur elle même, et aboutir sur des avis, des opinions, des idées de plus en plus polarisées. Il y a un effet de conditionnement évident. À rester dans le même cercle de personnes, ayant tous le même avis, restant dans leur bulle et ne souhaitant pas en sortir, on arrive à une radicalisation très forte des idées.
On parle toujours de basket et que de basket ici, bien entendu. Enfin, je crois.
Vous en avez d’ailleurs sans doute fait l’expérience toute la saison. Vous avez sans doute déjà vu des batailles âpres et sans relâche entre les partisans de Westbrook et ceux de Harden, utilisant chaque nouveau match ou fait de match pour renforcer le raisonnement bâti. Vous connaissez les débats sans fin entre les pro-LeBron James et les anti-LeBron James, les affrontements de « c’est un talent hors norme » et « il a de la chance d’être à l’Est », les « il est clutch » et les « il est pas clutch ». Et vous aurez bientôt, voire déjà même, les « vive Markelle Fultz ! » et les « vive Lonzo Ball ! » qui s’opposeront sans relâche.
Ce dont il faut toutefois se rendre compte, c’est que cette théorie de l’intuition d’abord, la raison ensuite, elle n’est seulement qu’une théorie. En ce sens que, de manière très personnelle et je ne pense pas être le seul, j’ai déjà fait l’expérience inverse, celle où la raison et l’analyse profonde sont venus contredire une première impression que j’avais eue.
J’adorais James Young à Kentucky, et je le considérais comme un énorme talent. Une fois les matchs regardés en détail, je me suis aperçu qu’en fait le garçon était un 3&D sans le 3 ni le D (shoot peu fiable, défense absente, un peu gênant pour un défenseur/shooteur). Je n’aimais pas beaucoup Kyrie Irving, parce qu’on me l’avait vendu comme un produit ayant certaines qualités et certains défauts qui ne me plaisaient guère. Le jour où je m’y suis intéressé personnellement, à regarder des matchs plutôt qu’à lire certains articles ou me fier à certains avis, j’ai découvert l’immensité de son intelligence de jeu, offensive comme défensive, et à quel point ce gars-là est en fait un crack.
Je pense que changer d’avis c’est possible, mais ça l’est uniquement si l’on prend le temps de s’intéresser aux choses, d’être curieux, d’analyser en abordant une attitude la plus neutre possible. Il faut dialoguer, il faut se confronter aux avis contraires, il faut sortir de sa zone de confort sous peine d’y rester enfermé. Faut être une éponge, en fait, et ne pas voir ce que l’on cherche à voir puisque si on fait ça, on va finir par le voir. Capiche ?
Il n’empêche que cette première intuition est souvent dévastatrice, ou en tout cas pas facile à retourner. On parle de basket toujours. Pour un joueur comme Kyrie Irving par exemple, voire même Brandon Jennings également (dans ses grandes années), la première impression qu’on a offert au grand public c’est qu’ils étaient des meneurs scoreurs/croqueurs. La première impression du grand public, c’est que Michael Carter-Williams était un super meneur passeur (meilleur total de passes par match de toute la NCAA, une saison rookie de feu). La vérité, c’est que Jennings et Irving sont des passeurs et meneurs de jeu de métier (gestion du jeu, etc) immensément supérieurs à ce que MCW est, fut ou ne sera jamais. Et on entend pourtant encore nombre de consultants TV, même pendant des Finales NBA, même après six ans de carrière, nous raconter à quel point Irving n’est pas un meneur, qu’il apprend à passer la balle et doit faire de gros efforts pour ne pas autant croquer à côté de LeBron. On parle là de consultants, dont le travail est de regarder la NBA tous les jours, et même eux sont « contaminés » par l’imaginaire collectif, le pouvoir de l’intuition, de la première impression, alors imaginez le fan lambda. Aucune chance qu’il change d’avis en un claquement de doigts. Également, combien de gens pensent encore que Blake Griffin « c’est que du physique » quand c’est sans doute l’ailier fort le plus technique de toute la NBA, en attaque comme en défense ? Trop.
Après, tout ce que je vous dis là, c’est peut-être faux. Ça l’est sans doute même. C’est juste une intuition que j’ai eue et que j’ai tenté de raisonner.
La chose capitale que j’essaye de garder en tête tout le temps, pour le basket et dans la vie de tous les jours, c’est cette réplique de JD dans le premier épisode de Scrubs (ou bien Socrate via les écrits de Platon, selon vos références) lors de son premier jour d’internat à l’hôpital : même après 4 ans de fac et 4 ans d’école de médecine, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.
Guillaume (@GuillaumeBInfos)
Woaw…
Ce n'est pas souvent qu'on lit un article de cette profondeur sociologique 'ou philosophique) sur un site de basket. En fait, sociologique n'est pas le mot, car tu (vous permettez qu'on se tutoie ?) transpose au basket un élément de réflexion beaucoup plus large qui devrait nous interpeller dans beaucoup d'autres situations de notre vie, bien au-delà du politique : vie professionnelle, sociale, voire conjugale.
Un point de désaccord cependant : tu parles d'intuition (et c'est la réalité des scouts et des drafteurs qui doivent imaginer ce que deviendra un joueur) quand la vidéo parle de convictions renforcées par… tout le reste !
Merci bien, d'abord. Ensuite, tout le mérite revient à Science4All pour son travail investit dans la vidéo. Je n'ai fait que donner des exemples concrets dans un domaine en particulier, le basket, mais comme tu l'as dit, ça s'applique partout, tout le temps.
Le "désaccord" vient sans doute de l'inexactitude de mes propos. Tout cela aurait mérité une plus grande précision dans les définitions des termes, mais je ne sais moi même pas ce que Johnathan Haidt signifiait précisément dans les termes qu'il emploi en dictant le "intuition d'abord, raison ensuite".
Je suppose qu'on pourrait établir une échelle, et que "intuition" définit un état de savoir moins avancé que "conviction", mais du coup on est d'accord. On place le curseur au même endroit dans notre tête même si on ne le place pas de la même manière sur les définition. Et encore, faudrait y réfléchir, chose que je n'ai pas faite.