Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.
Si vous avez manqué les précédents épisodes du cahier des rookies, on a parlé ici de Jamal Murray et Buddy Hield, ici de Kris Dunn, ici des rookies surprises (Brogdon, Siakam, McGruder, Harrison), et ici des trois ailiers stars de la draft 2016 (Ingram, Brown, Chriss).
Lorsque Brett Brown est interrogé au sujet de Dario Saric, le coach des Sixers n’a que des compliments à faire à son rookie croate :
Les fans ont du respect pour lui. C’est normal, c’est un vrai col bleu ! Les actions qu’il réalise, les efforts qu’il fait, tout cela est primordial dans le respect qu’on a pour lui.
Être qualifié de col bleu est, en NBA, un compliment ambigu. Si elle rend hommage à l’énergie, aux efforts collectifs et au dépassement de soi, l’expression sous-entend aussi que le joueur en question met en avant ces qualités parce qu’il n’en a pas vraiment d’autres à vendre : pour le dire simplement, un col bleu est un parfait équipier qui n’a pas un talent fou. Pas vraiment ce qu’on attend d’un 12e choix de draft comme Dario Saric, donc.
En 49 matchs, Saric tourne à 9.9 pts, 5.8 rbds et 1.7 pds, à 38 % d’adresse générale, pour 24 minutes de jeu. Des chiffres honnêtes, sans être franchement exceptionnels, même s’ils font de lui le deuxième meilleur marqueur et rebondeur de la classe de rookies 2016-2017. Lorsqu’on regarde Saric jouer, on hésite souvent entre cette impression, confirmée un peu malgré lui par Brett Brown, qu’on a affaire à un solide role player, et la sensation qu’il peut devenir plus que cela. Dans une équipe où la rotation intérieure a mis longtemps à se stabiliser, Saric a commencé la saison comme titulaire, avant d’être mis sur le banc à l’arrivée d’Ersan Ilyasova, mais a toujours bénéficié d’un temps de jeu plutôt conséquent pour un débutant. Brett Brown le fait presque systématiquement jouer au poste 4, parfois pivot dans des 5 très small ball, mais quasiment jamais poste 3, tout portant effectivement à croire que Saric manque de vitesse pour jouer à l’aile. Par ailleurs, Brown met souvent sur le parquet Saric lorsque Joel Embiid se repose : le Croate n’a ainsi passé que 27 % de son temps de jeu en compagnie d’Embiid. Les Sixers n’ayant pas le réservoir de talent offensif le plus profond de la ligue, cette répartition du temps de jeu est une manière de responsabiliser Saric en lui donnant un vrai rôle offensif.
Le problème est que Saric, offensivement, n’a pas franchement ébloui les foules depuis le début de la saison. Sa shotchart est tellement dans le rouge que c’en est embarrassant :
Avec ses 33 % de réussite derrière l’arc, Saric est un shooteur correct (pour un rookie, en tout cas), même si le mois de janvier montre une vraie érosion de son adresse. Le vrai problème vient du manque de variété de ses armes offensives, notamment à cause de son incapacité à finir près du cercle. Avec 49 % de réussite dans cette zone, Saric est classé à la 199e place sur… 212 joueurs ayant pris plus de 2 shoots par match près du cercle. C’est là un problème typique d’une saison rookie, comme le prouve la présence derrière lui dans le classement de Whitehead, Hield ou Zubac, mais cela n’en reste pas moins un souci pour un joueur qui n’est pas non plus un sniper exceptionnel.
(Vous vous demandez qui est 212e sur 212 ? Rajon Rondo himself !)
Il faut dire que Saric en pénétration fait rarement une impression très aérienne, et c’est un euphémisme :
Le jeune Croate a cette allure pataude et ce manque de vitesse qui le handicape gravement lorsqu’il s’agit d’absorber le contact pour conclure dans la raquette. Dans l’action ci-dessus, la menace que représente Ilyasova dans le corner lui offre une ligne bien dégagée pour aller au cercle, mais même face à un défenseur aussi lent que David Lee, il n’est pas capable de se mettre dans la meilleure situation pour conclure, ce qui l’amène à prendre le tir avec un geste très bizarre. Souvent, Saric refuse le shoot pour mettre en valeur ses grandes qualités de passeur, comme ici pour Jahlil Okafor :
Ce genre d’action est un des gros points forts de Saric : sa vision de jeu lui permet de ne pas s’enfermer dans des tunnels d’où il est incapable de sortir, et compense un tir très hésitant. Cela étant, cette qualité ne peut pas faire oublier que Saric est faible près du cercle et à mi-distance, ce qui commence à faire beaucoup : avec 29.3 % de réussite, il est cette fois dans le 40 plus faibles joueurs de la ligue dans cette zone. Le temps d’adaptation nécessaire pour un rookie, a fortiori européen, peut expliquer ces stats désastreuses, mais l’absence de réelle zone de confort dans son répertoire offensif n’en reste pas moins une inquiétude légitime.
Heureusement, Saric apporte d’autres armes à son équipe. En plus de sa qualité de passe, le Croate est un rebondeur tout à fait correct : ses 13.8 % de Rebound Percentage le mettent dans la même zone que des joueurs comme Steven Adams, Myles Turner ou Draymond Green, de vrais intérieurs. Contrairement à un Marquese Chriss, pour comparer avec un autre rookie jouant au même poste, les stats de Saric ne donnent pas l’impression d’un « tweener », ce genre de joueurs jouant poste 4 mais ayant les défauts d’un poste 3 au rebond, notamment. Saric fait réellement le boulot à l’intérieur, davantage qu’Ilyasova (12 Reb %) ou Okafor (11.5 %). Il n’hésite d’ailleurs pas à venir défier les joueurs adverses dans la raquette et à se montrer plutôt efficace dans la protection du cercle, comme sur ce double contre qui a rendu fous ses coéquipiers :
En défense, Saric paraît parfois un peu perdu, plus attiré par le cercle que par la défense dans le périmètre, mais on sent dans son attitude une vraie volonté de bien faire et d’analyser les systèmes adverses. Cela ne fonctionne pas toujours, mais ce comportement permet de comprendre les compliments de Brett Brown, même si la défense des Sixers est meilleure de 5.4 pts/ 100 possessions quand Saric est sur le banc : le chiffre a plus à voir avec l’absence d’Embiid lorsque Saric joue qu’aux défauts de Saric lui-même.
A bien des points de vue, Dario Saric apparaît pour l’instant comme un joueur limité, mais ce sont des limites moins inquiétantes que celles d’autres rookies. Sa compréhension du jeu, son sens de l’effort, la relation qu’il est capable de développer avec ses coéquipiers laissent à penser qu’il a toutes les cartes en main pour faire une belle carrière. Mieux vaut un rookie avec ces qualités qu’un autre au jeu offensif plus développé, mais à l’intelligence collective proche de zéro. On peut néanmoins se demander quel sera réellement le rôle de Saric lorsque Ben Simmons sera de retour. Même si Simmons assumera la mène, on le voit mal s’occuper du meneur adverse en défense, ce qui obligera Brett Brown à aligner un vrai meneur à ses côtés. Par ricochets, cela risque de renvoyer Ilyasova sur le banc et de donner moins de minutes à Saric. Il sera très intéressant de voir comment le coach des Sixers se débrouille pour gérer cet embouteillage, d’autant que le poste 5 est lui aussi bien chargé. Saric, quoi qu’il en soit, et malgré tous les compliments qu’il reçoit actuellement, ne peut pas se permettre de ne pas progresser significativement offensivement : dans une équipe des Sixers où les équilibres d’un effectif compétitif se mettent doucement en place, il peut et doit s’imposer comme autre chose qu’un col bleu jouant une vingtaine de minutes par match.
Stats en provenance de NBA.com et NBAWowy. Citation de Brett Brown en provenance de PhillyVoice.com.
Rookie Watch
- Joel Embiid est pour l’instant le 7e joueur de l’histoire à aligner plus de 19.5 pts, 7.5 rbds et 2.5 cts par match dans sa saison rookie. Les autres sont David Robinson, Hakeem Olajuwon, le Shaq, Alonzo Mourning, Ralph Sampson et Tim Duncan. La stat suffirait à faire de sa saison une performance remarquable. Elle devient incroyable quand on pense que les six légendes citées ont réalisé ces stats en jouant plus de 32 minutes par match quand Embiid le fait en… 25.3 minutes de moyenne. Dingue.
- Avec 42.5 % de réussite à 3-pts avec 2.4 tentatives par match, Brogdon est largement le plus adroit de tous les rookies cette année. Mais ce chiffre en fait aussi un des meilleurs snipers de la ligue, puisqu’il se situe, au pourcentage de réussite, à la 9e place de toute la NBA parmi les joueurs prenant plus de 2 tirs primés par match.
- La saison des Nets ne ressemble pas à grand-chose, mais le backcourt Caris LeVert – Isaiah Whitehead montre des choses pas inintéressantes. LeVert, notamment, sort d’un mois de janvier à 50 % de réussite (près de 7 tirs par match), avec la confirmation de ses vraies qualités de playmaking. Choisi loin dans la draft en raison de ses blessures à répétition, LeVert a toujours été considéré comme un lottery pick du point de vue du talent. S’il parvient à rester en bonne santé, Brooklyn aura peut-être fait une très belle opération.
- Willy Hernangomez est une vraie machine au rebond: avec un Rebound Percentage de 20.5, il est déjà dans le top 15 de la ligue! Vu l’état de Noah, le pivot espagnol de New York mériterait plus de temps de jeu, surtout si le plan des Knicks est vraiment de reconstruire autour de Porzingis. (Btw, Kuzminskas n’est pas si mal non plus aux Knicks).
- Pivot européen émergent, épisode 2. Ivica Zubac montre de bien belles choses aux Lakers en 2017, avec 8.4 pts et 5.9 rbds en 16.9 minutes. Piquer du temps de jeu à un Timofey Mozgov en décomposition n’est pas l’exploit du siècle, mais Zubac montre qu’il est légitime de l’ajouter au noyau de jeunes prometteurs des Lakers.
- Rookies européens, toujours. Davis Bertans apparaît de plus en plus comme une énième bonne pioche de la part des Spurs, où Popovich lui offre de plus de temps de jeu. Adroit derrière l’arc (39.6 %), intelligent collectivement, l’ailier letton manque un peu de puissance mais devrait s’installer dans la rotation solidement. Paul Zipser pointe également le bout de son nez à Chicago, dans une situation plus difficile; on jurerait moins de son temps de jeu futur, mais il a du talent. Quant à notre Frenchie Timothé Luwawu, il a joué 30 minutes cette nuit avec les Sixers, signe que Brett Brown l’apprécie de plus en plus.
- A l’image d’une équipe des Wolves en gros progrès, Kris Dunn joue avec plus de confiance et d’énergie ces derniers temps. En revanche, le shoot est toujours dramatiquement absent.
- On continue à beaucoup aimer Brandon Ingram, mais il faut bien avouer que son adresse connaît des sérieux trous d’air. Dans le genre chiffre peu enthousiasmant, shooter à 14.7 % lors des 5 derniers matchs se pose là.
- Dans notre classement des pires shooteurs de l’année, Georges Niang ne joue tellement plus qu’il restera sûrement premier à jamais, avec son magnifique 21.2 % de réussite. Derrière lui, la bataille fait rage entre Wade Baldwin (31 %), Andrew Harrison (31.8 %) et Denzel Valentine (32 %).