Roselyne 4 commissioner [partie 1]
Il est 9 h 30 à New Rochelle, banlieue nord de Manhattan. Il fait beau quoiqu’un peu frais, le printemps tardant à venir. Mike se lève, la bouche enfarinée, une haleine de bobcat, voire même de grizzli, la moustache hirsute. La nuit dernière il est allé au pub du coin et il a descendu des montagnes de cannettes, histoire d’oublier. Et puis Mike a commencé à être salement bourré, à emmerder les autres clients du bar qui d’ailleurs le lui rendaient bien : « T’es qu’un gros naze ! A cause de toi ils feront même pas les play-offs !… » Sympa, le patron n’a pas appelé les flics mais une vague connaissance, Anthony M., ancien basketteur pro devenu videur occasionnel pour boucler ses fins de mois. Comme tant d’autres, Anthony a tout claqué : les casinos, un yacht, des bagnoles, des toquantes, trois mariages, dix-sept pensions alimentaires… Il a d’autant plus de mal à retrouver une vie normale qu’il est légèrement tendu et violent comme garçon, alors ce soir Mike se fait rectifier le portrait gentiment par une ancienne gloire devenue vigile d’un rade glauque de New Rochelle.
Comment est-il rentré chez lui ? Aucune idée. De toute façon peu importe puisqu’il n’y avait personne pour l’attendre. Sa femme s’est barrée la semaine dernière. Le monde moderne n’aime pas les loosers. Les femmes encore moins. Alors Mike sort de sa chambre, rentre dans la cuisine, se poste devant le frigo, colle sa main gauche dans son calbute histoire de vérifier que tout est en place, car il a les boules Mike, et de la main droite prend un steak qu’il se colle sur le gros coquard qu’il arbore à l’œil gauche. Puis il prend une bière. Rien de mieux qu’une bonne Bud pour bien démarrer la journée. Les Wheaties ? Ce sont les céréales des champions. Mais Mike c’est un blaireau. Il s’est fait lourder comme un malpropre. Y a une semaine il était head-coach d’un prétendant au titre. Maintenant, il n’est plus rien. Alors il reprend une deuxième bière, histoire de faire disparaitre le mal de crâne.
Mike s’en va dans son salon, s’assoit dans un vieux fauteuil, celui dans lequel son grand-père puis son père passaient des heures à lire leur journal en mâchouillant des caramels. De son fauteuil, Mike, clope au bec et troisième cannette, contemple ses reliques : des maillots, des coupes, des médailles, toute une ribambelle des trophées glanés au fur et à mesure d’une longue et belle carrière commencée bien loin de New Rochelle, sur la terre de ses ancêtres, en Italie. Mais ça c’était dans les années 80, un autre temps, une autre vie… A l’époque c’était les joies simples du jeu, la camaraderie entre équipiers, les victoires fêtées à coup de pizzas, de spaghettis et de chianti. Milan, Trévise, Berlusconi et la Cicciolina, la dolce vita quoi ! Mike repense à tout cela et il pleure. Puis son esprit vagabond reprend le dessus et l’amène en plein désert, en Arizona, là où il gagne ses plus nobles galons, devenant même entraîneur de l’année. Et puis au bout du compte, immanquablement, comme la veille et comme probablement dans les six mois à venir, le Madison Square Garden lui revient en pleine figure. Ce devait être son Panthéon, son Acropole, l’un des plus grands temples sportifs au monde… cela ne sera qu’un minable camouflet infligé par une bande de petits cons.
Au début de la saison, il avait tout pour gagner le Mike. Il en avait d’ailleurs rajouté un max, laissant entendre aux fans que Tyson C. était le nouveau Godzilla des raquettes. Difficile pari à tenir, d’autant plus que les supporters rêvent encore du grand Patrick E… D’ailleurs, demain c’est la Saint-Patrick alors Mike se lève pour aller chercher une brune irlandaise, histoire de continuer à se faire du mauvais sang : « Mais qu’est-ce qui n’a pas marché ? Où a été l’erreur ? ». Mike avait pourtant ramené son joueur fétiche du désert, Amar’e S., un nom qui en impose, des bras longs comme une autoroute, un torse vaste comme les Appalaches, 20 pions – 10 rebonds garantis par match. Première erreur de casting : Amar’e est à la défense ce que la ligne Maginot est à la France en 1940 : une gigantesque illusion. Lorsqu’il s’en rend compte, Mike se dit que ce n’est pas grave car il vient de récupérer un type de retour dans son bled natal après être parti, comme tant d’autres, chercher des pépites dans les Rocheuses, tout là-bas dans le Colorado. Comme c’est le pays de la Coors, il s’en ouvre une le Mike, parce que les souvenirs ça lui donnent soif.
A Suivre, demain…
Japhy Rider
LooooL!