[Interview] Tony Parker : « C’est un des premiers trucs que Kobe Bryant m’avait dit à l’époque »
Après un début de saison plus que rassurant – alors que sa blessure en playoffs pouvait laisser craindre le pire – « TP » est bourré de motivation après 17 saisons, comme il l’a confié à notre micro et le prouve sur le terrain.
Tony, depuis ton retour sur les parquets tu as été particulièrement agressif, en allant beaucoup vers le panier. C’est signe d’une volonté conquérante, après une blessure somme toute très inquiétante pendant les playoffs ?
Je pense que je voulais juste pénétrer pour voir si cela allait tenir oui. C’est vrai que pour l’instant ça marche bien. J’ai été super agressif depuis que je suis revenu et la jambe tient, donc c’est positif. Après pourquoi plus que d’autres années ? Franchement je n’ai pas vraiment d’autre explication. A part que j’ai eu sept mois de repos, donc je me sens bien.
Il y a aussi le côté « sept mois c’est long », où tu as dû ronger ton frein ?
Ouais, sept mois c’est clair que c’est long ! Mais après je crois aussi que cela te rend plus fort mentalement.
On sent par contre que tu ne vas pas pousser tout le match non plus…
Parce que je joue dans une grosse équipe ! Quand tu joues dans une grosse équipe il faut partager. Il faut que tout le monde touche la balle. Il faut que tout le monde soit content. Et moi en tant que meneur de jeu, ce n’est plus comme à l’époque, quand c’était mon équipe, que l’on avait besoin que je fasse cela tout le match. Là, c’est plus un peu chacun son tour. Et à la fin de la journée cela reste plus l’équipe de LaMarcus ; et de Kawhi quand il va revenir à son meilleur niveau. Même s’il est déjà là, de retour (depuis le 12 décembre), quand il sera revenu à son meilleur niveau ce sera son équipe. Donc c’est pour ça qu’il faut que moi je trouve mes moments, mais tu ne verras plus un Tony agressif tout le match. Ça non.
Ce n’est pas aussi que tu t’économises pour plus tard ?
Pas du tout. C’est juste que je m’adapte par rapport à l’équipe. Et puis c’est « Pop » qui annonce les systèmes. Un bon exemple c’est le match contre New York (à San Antonio le 28 décembre, pas celui de mardi au MSG) : première mi-temps j’étais agressif, mais deuxième mi-temps il voulait insister à l’intérieur pour être sûr que l’on provoque des fautes contre Porzingis. Et je n’ai pas eu un tir en deuxième mi-temps ! Mais moi cela ne me dérange pas. C’est ma vie maintenant, j’ai envie de dire, entre guillemets. Je ne suis plus l’option numéro un.
Cela fait quand même partie de la culture aux Spurs de gérer la fatigue des joueurs pour qu’ils performent surtout en playoffs, où d’ailleurs l’an dernier tu étais au top, avant d’être touché au tendon du quadriceps…
Oui, bien sûr. C’est vrai que pendant la saison ils nous ménagent toujours un peu, ça c’est sûr. Surtout moi, cette année, je ne vais pas jouer les back-to-back. C’est certain qu’il (Gregg Popovich) va me ménager pour que je sois à mon meilleur quand les playoffs commencent.
En tout cas on sent que tu te sens bien. Y a-t-il aussi un effet « bonne surprise » pour ton état de forme ?
Ah ouais moi je me se sens bien ! Après je ne me surprends pas, parce que j’ai travaillé dur pour ça. Je m’étais promis à moi-même que je voulais revenir au niveau des playoffs de l’année dernière, comme tu disais. La manière dont j’ai joué, c’était comme à la bonne époque, quand j’étais dans mon prime.
« Quand la moitié des docteurs pensaient que je ne reviendrai pas, c’était une bonne motivation… »
Les gens aiment bien parler de carrière en trois actes. Celui-ci en est encore un autre ou tu es toujours dans ce troisième ?
C’est vrai que c’est exactement ça ma carrière. Tu as le premier acte : t’arrives, tu es rookie, il faut que tu prouves que tu peux jouer en NBA. Ensuite tu as le deuxième, où c’était mon équipe, tout tournait autour de moi. Et le troisième acte quand LaMarcus (Aldridge) est arrivé et où – c’est normal – en tant que meneur de jeu, tu as moins de tirs, moins d’opportunités. Donc ça devient plus son équipe avec Kawhi et je deviens plus meneur gestionnaire. Après, je ne dirais pas que c’est un quatrième acte. Mais c’est clair que je reviens de blessure, donc les gens ont l’impression que je joue encore mieux que l’année dernière, parce que je suis agressif et tout ça, mais je pense que c’est juste une coïncidence. C’est juste que je suis tellement content que, bah… tu sais, tu as envie de prouver que tu as encore le niveau et sur certaines séquences tu as envie de montrer que tu as encore ta place. Même si je sais très bien que c’est l’équipe de Kawhi et LaMarcus, des fois tu veux juste montrer que tu peux jouer à ce niveau-là… Et montrer que tu n’es pas fini ! Entre guillemets. Même si je sais que Pop n’a jamais pensé ça. Je le sais très bien. Mais tu sais, je pense que c’est important pour moi de rester motivé. Parce que quand ça fait dix-sept ans que tu joues, et que tu as quatre titres, six fois All-Star, tout ça, il faut en garder de la motivation ! Et en regardant Tim (Duncan) jouer, j’ai beaucoup appris aussi. Tu essaies de trouver des trucs pour rester motivé.
La blessure a-t-elle aidé justement à te motiver aussi ?
Ouais, c’est vrai qu’avec la blessure on peut dire qu’il y a une petite motivation en plus, mais mon rôle ne changera pas. Il y a une petite motivation pour montrer que tu es toujours là. C’est vrai aussi que les bruits type « c’est peut-être la fin de sa carrière » ont été une petite motivation supplémentaire. Surtout quand tu as la moitié des docteurs qui pensaient que c’était le cas, que je ne pourrai pas revenir. C’était une bonne motivation !
Tu as cherché à en voir d’autres du coup ?
Moi j’ai voulu rester avec les Spurs. Donc je ne suis pas allé en Californie, tout ça. Il y avait pas mal d’avis, mais j’ai fait confiance à mes docteurs à San Antonio. Ils m’ont suivi toute ma carrière, donc je me suis fait opérer par mon docteur là-bas.
C’était le moment le plus dur quand même, quand tu as entendu certains avis médicaux aussi inquiétants ?
Bah, tu te poses des questions… Mais moi j’ai vite basculé dans le : « Tu sais quoi ? Je reste motivé, j’avance, je positive. Et si je n’y arrive pas, je n’y arrive pas hein ! ». Bon, après, si ton corps ne peut plus… Tu essaies de mettre toutes les chances de ton côté. Tu manges bien, tu dors, tu fais la récupération, la « muscu », tous les trucs. Après, si le corps ne peut pas il ne peut pas. J’ai déjà eu une carrière incroyable. Jamais je n’aurai pensé que je jouerai 17 ans titulaire dans une des meilleures équipes de l’histoire de la NBA. Je n’aurai jamais pu rêver ça ! Donc quoiqu’il arrive, même si ça finit demain, je serai très, très content et très, très fier de la carrière que j’ai eu.
D’autant que tu as clairement dit vouloir jouer jusqu’à 40 ans en NBA…
Oui, je l’ai déjà dit effectivement et les Spurs savent que je veux jouer encore trois ans. Donc oui cette blessure aurait pu mettre un terme à cet objectif… Mais après c’est la vie ça ! Tu ne peux pas tout contrôler… Tu essaies de contrôler ce que tu peux, et après il y aura toujours les aléas de la vie et tu fais avec. D’ailleurs j’ai eu de la chance, je pense que mon corps a bien réagi à l’opération. Moi j’ai travaillé dur aussi, et au jour d’aujourd’hui, après cette saison, j’aimerai bien jouer trois ans et terminer ma carrière tranquillement.
« Un des premiers trucs que m’avait dit Kobe à l’époque… »
C’est peut–être la plus grande force des meilleurs athlètes de passer à l’étape suivante d’ailleurs, quelle que soit la difficulté présente…
Ceux qui sont forts oui ! C’est important ça. C’est important. C’est un des premiers trucs que Kobe m’avait dit à l’époque. Mais il y a beaucoup d’athlètes qui n’y arrivent pas ! Ça c’est un truc qu’il faut savoir faire si tu veux devenir un des meilleurs de l’histoire… Je pense que je l’ai eu depuis tout petit d’ailleurs ça : (en anglais) « on to the next play », tout ça.
Tu sens aussi l’influence que tu as sur certains joueurs ?
Je me rends compte que je suis le pionnier pour le basket français. Que j’étais le premier, on va dire, à réussir en NBA. À vraiment réussir en NBA. À être performant et à être un franchise player. Et donc ça, ça a ouvert la porte pour les joueurs français, et après pour les joueurs européens. Parce que je suis le premier des meneurs européens à avoir réussi en NBA. Je sais que quand je suis arrivé, ils ne voulaient pas prendre de meneurs européens, parce qu’à chaque fois c’était « la barrière de la langue, blablabla, ils ne peuvent pas défendre, ils ne sont pas assez rapides… ». Et je pense que j’ai pu changer cette vision sur le meneur européen grâce à mon succès avec les Spurs.
Quelqu’un qui est considéré pour suivre ce type de parcours exceptionnel justement, c’est Frank Ntilikina. Tu l’as croisé deux fois en cinq jours, quelle est ton impression ?
Je pense qu’il a tout pour réussir. Il a tout ce qu’il faut. Il a le mental, il a le corps, il a de longs bras, il défend… Et dans sa tête il est bien. Donc je pense qu’il a tous les éléments. S’il ne dérape pas et qu’il reste motivé, concentré sur sa carrière, il peut vraiment réussir une belle carrière.
Quand vous avez échangé pendant l’été, quel trait de sa personnalité t’a le plus marqué ?
Si je devais choisir, c’est son envie d’apprendre.
Tu t’es remémoré ta première saison d’ailleurs, au même âge que lui (19 ans), avec une certaine pression comparable ?
Je m’en rappelle comme si c’était hier ! Je lui ai juste dit de rester positif, c’est une longue saison, il se débrouille très bien. Après, lui dire des choses sur gérer la pression, moi, personnellement, rien de spécial. J’avais envie d’apprendre aussi. J’étais bien entouré. La pression était énorme, parce qu’on voulait gagner le titre. Donc tu prends cette habitude de jouer avec à tous les matchs. Chaque situation est unique. Lui aussi ce n’est pas facile, car il doit jouer à New York. Donc c’est une autre pression.
« Kawhi est sur la bonne route »
L’objectif est toujours le même pour l’équipe, la culture reste la même… Est-ce que les saisons se ressemblent après tant d’années ?
Il y a toujours un collectif à créer tous les ans. Même si tu as un peu la même équipe et un peu les mêmes joueurs, on va dire que selon les années, tu as des différences parce que par exemple ça a été l’équipe de (Tim) Duncan. Puis avec (Manu) Ginobili. Et après moi. Et maintenant Kawhi et LaMarcus. Donc il y a des petites différences auxquelles il faut s’adapter. Et puis après, chaque année il y a un collectif à créer quand même. Donc tu reprends un peu à zéro.
Ça fait du bien de se sentir quasiment au complet, pour la première fois cette saison ?
Oui, un petit peu, même s’il nous manque encore Rudy (Gay), qui va être un élément très important en sortie de banc. Mais c’est vrai que l’on a eu LaMarcus et Kawhi agressifs ensemble ce soir, et du coup c’était le meilleur match de l’année. De voir ces deux-là agressifs ensemble.
Kawhi semble effectivement très bien revenir lui aussi…
Il avait l’air très bien ce soir (mardi, à New York). Maintenant, il ne s’agit plus juste de jouer bien sur un match pour lui, c’est de voir s’il peut continuer. S’il y arrive et qu’il peut jouer tous les soirs. Il est sur la bonne route.
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York