The Words Heard ’round the World
Il y a 14 ans, Allan Houston rentrait un shoot au buzzer du dernier match du premier tour entre les Knicks, huitièmes, et le Heat, premier. Ce tir entra dans la légende comme le « Shot Heard ’round the World », une strophe d’un poème d’Emerson, alors utilisée pour qualifier le coup de feu qui lança la guerre d’indépendance. A son tour, Jason Collins vient de lancer une révolution en plein premier tour des Playoffs. Mais cela est-il également synonyme de victoire ?
Car oui, Jason Collins a annoncé au monde entier qu’il était gay, devenant par la même occasion le premier sportif professionnel américain à faire une telle déclaration. Contrairement à John Amaechi, qui avait choisi de faire son coming-out après sa carrière, Collins se dévoile alors qu’il est encore en activité. Surtout, contrairement à John Amaechi, Jason Collins n’est pas seul. Là où l’ancien pivot du CSP Limoges doit affronter le poids de sa révélation seul, l’actuel pivot des Wizards voit les messages de soutien abonder, de la part de joueurs reconnus, de la NBA elle-même, et du public, son nombre de followers sur twitter augmentant de près de 2000 % en une demie-journée.
Une telle vague de soutien est inédite en NBA. Lorsque Magic Johnson avait annoncé sa séropositivité -VIH, SIDA et homosexualité étaient alors intimement liés dans l’inconscient collectif- plusieurs joueurs dont Karl Malone refusèrent de jouer contre lui. Le fait que Magic soit une superstar, et que bien que porteur du virus il ne soit pas atteint du SIDA, lui permit de conserver une certaine aura dans le monde du Basket. Un joueur du calibre de Jason Collins aurait-il reçu un traitement similaire ? Il est permis d’en douter.
Quinze ans plus tard, en 2007, John Amaechi annonce son homosexualité. Il ne joue plus en NBA depuis quatre ans, mais reconnaît que certaines des personnes avec qui il travaillait à l’époque étaient au courant de son orientation sexuelle. Il affirme même que Jerry Sloan, alors son coach à Utah, a réduit son temps de jeu quand il a eu vent de la nouvelle. A la lecture du coming-out d’Amaechi, Tim Hardaway déclare qu’il «n’aime pas les gays, et être en présence de gays. Je suis homophobe. Je n’aime pas ça. Ca ne devrait pas exister, que ce soit aux Etats-Unis ou dans le Monde entier. »
Cette semaine, le monde du Basket a majoritairement salué les déclarations de Jason Collins. Comment en l’espace de cinq ans a-t-on pu connaître un tel revirement de situation ? Tout d’abord, il faut noter que quelques semaines après ses propos, Tim Hardaway était revenu sur ceux-ci en s’excusant -de façon assez peu crédible, certes. Mais l’enseignement majeur qu’on a pu tirer du coming-out d’Amaechi est le suivant : le sport peut devenir un vecteur de débat sur l’acceptation de l’homosexualité.
En effet, le sportif de haut niveau renvoie une certaine image, celle de la virilité et surtout de la masculinité, en particulier dans un sport comme le Basket où la dimension physique et la force physique sont des paramètres d’une importance capitale. Un imaginaire que l’on associe rarement à celui de la communauté gay et du mouvement LGBT. De ce fait, l’homosexualité dans le sport masculin est un sujet qui s’il n’est pas tabou, est souvent contourné. Certains avancent souvent le fait qu’en sachant qu’un de leurs coéquipiers est gay, ils ne pourraient se doucher sereinement. Seraient-ils plus rassurés en présence d’un déglingo comme Delonte West ?
A l’inverse, l’homosexualité dans le sport professionnel féminin est plus facilement discutée, voire assimilée. Contrairement à son homologue masculin, la sportive de haut niveau n’est pas associée à un imaginaire de féminité. La sportive professionnelle n’est pas un idéal féminin alors que le sportif professionnel est lui un idéal masculin. De ce fait, l’homosexualité dans le milieu est un sujet considéré bien moins dérangeant, et de nombreuses figures du sport féminin ont ouvertement reconnu être lesbiennes.
Brittney Griner, a ainsi fait son coming out il y a deux semaines, ce qui ne l’a pas empêchée d’être retenue au premier choix de la draft WNBA, ni de signer avec Nike. A noter que Griner n’a que 22 ans, et qu’elle n’a jamais cherché à cacher son homosexualité, preuve s’il en est que la question est bien moins polémique dans le sport féminin. Dans le sport masculin, l’exemple récent du Secret Footballer a démontré qu’être ouvertement homosexuel est une situation à risque au sein du milieu. Avant les déclarations de Collins, peu de sportifs avaient exprimé publiquement leur sympathie vis à vis de la communauté homosexuelle.
Comme l’annonce Collins dans les premières lignes de son témoignage accordé à Sports Illustrated, il a 34 ans, il est noir et il est gay. Si le fait d’être noir n’est plus un handicap dans la quête d’un contrat NBA depuis longtemps, avoir 34 ans est loin d’être un avantage, et pour le moment, il est impossible de savoir si être gay peut s’avérer pénalisant ou non. C’est là toute l’ambiguïté de la déclaration de Jason Collins.
En effet, le fait de faire son coming-out est une décision à double tranchant. Jason Collins vient de terminer son contrat avec les Wizards, et on sait que pour un pivot de 34 ans qui joue peu depuis plusieurs années, trouver une nouvelle équipe n’est pas chose aisée. En avouant au monde entier qu’il était gay, Jason Collins s’est-il infligé un nouveau handicap ? Peu de franchises osent prendre des positions extra-sportives (on peut tout de même citer les Suns) et le fait d’engager le premier sportif américain ouvertement gay est une décision extra-sportive.
Par conséquent, si Jason Collins ne signe pas de nouveau contrat, on soulignera davantage le fait qu’aucune franchise n’a souhaité engager un basketteur gay plutôt que le fait qu’un pivot de 34 ans avec des mains carrées ne présente pas un grand intérêt sportif. Et si Jason Collins ne signe pas de nouveau contrat, les autres sportifs homosexuels seront davantage inquiets à l’idée de sortir du placard à leur tour. Un joueur NFL avait déclaré il y a quelques temps que la NBA comptait de nombreux joueurs homos, et notamment un franchise player. Voyant Collins sans contrat, celui-ci pourrait-il faire son coming-out, au risque de voir lui aussi ses contrats publicitaires disparaître ?
Il est encore trop tôt pour statuer sur l’importance des déclarations de Jason Collins. La suite de sa carrière et du débat sur l’homosexualité dans le sport masculin lui donnera raison ou tort d’avoir souhaité s’exprimer publiquement sur son orientation sexuelle. Quand le Canada a dépénalisé l’homosexualité en 1960, Pierre Elliott Trudeau, alors ministre de la Justice, déclara que « L’Etat n’a pas à s’immiscer dans la chambre à coucher des citoyens. » Jason Collins a lui décidé d’inclure sa sexualité dans sa vie publique et professionnelle. Il ne souhaitait pas le faire, mais il en a ressenti le besoin, pas forcément pour lui, mais pour les autres. L’avenir nous dira s’il a eu raison ou tort, mais avoir tenté un tel pari force le respect. Et puis si jamais Jason Collins veut se marier avec un joueur de Pro A, il a le droit depuis une semaine.
« Je n’ai pas l’ambition d’être le premier athlète gay à jouer dans un sport majeur américain, mais je suis content de lancer le débat. J’aurais préféré ne pas être le premier enfant dans la classe à lever la main et dire « je suis différent ». Si ça ne tenait qu’à moi quelqu’un l’aurait déjà fait. Personne ne l’a fait, donc je lève ma main. »
Jason Collins