[Saines lectures] Kent Babb – Not A Game
Paru en français chez Talent Sport le 3 novembre dernier un an seulement après sa sortie américaine, Not A Game, l’ascension et la chute d’une icône est le premier livre de Kent Babb. Auréolé d’une nomination au PEN/ESPN Award du meilleur livre de sport, il se présente comme « la meilleure biographie de sport ». Est-il à la hauteur de cette étiquette ?
Pour comprendre l’intérêt de Not A Game, il faut revenir aux raisons qui ont poussé Kent Babb à écrire ce livre. En 2013, Babb publie pour le compte du Washington Post un article intitulé « Allen Iverson, NBA icon, struggles with life after basketball », dans lequel il relate les dessous de la procédure de divorce entre The Answer et son épouse. Un travail d’investigation de longue haleine finalement assez éloigné de sa production habituelle puisqu’on touche là davantage à la sphère privée, chose qui n’est pourtant pas le fonds de commerce de Babb. En effet, après avoir couvert des sports mineurs pour le compte du Sports Reporter, Babb s’est fait un nom au Kansas City Star pour son excellente couverture de l’équipe NFL locale, les Kansas City Chiefs, notoriété qui lui a permis de devenir éditorialiste puis d’être engagé en tant que tel au Washington Post, journal au sein duquel il officie toujours.
Au Washington Post, Babb quitte le poste d’éditorialiste qu’il n’aura finalement occupé que brièvement, et retrouve le terrain. Cette fois-ci, on ne lui demande pas de rédiger des éditos ou de suivre une équipe au quotidien, mais de partir en reportage dès que possible. C’est ainsi que, moins de six mois après avoir posé ses valises à Washington, Babb publie un reportage de grande qualité sur les coulisses du divorce d’Iverson, un article dont nous vous avions d’ailleurs proposé une traduction ici-même. Babb avait, pour ce, compilé un impressionnant volume de témoignages et d’informations, au point que lui-même s’est retrouvé contrarié de n’avoir pas tout pu partager au sein de son article, d’autant que les déboires d’Iverson de l’époque étaient encore loin d’être finis. Frustré de ne pas avoir pu mettre dans son reportage tout ce qu’il avait mis tant de temps à collecter, Babb décide alors de se lancer dans un format plus large où il pourra offrir à ses lecteurs le fruit de son travail en totalité.
Le constat est on ne peut plus humain : Babb a travaillé dur, et il sent que tout ce travail fourni ne trouve pas écho dans un simple article de 15 000 signes. Néanmoins, au sein de cet article, il a déjà exposé la majeure partie de ce qu’il avait à raconter, et en faire un livre entier va nécessiter un peu plus de contenu qu’il en faudrait pour une simple version 2.0 de son reportage pour le Post. C’est là qu’on se heurte au premier écueil de Not A Game : le livre relate certes un travail d’investigation hautement fouillé, mais la démarche de l’auteur ne justifie en rien son format. Passer de 15 000 signes à 320 pages nécessite de franchir un immense gouffre que Babb n’avait clairement pas les moyens de combler.
Son stratagème est donc habile : puisque son reportage ne justifie pas à lui seul l’écriture d’un livre, il va le déguiser en biographie d’Allen Iverson. La dernière (bonne) biographie d’Iverson remonte en effet à plus de dix ans, avec la sortie du très bon Only the Strong Survive: the Odyssey of Allen Iverson de Larry Platt, et il est tout à fait défendable de décider d’en publier une nouvelle. Babb va donc rédiger une biographie de l’ex-star des Sixers, qu’il va entrecouper de passages relatant les dessous de son divorce. Le découpage sera simple : un chapitre biographique, un chapitre issu de son reportage, et ainsi de suite. Malheureusement, si Babb a clairement fourni un travail exemplaire en ce qui concerne le divorce d’Iverson, la qualité des chapitres biographiques est toute autre, et pour cause : il les a écrit dans l’unique but d’arriver à un format livre que son seul travail ne lui permettait pas d’atteindre.
Voici donc le deuxième écueil de Not A Game : les parties biographiques sont plates car l’auteur n’a pas effectué autant de recherches pour leur rédaction qu’il ne l’a fait pour les autres parties. Et c’est un véritable problème dans un livre qui se présente comme une biographie. Les parties reportage sont aussi intéressantes et riches en informations que les parties biographiques sont sans intérêt et répètent des anecdotes éculées que l’on trouvait déjà dans des livres parus dix ans plus tôt. Si l’on est un peu familier avec le parcours d’Allen Iverson, la moitié du livre est tout bonnement inutile et il perd tout intérêt en tant que biographie, ce qui, pour un livre qui se présente comme tel, est un comble. L’ouvrage de Babb conserve un intérêt réel en tant qu’ouvrage d’investigation, mais cette dimension du livre risque malheureusement de contrarier le lecteur venu chercher une biographie de The Answer. En jouant sur deux tableaux, Not A Game n’arrive à séduire ni sur l’un ni sur l’autre et finit par décevoir à la fois l’amateur de biographies et l’amateur de reportages. La partie biographique est trop peu fouillée pour avoir un quelconque intérêt — le camp Iverson a même réfuté certaines des rares anecdotes ajoutées par Babb — et la partie reportage manque cruellement de concision si bien qu’on ressent presque une volonté de l’auteur de broder ou traîner en longueur pour atteindre un certain nombre de pages.
Si Not A Game est une réelle déception, il y a néanmoins des points positifs qu’il convient de lister. Tout d’abord, malgré la banalité du livre en tant que biographie, il faut bien reconnaître que c’est le premier ouvrage du genre paru en français sur Iverson et l’un des plus récents toutes langues confondues. Il propose donc une biographie qui, à défaut d’être fouillée, est suffisamment vaste pour qu’on puisse la considérer comme intéressante. Si l’histoire d’Iverson ne vous est pas familière, c’est un excellent ouvrage pour découvrir le personnage, à défaut de le comprendre.
En revanche, l’amateur de NBA déjà au fait des aventures de The Answer risquera fort de boucler la lecture du livre sans avoir la sensation d’avoir appris quoi que ce soit, ce qui n’est guère étonnant pour une partie véritablement biographique qui s’étale sur moins de 200 pages et qui sent bon le travail vite fait mal fait. Difficile de ne pas se montrer critique à ce niveau-là avec un livre qui se vend comme « la meilleure biographie de sport » mais dont l’auteur s’est visiblement fait ghostwriter par Wikipédia.
Si l’on revient à l’autre partie, celle qui traite du divorce d’Iverson, on constate forcément que le sujet était insuffisant pour faire un livre entier, et ce malgré le travail remarquable de Babb. Néanmoins, elle est parfaitement intégrée au livre et lui donne même une dimension bien plus intéressante que son contenu brut. S’il s’avère bien plat en tant que biographie, et bien redondant en tant que reportage, Not A Game s’avère au-delà de ces deux axes un livre qui bénéficie d’un vrai rythme et même, aussi étonnant que cela puisse paraître, d’un vrai suspense. Le fait d’alterner chapitres biographiques et chapitres reportage crée une double temporalité des plus intéressantes : on peut lire Not A Game comme la carrière d’un homme qui court à sa perte, avec les passages sur son divorce comme la vision de ce qui attend un Iverson qui multiplie les frasques en-dehors des parquets, mais aussi dans la temporalité inverse, celle d’un homme en situation d’échec qui revoit ses heures de gloire qui sont désormais derrière lui. L’interdépendance entre ces deux temporalités parvient à mettre le doigt sur ce que ce livre survole complètement : ce qu’est Allen Iverson.
Iverson est un personnage complexe et torturé, il est à la fois ce génie du basket filant tel une étoile et ce personnage inconscient de sa propre réalité qui ne peut arrêter son inexorable chute, ce que le sous-titre original, The Incredible Rise And Unthinkable Fall Of Allen Iverson, retranscrivait à merveille. Allen Iverson est à la fois la réussite et l’échec, et cette double temporalité l’exprime très bien, ce qui rend d’autant plus regrettable que le contenu du livre ne fasse que survoler la complexité du personnage. Le sous-titre laisse supposer que Babb en avait pourtant conscience, ce qui nous renvoie aux deux écueils listés plus tôt : le livre a été écrit pour de mauvaises raisons et c’est en ça qu’il est un échec. Babb savait qu’Iverson était un personnage complexe mais n’a pas voulu faire un livre à la hauteur de cette complexité, ce qui donne au final un produit sans saveur.
En résumé, Not A Game est une véritable déception. Jamais il n’arrive à être un bon reportage, jamais il n’arrive à être une bonne biographie, jamais il n’arrive ne serait-ce qu’à toucher du doigt les ambitions qu’il se donne. Néanmoins, à défaut de valoir par la manière dont il est écrit, le livre vaut par la manière dont il est construit : sa dimension « chute d’une icône » demeure fort intéressante voire presque cinématographique dans son traitement et elle lui confère un véritable intérêt au-delà de son maigre contenu. Enfin, il convient de rappeler que pour un lecteur qui n’est pas familier avec le personnage, le livre peut constituer une biographie satisfaisante, même si elle s’avérera assez creuse pour un lecteur plus au fait de l’histoire d’Allen Iverson. Réfléchissez donc bien à qui vous souhaitez l’offrir avant de le glisser au pied du sapin.
Kent Babb – Allen Iverson, Not a game
Éditions Talent Sport – http://www.talentsport.fr/
322 pages.
Prix public : 22 euros.