[Interview croisée] Kevin Seraphin / Alexis Ajinça: réactions aux attentats de Paris
Les deux Français s’opposaient dimanche au Madison Square Garden – qui a honoré la France et ses victimes avec une minute de silence, la projection du drapeau français et La Marseillaise. Nous avons recueilli leurs réactions dans leur vestiaire respectif après le match, en compagnie de nos confrères hexagonaux expatriés.
Qu’est-ce qui se passe dans la tête quand on doit jouer un match de basket moins de 48h après les attentats de Paris ?
Alexis Ajinça : Ce n’est pas facile, mais bon, on n’a pas trop le choix. Chacun a son métier et on doit repartir dans notre vie de tous les jours, même si dans notre tête on pense toujours à ce qu’il s’est passé et aux gens qui sont là-bas. Vous y pensez toujours, dans un coin de votre esprit. Ce n’est pas facile.
Kevin Seraphin : J’ai beaucoup d’adrénaline en ce moment, par rapport à cela, donc ça a peut-être un peu joué sur le fait que j’ai eu une grosse performance (12 pts, 3 rbds, 2 passes et 1 int en 14 min). Je dois dire aussi que ces derniers temps je travaille beaucoup. Je ne vais pas mentir, j’étais arrivé aux Knicks en surpoids en fait… Une fois que j’ai commencé à jouer, j’étais complètement dans le basket. Je n’y pensais plus vraiment. Tu es dans une autre ambiance.
Même en voyant Alexis sur le parquet ?
K. S. : (Il hésite puis prend un ton taquin) Généralement, quand je vois un autre Français, tout ce que je pense c’est à lui botter le cul (rire contenu). Alexis c’est un « big man » en plus. On est tous des compétiteurs, on a tous envie de se botter le cul je pense. On veut tous gagner l’un contre l’autre, donc c’était ça mon état d’esprit.
« La Marseillaise m’a donné des frissons, j’avais les larmes qui venait » – Kevin Seraphin
« La signification était complètement différente d’avec l’équipe nationale » – Alexis Ajinça
Et d’entendre La Marseilaise avant le match ?
K. S. : J’avais des frissons. Honnêtement, j’étais marqué. J’ai chanté, j’avais les larmes aux yeux qui venaient. Mais il y avait la caméra, donc je me suis retenu. D’habitude, avec l’équipe de France, cela ne me fait pas comme ça.
A. A. : Ça fait du bien, C’est juste dommage de l’entendre parce qu’il y a eu plein de morts. Pour moi, La Marseillaise, c’est l’équipe nationale. C’est pour être prêt à aller à la guerre ou un truc comme cela. Là, ça a une signification complètement différente.
Comment avez-vous vécu les derniers jours ?
A. A. : Beaucoup d’internet, la télé aussi, CNN, tout ça. Pour voir ce qu’ils en disent. Comment cela s’est passé, le nombre de blessés. Avant le match il y a deux jours (quelques instants après avoir appris la nouvelle), j’ai essayé de savoir absolument si ma famille avait été touchée, les amis, tout ça. J’ai appelé à droite à gauche, tout le monde va bien (il avait cependant une cousine présente au Stade de France). C’est un soulagement pour moi, mais malheureusement il y a plein d’autres familles qui ont perdu pleins de proches.
K. S. : Tu réfléchis. Mon style de vie c’est de me dire que la vie est courte. Il y a beaucoup de choses que tu ne peux pas contrôler. Tu n’es pas sûr de vivre les dix prochaines minutes. Quand tu vois ces trucs-là, cela te rappelle à quel point tout peut basculer. J’ai regardé les infos, j’ai essayé de voir ce qu’il s’est passé, ça m’a fait un choc.
Vos coéquipiers et le staff sont venus vous en parler ?
A. A. : Oui, tous mes coéquipiers, les coaches, même 5 minutes avant le match. Ils savent que c’est un sujet sensible pour tout Français. Ils ont été assez compréhensifs sur tous ces points-là.
K. S. : Ces derniers jours, tout le monde m’en a parlé. Ils sont venus me demander ce qu’il s’est passé. Tout le monde aussi s’est un peu informé, c’est un événement qui a affecté le monde, donc tout le monde est au courant, ce n’est pas juste en France. Au début, il n’y a pas beaucoup de monde qui savait, c’est arrivé juste avant le match de vendredi soir. J’ai reçu plein de notifications sur Twitter en revenant aux vestiaires. J’ai des potes qui m’ont « texté » le live des infos. Le coach a fait son speech, et juste après j’ai continué à regarder, donc je n’étais pas dans le match… Heureusement que je n’ai pas joué en fait (vendredi). Je n’aurai pas été performant. Mon coach est celui qui est venu me voir, lui savait, les coéquipiers pas forcément. Il m’a un peu demandé et il m’a donné son soutien. Après le match de ce soir, tout le monde est venu me féliciter, en me disant que c’était un beau moyen de représenter Paris et la France.
« Il faut vivre sa vie » – Alexis Ajinça
« Il ne faut pas les laisser éteindre le pays » – Kevin Seraphin
Appréhendez-vous le retour sur Paris, à l’été notamment ?
A. A. : Honnêtement, oui. C’est normal, j’ai ma petite famille et malheureusement on ne sait jamais où cela peut arriver. Mais on est sain et sauf nulle part de toute façon. Aux Etats-Unis, on voit des gens qui pètent les plombs, qui vont dans les cinémas et font des fusillades, tout ça… Il faut vivre sa vie. Si je reviens vivre la fin de ma vie en France, ce n’est pas cela qui va m’en empêcher. Il faut prendre la vie comme elle est. (…)J’espère que l’on va pouvoir arrêter tous les gens qui ont fait ça. Pas que dans notre pays, les autres pays aussi. Puisqu’apparemment ils ont fait la même chose dans plusieurs pays, c’est le même groupe. Donc il va falloir que les autres Etats se mettent d’accord sur quelque chose.
K. S. : On m’a dit que c’est un peu désert en ce moment… Tu ne peux pas leur en vouloir. La dernière fois, c’était Charlie Hebdo, tu te dis qu’ils visaient quelque chose de précis. Là, ils ont pris tout le monde, je comprends que les gens flippent un peu. J’ai une maison là-bas (pas loin du Parc des Princes), et je vais faire attention, mais ce qu’ils veulent, c’est éteindre le pays et il ne faut pas les laisser faire cela. On va voir ce que vont faire les dirigeants.
Comment réagissez-vous au fait que le Stade de France ait été visé, en tant que sportifs ?
A. A. : Ça fait flipper, on va pour faire son travail, pour jouer un match, et on se dit que l’on n’est même pas en sécurité là-bas non plus. Mais il faut penser à autre chose, il ne faut pas jouer avec la peur au ventre, il faut faire son truc.
K. S. : Pour être honnête avec toi, je n’y ai pas vraiment réfléchis. Je sais juste qu’il y a plus de cent personnes qui sont mortes (129 au bilan de lundi), plus de 300 blessés je crois (352). Je n’ai pas réfléchis à tout cela. Je me suis juste dit que cela touche les Français, cela aurait pu être moi ou ma famille. C’est pour cela que j’envoie toutes mes condoléances à toutes les familles.
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York