Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer (Part. II)
Précédemment: Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer (Part.I)
Ça fait maintenant un quart d’heure que je sonne à l’entrée du Staples Center. Les Clippers ne sont pas là ou veulent me le faire croire.
Je commence à passer en revue les autres possibilités qu’il me reste quand j’entends soudain un puissant rire moqueur derrière moi. Je me retourne et vois un étrange individu sortir d’une ruelle avec un regard indolent rivé sur moi et un sourire bête sur le visage.
Conscient d’avoir capté mon attention, l’énergumène s’appuie sur le mur d’une boutique chic pour m’obliger à venir à son encontre. Un peu curieux et pas spécialement pressé, je décide d’accepter l’invitation silencieuse. Et puis, je crois savoir de qui il s’agit.
Mon soupçon se confirme une fois arrivé à quelques mètres de lui. Sans me quitter des yeux, Matt Barnes porte à ses lèvres ce qui semble être une petite bouteille de sirop pour la toux.
Je ne suis même pas étonné de le voir torse nu malgré le froid mordant de l’hiver, comme si les tatouages qui parcourent chaque centimètre de son corps suffisaient à le protéger du climat glacial. Par contre, je ne sais pas si l’écharpe qu’il porte malgré tout autour de son cou est une petite concession faite à la température, une moquerie adressée à Dame Nature ou une simple manifestation des troubles de son esprit.
« Je vois que la volaille vient renifler le derche de ses œufs pourris », lâche-t-il.
– Ce sont les Clippers que tu appelles les œufs pourris ?
– Qui d’autres ?
– Les Lakers ne baignent pas spécialement dans un parfum de rose en ce moment.
– Nan, c’est chez les Clipps que ça pue.
– Je t’écoute.
– C’est simple, il y a un gros ver bien dégueulasse dans la pomme. Il s’engraisse en bouffant tout ce qu’il y a autour de lui et personne ne dit rien. Il est trop gros, trop enfoncé dans la pomme. Le ver…
– Ça va, on a compris que tu parles de Doc Rivers.
– Le ver, reprend un Barnes imperturbable, est si gros qu’il a besoin de faire de la place pour sa graisse. Il est si gros qu’il peut dégager n’importe qui. Il n’y a que moi qui n’ai pas peur de lui faire face. Tous les jours je peux tenir devant sa gueule baveuse sans fléchir. Je ne crains pas…
Je ne sais pas pourquoi j’écoute un type qui a les pupilles dilatées par le sirop trafiqué qu’il n’arrête pas de se verser dans le gosier. Je savais qu’il avait une grosse dent, bien jaunie et entartrée, contre Doc Rivers. Mais je crois qu’aujourd’hui, sa colère a fait définitivement déraillé son esprit déjà bancal. Je profite d’un léger intermède dans ses élucubrations pour glisser que j’ai croisé Derek Fisher un peu avant.
Sans trahir le moindre changement d’émotion sur son visage engourdi, Barnes fait demi-tour et s’éloigne de moi. Punaise, il n’a même pas demandé vers où j’avais vu l’ancien meneur des Lakers.
A nouveau seul et face à un Staples Center silencieux, je décide d’emprunter la discrète (pour ne pas dire secrète) porte à l’arrière du bâtiment. Je fais le tour de l’enceinte et constate qu’un employé négligeant a laissé la porte non verrouillée. Rien ne me surprend moins de la part de cette organisation.
J’accède enfin à l’antre des Clippers. Des bruits de ballons qui rebondissent m’informent qu’un entraînement est en cours. Je m’approche jusqu’à apercevoir les joueurs sans être vu. Doc Rivers, pas plus que les autres membres du front office, n’y sont visibles.
Inutile d’embêter les joueurs pour le moment, ils sont rarement mis au courant des raisons qui ont motivé les bouleversements d’effectif. Je continue mon chemin.
Il est un peu étrange d’arpenter les couloirs du quartier général des Clippers. D’habitude, les allées des foyers des franchises de NBA Ville sont outrancièrement recouvertes de portraits et scènes des légendes qui ont émaillé leur histoire. On y respire la présence des ces fantômes du passé comme un parfum beaucoup trop fort dont on ne voudrait cependant pas se passer.
Mais chez les Clippers, les murs sont désespérément sans vie. Une photo d’Elton Brand regarde tristement les passants, et ses autres rares compagnons placardés dans le décor ont pour moi le visage flou d’un temps trop lointain et un nom sur leur maillot qui n’est pas celui des Clippers.
Un jour peut-être, Chris Paul et Blake Griffin doreront ces travées comme ils ont gonflé les ambitions de la franchise sur le terrain. Mais pour le moment il n’en est pas question. Paul est allé voir ailleurs s’il pouvait enfin décrocher un titre et Griffin vient brutalement d’être transféré.
Mes déambulations s’arrêtent quand apparaît devant moi une porte au nom de Glenn « Doc » Rivers. Je frappe sur le bois vernis mais n’obtient aucune réponse.
A la seconde tentative, un sifflement de serpent se fait entendre dans mon dos. Je me retourne et ne voit que le couloir vide, seulement perturbé par des bruits de pas qui détalent. Je suis ces derniers sans me presser.
Le petit rigolo poursuit son petit jeu du serpent qui se carapate encore à deux reprises puis je me retrouve face à une porte anonyme qui vient à peine de se refermer. J’appuie sur la poignée mais le morceau de métal dans ma main résiste à ma poussée, comme si quelqu’un de l’autre côté la retenait en position fermée.
« Je sais que tu es là à cause du transfert de Blake », siffle une voix à travers la porte.
Je lève les yeux au ciel en me disant que ce boulot me met bien trop souvent en contact avec des dégénérés. Je reste silencieux, le manège de mon interlocuteur invisible débile me gave déjà.
« Blake n’est pas celui que les gens imaginent », continue la voix. « Même ce qui est sorti dans la presse a déjà été oublié par le public et les médias. Tu te souviens de ce qu’il a fait à un préparateur physique sur le banc de touche, quand il a attrapé sa tronche pour l’amener vers ses parties ? Ou encore, plus tard, quand il a mis son poing dans la gueule d’un gars du staff? Tu t’en souviens, hein. Pourtant, Blake a eu droit à une cérémonie comme s’il était le sauveur de la nation et la franchise l’a noyé sous les billets verts. »
« Ces dernières années, Blake pensait plus à lui qu’à l’équipe. Il avait du mal à accepter l’autorité de Chris Paul. Il voulait plus de liberté, plus de contrôle sur le jeu et moins d’ordres reçus. Il voulait être le capitaine du navire. Pour lui, c’était plus important de gagner. Le monde ne sait pas à quel point Blake est égoïste et arrogant. On voit ce que ça donne maintenant. A peine trois mois après avoir causé le départ de Chris et être devenu le franchise player, les dirigeants l’ont foutu à la porte. Ils se sont enfin rendus compte de la supercherie. L’organisation va enfin pouvoir accomplir sa destinée maintenant que Blake n’est plus dans le passage. Le ballon va enfin être libéré de son contrôle médiocre et revenir à celui qui est meilleur que lui. L’avenir des Clippers est désormais… »
Il ne me faut pas longtemps pour deviner qui est le bavard caché. J’enfonce brutalement la poignée et pousse férocement la porte. Austin Rivers ne résiste qu’un demi instant avant d’être emporté par mon coup de force. Poursuivant mon mouvement, j’attrape l’arrière par la gorge et le fait sortir de la petite pièce noire dans laquelle il s’était enfermé.
Le médisant assuré de tout à l’heure est devenu entre mes mains un squelette tremblotant dont je peux presque entendre les os s’entrechoquer.
– Où sont les dirigeants ?
– Je ne sais pas ! Croasse-t-il. Je crois qu’ils ne sont pas au Staples en ce moment, mais je n’en suis pas sûr.
– Tu as accès au bureau de ton père, non ?
– Non, non, s’il te plaît, crois-moi, Papa ne veut pas que je touche à ses affaires… Mais je sais comment entrer dans celui de Jerry West, reprend-il alors que je commençais à froncer les sourcils d’agacement.
– Ok, on y va.
Le bureau du légendaire arrière des Lakers, General Manager des Grizzlies et par ailleurs modèle du blason d’NBA City se présentait en bout de couloir d’un niveau supérieur. Aucune autre porte n’apparait les murs adjacents comme si tous les bureaux du périmètre avait décidé de se retirer pour respectueusement laisser place au vénérable décideur.
Austin sort de sa poche un petit trousseau de clés et déverrouille la porte sans difficulté.
– Comment se fait-il que tu aie une clé ?
– Jerry perd toujours ses clés. Une fois ou deux, il a dû refaire celle de son bureau. Un jour, j’ai trouvé celle-ci sous des escaliers. Jerry s’en était déjà fait un double entre-temps donc j’ai décidé de ne rien dire et de la garder.
– Et ça te sert à quoi d’avoir accès à son bureau ?
– A rien en réalité. Quand j’ai trouvé cette clé et que j’ai compris à quoi elle correspondait, j’ai saisi la première occasion où Jerry s’était absenté pour y jeter un coup d’œil. Le résultat était décevant. C’était juste un immense bureau parfaitement ordonné et aux tiroirs presque vides. Le fouiller m’a ennuyé au bout de cinq minutes. Je n’y suis jamais retourné depuis.
Hochant la tête, je pousse la porte et me retrouve face à un capharnaüm de paper boards, dossiers et feuilles épinglées ou volantes étalés partout sur le bureau et le sol. Tournant mon attention sur Rivers, je le vois aussi surpris qu’un fichu poisson rouge dans un bocal. Sa gueule de merlan frit ne trompe pas, il avait bien dit la vérité une seconde plus tôt. C’est juste que ce bon vieux Jerry ne s’est réellement mis en branle que depuis peu.
Mon œil s’habitue petit à petit à ce désordre organisé. Les murs sont recouverts de grandes feuilles blanches où Jerry a écrit à la main ce qui semble être des différents scénarii à suivre pour l’effectif des Clippers. Je repère une feuille nommée « Avec Griffin et Jordan », une autre où Griffin reste mais pas DeAndre Jordan. Sous chacune d’elle, un millier de tirets détaillent les transferts à faire et les cibles à prioriser, avec à chaque fois en face les considérations financières impliquées et quelques commentaires sur les talents de négociateurs des GMs adverses concernés. Devant ces plans sur la comète est planté un paper board qui se demande « Que faire avec Louis Williams ? ».
J’enjambe des dossiers bourrés à craquer prêts à dégueuler leur contenu et fais le tour du bureau, non sans remarquer une chemise ouverte sur la fiche analytique du pivot remplaçant des Raptors, Lucas Nogueira. Je ramasse un paper board, tombé au sol face contre terre. Le tableau retrace les différentes possibilités de transferts de Pat Beverley. Certainement que ce paper board est par terre depuis le jour où le meneur s’est blessé pour la saison.
Un autre mur explore l’idée d’une reconstruction et détaille ce que West espérait récupérer en échange de Griffin, Jordan, Williams et compagnie. Je m’attarde un peu dessus : il est manifeste que le vieil homme espérait récupérer plus du transfert de Griffin que ce que les Clippers ont eu de la part des Pistons. West a-t-il mal lu le marché pour sa star et dû se rabattre sur des offres moins intéressantes ? Ou bien n’a-t-il pas eu son mot à dire dans la transaction avec Van Gundy.
L’autre mur qui évoquait les scénarii conservant Griffin comme franchise player mettait une certaine emphase sur l’intérêt d’avoir un joueur de la trempe du nouveau Piston, aussi je pencherai plutôt vers la deuxième réponse.
– Austin, qui est-ce qui prend les décisions en matière de gestion d’effectif, ici ? Qui a le dernier mot ?
– Je ne sais pas trop. C’est entre mon père, Jerry et Lawrence Frank, mais je ne sais pas vraiment qui tranche à la fin.
Silver ne va pas être content. L’absence d’un décideur final clairement établi est rarement une caractéristique des organisations qui fonctionnent bien. Peut-être qu’une hiérarchie existe en réalité bel et bien entre Doc, West et Frank, et que les joueurs n’en sont simplement pas au courant. Mais cela aussi est mauvais signe. Ce sont les joueurs qui sont sur le terrain, et c’est difficile de jouer avec sérénité et confiance si on ne sait pas vraiment qui a le sort de l’équipe entre ses mains. Ou de rester impliqué si la direction ne daigne pas les informer de qui tire les ficelles. Personne n’aime être traité comme de bêtes bêtes de somme, exécutant les ordres et fermant leur gueule.
Il est toutefois encore trop tôt pour dire à Silver que ses craintes que les Clippers filent un mauvais coton se vérifient. Je continue de poser mon œil un peu partout dans le bureau de West.
Je remarque dans son foutoir écrit au feutre que le vénérable col blanc goûte beaucoup le futur candidat à la draft, DeAndre Ayton et beaucoup moins le meneur Trae Young, comparé par les bookmakers à l’autre taré d’artilleur qui sévit du côté de San Francisco. Qu’il ne veut pas d’Aaron Gordon à la Free Agency et qu’il guette une éventuelle guerre ouverte entre John Wall et Bradley Beal, ou de l’un des deux contre leur franchise, pour éventuellement en chaparder un.
Dans un coin, un panneau recouvert d’un tissu m’intrigue. Je soulève l’étoffe et, punaise, me retrouve face à un plan visant à faire le ménage à l’acide chlorhydrique dans la masse salariale des Clippers pour pouvoir tenter d’attraper LeBron James à la fin de son contrat, cet été.
Derrière moi, Austin lâche un juron du plus bel effet. De joie de jouer avec l’un des meilleurs basketteurs de tous les temps ou de crainte d’avoir à lui filer la gonfle plus qu’il ne le voudrait, je ne sais pas.
Clairement, Jerry West est du genre à s’installer à la table de jeu des grands pontes et mafiosi à peine entré dans le casino, short à fleurs sur le derche et tongs encore aux pieds. Mais bon, qui ne tente rien n’a rien. Et puis si James dit non après que West ait fait sauté tous les membres de l’effectif, les Clippers n’auront qu’à se tourner vers l’autre mur du bureau, celui qui prêche pour une reconstruction du sol au plafond via la draft et le marché des agents libres.
Je demande à Austin Rivers de me donner la clé du bureau et le renvoie à la séance d’entraînement qu’il était en train de sécher. La tête-à-claque s’exécute non sans m’avoir obligé à lui adresser un regard mauvais.
J’ai repéré sur le bureau de West son poste téléphonique, un combiné classique posé sur une large base munie d’un écran et de toutes une palanquée de boutons. Tripotant la console, j’arrive à faire apparaître l’annuaire interne sur l’écran et y débusque le numéro de Lawrence Frank.
Je lance l’appel. Une voix finit par répondre, m’appelant Jerry et s’étonnant que je sois à mon bureau. Je raccroche aussitôt et me mets à la recherche du bureau de Frank d’un pas vif. L’ancien coach des Nets devrait rapidement additionner deux et deux, et comprendre qu’il n’y a pas de coïncidence entre ce coup de fil étrange et la venue annoncée d’un inspecteur de la NBA qu’il essaye manifestement d’éviter. J’ai intérêt à alpaguer Frank avant qu’il ne se trouve une planque.
Par chance, le bureau du petit homme presque chauve est au même étage, un peu plus loin. Il n’a pas dû se passer plus de trente secondes entre mon appel téléphonique et ce moment présent où je frappe à sa porte.
A suivre
StillBallin (@StillBallinUnba)
La discussion avec Frank va être sympa je sens ^^