Cahier des rookies: Radiographie des meneurs de la draft 2017
Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.
La draft 2017 était annoncée comme la cuvée la plus impressionnante depuis longtemps pour le nombre de très bons meneurs de jeu qu’elle contenait: la preuve, 5 d’entre eux ont été choisis dans le top 10, une proportion énorme. Le meilleur d’entre eux (du moins, tel que tout le monde le pensait), Markelle Fultz, connaît un début de carrière chaotique, une blessure à l’épaule l’ayant empêché de jouer après quelques premiers matchs erratiques. Les 4 autres, en revanche, foulent les parquets NBA depuis un mois et ont déjà de sacrés responsabilités. Il est donc temps de comparer ce que donnent Lonzo Ball, Dennis Smith Jr, De’Aaron Fox et Frank Ntilikina au plus haut niveau.
Pour ce faire, je vais m’inspirer de l’analyse réalisée par Jonathan Tjarks en février dernier pour comparer les meilleurs meneurs NBA, à partir de plusieurs critères statistiques (j’en rajoute quelques-uns par rapport à l’article d Tjarks). Voilà les critères choisis pour radiographier nos quatre meneurs:
- qui joue le plus comme un meneur classique?
- qui bénéficie du meilleur spacing?
- qui est le meilleur shooteur?
- qui a le jeu d’attaque le plus moderne?
- qui est le meilleur défenseur?
- qui rend ses coéquipiers meilleurs?
Ces six critères devraient permettre d’avoir une image à peu près claire du style de jeu des quatre et de leur efficacité en NBA à l’heure actuelle, même s’ils pourraient être complétés par d’autres. C’est parti!
Stats en provenance de NBA.com et nbawowy.
Qui joue le plus comme un meneur classique?
Jouer comme un meneur classique signifie, en gros, partager le ballon et distribuer les paniers. Le meneur, dans la NBA actuelle, est davantage amené à scorer qu’à distribuer, ce qui peut rendre difficile la vie de certains meneurs peu à l’aise pour alimenter la marque (voir Rubio, Ricky). Grâce aux stats de la NBA, on peut avoir une idée très précise du nombre de fois où un joueur touche le ballon, et du nombre de passes qu’il effectue. En divisant l’un par l’autre, on a un chiffre qui indique le nombre de fois où le joueur garde la balle pour lui au lieu de la passer. Si on ajoute à cela la stat de l’Usage (pourcentage de possessions de l’équipe utilisées par un joueur), on a une idée assez nette de la propension d’un meneur à garder le ballon.
Usage % | Ballons touchés/m | Passes/m | Ratio ballons touchés/passes | |
Fox | 24.7 | 65.6 | 47.6 | 72.6% |
Smith | 29.9 | 74.9 | 52.8 | 70.5% |
Ball | 19.1 | 78.9 | 60.9 | 77.2% |
Ntilikina | 17.1 | 52.5 | 42 | 80% |
Premier constat: Fox et Smith ont beaucoup plus le ballon en main que Ball et Ntilikina, qui n’ont pas un Usage correspondant à leur rôle de meneur. Ces deux-là jouent donc plus souvent sans ballon et, comme le montre la colonne de droite, passent plus souvent la balle. Fox et Smith sont eux dans la moyenne des meneurs , même si Smith montre une vraie propension à manger la balle: son Usage est presque deux fois supérieur à celui de Ntilikina! Le meneur des Mavs, néanmoins, redistribue: son ratio de 70.5 % n’est rien par rapport à celui de Russell Westbrook l’an dernier, qui ne faisait la passe que sur 60% de ses ballons touchés.
Ce premier critère montre donc clairement deux meneurs « dominants », et deux autres plus en retrait.
Qui bénéficie du meilleur spacing?
Un meneur moderne doit pouvoir aller au cercle. Pour y arriver, avoir le moins d’obstacles possibles sur sa route ne peut pas faire de mal. Il faut donc du spacing autour de soi, c’est-à-dire une défense étirée par la présence de plusieurs shooteurs. Suivant la proposition de Tjarks, j’ai sélectionné les 4 joueurs avec lesquels nos meneurs jouent le plus souvent, et indiqué le total de 3-pts qu’ils tentent par match et leur pourcentage de réussite. Plus les chiffres sont hauts, meilleur le spacing est.
Total de 3-pts tentés autour de lui | Pourcentage de réussite sur ces tentatives | |
Fox | 8 | 35% |
Smith | 16.8 | 37.5% |
Ball | 14.5 | 31.1% |
Ntilikina | 7.9 | 43% |
A la vue de ces chiffres, difficile de ne pas plaindre De’Aaron Fox, qui adore aller au cercle mais doit faire face à une raquette bien embouteillée. Souvent associé à deux intérieurs (Koufos et Labissière) ne shootant pas ou shootant mal, plus deux ailiers moyennement précis (Hield et Jackson), Fox est dans des conditions délicates pour mettre en place son jeu. C’est bien mieux pour Smith, qui est entouré par 4 shooteurs (Ferrell, Matthews, Barnes et Nowitzki) capables de lui faire de la place et de shooter avec précision – contrairement à Lonzo Ball, dont les coéquipiers shootent beaucoup mais mal. Le cas de Ntilikina est assez étrange: les lineups dans lesquels il est aligné comprend de bons shooteurs (Lee, McDermott)… qui shootent très peu. Peu importe, en un sens: c’est la menace que représente le shooteur qui crée le spacing.
Conclusion: les Mavs sont mauvais, mais Smith a au moins de quoi s’amuser. Les Kings sont mauvais aussi, mais Fox est privé d’espace.
Qui est le meilleur shooteur?
Voir un meneur rookie avoir de mauvais pourcentages au tir n’est pas une exception; c’est même plutôt la règle. Pas de surprise, donc, à voir nos quatre loustics shooter à moins de 41% cette saison. Ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi non plus, et Lonzo Ball avec ses 11 tentatives par match à 30.3% de réussite, bat tous les records de médiocrité. Ntilikina arrose aussi (34.8%) mais a au moins la décence de prendre moins de tirs. Fox et Smith sont plus avancés de ce point de vue là, avec des chiffres autour de 40 %, mais c’est le meneur de Dallas qui emporte la timbale: alors que Fox, comme en fac, ne parvient pas à développer un jump shot fiable loin du cercle, Smith a déjà des pourcentages relativement corrects.
Verdict: Smith, d’assez loin. Les autres vont s’améliorer, mais la forme du tir de Ball reste une grosse inquiétude, et la capacité de Fox à shooter à 3-pts une vraie question.
Qui a le jeu d’attaque le plus moderne?
Un jeu d’attaque moderne, aujourd’hui, consiste à éliminer au maximum le tir à mi-distance pour se concentrer sur les shoots les plus rentables: près du cercle et derrière l’arc. Additionnons donc les pourcentages de tirs pris dans ces deux zones par nos quatre meneurs, pour voir s’ils entrent dans cette définition de la modernité:
Pourcentage de tirs pris près du cercle ou à 3-pts | |
Fox | 40.5% |
Smith | 76.1% |
Ball | 78.9% |
Ntilikina | 45.4% |
Les résultats sont assez frappants. Smith et Ball entrent parfaitement dans ce moule du Moreyball (du nom du GM des Rockets, grand théoricien de ce genre d’attaque), pour des raisons assez différentes. Smith a une répartition de tirs digne des meneurs les plus efficaces de la ligue, à la différence près qu’il ne les met pas encore; le fait qu’il ait réduit le mi-distance de son jeu est très positif pour son développement. Ball, lui, ne l’a pas réduit: il n’a jamais su tirer à mi-distance, parce que son geste très particulier ne lui permet pas de créer une vraie séparation avec son défenseur. Autrement dit, Smith peut tenter ce genre de tirs s’il est bloqué; Ball, non.
Fox et Ntilikina ne sont, eux, pas du tout Rockets-compatibles. Fox parce que, comme on l’a dit, il n’a pas de tir extérieur fiable; le Français parce qu’il ne parvient pas à aller au cercle et à s’imposer dans la raquette. Ces deux limites étaient déjà repérées lors de la draft, elles se confirment.
Verdict: Smith est clairement le plus « moderne » des 4. Ball l’est à sa manière, mais comme il ne met aucun shoot…
Qui est le meilleur défenseur?
Il est très difficile de juger statistiquement de la valeur défensive d’un joueur, encore plus au poste de meneur. On peut tout de même essayer en utilisant quelques stats fournies par NBA.com: la différence entre le Defensive Rating de l’équipe lorsque le joueur est sur le terrain et lorsqu’il est sur le banc; le pourcentage de réussite de l’adversaire sur lequel il défend; le nombre d’interceptions par match (qu’on ramènera ici sur 100 possessions, pour ne pas être induit en erreur par la différence de temps de jeu).
Différentiel de Net Rating défensif | Pourcentage de réussite de l’adversaire défendu | Interceptions / 100 possessions | |
Fox | – 4.2 | 42.6 | 1.2 |
Smith | – 7 | 47.3 | 1.5 |
Ball | – 5.8 | 37.1 | 1.9 |
Ntilikina | + 5.3 | 40 | 4.7 |
Aucune hésitation possible, ici: Ntilikina est le seul à avoir un différentiel positif, dans des proportions énormes! Les Knicks défendent bien mieux avec lui, alors que c’est le contraire pour les trois autres. Ses stats aux steals sont aussi remarquables pour un rookie. Le jeune Français est déjà un défenseur avec de l’impact, ce qui est très rare pour un débutant. Chez les trois autres, Ball apparaît comme étant le moins pire du lot, avec des stats moyennes mais honorables. En revanche, tout laisse à penser que Smith est un très mauvais défenseur. Ce n’est pas nouveau, il l’était déjà à la fac.
Verdict: Ntilikina, de très, très loin.
Qui rend ses coéquipiers meilleurs?
Lonzo Ball est un excellent passeur, aucun doute là-dessus. Avec 6.9 pds par match, il est déjà dans le haut du panier des meneurs NBA, loin devant Fox (4.9), Smith (4.7) et Ntilikina (4.3, avec moins de temps de jeu). Savoir s’il a un impact positif sur l’attaque de son équipe est une autre question, qu’il est toujours très difficile de trancher. Les stats On/Off peuvent aider à y répondre, même si elles sont à prendre avec des pincettes: une quinzaine de matchs est un échantillon faible, et ces chiffres ne prennent pas en compte qui joue avec qui. Le fait que Smith et Ball soient titulaires tandis que Fox et Ntilikina sortent du banc a par exemple son importance, sans qu’on sache très bien dans quel sens il faut l’interpréter: sortir du banc signifie jouer contre des moins bons joueurs, mais aussi jouer avec des coéquipiers plus faibles. Avec toutes les précautions d’usage, donc, examinons les stats:
Offensive Rating lorsqu’il est sur le terrain | Offensive Rating lorsqu’il est sur le banc | Différentiel | |
Fox | 104 | 99 | +5 |
Smith | 104.3 | 105.4 | – 1.1 |
Ball | 103 | 102.9 | +0.1 |
Ntilikina | 118.2 | 109.4 | +8.8 |
Les chiffres ci-dessus sont plutôt encourageants: aucun des quatre rookies n’a d’impact très négatif sur l’attaque de son équipe lorsqu’il est sur le terrain, alors que c’est assez fréquent chez les meneurs débutants (c’était frappant avec Emmanuel Mudiay il y a deux ans, par exemple). Les chiffres de Fox et Ntilikina sont même assez spectaculaires: Sacramento et New York sont bien meilleurs en attaque avec leur rookie sur le terrain, ce qui est bon signe pour le futur. Smith et Ball ont eux un impact quasi nul, ce qui est mieux que rien. Pour Ntilikina, les chiffres sont particulièrement remarquables: le Frenchie joue les deux tiers du temps sans Porzingis, l’arme offensive principale des Knicks, et a très rarement l’opportunité d’être associé avec un joueur capable de créer son tir. Que l’Offensive Rating avec lui sur le terrain signifie qu’il est capable de faire tourner une attaque proprement malgré le déficit de talent autour de lui. De quoi être très optimiste!
Verdict final
Sur la base de ces quelques stats, à laquelle s’ajoute l’impression visuelle, Dennis Smith semble sur ce premier mois de compétition le meneur le plus à même de porter une attaque, dans la lignée de ce qu’on attend d’un meneur-scoreur en NBA. Avec un profil relativement proche de Fox (meneur dominant, explosif et rapide), Smith a deux avantages sur le meneur des Kings (qui a une coiffure plus amusante, en revanche): il est placé dans de meilleures conditions par le spacing supérieur des Mavs et le choix de Carlisle de lui donner de grosses responsabilités, et il a au moins un début de jump shot. Rien ne dit que l’ordre ne s’inverse pas à plus ou moins long terme, mais Smith a pris une légère avance.
Dans un genre quelque peu différent, Frank Ntilikina semble lui le plus immédiatement utile pour son équipe: par sa sobriété et, surtout, sa défense, le meneur des Knicks a tout d’un excellent role player, susceptible d’être un solide titulaire pendant longtemps. Son potentiel de star offensive est beaucoup plus limité: ce ne sont pas tant les pourcentages qui sont en question que le manque de variété dans ses tirs, et notamment sa très grande timidité pour aller au cercle.
En un sens, ces trois-là se conforment à peu près aux attentes qui les entouraient lors de la draft. La situation est différente pour Lonzo Ball, qui est bien en-dessous du niveau attendu pour un 2e choix de draft. Son tir est réellement catastrophique, alors qu’une grande partie de l’attrait de son profil venait du fait qu’il jouait comme une sorte de Ricky Rubio avec un tir extérieur. Si Ball ne progresse pas à 3-pts, ce profil devient beaucoup moins intéressant: Rubio, malgré son génie de la passe, reste un meneur dont les limites offensives sont handicapantes dans une équipe. Rubio a le grand mérite, cependant, d’être un excellent défenseur, ce que Ball n’est pas. Un Rubio médiocre en défense n’est pas un joueur potentiellement titulaire en NBA. Pour Ball, le salut ne pourra passer que par le tir extérieur.
Le fait est que les leçons du premier mois de compétition de rookies NBA ne sont jamais définitives. Les premiers matchs donnent des indications, confirment ou infirment des impressions, mais ne préjugent pas toujours de la carrière à venir d’un joueur. Attention, tout de même: le poste de meneur a de telles responsabilités que les franchises ne sont pas toujours patientes avec un jeune joueur qui met du temps à répondre aux espoirs mis en lui. D’Angelo Russell, Kris Dunn ou Emmanuel Mudiay, récemment, peuvent en témoigner. Pour ces quatre-là, le temps ne presse pas, mais il ne faut pas prendre de retard non plus.