Luka Doncic Mania : l’heure de vérité
Le sort en en jeté : Luka Doncic évoluera désormais aux Dallas Mavericks.
Le Wonderboy, pourtant meilleur joueur de cette classe de draft d’avis unanime des tous les observateurs pertinents de la grande messe annuelle de répartition des prospects, n’a été sélectionné qu’en 3e position de sa cuvée. Après tout, les Houston Rockets ne pouvaient pas passer à côté du grand DeAndre Ayton (you can’t teach height) et de leur côté les Portland Trail Blazers avaient déjà sélectionné DeAron Fox l’année précédente, et se sont donc tournés vers le longiligne intérieur Marvin Bagley. On les comprend. Oh, wait.
Trêve de plaisanterie, et de clin d’œil à 1984. Le phénomène Luka Doncic s’est abattu sur le monde de la balle orange depuis presque 3 ans maintenant, avec une force et un panache inédits jusqu’ici. Ricky Rubio dans ses jeunes années ? Un jeune paysan débrouillard qui savait à peine faire rebondir le cuir, en comparaison.
Recruté par le Real Madrid à 13 ans, des débuts chez les professionnels à 15 ans, une vraie place dans la rotation d’un des meilleurs clubs d’Europe à 17 ans. En aout 2017, l’illustre Jonathan Givony le place 4e de sa Mock Draft, derrière le numéro 1 Michael Porter Jr et ses dauphins Marvin Bagley et DeAndre Ayton. Un accomplissement déjà incroyable. Mais c’est en septembre que tout va changer, et que la machine va s’emballer de plus belle.
Avant l’Eurobasket, c’était la hype Luka Doncic. Après l’Euro basket ? The Luka Doncic Mania.
Nous sommes en plein mois de septembre 2017, la Slovénie n’a même pas encore gagné la compétition. Retour sur le slash royal du Prince Luka sur la scène internationale.
*****
Troisième quart temps du match contre la France. La Slovénie mène déjà 60-44, une avance confortable de 16 points, et la balle est remise en jeu. La balle revient à Goran Dragic. Le fer-de-lance de cette équipe, la star, la rampe de lancement, capable de découper une défense avec plus de facilité qu’un couteau pourrait trancher un morceau de beurre.
Le Dragon reçoit la balle, alors que son padawan Doncic s’écarte humblement pour aller occuper le corner. L’ordre, la hiérarchie. Le Dragon reçoit un écran derrière la ligne à trois points. Petit coup de reins, Toupane est pris dedans. La seule présence de Séraphin devant lui fait se dessiner un petit sourire sur le visage du Dragon. Il met le turbo et le dépasse. Sauf que voilà : le chemin jusqu’au cercle n’est pas ouvert encore. En second rideau se dresse alors devant lui Boris Diaw.
L’oeil du Dragon voit, son cerveau analyse. Dans cette position, il pourrait tenter le lay-up mais celui-ci serait sans doute dans une position compliquée. Lui-même est en déséquilibre et le défenseur est en plein sur lui. Un tir avec un pourcentage de réussite très faible, en somme. Oui, mais. Il en est capable, et personne ne lui en voudrait vraiment : en tant que star accomplie de cette équipe, c’est aussi son job de devoir forcer de temps en temps ce genre de tir qui, d’ailleurs, ont plus de chances de rentrer lorsque c’est lui qui les tente que lorsque c’est un quelconque quidam.
Le Dragon a gagné ce droit, il pourrait prendre ce tir, mais ça n’a jamais été sa nature. Le Dragon connait le jeu, trop bien même pour ne pas le respecter. Il se retrouve coincé entre deux défenseurs, Séraphin dans son dos, Diaw devant lui. Or, le basket se joue à 5 contre 5. Si deux joueurs sont sur lui, c’est donc qu’il en reste 3 pour couvrir ses 4 coéquipiers, et donc qu’un de ses partenaires est seul. Le Dragon a de la ressource, des situations comme celle-là il en a connuues des tonnes, et son corps réagit presque tout seul, instinctivement. S’active alors sa vision périphérique. Et c’est là qu’il le voit.
Tel un phare au loin, une lumière s’est allumée au bout à l’horizon. Elle a la clarté revigorante de la jeunesse et la teinte chaleureuse de l’espoir. Le padawan. Il le regarde de loin. Il est resté campé dans le corner, humblement et par crainte de marcher sur les plates-bandes de son idole le Dragon, mais il lève tout de même les bras pour signifier sa présence, dans un geste qui ne se définit pas comme de l’arrogance ni de la cupidité de réclamer la balle, mais plutôt tel un acte de courage et d’acceptation des responsabilités qui lui incombe par la force des choses. Le jeu se dirige vers lui, le destin l’a choisi lui, et pas l’inverse.
Le Dragon a pris sa décision : la gonfle doit parvenir jusqu’au padawan. Dans cette situation-là, comme un préambule des années à venir, c’est à lui de prendre les rênes de l’action pour la mener à terme, la conclure.
Pas une once d’hésitation ne traverse son esprit. Pourtant, le Dragon n’est pas le joueur le plus chanceux ni le mieux traité passé par la grande ligue américaine. Après avoir terrassé à lui seul l’ogre Spurs sur un match de playoffs en 2010, le voilà échangé à Houston où il mènera un âpre combat avec Kyle Lowry pour le poste de titulaire, sans vraiment en sortir vainqueur. De retour à Phoenix, il s’impose comme un des cinq meilleurs meneurs de la ligue en 2014, avant que la franchise ne lui mette des bâtons dans les roues puis ne l’échange comme un vulgaire mouchoir sale. On lui promet la grande équipe à Miami, les rennes de l’équipe même, mais l’ombre et la longévité du Seigneur Wade l’empêche de s’exprimer pleinement. Lorsque c’est enfin le cas, l’équipe connaît des blessures conséquentes, et n’arrive pas à ramener à côté de lui des gros poissons durant la free agency. Le Dragon est sans doute le meilleur joueur de NBA à n’avoir pas connu la carrière stable et linéaire qu’il aurait méritée.
Mais qu’importe, il n’en garde pas des remords. Ou si c’est le cas, le Dragon est assez intelligent pour ne pas les laisser influencer son jeu. Le môme arrive pour être une star et m’effacer des tablettes ? Tant mieux pour le pays, tant mieux pour nous. Pour le basket.
Le Dragon a pris sa décision, mais tente de faire le plus possible pour faciliter le tir. Talent ou pas talent, le gamin a besoin d’être mis dans les meilleures conditions. Le Dragon effectue alors son double pas, pour retenir au plus possible l’attention des défenseurs. Le piège se referme autour de lui, alors qu’il se faufile en deux enjambées dans un trou de souris aux allures d’impasse. Un pas, un deuxième. Ça y est, son sort est scellé, les Français se précipitent sur lui.
Et là, le Dragon agit. Il déploie ses ailes et commence à sauter en l’air. Mais d’un coup d’un seul, il tourne la tête, il tourne son corps et expulse la balle vers le padawan. La balle effectue une rotation sur elle-même, fendant l’air pour se frayer un chemin jusqu’au corner. Le padawan, bras toujours levé, réalise alors que la gonfle arrive sur lui. Il baisse les bras, positionne ses mains à bonne hauteur pour rattraper la balle et place ses appuis correctement.
Le Dragon commence à retomber lentement vers le sol, mais ne peut s’empêcher d’admirer la balle tourner sur elle-même et en direction du padawan. Le sort de l’action ne lui appartient plus, à présent. Il a passé le relais, passé les attentes et les responsabilités comme un héritage, son héritage, placé dans cette citrouille de cuir qu’il a osé lâcher. Allez gamin, à toi de jouer.
Le padawan reçoit la balle alors même que les défenseurs tricolores commencent à se rendre compte de la supercherie que leur a jouée le Dragon. Ils changent de direction, se précipitent, ils se jettent. Mais trop tard. Le padawan a déjà enclenché la machine. Il pousse sur ses frêles jambes pour générer l’énergie nécessaire, et articule parfaitement son corps pour envoyer la balle dans le cercle avec force et précision.
La balle reprend sa rotation, dans le sens opposé cette fois. Le padawan garde les bras levés comme au moment où il a relâché la gonfle. Le droit avec le poignet cassé, le gauche avec la main ferme. Il sautille légèrement sur place, dans cette position, gardant cette pose de statue comme pour se justifier, pour montrer à quiconque voudrait vérifier que son geste est le bon. La balle redescend en flèche vers l’arceau alors que le padawan continue ses petits sauts de cabri rigide.
Splash.
Les yeux du padawan, crispés et anxieux, s’illuminent alors. Ceux du vieux Dragon souriraient presque s’ils le pouvaient. Le padawan continue de sautiller très légèrement en repartant en arrière, avant carrément de sauter franchement sur place, serrant les poings et criant sa joie. Il ne se rend même pas compte que le Dragon est à un mètre de lui et le pointe du doigt, tout autant pour le féliciter que pour désigner à tout un chacun qui est l’étoile montante des prochaines années.
Les émotions se bousculent dans la tête du padawan, à une vitesse et avec une intensité que ses jeunes neurones ne connaissent pas encore parfaitement, ni ne savent totalement gérer. Il continuer d’extérioriser ses émotions qui débordent, pendant son retour en défense. Il s’aperçoit enfin de la main que lui tend le Dragon et, surexcité, il frappe dedans avec un surplus d’entrain alors même qu’il tente de se retourner face au jeu. C’en est trop. Son élan l’entraîne, ses pas en arrière deviennent de moins en moins contrôlés et le padawan se retrouve projeté en arrière. Le padawan ne comprend pas trop ce qui lui arrive, mais en un claquement de seconde le voilà en train d’effectuer une roulade en arrière avant de se relever à la vitesse de l’éclair. Le Dragon n’a pas le temps de venir l’aider à se relever. Il a à peine le temps de lui adresser une tape amicale alors que le padawan fonce déjà vers le banc de son équipe. Le Dragon sourit. Il reconnaît bien là la fougue de la jeunesse.
_______________________________________________
C’est beau, un élan.
Eh, vous, les petits rigolos, vous me virez de votre esprit tout de suite l’image du grand caribou aux bois majestueux peuplant les terres enneigées Nord Américaines. C’est pas de ça dont il est question.
Non, ici, on parle bien d’un élan. De l’impulsion, du mouvement initial vers l’avant censé engendrer l’énergie nécessaire et suffisante pour réaliser le grand saut qui nous attend. Plus qu’une préparation à proprement parler, réalisée, elle, au préalable, l’élan, c’est ce moment éphémère et pourtant crucial où le cerveau est à la fois déconnecté de toutes choses futiles et en même temps on ne peut plus concentré sur la tâche à accomplir. C’est un mouvement vers l’avant, le refus de la peur. Un coup de reins, quelques pas supplémentaires à toute vitesse afin que nous puissions arriver au moment du grand saut avec le plus de force et de conviction possible.
Luka Doncic est en train de prendre un sacré élan.
Le mot talent en lui-même, ainsi qu’à peu près tous les adjectifs superlatifs possibles et imaginables sont trop souvent employés à l’excès et à mauvais escient dans le monde du sport. Ou plutôt, le monde des médias, l’univers des fans, des observateurs. Mais comprenez bien ceci, avant que nous allions plus loin : Luka Doncic est un talent hors norme. Littéralement en dehors des normes habituelles.
Premier match professionnel à 16 ans au sein d’une des meilleures équipes de la seconde meilleure ligue de basket au monde. Excusez du peu. Vrai joueur de rotation à 17 ans dans cette même équipe. Aujourd’hui qu’il a soufflé sur ses 18 bougies, il est un solide titulaire de la Slovénie (invaincue) et s’apprête à endosser un rôle encore plus grand au Real Madrid. Avant pourquoi pas d’être choisi en première position de la draft 2018.
Avant de faire le grand saut vers la NBA, Doncic prend quand même un sacré élan pour le réussir, ce grand saut.
J’ai pris le temps de regarder de très près les performances de Luka Doncic depuis le début de cet Euro. Fascinante expérience. À vrai dire, ce n’est pas que Doncic est un superbe joueur. Des basketteurs deux, trois ou quatre fois meilleurs que lui, il y en a quelques-uns dans la grande ligue américaine. Non, soyons clairs : ce qui est fascinant, c’est son niveau de jeu actuel à un âge aussi jeune que le siens. Et bien sûr, la marge de progression qu’on imagine suffisamment grande pour que dans le futur il atteigne un niveau de jeu deux, trois ou quatre fois plus grand.
Mais j’insiste : il faut bien garder les bonnes choses en tête au moment d’évoquer Doncic. Il est encore loin d’être un excellent joueur, capable d’avoir un énorme impact dans une équipe NBA dès ses premiers pas, mais c’est un joueur extrêmement précoce et possédant une marge de progression très conséquente. Sans non plus parler de paradoxe, cette dualité dans ses performances se retrouve directement dans son jeu. Visuellement, on se rend compte de cette double facette.
Doncic est un phénomène de 18 ans. Certaines actions, on se rend compte que ce n’est qu’un jeune gamin de 18 ans qui se fait battre ou jouer des tours par des vétérans ayant roulés leur bosse en club et en sélection nationale. D’autres fois, on se rend compte que, quand même, ce n’est pas n’importe quel môme de 18 piges. Ces fois-là, c’est le côté phénomène qui resurgit.
Sur une action, il va laisser un adversaire plus petit lui rentrer dans le lard, ou la lui jouer à l’expérience, il va prendre un mauvais tir ou perdre un balle de façon évitable. Sur d’autres actions, il va trouver un angle de passe génial, maîtriser un Pick & Roll avec plus de doigté et d’intelligence qu’un vétéran NBA, ou crucifier l’adversaire sur un step-back à 3points comme très peu savent le faire (et définitivement personne de son âge).
Luka Doncic est un phénomène de 18 ans. Les deux aspects de cette phrase sont importants.
Ce serait faux de dire que Doncic brille dans cet Euro basket. Là encore, je vais faire le rabat-joie qui emmerde tout le monde sur la valeur et la signification des mots, mais c’est le cas. Doncic réalise un solide Euro. Par rapport à son âge, c’est bien sûr extraordinaire. Être un titulaire dans cette excellente équipe slovène, à qui on confie un nombre conséquent de responsabilités, à 18 ans alors qu’autour et en face il n’y a que des vétérans confirmés, c’est remarquable. Mais intrinsèquement, ses performances sont solides, pas incroyables.
Or, même ça, ce n’était pas gagné. Car ce serait également faux de dire que Luka Doncic est un phénomène qui écrase tout sur son passage à la manière de certains prospects américains qui dominent de la tête, des épaules et même du haut de forme la concurrence universitaire. Doncic jouait moins de 20 minutes par match l’an passé au Real Madrid. Ce qui est déjà énorme pour un gamin de 17 ans (à l’époque), mais pas énorme en soit. Doncic scorait moins de 8 points par match également l’an passé, parce qu’il ne se voyait confier qu’un peu plus de 5 tirs par match en moyenne. Oui, la Liga est une vraie ligue compétitive, le talent pur à lui seul ne suffit pas à s’imposer en un claquement de doigts.
Plus encore, Doncic a déjà raté une marche. Sur le premier gros test que les Dieux du basket lui ont fait passer, Doncic s’est vautré. Le slovène a réalisé un Final Four assez désastreux au moment où tout le monde commençait à avoir les yeux rivés sur lui et attendait de le voir confirmer. Aussi, réaliser un Euro solide est déjà une grande réussite. Le Final Four fut un petit déséquilibre, mais Doncic redresse la barre, il poursuit son incroyable course d’élan.
J’ai trouvé l’action de son trois-points contre la France absolument fascinante, pour la symbolique justement. L’aspect sportif, évidement, le maître Dragic qui passe le relais au jeune prodige, mais pas que. Ce qui suit le tir est encore plus intéressant pour moi. Selon comment se déroule sa carrière, dans le bon comme dans le mauvais sens, je vous donne rendez-vous dans vingt ans pour reprendre cette chute en arrière et bâtir toute une mythologie autour de celle-ci, la symbolique de sa carrière en arrière plan.
Cette chute est tellement significative de la dualité du joueur qu’est Doncic actuellement. D’un côté, il est assez bon pour être sur le terrain à son âge et réalise la bonne action. Il rentre le tir, il fait le job. De l’autre, juste après ça, il se laisse tellement emporter par son enthousiasme qu’il en perd l’équilibre.
Phénomène. 18 ans.
J’adore la symbolique de cette chute, et je ne vais pas pouvoir attendre vingt ans pour la mystifier. Je vais le faire tout de suite.
Il faut bien se rendre compte que dans le sport, et dans le basket en particulier, au moment T n’est certain strictement que la certitude du moment. Rien de plus, parfois moins. C’est-à-dire que, très concrètement, le fait qu’un joueur soit bon ne nous permet d’affirmer rien de plus qu’il est actuellement bon. Ou pour arrêter d’enfoncer des portes ouvertes : dire d’un joueur qu’il sera bon à T+1 tout simplement parce qu’il est bon a moment T n’a pas de valeur, ou en tout cas, ne peut pas être considéré comme une certitude.
Le piège dans lequel nous tombons tous est de considérer l’hypothèse suivante correcte pour absolument tous les joueurs de basket, de foot, ou autre : « le joueur va continuer de progresser de manière linéaire et constante au fil des années ». Sauf que, vous l’aurez compris, cette hypothèse de départ est fausse.
Ce qui rend Luka Doncic attrayant, comme bien d’autres avant lui, c’est le fait qu’il soit si bon si jeune. Effectivement, pour son âge, Doncic est très au-dessus de la moyenne et sans doute plus fort de 99% des jeunes joueurs de 18 ans dans le monde. Du coup, en appliquant à cela l’hypothèse qu’il va continuer encore et toujours de progresser inlassablement, on se dit que ça va devenir un joueur fantastique. Ben oui, il part d’un niveau plus élevé que tout le monde, donc dans 5 ou 10 ans, même si les autres progressent autant que lui, il aura quand même un niveau plus élevé. Ça parait logique.
C’est d’ailleurs là-dessus que repose la totalité du système de draft. Les premiers choisis sont les meilleurs au même âge, à peu près, les derniers sont ceux qui sont moins bons et/ou déjà plus vieux.
Sauf que ça ne marche pas comme ça, pas toujours. Comme vous pouvez le constater, les meilleurs joueurs de NBA ne sont pas forcément les joueurs choisis en tout premiers à la draft de leur année.
Et si Luka Doncic se plantait ? Je n’espère pas, mais je préfère prévenir. Avec l’élan qu’il a pris, le garçon, tout le monde s’attend à le voir réaliser le plus grand saut de tous les temps.
Non seulement il démarre avec un niveau plus haut que les autres, mais en plus sa dynamique de progression actuelle est très grande. Or, a-t-on seulement une once de certitude que Doncic va continuer de progresser avec cette même vitesse, ou qu’il ne va pas atteindre un plafond (pas assez haut) au bout d’un moment ?
Des exemples, il en existe à foison. D’Angelo Russell connait une dynamique de progression énorme en 2015, passant de prospect lycéen intéressant, mais pas extraordinaire à second choix extrêmement légitime de la draft. Sauf qu’ensuite, Russell n’a pas continué à progresser aussi vite que durant son année universitaire. Wesley Johnson en 2010, Derrick Williams en 2011. Nick Stauskas également, qui passe en une année de shooteur/5e roue du carrosse à patron de Michigan, au point de se faire drafter 8e. Sauf qu’ensuite, la progression n’a pas été aussi grande ni rapide les années suivantes.
Ce sont là quelques exemples pris au hasard à propos de la draft, mais on peut en trouver d’autres parmi les joueurs NBA. Durant la saison 2013-2014, Eric Bledsoe passe du statut de meneur un peu poulet sans tête à celui de vrai bon meneur de jeu. Une grande progression cette année-là, mais Bledsoe n’a jamais connu d’autre progression aussi significative par la suite. Des joueurs comme Jeff Teague ou Kemba Walker semblent également plafonner à un certain niveau, sans pour autant que les deux soient des joueurs paresseux qui n’aiment pas le travail.
Blake Griffin se révèle complètement durant la saison 2014 également, terminant 3e au trophée de MVP et étant reconnu officieusement à cette même place du podium des meilleurs basketteurs du monde. Depuis, il n’est pas arrivé à pousser le bouchon encore pus loin, à la manière de Stephen Curry en 2015 et 2016 par exemple. Paul George qui explose en 2013, mais peine à franchir les dernières marches depuis. John Wall, ou d’autres joueurs de ce type, calibrés franchise player mais qui ne le sont pas encore totalement (pas de type transcendant en tout cas). Prenez Jimmy Butler également. Un rôle player qui doucement devient un joueur très solide, puis soudainement un go-to-guy en 2015, et depuis, il est toujours à ce niveau-là à peu près.
La dynamique de progression d’un joueur n’est pas continue, ni même linéaire. Si on pouvait modéliser le niveau d’un joueur à la manière des jeux vidéos, c’est absolument faux de se dire qu’un joueur va automatiquement augmenter de 5 ou 10 points tous les ans. Ça arrive, et ça donne des monstres (LeBron, Durant, Curry, Leonard, Harden,…). Mais un joueur peut parfois stagner plus tôt qu’on ne le pense, connaître des périodes de progression lentes, d’autres rapides, etc. Le caractère aléatoire est évidemment présent.
Luka Doncic va peut-être se planter. A la manière de cette chute après son trois-points, il va peut-être chuter et perdre l’équilibre, parce qu’il atteindra son plafond plus tôt qu’on ne le pense, ou parce qu’avec trop, trop tôt, il aura fini par se brûler les ailes. On n’en sait rien.
Peut-être, également, lit-on la symbolique de cette chute à l’envers ? Peut-être que ce n’est pas la chute qu’il faut regarder, mais l’insouciance et le talent qui l’ont fait chuter et surtout la rapidité et la facilité avec laquelle Doncic s’est relevé en un éclair. Des exemples frappants de progressions continues il y’en a des pas mal en ce moment en NBA au sein du top 5 des meilleurs joueurs de la ligue.
On ne peut d’ailleurs pas faire plus linéaire et continu, plus constant comme progression que Kawhi Leonard qui, année après année s’améliore toujours un petit peu plus alors qu’on se dit qu’il a enfin atteint son potentiel maximum. Le cas de Stephen Curry est très intéressant également, car moins automatique que Leonard. Curry progresse assez lentement ses premières années, gêné par ses blessures. Il augmente fortement son niveau de jeu dès la saison 2012-2013 (saison durant laquelle il se fait voler une place au All-Star Game), mais stagne un peu en 2014 et ne connaît pas une progression aussi spectaculaire. Il faudra attendre 2015 pour cela, lorsqu’il passe de titulaire très bon à (presque) franchise player qui fait gagner le titre, puis une nouvelle fois en 2016 lorsqu’il devient un demi dieu et véritable franchise player monstre qui règne sur la ligue.
Dépeignons-le justement, ce tableau idéal. Si tout se passe bien, Doncic peut être un monstre. Dans le registre scoring/distribution, il n’est pas sans rappeler James Harden. Un vrai meneur de métier qui peut faire tourner la boutique, mais qui aime scorer et qui le fait très bien. Dans le style aussi, la comparaison avec Harden marche, ou même Curry. Allié à une grande taille, Doncic semble avoir du jump-shot à foison qui compense des qualités athlétiques (explosivité, notamment) qui ne sont pas d’élite, et il possède en plus un véritable flair pour distribuer le jeu de manière à la fois juste et spectaculaire.
Placé dans le bon environnement, avec de bons cadres, des mentors, un coach qui l’utilise bien, et attention les yeux. D’autant que Doncic n’est pas comme les autres. Mentalement, il semble avoir ce petit truc, ce charisme, cette aura. Il n’a généralement peur de rien, ni des adversaires et encore moins du moment. Il n’est jamais impressionné le môme. Il entretient sa flamme, la petite flamme qui à la fois consume et anime les grands joueurs. L’étincelle dans le regard qu’ont les franchise player.
Oui, Doncic peut être Stephen Curry. Oui, Doncic peut aussi être Nick Stauskas. Aucun moyen d’avoir plus de certitudes sur un scénario plutôt qu’un autre. Le fait que Doncic ait un très haut niveau de jeu pour un joueur de 18 ans ne nous dit rien d’autre que ça. Ça ne dit rien sur sa future dynamique de progression.
Un très bon exemple à garder en tête lorsqu’on évoque le cas de Luka Doncic, c’est Ricky Rubio. De manière très similaire, l’espagnol était un petit prodige, un précoce, au niveau bien plus élevé que son âge ne pouvait le suggérer et qui lui aussi a commencé très tôt à jouer régulièrement en Espagne.
Ricky Rubio n’était ni plus ni moins que le meilleur prospect de l’histoire du basket européen du haut de ses 15 ans, en 2005. Le talent dégoulinait à ne plus savoir quoi en faire. Aujourd’hui en 2017 il n’est évidement pas le meilleur meneur de NBA. Pire encore, il me semble de manière très subjective que les incroyables attentes placées en ce jeune homme à ses débuts, auxquelles il n’a pas su répondre, lui ont donné dans l’imaginaire collectif une image très négative. Rubio est bien meilleur qu’une flopée de meneurs évoluant dans la ligue qui ont pourtant, eux, toute la sympathie et la considération du grand public comme des observateurs. Parce qu’avec Rubio, il y a toujours cet arrière-goût de déception, de frustration, qui fait qu’on le voit sans doute moins bon qu’il n’est réellement (un top 10 à son poste).
Effectivement, Rubio partait de beaucoup plus haut que n’importe quel autre gamin de 15 ans, et en appliquant la théorie du « il va sans aucun doute progresser de manière continue tous les ans », on s’attendait qu’au moment de son prime il soit toujours bien au-dessus de ses pairs au moment de leur prime. Mais non. Rubio a connu une très forte progression sur ses jeunes années, avant ensuite de ne progresser que très lentement et d’aujourd’hui stagner à un niveau très haut, mais pas aussi haut qu’on aurait pu le souhaiter.
Ce que Luka Doncic a d’ores et déjà accompli et titanesque pour son âge. Ses performances et sa production, qui se résument certaines fois à une ligne de stats pas folichonne, sont pourtant bien plus impressionnantes que certains universitaires produisant à foison face à des gamins de leur âge. Ne serait-ce que son temps de jeu, pourtant pas énorme (20 min/m) est un testament de son niveau. Doncic épate face à des joueurs confirmés, dans une ligue ultra compétitive et face à des défenses bien organisées. Autant d’obstacles franchis qui ne se présentent pas sur la route des jeunes Américains avant la case NBA. Pour autant, d’autres embûches restent à passer, d’autres marches restent à franchir. Est-il assez athlétique pour continuer à performer autant face aux athlètes NBA ? Connaîtra-t-il une progression toujours aussi impressionnante ?
Prendre son élan, c’est bien. Au plus on engrange de la vitesse, au plus on a de chance de réussir. Mais encore une fois, on parle là de chance seulement, de possibilité.
L’athlète qui arrive lancé plus rapidement que tout le monde, qu’est-ce qui dit qu’il ne va pas glisser au moment de prendre appui pour le saut ? Qu’est-ce qui certifie que malgré tout son élan et en sautant correctement, la barre n’est pas tout simplement trop haute pour être franchie ? Qu’est-ce qui permet de dire que même s’il arrive à bonne hauteur, il ne va pas faire un mauvais geste, une imprécision en l’air et ne pas franchir la barre ?
Rien.
Et ce qui va rendre la carrière de Luka Doncic si passionnante à suivre.
*****
Retour en 2018, et bien des choses ont changé en quelques mois. Certaines vérités du mois de septembre n’ont plus lieu d’être.
A l’époque, Luka Doncic sortait d’une saison très solide au Real Madrid, et comme je le disais à cette époque, ce n’était pas tant le niveau intrinsèque de Doncic qui laissait rêveur, mais bien son niveau par rapport à son âge. Sauf qu’en un an, tout a changé. Doncic n’est plus balèze pour un gamin de 18 piges, il est balèze tout court.
De jeune prometteur, élu meilleur espoir du championnat qui joue une vingtaine de minutes par match avec des responsabilités loin d’être écrasant, Doncic est carrément devenu cette année le MVP du championnat espagnol (2e meilleure ligue du monde), champion en titre, et MVP de l’Euroleague, qu’il a aussi remportée. Nul besoin de préciser évidemment que ces accomplissements sont également des records de précocité.
Et pourtant, on aurait pu le voir venir : Doncic n’a pas attendu la campagne 2017-2018 pour faire cela, il récitait ces mêmes gammes déjà à l’Eurobasket. Contre une flopée d’athlètes et de joueurs NBA bien établis déjà, Doncic a confirmé arriver à créer de manière tout aussi flamboyante (face à Porzingis, à Fournier et toute la France, à Ricky Rubio et aux frères Gasol). Le problème c’est que ça ne représentait qu’une poignée de matchs, un échantillon très largement insuffisant pour juger de quoi que ce soit, ou en tout cas, pour tirer des conclusions définitives.
De jeune joueur le plus fort pour son âge, on est passé à carrément jeune le plus fort tout court. Je pense qu’outre Atlantique, et même ici en Europe, on peine encore à réaliser l’exploit de Doncic d’être devenu double MVP de la Liga/Euroleague tellement le Wonderboy a banalisé la performance et la surenchère. MVP à 19 ans. Prenez le temps d’y réfléchir, allez-y. J’attends.
Qu’on se rende bien compte que Doncic flotte dans des strates supérieures dans lesquelles les comparaisons avec des prospects européens comme Mario Hezonja ou Kristap Porzingis n’ont ni queue ni tête. Porzingis montrait des promesses à Séville en jouant un rôle très réduit. Hejonza avait un rôle limité en sortie de banc également, bien que dans une plus grosse écurie (le Barça). Le Hezonja de 2015 est à la limite semblable au Doncic de 2016-2017 (et encore). Mais le cru 2018 du slovène, c’est un MVP en titre, pas un joker prometteur. On est pas dans la jeune pousse, on est dans l’arbuste déjà bien enraciné. Il faut également bien comprendre que tout cela n’est pas du tout pour casser du sucre sur les prospects qu’étaient Porzingis et Hezonja, bien au contraire, mais pour bien faire ressortir à quel point Doncic est trois mondes au-dessus du lot. Hezonja et Porzingis étaient des top 5 de draft on ne peut plus légitimes. Doncic, lui, est un prospect générationnel.
En septembre dernier, je m’étais amusé à établir cette métaphore de la course d’élan pour décrire le parcours fulgurant de Doncic avant le grand saut vers la NBA. Bien malin que j’étais, je décrivais ses prouesses comme peut être l’élan le plus spectaculaire qu’on ait jamais vu, sans même penser que le Wonderboy pourrait encore passer une vitesse, encore accélérer ses foulées et terminer sa course d’élan encore plus rapidement.
La progression linéaire que l’on suppose à chaque fois, mais que je questionnais ? Doncic l’a balayé ça d’un revers de la main, continuant sa progression de manière constante. Le slovène a franchi une à une les étapes sans la moindre difficulté, que ce soit d’arriver à s’imposer au Real Madrid, d’arriver à briller durant l’Eurobasket, puis d’arriver à devenir carrément le MVP de son championnat. Mais il faut bien se rendre compte d’un truc : c’est Doncic qui n’est pas normal, pas tous les autres. C’est d’arriver à progresser de manière conséquente, encore et encore, qui est une anomalie, et pas l’inverse. La norme, ce n’est pas Kawhi Leonard.
La course d’élan de Luka Doncic avant de faire le grand saut en NBA a atteint cette saison une vitesse prodigieuse.
Peut-être qu’il va se planter, peut-être. Le fait d’avoir réussi à franchir certaines étapes ne garantit pas de pouvoir franchir les suivantes. Mais cet argument peut être fait pour absolument tous les prospects de cette classe de Draft, à la seule différence que Doncic est peut-être celui qui a le moins de probabilité de se vautrer. Il est le seul à avoir montré être capable de produire, de créer face à des défenses organisées, professionnelles, et face à des défenseurs de haut calibre, un niveau évidemment bien plus élevé que l’adversité qui se cache au sein d’un gymnase universitaire. En ce sens, Doncic est peut-être même un des prospects, si ce n’est le prospect le plus sûr de l’histoire de la Draft. Un jeune de 19 ans qui débarque dans la grande ligue avec des MVP de ligues professionnelles, ça se compte sur les doigts d’une main d’un charcutier qui par accident se serait sectionné index, majeur, annulaire et auriculaire.
Pour autant, plus sûr ne veut pas dire meilleur. Si ça se trouve, Marvin Bagley ou Trae Young finiront par être de bien meilleurs joueurs que ne le sera jamais Doncic, mais la probabilité que le slovène se rétame complètement est quand même proche du zéro là où ses camarades possèdent un risque plus élevé de manger la poussière. Plus encore, ce n’est pas le haut plancher de Doncic qui constitue son plus grand attrait, mais bien son plafond vertigineux. Dans une ligue où la création individuelle, le shoot lointain, l’intelligence de jeu et la polyvalence défensive dictent leur loi, le Wonderboy coche toutes les cases comme très peu de prospects avant lui n’ont su le faire.
*****
Les foulées s’accélèrent, s’agrandissent et gagnent en intensité, encore et toujours. De manière étonnante, ses jambes frêles résistent aux lois de la physique, et il parvient à rester en équilibre malgré cette vitesse démente et toujours plus grande. En bout de course, Luka pose son dernier appui et tente d’orienter son corps de manière à emmener avec lui le plus d’énergie possible qu’il a réussi à emmagasiner durant ce sprint effréné.
La course d’élan fut incroyable. Voici venu le grand saut tant attendu.
C’est l’heure de vérité.
Guillaume (@GuillaumeBInfos)
Super portrait et belle analyse. Il sera à coup sûr un bon joueur NBA mais le talent n'a jamais suffit, il faut le contexte et les opportunités. Et Dallas pour ça c'est probablement le bon endroit.
I see you Doncic !