[Noël] Découvrez un extrait de Jordan, la loi du plus fort
Noël approche, chers lecteurs, et quoi de mieux à trouver dans son calendrier de l’avent que du basket, du basket, et encore du basket ? En attendant les fêtes de fin d’année, Basket Infos vous proposera des extraits du livre Jordan, la loi du plus fort paru cette année en français chez Mareuil Éditions. Traduction du mythique The Jordan Rules de Sam Smith, le livre relate la saison 1990-91 des Chicago Bulls, et aujourd’hui, Michael Jordan et ses coéquipiers se déplacent chez les Celtics de Larry Bird…
Le parquet du Boston Garden était empreint d’histoire. Les tons variés de son bois étaient autant de témoignage des décennies d’excellence de l’institution Celtics. Mais Chip Schaefer, le jeune préparateur physique des Bulls, n’y voyait qu’un amas de vieux copeaux. « Mettons que vous vouliez déménager, et que vous visitiez une maison avec un parquet comme ça. Même si c’était la maison de vos rêves, vous seriez dans l’obligation de refaire tout le sol. Sérieusement, ça ne ressemble à rien. Il y a des fissures, les lattes sont craquées et gondolées, on dirait qu’il n’a pas été nettoyé depuis des siècles. »
Le vestiaire des visiteurs n’était guère plus accueillant : le plafond, déjà bien bas, était parcouru de toutes parts par de vieux tuyaux d’aluminium, si bien que les joueurs pouvaient à peine se tenir debout. Il le fallait pourtant, puisque les Celtics avaient l’habitude de monter le chauffage au maximum : si les joueurs ne faisaient pas l’effort d’effectuer quelques pas de temps à autre, la chaleur devenait assommante. « C’est toujours la même chose quand on vient ici », soupira un Craig Hodges un peu blasé.
« Et encore, c’était pire avant », ironisa Bach, qui avait porté les couleurs des Celtics à la fin des années 1940. « Maintenant il y a des urinoirs pour les joueurs. À mon époque, les visiteurs devaient aller se soulager dans les mêmes toilettes que le public. Ils devaient traverser tout le hall d’entrée en se faisant traiter de « sac à merde » et de « fils de pute ». C’était invraisemblable. Au moins, maintenant, on peut rester au calme jusqu’au coup d’envoi. »
Le moindre recoin de la salle frôlait l’insalubrité, mais tout ça contribuait à rendre les matchs au Garden vraiment uniques. Et ce 31 mars allait rester dans les mémoires. Ce fut le genre de rencontre dont on se souvient des années plus tard, une de celles pour lesquelles on aimerait accrocher une bannière commémorative au plafond, à l’image de ce soir d’avril 1986 où Jordan avait pris feu sur ce même parquet pour inscrire 63 points. Cinq ans plus tard, le match nécessita une nouvelle fois deux prolongations pour déterminer le vainqueur. Et cette fois encore, ce fut les Celtics. Mais après tout, quand on peut assister à un match de cette trempe, ne sommes-nous pas tous gagnants ?
Lorsqu’une équipe joue à l’extérieur, la NBA demande à ce que celle qui reçoit lui fournisse une sorte de mémo avec la liste des animations prévues avant le match où à la mi-temps, les célébrités qui seront présentes, etc. Les mémos des Celtics étaient toujours les mêmes : toutes les cases à remplir étaient vides, à l’exception de l’animation de la mi-temps. « Deux ramasseurs de balle amènent les ballons au milieu du terrain pour l’échauffement. » Difficile de faire plus sommaire.
Si l’ambiance du Boston Garden était intacte, l’équipe des Celtics n’était plus ce qu’elle avait été quelques années plus tôt. Bird aurait sans doute pris sa retraite quelques mois plus tard s’il ne lui restait pas une lucrative année de contrat à 7 millions de dollars. McHale, qui revenait de blessure, jouait sur une jambe. Brian Shaw et Reggie Lewis auraient également sans doute déclaré forfait face à un autre adversaire que les Bulls. Mais l’atmosphère suffocante du Garden savait offrir un second souffle à ses joueurs, et à la fin de l’après-midi, tous les Celtics étaient prêts au combat.
Chris Ford avait pris les rênes des Celtics au début de la saison. Il avait réalisé un travail remarquable pour injecter du sang neuf à un effectif vieillissant, notamment en donnant de grandes responsabilités à Shaw, qui ne jouait même pas en NBA la saison précédente, ainsi qu’au rookie Dee Brown, qui effectua d’ailleurs une partie de fort belle facture, compilant 21 points à 10 / 12 aux tirs. Avant la rencontre, les Bulls étaient plutôt sereins concernant la menace que représentaient les deux arrières. Les Celtics ne brillaient pas particulièrement par leur réussite extérieure et les joueurs de Chicago pensaient pouvoir en profiter pour se focaliser sur la défense du cercle.
En difficulté au tir depuis le début de la saison, Bird avait la main chaude : il enchaîna plusieurs shoots lointains d’entrée de jeu, et martyrisa Cliff Levingston à l’intérieur quand celui-ci prit la place de Grant. Portés par leur leader retrouvé, les Celtics menaient 53-47 à la pause. King, qui n’avait pas joué de la mi-temps, avait la tête des mauvais jours. « Écoute un peu ce que je dis, Stacey », le rappela à l’ordre Jackson alors qu’il décortiquait la prestation de ses joueurs dans le vestiaire. « On va avoir besoin de toi en deuxième mi-temps : alors tu ferais mieux d’écouter, pour une fois. »
Au retour des vestiaires, Bird n’était toujours pas rassasié. Il continuait à tirer des quatre coins du terrain, mais cette fois-ci Jordan parvint à lui répondre. Ce fut toutefois insuffisant pour pallier les errances défensives de Chicago, puisqu’à la faveur d’un 16 / 22 dans le troisième quart, les Celtics portèrent la marque à 86-78. L’écart grimpa jusqu’à 14 points en leur faveur quand, au milieu du dernier quart-temps, McHale inscrivit un panier à trois-points plein de réussite. Les Bulls réalisèrent quelques bonnes séquences pour réduire l’écart à 10 points, et Jackson demanda un temps-mort.
« Cinq paniers. Dîtes-vous qu’il n’y a que cinq paniers d’écart », affirma-t-il à ses troupes d’un ton assuré. « Il faut aller les chercher un minimum, les gars. On est capables de le faire. »
Les Bulls firent même le maximum. Jordan et Pippen ne se posèrent pas de questions, et agirent comme dans tout film d’action qui se respecte : en défonçant la porte tous flingues dehors. Le duo de choc des Bulls prit les choses en main, fonçant dans la défense de Boston et faisant feu de tous bords sans la moindre once d’hésitation. La force des Bulls résidant avant tout dans leur vitesse et leur insolence, les Celtics furent rapidement débordés par les deux tornades rouges qui ravageaient tout sur leur passage jusqu’au panier. À cinq minutes du buzzer, les Bulls étaient revenus à -6 sur le troisième trois-points de la soirée de Paxson. À moins d’une minute du buzzer, ils étaient repassés devant et menaient 110 à 107. Lewis manqua alors un shoot pour Boston, mais sur la possession suivante, Jordan fut incapable de marquer le panier qui aurait définitivement enterré les Celtics. Bird manqua à son tour un tir à trois-points, mais McHale parvint à capter le rebond et ressortit sur un Lewis seul derrière l’arc, qui ne se fit pas prier pour égaliser avec 19 secondes à l’horloge. Ironie du sort, c’était le premier trois-points converti par Lewis depuis le début de la saison. Le scénario devenait de plus en plus fou, et le public du Garden de plus en plus chaud. On dit des fans de Boston qu’ils savent se tenir, mais quand on vit ce genre d’instant magique, même la foule la plus policée se met à hurler comme des lycéennes en furie.
Les Bulls avaient encore une possession pour prendre les devants. Cartwright hérita de la balle dans le corner droit, et tenta de la transmettre à Jordan, qui était collé de près par Lewis. L’arrière des Celtics coupa la trajectoire de la balle, emportant au passage le bras de son vis-à-vis, mais les arbitres ne bronchèrent pas. « Que voulez-vous, c’est Boston. Ici, ce genre de faute n’est jamais sifflée pour les visiteurs », déclara Cartwright à l’issue de la rencontre. Jordan ne parvint à toucher la balle que du bout des doigts, mais ce fut suffisant pour l’envoyer en touche et la rendre aux Celtics. Il restait trois secondes à jouer. Bird effectua la remise en jeu et trouva McHale en tête de raquette. Sans qu’on ne sache trop pourquoi, les Bulls se ruèrent sur lui, laissant Bird complètement ouvert à trois-points. McHale ne se fit pas prier pour ressortir le ballon, et Bird déclencha un tir au buzzer. Le ballon rebondit sur l’arrière du cercle, s’éleva dans les airs, puis entama sa lente descente vers le panier. Dans le carré presse, tous les journalistes de Boston étaient debout, gesticulant dans tous les sens comme s’ils voulaient guider le ballon dans sa course vers le filet. Même les reporters de la presse nationale avaient quitté leurs sièges. Tous voulaient voir le grand Larry Bird écrire une ligne de plus à sa légende. Mais la balle n’était pas de cet avis. Elle retomba lourdement sur le cercle, et ressortit. Prolongation.
Robert Parish prit les choses en main dès la reprise, inscrivant trois paniers pour les locaux avant d’être exclu pour une sixième faute personnelle. Son équipe menait désormais 118-113 et il avait le sentiment du devoir accompli. Mais c’était vite oublier Jordan. L’arrière des Bulls sortit de sa boîte pour aller chercher et convertir deux nouveaux lancers francs, puis servit Paxson à trois-points. Le meneur des Bulls ne trembla pas et remit à nouveau les équipes à égalité. Trente-deux secondes à l’horloge, Bird s’enfonça dans la défense mais fut contré par Grant, qui lança instinctivement Jordan en contre-attaque. Trop rapide pour son propre bien, l’arrière de Chicago se précipita et força un tir compliqué qui rata largement la cible. Boston avait désormais le dernier ballon. Bird chercha McHale dans la raquette, mais sa passe trop flottante fut interceptée. Jackson demanda immédiatement un temps-mort. Les Bulls auraient très exactement 1,1 secondes pour marquer.
Le moment était venu de croire au miracle. Le moment était venu de croire en Michael Jordan. C’était son heure, son moment. Il feinta son défenseur, partit dans la direction opposée, et fut servi par Cartwright dans le corner droit. Dans sa tête s’égrenaient les dixièmes de seconde qu’il restait à l’horloge : il devait faire vite, mais il ne pouvait pas déclencher son tir tant qu’il n’avait pas le panier en face de lui. Jordan capta la passe de Cartwright et s’éleva immédiatement dans les airs, déroulant tout son corps vers le panier dans un moment de grâce. Semblant planer au-dessus du parquet, il termina son mouvement d’un coup de poignet sec et la balle commença son ascension vers le panier. Tout le public du Garden retenait sa respiration. Le temps s’arrêta l’espace d’un instant, figeant la balle dans l’éternité, à mi-chemin entre la gloire et l’échec. Puis, douce comme une plume, elle traversa le cercle et caressa le bas du filet, accueillie par les hurlements de joie des Bulls. « Elle est dedans… Elle est dedans ! » s’exclama Jordan, qui se trouvait à quelques centimètres du coach des Celtics. « Pas valable, pas valable, » le coupa aussitôt l’arbitre, signalant à renforts de grands mouvement de bras à la table de marque que le ballon avait quitté la main de Jordan après que le buzzer a retenti. « Mais bien sûr qu’elle est valable ! » enragea l’arrière des Bulls, fonçant vers la table des commentateurs pour consulter le ralenti sur leur écran. L’arbitre avait raison. « Fait chier ! » cria Jordan.
Cette fois, sa détente légendaire l’avait trahi. Il était resté trop longtemps en l’air pour relâcher le ballon à temps. Il s’en voulait. Il avait eu l’occasion de sceller le sort de la rencontre, il avait échoué. Il fallait désormais disputer une deuxième prolongation alors que le temps jouait contre les Bulls : Grant, Pippen et Jordan avaient tous trois déjà passé plus de 50 minutes sur le parquet, il leur faudrait puiser dans leurs réserves pour faire chuter l’armada des Celtics.
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