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Tous les grands n’ont pas la passion du basket

Je comprends tout à fait ceux qui considéreront pour toujours (ou pour encore un certain temps) Andrew Bynum comme un gâchis monumental, un gamin immature et incapable de comprendre ce que l’on attend de lui. Mais son exemple doit servir à faire comprendre qu’il est parfois plus intelligent de s’offrir un joueur un peu moins talentueux et plus volontaire qu’un grand avec du basket plein les mains et jouant sans passion. Bynum n’est pas le premier fautif dans cette affaire. Qui aurait refusé le chèque proposé par Cleveland? S’il s’est sans doute trompé sur le potentiel réel des Cavs et sa capacité à retrouver le plus haut niveau, il serait fortement réducteur de faire de lui le seul responsable. Et il serait insensé de ne pas chercher les potentielles implications du feuilleton Bynum.

Car c’est LA grosse nouvelle de la semaine en ce qui concerne l’actu NBA hors terrain. Andrew Bynum, le pari tenté (avec toutefois maintes précautions, preuve que la réputation du capricieux ex-pivot des Lakers est bien connue de l’ensemble des dirigeants de la ligue) par Cleveland durant l’été, va donc quitter l’équipe des Cavaliers suite à des problèmes d’attitudes. En cause, non pas une explosion de colère ou une grève temporaire, mais un comportement négatif récurrent, un lent désintérêt pour l’équipe et le collectif et une incapacité chronique à trouver sa place dans une franchise qui avait pourtant beaucoup d’arguments à faire valoir pour offrir à « Drew » un tremplin décisif dans sa carrière.

L’ambiance générale dans le vestiaire des Cavs semblait d’ailleurs peu indiqué pour susciter l’enthousiasme d’un joueur qui, après une saison blanche passée à décevoir les espoirs des quelques optimistes de Philadelphie, espérait renouer avec la passion du game et le plaisir du jeu, loin de la hargne de Kobe Bryant qui semblait parfois le lasser sans avoir de réelle prise sur lui.

Le plaisir justement, parlons en. Bynum, comme d’autres grands avant lui, est sans doute victime d’un élément extrêmement particulier et propre au basket: l’avantage naturel énorme des spécimens physiques dans le jeu. Cette partie du game est à double tranchant: alors que le spectateur lambda éprouve une passion sans borne devant les exploits d’Allen Iverson sous prétexte que ce dernier est un humain normalement proportionné au milieu des géants (auquel, soit dit en passant, il s’identifie malgré des qualités physiques exceptionnelles bien que moins criantes que celles de grands pivots de 2m15), le grand à l’ancienne constitue un bien à la fois rare, cher et pourtant bien moins excitant dans une ligue toujours plus portée sur le physique et qui n’hésite plus à faire s’éclater sur l’aile des joueurs de 2m10. Cette absence d’excitation est évidente mais presque indolore lorsque l’on se place du point de vue du spectateur. Elle devient déterminante lorsqu’elle touche le ressenti et la passion du joueur lui-même.

Pour les fans d’abord, le jeu intérieur est un jeu rude, fait de puissance physique et de coups rugueux. On apprécie les défenseurs acharnés qui font preuve de volonté et d’amour pour leur public, mais les fans ont beaucoup plus de mal à s’exclamer devant les moves d’Al Horford ou, plus loin dans le temps, de Kevin McHale que devant les exploits individuels de Stephen Curry ou Kevin Durant. Parce que le jeu des deux premiers est d’abord porté sur la finesse et les feintes plutôt que sur les gestes sauvages et spectaculaires que sont les dunks et les contres de haute volées, ils sont souvent sous-estimés au regard de la qualité du basket qu’il propose. Le fan moyen préférera aujourd’hui voir évoluer le long et puissant Andre Drummond au All-Star (8ème des votes au 27 décembre), plutôt que le technique intérieur de Charlotte Al Jefferson (qui n’apparaît même pas dans le top 10 des plus plébiscités à l’Est). Au demeurant, et même pour les joueurs comme Drummond, le jeu intérieur dans son essence, moins concentré en tirs impossibles et multipliant les gestes près du cercle, attire moins.

Pour les non initiés, un aperçu de la palette technique de Kevin McHale:

La NBA a même supprimé la catégorie « pivot » pour les votes du All-Star Game, tant cette rencontre, conçue pour offrir aux fans une affiche de rêve, n’est pas faite pour mettre en lumière un jeu moins flamboyant et pourtant tout aussi important.

Le joueur intérieur n’a ainsi pas le même sentiment de reconnaissance que certains de ses coéquipiers. Ceci est également exacerbé par le fait que certains grands sont incapables de prendre leur responsabilité en fin de match du fait d’une maladresse horripilante au lancer franc et d’un basket qui nécessite une mise en place tactique précise pour s’exécuter. Dwight Howard voulait ainsi quitter Orlando en partie pour avoir des responsabilités en fin de match, car le statut de franchise player s’associe normalement avec cette importance de la fin de match qui se refuse aux pivots.

On parle ici de jeu intérieur, mais le rôle aujourd’hui désigné par ce terme est en fait quasiment exclusivement celui de pivot, tant les postes 4 modernes type Chris Bosh ont tendance à aérer le jeu en possédant dribble et tir extérieur. Mais ce type de jeu s’appliquait autrefois à une catégorie plus large de postes, et les tendances qui aboutissent aujourd’hui, notamment le déplacement de certains très grands vers des postes extérieurs, prouvent que le jeu intérieur attire moins les jeunes dès le départ, et qu’ils préfèrent s’orienter sur les postes 3 et 4 desquels ils pourront dominer autant (selon leur ressenti, la réalité est différente) par leur technique que par leur physique. Magic Johnson, en menant le jeu du haut de ses 2 mètres, a sans doute commencé à placer cette tendance dans l’inconscient collectif: un joueur supposé surdimensionné pour un poste peut y réussir, et même dominé de par ses atouts physiques.

Est-il donc vraiment étonnant de constater que certains grands sont moins attirés par le basket que leurs coéquipiers, et du coup qu’il n’est pas forcément surprenant de constater qu’Andrew Bynum n’a plus autant envie de dédier sa vie au jeu que certains autres joueurs? Pas vraiment, mais il manque encore deux éléments pour mieux comprendre le phénomène.

Le premier est d’ordre psychologique et concerne la nature de la domination dans le jeu intérieur. Mettons-nous à la place d’Andrew Bynum. Pendant 2 ans, le gamin a marché sur la tête de ses adversaires, il a remporté plusieurs titres après avoir dû se faire sa place au soleil en Californie, et a fini par connaître le jouissif sentiment de la réussite difficilement acquise. Certains crachent sur une hygiène de vie imparfaite, une incapacité à trouver de la motivation malgré les millions reçus, mais la déprime de Bynum aux Cavs sonne en fait comme une piqûre de rappel à ceux qui auraient oublié les exigences de la vie de sportif de haut niveau. Il faut une véritable motivation pour enchaîner les heures et les heures de travail nécessaire à la domination. Certains trouvent cette détermination en s’inventant des adversaires (Michael Jordan), d’autres en prenant un plaisir fou sur le terrain de part ce qu’ils partagent avec leurs coéquipiers et leurs fans (Magic Johnson), d’autres s’éclatent simplement dans ce sport, parce que leur jeu lui-même est jouissif et certains visent carrément à entrer dans la légende et se donnent les moyens d’y arriver (Paul George semble bien être de ce bois là, LeBron aussi bien sûr). Mais pour un grand dont le jeu consiste match après match à coller des coups de coude pour se faire respecter, à finir sur des moves peu appréciés du public et qui ne montre pas toujours tout le travail de fond nécessaire pour atteindre la précision des appuis ou la technique demandée, qui est aussi peu aimé des fans qu’intéressé par la légende, l’argent devient seul motivation. Et visiblement, elle ne suffit pas, d’autant plus que Bynum, en tant qu’ancien joueur dominant, a sans aucun doute mesuré l’étendue du chemin restant à parcourir et les heures nécessaires pour retrouver le plus haut niveau, et se savait incapable d’un tel sacrifice sans un titre au bout du chemin ou un Kobe pour le pousser vers le haut.

Dernier élément et sans doute le plus important pour bien comprendre la profondeur du problème: le basket aime les grands. Alors même que leur jeu est moins susceptible de leur faire accrocher à ce sport, ils sont recherchés et scoutés à travers les US dès leur plus jeune âge, car on sait qu’il suffit d’un potentiel physique et d’une certaine abnégation pour faire un prospect, alors qu’il faut une passion bien plus poussée et une ambition quasiment débordante pour faire d’un arrière potentiel un joueur de calibre NBA. On trouve ainsi dans la grande ligue des anomalies, des joueurs qui n’ont pas une véritable passion pour le jeu mais qui, plus jeunes, ont eu l’opportunité de rentrer dans ce milieu pour échapper à des perspectives d’avenir souvent faibles. Bynum est un cas typique et surexposé, sans doute en partie parce que la hargne de Kobe l’a propulsé à un niveau qu’il n’aurait pas atteint par sa propre motivation, et qu’en quittant L.A la NBA a découvert un joueur fort mais pas franchement passionné. Le Shaq est sans doute un autre exemple criant. Si le « Big Cactus » comme on le surnommait à la fin de sa carrière avait un peu plus travaillé sur ses lancers francs, il aurait pu écrire l’histoire. A la place, le grand copain de Kobe s’est amusé tout au long de sa carrière et a empilé les titres tout en dominant comme peu avant lui, mais ne semblait pas avoir le goût du travail acharné, et ne paraissait pas obsédé à l’idée de marquer sa domination écrasante dans les livres d’histoire. Et pourtant…

Il faut donc sans doute se garder de jugements trop hâtifs sur le cas Bynum. L’essence même de notre sport fait que des situations un peu absurdes comme celle intervenue cette saison à Cleveland sont possibles. Et tant que les scouts NBA préféreront mettre l’accent sur le potentiel physique plutôt que sur la force de travail et la réelle motivation, des anomalies de ce type survivront. Après tout, le plus déterminé de tous, Michael Jordan, n’a jamais été qu’un numéro 3 de draft…

Et si jamais une équipe s’y intéresse…

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2 réflexions sur “Tous les grands n’ont pas la passion du basket

  • AlexLNBA

    Encore un article bien écrit, merci ;)

  • Chukapi

    C'est sur pivot c'est le poste le plus ingrat, tu t'en prends plein la gueule et t'as peu de reconnaissance… Pourtant c'est beau les post moves merde :)

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