Entretien exclusif avec Benjamin Chevillon, le 2ème français aux Bulls
Après avoir couvert les Jeux Paralympiques de Londres, Basket-infos vous propose de découvrir la belle histoire de Benjamin Chevillon, qui a rejoint la ville de Chicago pour porter le célèbre maillot des Bulls. Lors de sa saison rookie, Benjamin animera une toute nouvelle rubrique sur Basket-infos, « En direct de Chicago »,et nous fera vivre sa belle aventure américaine.
Bonjour Benjamin, pour commencer pourrais-tu nous expliquer tes premiers pas dans le basket fauteuil et ton parcours basket ?
Bonjour à tous. J’ai commencé le basket fauteuil à l’âge de 17 ans, par hasard. Je cherchais à l’époque à faire du sport, et, forcément, je cherchais un sport adapté. J’étais plus attiré par le tennis ou le handball, mais aucune section adaptée n’existait à l’époque sur Dijon. Ma mère m’a alors dit qu’il y avait la section basket fauteuil de la JDA qui s’entraînait à 100 mètres de chez nous. J’y suis donc allé faire un tour un soir d’entrainement. Le staff m’a alors prêté un fauteuil et j’ai comme on dit, attrapé le virus. Pendant un an j’ai appris les bases du fauteuil avec Isabelle Hilt, qui m’a transmis son savoir en termes de passes, de maniement de fauteuil, de dribbles, de shoot, etc … Bref pendant un an je me suis entraîné seul avec Isabelle, à côté de l’entrainement des autres joueurs.
Au bout d’un an, j’ai plongé dans le grand bain. Premier match, en première division, contre Toulouse, une équipe du top 3 français ! Donc un match très, très compliqué. J’étais complètement perdu ! C’était horrible, un grand moment de solitude ! Mais un grand moment de bonheur pour mon adversaire direct !
La saison 2006-2007 fut très dure, beaucoup de contres performances, la démobilisation des joueurs, et du coup, la descente. Pour reconstruire sur de bonnes bases la JDA a décidé de faire descendre l’équipe en Nationale 2, soit la 4 ème division française (derrière la N 1A, la N 1B, et la N 1C).
Nous sommes donc descendus, ce qui était plutôt bien, du moins pour moi, cela m’a permis d’apprendre et de consolider mon jeu pendant 3 ans environs.
Arrive donc la saison 2009 – 2010, le challenge Lille Université Club, le champion de France de 2ème division, promu en 1ère. L’entraineur Arnaud Faupin, que je connaissais m’a proposé de faire partie de l’équipe pour leur prochaine saison. Après un test passé lors d’un tournoi à Annecy, il a confirmé son intérêt. Etant étudiant en STAPS, et ayant de la famille à Lille, je n’ai pas réfléchis bien longtemps. Cette saison là fut certainement la plus aboutie car j’ai joué en 1 ère division, joué en Coupe d’Europe, coupe de France, j’ai été vice champion de France avec l’équipe réserve du L.U.C. et vice champion de France avec l’équipe régionale du Nord Pas de Calais.
En fin d’études, j’ai eu un projet professionnel, grâce à deux hommes, Mrs Christophe Bordat et Laurent Nicolle, qui m’ait venu. J’ai rencontré ces messieurs lors d’un tournoi en juin 2010. Ils étaient responsables d’un complexe de Sports Indoor à Lille, dénommé FOOTSAL. Devant le succès de ce nouveau concept, et au bout de plusieurs rendez-vous, ils m’ont proposé de reprendre une franchise FOOTSAL, basée à Arras. J’ai accepté ce projet et je suis donc gérant de cette entreprise depuis septembre 2011.
J’ai donc du mettre un petit coup de freins au basket pour peaufiner ce projet, finir mes études, et rentrer dans la vie active. J’ai donc fait le choix de jouer en Nationale 2, à Villeneuve d’Ascq d’abord, puis à Cambrai pour la saison 2011-2012 qui avait un objectif: monter en 1C. L’objectif a été atteint et le club est monté en division supérieure, une première pour une section crée il y a quelques années.
Et puis, il y a eu l’équipe de France !
Oui ! De superbes expériences, gravées à jamais. Lors de la saison 2005 – 2006, j’ai été approché par le sélectionneur de l’Equipe de France Espoirs, Bernard Ganser, qui m’a dit que j’allais être bientôt appelé en stage de détection. La convocation est arrivée en janvier 2007, pour effectuer donc un stage de détection, en février. A partir de ce moment là je n’ai jamais quitté le cercle « Club France » jusqu’en novembre 2010.
Après plusieurs stages, le staff m’a confié le rôle de capitaine avant de partir au Championnat d’Europe Espoirs en Turquie, en juin 2008. Premières sélections, premier capitana, première marseillaise, bref autant vous dire qu’à 19 ans, on fait pas le fier et le malin … Ensuite il y a eu le Championnat du Monde en juin 2009, à Paris. L’occasion de voir la aussi la Dream Team américaine, championne du monde, et très impressionnante. Et c’est là que j’ai rencontré Daniel Ferreira, le coach des Bulls.
J’ai également fêté mes premières sélections en Equipe de France A lors d’un tournoi amical en Afrique du Sud en novembre 2010. Ensuite j’ai parlé de mon projet professionnel au sélectionneur, en lui disant que le basket fauteuil n’était peut-être plus une priorité. Il a compris et respecté ma décision, en me remerciant de ma franchise.
Mais toutes les expériences, que se soient stages, tournois, etc … resteront à jamais gravées, j’ai d’ailleurs pris ma veste France à Chicago pour me souvenir à qui je devais aussi la rencontre avec Daniel Ferreira.
Tu as connu une ascension fulgurante, quelle est la clé de ta réussite ?
Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour parler de ma « réussite ». Mais je me suis toujours efforcé (surtout grâce à mon entourage, ma famille, mes amis) de garder la tête froide, de prendre tous ces événements comme ils venaient, sans me prendre la tête, sans trop y réfléchir. Même aujourd’hui, j’évite de revenir dessus. Je ferais le point quand je prendrais ma retraite, pour peut-être me dire « ah ouais, quand même, tout ça ». Mais la je profite à fond. Sûrement aussi parce que le handicap m’a montré que la vie était trop courte pour être gâchée, qu’il fallait profiter de chaque instant, et forcer un peu la chance de temps en temps.
Cet été, Basket-infos a relaté les Jeux Paralympiques de Londres, qui ont été un succès en Grande Bretagne, mais restent très peu médiatisés en France. Pour toi, quelle serait la solution ?
Oui j’ai lu ça. Très bonne initiative, on ne peut que s’en réjouir. Car oui, en France le handisport manque cruellement de visibilité. C’est en train de changer, heureusement, les médias commencent, petit à petit, à en parler. Mais quand je vois qu’il y a six ans on était au même niveau que l’Angleterre et que leurs athlètes handisports ont fait la une des journaux et sont de véritables stars là bas (les JO n’expliquent pas tout), je me dis qu’il y a encore beaucoup de travail. Je prends souvent l’exemple du football féminin, l’élément déclencheur à été la coupe du monde 2011. Les médias en ont beaucoup parlé, et ont emboité le pas. Le football féminin et désormais de plus en plus populaire, et c’est grâce aux médias. Le handisport commence à se médiatiser, mais c’est encore trop embryonnaire, et je remercie les médias qui en ont parlé, et qui compte le faire, on ne peut qu’applaudir, et se réjouir de ce genre d’initiatives. Car au final, les sacrifices sont les même au haut niveau, que l’on soit handicapé, ou non.
Un petit mot sur le parcours de l’équipe de France Féminine aux Jeux Paralympiques.
Nous savions que le tournoi paralympique allait être difficile. Les filles le savaient également. Je les connais quasiment toutes et je ne peux que les féliciter pour leur qualification, qui là était une surprise. Ce sont des moments uniques dans la carrière de sportif/ve, qui n’arriveront peut-être qu’une fois. J’espère qu’elles ont prit beaucoup de plaisir, mais de ce point de vue là je ne me fais pas de soucis.
Le basket fauteuil nécessite un matériel spécifique, qui finance tous ces équipements ?
Oui absolument. Chaque « handisport » requiert sont fauteuil adapté, à ses mesures. Le fauteuil de basket coûte lui, entre 4 000 et 6 000 euros, selon le matériaux que l’on choisit (titane ou aluminium). Mon premier fauteuil de basket a été financé par la région Bourgogne. Mon deuxième a été financé par le sponsor de l’Equipe de France (un peu comme de la dotation). Mon troisième à lui été financé par la Société Générale, je fus à cette époque le premier handi basketteur français a être sponsorisé par un établissement bancaire. Et mon quatrième (celui que j’utilise depuis juin 2011) m’a été « offert » par une nouvelle marque de fauteuils de basket, « PERFORMAX », jeune marque américaine qui s’est attaquée au marché européen et qui d’années en années s’est fait un nom dans ce milieu pour être aujourd’hui une des références en matière de fauteuils de baskets, et de vie (fauteuils que l’on utilise dans notre quotidien).
Tu es très impliqué dans la défense des intérêts des personnes handicapées. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton engagement ?
Je ne veux pas être un « porte drapeau », mais simplement agir en tant que témoin. Donc oui je suis très engagé, dans de nombreuses associations (notamment « BatumMama, association de Nicolas Batum et sa famille, ainsi que « CharlotteBilou », association d’une jeune basketteuse atteinte d’une terrible maladie qui a eu raison d’elle récemment, Nando de Colo en est le parrain). En plus des associations, je m’efforce de véhiculer une image positive du handicap. Pour sortir des préjugés et des clivages montrant des personnes handicapés seules, abandonnées, incapables d’avoir des projets. Avec la Société Générale j’ai fait pas mal de meetings, avec les clubs de basket, nous nous déplaçons souvent dans les centres hospitaliers, afin de montrer que le handicap n’est pas une fin en soi. C’est ce qui m’a permis de me « surpasser », d’aller au delà du handicap. Rendre l’ascenseur et être à mon tour un relais pour promouvoir le handisport ne me dérange absolument pas, c’est un devoir.
Tu vas devenir le 2e joueur français, après Joakim Noah, à porter le maillot des Bulls. Racontes-nous cette belle histoire ?
Oui ! Et je ne réalise pas, et je ne préfère pas ! En janvier 2012, une connaissance, que j’avais rencontré 3 ans auparavant (au championnat du monde), qui se nomme Daniel Ferreira, et qui est coach des Chicago Wheelchair Bulls, section basket fauteuil de la célèbrissime franchise, vient prendre de mes nouvelles. Il me dit que pour la saison 2012 – 2013 ils allaient joué en NWBA (National Wheelchair Basketball Association), car les finances de la section étaient bonnes, et que la franchise « pro » leur avait donné les moyens de monter dans l’élite. Ils cherchaient donc des joueurs. Connaissant mon style de jeu, Daniel m’a proposé de venir passer une semaine de tests en vue d’être recruté, ou pas.
Je me suis donc envolé pour Chicago du 21 au 28 mars dernier. Au programme, séances physiques, de shoots, de passes, de dribbles, bref la totale, pour finir sur deux matchs amicaux. Ils ne m’ont rien dit avant que je parte donc j’étais dans l’interrogation la plus totale. Ils m’ont juste dit, « ça s’est bien passé, on te recontacte », keep in touch comme ils disent ici. Mais deux semaines plus tard, la réponse arriva dans ma boîte mails. Les Bulls confirmaient leur intérêt. Donc les mois qui ont suivi l’annonce, le déménagement et l’expatriation étaient les priorités. J’ai donc fait mon Visa (qui est valable 10 ans!), j’ai choisi l’appartement, réglé tous les détails administratifs, … Et le 17 septembre dernier, je me suis envolé pour Chicago.
Un rêve de gamin qui se réalise alors ! Comment as-tu réagi après cette excellente nouvelle ?
Au moment précis où j’ai reçu le mail, je l’ai relu 3 fois, et utiliser un traducteur (j’ai même eu peur de l’ouvrir !!). Tous les sentiments sont arrivés d’un coup, en l’espace de 10 secondes : joie, bonheur, fierté, mais aussi inquiétude, stress, concernant mon départ, mon entreprise, etc … J’ai appelé mes parents, dans les minutes qui ont suivi. Bon avec les tests on avait plus ou moins envisagé le départ aux US. Mais là, ils étaient vraiment contents pour moi, c’était désormais « officiel », mon père a lâché un « waou… bien mon fils », même pour FOOTSAL il n’avait pas réagi comme ça. Ma mère était super contente, mais, restant dans son rôle de mère, m’a posé des milliards de questions, auxquelles je n’avais évidement aucune réponse. Mon associé m’a tout de suite dit, tu es fou, pourquoi tu te poses la question, tu pars un point c’est tout, ne t’inquiètes pas pour FOOTSAL. Ce qui m’a fait descendre de mon nuage, c’est quand j’ai appelé ma grand mère qui m’a posé LA question qui tue: « C’est quoi ça les Bulls ? »…
Sportivement, quel sera ton objectif cette saison ?
Je veux déjà profiter de cette expérience au maximum. N’avoir aucun regret quand je rentrerai en France, car il sera trop tard. Aller le plus loin possible avec les Bulls, tout en prenant du plaisir sur et en dehors du terrain, c’est la clef de la réussite. Ensuite oui secrètement on a toujours des petits objectifs, ou des rêves, moi si je pouvais accrocher le All Star Game (qui se déroulera à Houston également en lever de rideau des valides), là ce serait, wow, LE premier français à le faire et le sentiment qu’on respecte notre travail et que les professionnels du milieu reconnaissent nos efforts, notre niveau, etc… Mais il y a beaucoup, beaucoup de travail, perdre du poids déjà car la vie d’entrepreneur ne fait pas maigrir !! Ensuite avoir plus de maturité dans mon jeu car le poste de meneur n’offre aucun cadeau. Le travail a commencé dès mon arrivée et les résultats se font ressentir de semaines en semaines, ce qui est plus que motivant. Verdict lors de la reprise officielle, le 3 novembre.
Pour terminer, cette année, Basket-infos aura l’honneur de te suivre régulièrement lors de cette belle aventure que tu vas vivre à Chicago, sous forme d’un carnet de route intitulé « En direct de Chicago ». Comment as-tu réagi lorsque je t’ai proposé cette collaboration ?
Tout d’abord un grand merci a Basket-infos pour son initiative ! Comme je l’ai dit on ne peut que s’en réjouir. Je ne recherche absolument pas la gloire personnelle ? Mais juste que le handisport (et le handibasket car c’est ma spécialité) soient plus connus et reconnus. Donc bravo et encore merci à Basket-infos. J’espère que cette rubrique vous permettra d’avoir un autre regard sur le handisport, mais aussi sur notre vie de tout les jours, qui certes malgré les obstacles qui se présentent, nous empêchent pas de vivre. Merci en tout cas aux lecteurs qui s’intéresseront de près ou de loin à ma petite aventure !
Un dernier mot peut-être ?
Let’s go Bulls !
Propos recueillis par Patrick Parizot, pour Basket-infos
Merci à Benjamin et Patrick pour cette interview et cette chronique à venir. Vraiment très intéressant. Je pense que je ne suis pas le seul mais j'avoue que je ne savais pas qu'il existait une telle ligue aux USA!
Excellent !!! hate de lire le prochain opus :D
Superbe itw ! Hate egalemen d'avoir des news de Benjamin ! Eh puis c'est les Bulls quoi ! Félicitation !
Tu nous prendra des photos Benjamin, hein? :D
Troisième français à jouer aux Bulls et non pas deuxième : l'internationale tricolore de handibasket Maïté MATHIAS a fréquenté la grande équipe de Chicago il y a quelques années aussi !
Je peux vous confirmer que Benjamin prendra des photos qu'il vous fera partager avec plaisir !