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Le projet Nowitzki

Oui, on connaît bien Dirk, ses exploits, son adresse, son shoot sur un pied si difficile à défendre et quasiment incontrôlable et sa régularité ahurissante aux lancers-francs. Mais comment un joueur si technique, si efficace a-t-il pu jaillir d’un pays si peu tourné vers le basket? La réponse est à la fois fascinante et susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons pour la formation des potentiels détectés tôt.

Dirk Nowitzki est né dans une famille de sportifs. Son père, handballeur de classe mondiale, et sa mère, ancienne joueuse professionnelle de basketball ayant notamment évolué dans l’équipe nationale allemande, ont donné naissance à une fille, Silke, qui a joué en première division allemande. Le grand Dirk est donc prédestiné au sport. Il s’exerce d’abord au handball, dans lequel il se montre efficace, mais se trouve surtout un véritable amour pour… le tennis. Nowitzki, étonnamment coordonné pour un joueur de son gabarit, s’éclate et domine ses adversaires (il gagnera même un tournoi junior). Mais rapidement une sorte de malaise s’installe autour de sa taille, et il est régulièrement qualifié de « monstre » par des adversaires mesurant tous une tête de moins. Alors qu’il avait jusque là considéré ce sport comme une discipline pour fille (pas illogique puisque sa sœur et sa mère y jouaient), il se tourne finalement, à l’âge de 13 ans, vers la balle orange.

Le résultat est immédiat. Sa taille, autrefois embarrassante, devient soudainement un atout de poids servi par sa coordination innée, sans doute accentuée par la pratique du tennis et du handball. Jürgen Meng, l’entraîneur du DJK Wurzburg, est le premier à avoir entraîné le grand Dirk. Contrairement à beaucoup d’européens, Nowitzki a été directement formé au poste intérieur, tant il était évident que sa morphologie allait lui permettre d’y évoluer dans le futur. Nowitzki fait ainsi ses premiers pas dans le monde de la balle orange.

Le véritable élément déclencheur de la progression de Nowitzki se produit un peu plus de deux ans plus tard, en 1994. Holger Geschwindner, un ancien joueur de l’équipe nationale allemande dont la légende prétend qu’il aurait été initié au basketball par un soldat américain, rencontre le jeune homme au moment même où il cherche à expérimenter ses idées novatrices sur le coaching. A la vue de Nowitzki, il comprend qu’il vient de trouver le prospect parfait pour tester sa méthode, et que ce joueur sera un futur grand.

Un jour de 1994, j’ai vu un garçon qui faisait par instinct tout ce qu’il fallait sans qu’on lui ait appris. J’étais fasciné.

 

Bien décidé à tout mettre en oeuvre pour devenir le coach personnel de Nowitzki, Geschwindner parvient à convaincre ses parents de le laisser l’entraîner. Commence alors une formation extraordinaire.

Car Geschwindner ne va pas se contenter de faire travailler son shoot et ses dribbles au jeune allemand. Il va même user de méthodes très peu orthodoxes pour faire progresser son protégé. Le saxophone d’abord. Oui, vous avez bien lu. Considérant que la notion de rythme est essentielle dans le jeu, et que tout joueur doit y être éduquer, Geschwindner va faire apprendre le saxophone à Nowitzki. Il donne également énormément de lecture à Nowitzki, pour enrichir son vocabulaire et lui permettre d’exposer clairement les situations et les problèmes qu’il rencontrera dans sa future carrière. Pour prévenir les blessures au dos très courantes chez les basketteurs, « Hodge », comme l’appelle le jeune joueur, demande à son protégé de traîner un bateau de façon à renforcer ses épaules et ses muscles dorsaux. La partie la plus célèbre du travail d’Hodge et Nowitzki est sans doute la pratique intensive de la danse, et du jazz en particulier exploré sous forme de gymnastique pour renforcer l’équilibre et le déplacement dans l’espace. On ne peut s’empêcher de trouver une certaine logique à l’incroyable stabilité du shoot sur un pied de Dirk Nowitzki au regard de ce dernier élément.

La récompense de toutes ses heures investies dans le basket est à la hauteur du talent de Nowitzki. Celui-ci archi-domine en Allemagne, et clôt sa page DJK Wurzburg sur une saison à 28 points par match qui envoie son club de toujours en première division allemande. Nowitzki se rend ensuite au Nike Hoops Heroes Tour où il éclabousse de sa classe (et dunk sur)  un Charles Barkley qui se dira par la suite prêt à l’aider pour rentrer en NBA. Finalement, Nowitzki n’aura même pas besoin de l’appui du « Sir » et sera drafté en 1998 par les Bucks avant d’être envoyé à Dallas contre Robert Traylor. Comme disent les américains « The rest is history… ».

Alors, puisque la formation du talent Nowitzki a si bien fonctionné, peut-on penser à l’étendre à d’autres jeunes? Pas si évident. D’abord Nowitzki a été découvert et entraîné relativement tôt. Sa carrure ne laissait aucun doute quant à la nature du poste qu’il occuperait plus tard, ce qui a permis à son mentor et grand ami Geschwindner de se focaliser sur les qualités du joueur intérieur et de prévoir un entraînement adapté à ce type de jeu. Ensuite, le système scolaire allemand qui permet à beaucoup de jeunes de disposer de l’intégralité de leurs après-midi a sans doute grandement aidé Geschwindner à construire un programme quotidien et équilibré permettant un travail de fond sans tirer trop sur le physique de son poulain. Evidemment il est également difficile de trouver un entraîneur dédié à un joueur comme le fut Geschwindner à Nowitzki. Ce type de formation n’est donc possible que dans le cas très particuliers de joueurs possédant des dispositions naturelles énormes rencontrant des passionnés absolus. Peu reconductible en somme. Pour autant, certains éléments de la méthode Geschwindner paraissent tout à fait intégrable dans des programmes d’apprentissage un peu plus poussés comme ceux disposés en centre de formation et à l’INSEP. En attendant de voir des évolutions issues de cette méthode se mettre en place en France, on peut toujours se régaler en regardant Nowitzki dominer son vis-à-vis match après match, soir après soir. Et partir à la conquête d’une seconde bague pour valider un peu plus sa place dans la légende.

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