La touche StillBallin

Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer (Part. III)

 

Précédemment: Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer, Part.I et Part.II

Une voix me dit d’entrer. Je pousse la porte du bureau et franchi le seuil.

La pièce est relativement exiguë, presque recroquevillée sur elle-même autour de ses murs étroits et chargés de photos et d’articles de journaux d’un temps où Lawrence Franck n’était pas un Clipper. Un voile vaporeux de fumée de cigarette stagne devant mes yeux partout où je regarde. Les cendriers remplis à ras-bord, les flacons d’aspirine et les pile de dossiers en déséquilibre se raccordent bien à la gueule blafarde et les cernes creusées du Président des opérations basket de la deuxième franchise de Los Angeles.

Malgré sa tronche de Jeff Van Gundy, Frank me regarde m’installer dans le fauteuil devant lui avec un air calme, peut-être même amusé :
– Je savais que je n’aurais pas dû décrocher quand le nom de West est apparu sur le téléphone. Doc et lui s’étaient arrangés pour me laisser seul ici aujourd’hui. Je m’étais dit que peut-être, West était finalement resté.
– Vous planquer de la sorte à cause de quelques questions m’a rendu plus curieux que lorsque je suis arrivé.
– Vous venez pour parler du transfert de Blake Griffin, pas vrai ? Nous demander pourquoi on a balancé l’une des seules figures un peu victorieuses de cette foutue franchise à l’histoire merdique seulement quelques mois après avoir l’avoir enchaîné à nous avec un contrat de quatre ans fermes ? Nous demander pourquoi on n’a mis fin à la plus belle page des Clippers comme on jette aux ordures un vieux sparadrap qui nous a collé au genou pendant plusieurs semaines ?
– Ouais, c’est à peu près ça.
– Et qu’est-ce qu’elle en a foutre, la NBA, de ce qu’on fait avec notre effectif ?
– C’est simple. On vous regarde comme ce vieil oncle pas bien méchant mais toujours bourré qui, après quelques années de sobriété, semble avoir retrouver le chemin de l’alcool. Et on doit savoir si c’est vrai ou non. Pour savoir si on doit lui mettre une branlée ou non.

Lawrence Frank paraît redescendre de ses grands chevaux, le regard baissé sur son clavier d’ordinateur. Je peux presque l’entendre réfléchir à quelle stratégie adopter désormais. Il tire une cigarette d’un paquet tout froissé posé pas loin, m’en propose une que je refuse et l’allume.
– Tout d’abord, reprend-il un peu sur la défensive, je n’étais que le second dans l’organigramme quand la décision a été prise de prolonger Blake avec cet énorme contrat. Ce n’est que quelques semaines après que je suis devenu le Président des opérations basket et que Doc a reculé d’un cran dans la hiérarchie managériale pour devenir un simple « coach ayant son mot à dire sur les choix de recrutement », pour paraphraser notre proprio.
– Vous auriez laisser partir Griffin à la fin de son contrat, si vous aviez été intronisé grand chef avant le début de l’été ?
– Sans hésiter.

L’enfoiré ment comme un type qui cherche à me voler un rein. Ses mots sont sortis de sa bouche bien trop rapidement et avec le ton d’un mauvais film d’action vendu directement en DVD. Même en admettant qu’il voulait relancer les Clippers dans une autre direction, il aurait fallu un gros paquet de tripes pour oser laisser ainsi Griffin sur un bord d’autoroute. Rien que pour ça, il aurait dû hésiter un peu plus longtemps que sa réponse le laisse entendre. Et ce bureau noyé dans la fumée de cigarette et la paperasse bourrée de post-its que personne n’a pris le temps de ranger ne dépeint pas vraiment ce genre de dirigeant audacieux et assuré.

Voyant mon scepticisme, et moi ses méninges tourner à toute vitesse derrière ses yeux aux aguets, Frank reprend :
– Il était sûr que Griffin allait coûter cher, beaucoup trop cher pour un type souvent blessé et qui, à 28 ans presque 29, semble déjà être doucement en route pour le cimeterre des mecs athlétiques. Mais surtout, Inspecteur, surtout, son profil dans cette saleté d’NBA moderne me file des migraines à se frotter le front sur du crépis. Griffin a eu beau développer un petit shoot honorable, c’est dans le périmètre proche du cercle que son talent s’exprime réellement. Griffin et quatre shooteurs autour de lui, c’est là que son potentiel offensif est optimisé. Mais on ne peut pas vraiment le mettre pivot parce qu’il ne peut pas suffisamment protéger le cercle ou à défaut contrôler la raquette par son placement et sa couverture. Et dans cette ville, on ne peut pas décrocher la timbale sans suffisamment de spacing et de protection de l’accès au panier. Même avec Chris Paul on a pas réussi à aller très loin. Ce n’est pas pour rien qu’il s’est barré.
Du coup, vous savez ce que j’aurais dû faire ? Trouver une de ces fichues « licornes » capable de protéger le cercle et de tirer à longue distance dont on parle tout le temps. Et vous savez pourquoi on les appelle des licornes ? Parce que ces joueurs sont si rares qu’à une époque on croyait qu’il n’en n’existait pas. Et moi, comment voulez-vous que j’en trouve une sans haut choix de draft et sans pognon dans la masse salariale à cause du contrat de Blake ?
– Trouver à nouveau un ou deux joueurs du calibre de Griffin est tout aussi difficile que trouver une licorne, non ? Et avoir ce genre de joueur est plus important, aussi je dirais.

Frank ne dit rien, se contentant de me fixer comme si j’étais un empêcheur de tourner en rond. Ce que, à vrai dire, je suis bien. Mais avoir des franchises qui tournent en rond, c’est mauvais pour le business de la ville.

« Frank, il y a un truc qui me chiffonne. En admettant même que je crois ton sac de conneries selon lequel Griffin n’est pas un bon cheval sur qui miser et que t’imagines pouvoir trouver mieux, moins cher et plus jeune en soulevant un ou deux cailloux lors de la prochaine draft ou du marché des agents libres : comment se fait-il qu’il ne s’est pas passé plus d’une demi-heure entre ton premier coup de fil pour essayer de refourguer l’ailier et le fax que vous avez envoyé à nos bureaux pour officialiser la transaction ?
Trente minutes, c’est vraiment peu pour regarder ailleurs s’ils n’y avaient pas de meilleures offres, tenter de faire monter les enchères et enfin négocier durement avec les Pistons pour essayer de les entuber sans se faire entuber, comme le ferait n’importe quel General Manager normalement constitué. »

Pour toute réponse, Lawrence Frank envoie valdinguer une pile de dossiers contre un mur. La sérénité qu’il avait artificiellement arborée sur son visage au début de l’entrevue et qui s’était fissurée au fil de la discussion venait d’exploser en éclats sous mes yeux.

« Vous ne savez pas que cette organisation est une putain de jungle », crache-t-il avec un regard rougeoyant de colère au dessus de ses cernes mauves. « Avoir ce fichu titre de Président des opérations basket imprimé sur la porte de mon bureau n’a pas suffi à faire de moi le seul décideur de la franchise.

Quand j’ai été promu, l’équipe était déjà ficelée par Doc avec cette idée de rester compétitif à court terme, qu’importe que ça me coupe tous les leviers de recrutement à l’avenir. Balancer un pactole à Gallinari, quitte à envoyer un choix de draft du premier tour à Atlanta pour pouvoir le faire ? Conserver les trentenaires ou presque DeAndre Jordan, Pat Beverley et Louis Williams plutôt que de les échanger contre des jeunes à potentiel ou des picks ? Tout ça, ce sont les choix de Doc. Cette putain d’équipe, c’est la putain d’équipe de Doc.

Ce n’est plus lui qui est officiellement aux commandes de l’effectif mais c’est toujours vers son costume tiré à quatre épingles qu’on se tourne. Quand je propose un truc, tout le monde coule un regard vers Doc et Jerry West avant de s’exécuter. Quand les scouts veulent parler d’un joueur qui leur ont tapé dans l’œil, ils en touchent un mot à Doc et West avant moi. Quand un agent me téléphone, il me demande ce qu’en pense Doc et West. Je ne suis pas un dirigeant, je suis une saleté de secrétaire.

Doc aurait dû se mettre en retrait sur les décisions de management et montrer à tout le monde qu’il me prêtait allégeance. Il n’a rien fait de tout ça. Il a accepté d’abandonner le titre de Président des opérations basket mais il tire toujours les ficelles en coulisse, l’air de rien. Et quand ça ira mal, c’est sur ma gueule que ça va tomber. Il va se servir de moi comme d’un fichu paratonnerre.

Je n’avais pas trente-six milles solutions pour inverser la tendance. Il fallait que je montre à tout le monde qui était le patron ici. Je l’ai fait en faisant prendre à la franchise une décision que Doc ne voulait pas.

J’ai tout de suite penser à Griffin. Doc voulait rester compétitif. Il ne voulait pas d’une reconstruction, ni être l’entraîneur d’une équipe qui perd. La simple idée qu’il puisse avoir une ou deux saisons avec un bilan négatif dans son curriculum lui fait gerber des ronds de chapeau. Griffin était celui qui lui aurait permis de garder un niveau minimum de compétitivité quoi qu’il arrive et d’écarter toutes velléités de reconstruction. C’est pour ça qu’il lui a donné ce contrat blindé. Dégager Griffin était un sacrifice nécessaire, un fichu pion foutu à la flotte pour montrer à tout le monde qui dirige désormais.

Alors je suis allé voir le proprio et lui ai raconté de la merde sur Griffin à propos de ses blessures, de son âge et de son profil dans le jeu moderne, jusqu’à ce qu’il se mette à pâlir comme un cul. Il m’a donné son aval pour un transfert et j’ai bouclé le premier deal venu pour qu’il soit entériné avant que Doc et West ne puisse y fourrer leur nez.

Avec un peu de chance, ce transfert va même pousser Doc à prendre la tangente. Je serai alors débarrassé d’un type trop encombrant, tellement enraciné dans la franchise qu’un seul de ses mots vaut trois des miens. Et puis je pourrais aussi faire gicler Austin Rivers et son contrat de pistonné. »

Son déballage terminé, Frank écrase furieusement sa cigarette dans un cendrier. Il en attrape deux nouvelles et les coincent dans sa bouche avant de les allumer. Il attend nerveusement ma réaction et de savoir de quoi son avenir sera fait maintenant qu’il avait avoué à un inspecteur de NBA Ville avoir privilégier ses intérêts à ceux des Clippers.

En réalité, j’en ai rien à secouer des luttes de pouvoir intestines d’une franchise. Une telle organisation sera vraisemblablement mieux tenue par un manipulateur vicelard que par un débile irrécupérable. Le seul truc à réellement surveiller est que cette guerre des dirigeants ne prenne pas des plombes. Si c’est le cas et que ça envoie la construction du roster vers une voie de garage, Adam Silver réglera vite l’affaire et certainement avant que la franchise soit complètement embourbée dans sa propre crasse. Un chuchotement dans l’oreille du proprio, Steve Balmer, et on pourra voir Frank ou Rivers être démis de ses fonctions. Affaire classée.

Je lance un regard ennuyé au Président en proie au tumulte :
– Je suppose donc que le plan est désormais de partir en complète reconstruction en profitant du peu de temps qu’il reste encore sur le contrat des vétérans comme Jordan, Williams, Beverley ou Bradley pour les échanger contre des éléments d’avenir, pas vrai ?
– Je ne vois comment comment il pourrait en être autrement maintenant que Griffin n’est plus là. Sauf à tripoter le plaisir malsain de vivoter en permanence devant la porte des playoffs, c’est la seule chose qu’il reste à faire. Même Doc a dû le comprendre.

Laissant Lawrence Frank seul avec son assomption, je me lève de mon fauteuil pour lui signifier que je n’ai plus d’autres questions à lui poser, et quitte le bureau enfumé d’intrigues, d’angoisses et de cachets d’aspirine.

***

Complètement affalé dans un fauteuil de l’espace central de travail emprunté à un collègue, je regarde le grand écran annonçant en temps réel les transferts réalisés. La trade deadline est passée depuis presque une demi-heure mais les agents de NBA Ville sont encore tout affairés autour de moi à vérifier la validité des transactions de dernière minute, calculer les incidences financières ou envoyer des informations un peu partout.

L’espace central grouille de bruits et de mouvements comme une ruche excitée et pourtant cette saleté d’écran ne bouge plus depuis qu’il a affiché l’échange envoyant Elfrid Payton à Phoenix. Ainsi, DeAndre Jordan ou encore Avery Bradley sont toujours des Clippers. Lawrence Frank n’a donc pas pu mettre à exécution la suite de son plan de nettoyage de son roster.

Sa main mise sur la direction de l’organisation n’aura ainsi été que temporaire. Doc Rivers, Jerry West ou Tartempion n°4 a manifestement pu prendre le dessus sur le front office durant ces dernières heures avant la date limite des transferts. A moins que ce soit une coalition qui se soit formée juste à ce moment pour empêcher Frank de prendre définitivement le pouvoir.

Peut-être aussi que Frank a soudainement eu les jetons d’aller au bout de son plan ou qu’il s’est montré trop gourmand sur les contre-parties qu’il voulait en retour, au point de finir le bec dans l’eau lorsque la fin de la récré a sonné. Allez savoir.

J’ai déjà transmis à Adam Silver mon rapport sur les raisons du transfert de Griffin alors ce que font les Clippers maintenant n’est plus mon problème. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de garder un œil sur eux.

Je ne sais toujours pas dans quelle direction ils vont, ni même si eux-même le savent. La prolongation du contrat de Louis Williams survenue la veille avait déjà troublé le tableau mais la possibilité existait -existe encore- qu’il s’agissait d’avoir une jolie monnaie d’échange avec trois ans sur son bail plutôt que six mois, quitte à devoir attendre l’été prochain pour la convertir. Maintenant, cette signature ressemble d’avantage à un signe que ce n’est plus le stressé Président des opérations basket qui est au commande.

Je pousse un lourd soupir plein d’ennuis. Certainement que Silver me demandera à nouveau d’aller voir ce qu’il se trame là-bas.

Un de mes collègues passe à côté de moi et de ma mine renfrognée en posant sur mes genoux un document fraîchement imprimé. Je porte le feuillet à mes yeux. Il rapporte que les Clippers étaient à deux doigts de conclure un transfert envoyant DeAndre Jordan à Cleveland. Le dernier paragraphe utilise des valises de conditionnels mais ajoute quand même malgré tout que ce serait les Cavaliers qui auraient finalement préféré traiter avec les Lakers plutôt qu’avec les Clippers.

Lawrence Frank avait donc peut-être bien la main sur le gouvernail après tout. Mais comment se fait-il que Cleveland ait trouvé une offre comprenant le gentillet Larry Nance Jr et le contrat à la noix de Jordan Clarkson, plus intéressante que celle leur filant DeAndre Jordan ? Frank a dû déconner quelque part.

Et pourquoi le dégarni contrarié n’a-t-il pas réussi à refourguer son pivot ailleurs ou à tirer un petit truc d’Avery Bradley avant que celui-ci ne parte à la fin de son contrat cet été ?

Le retour de l’incompétence légendaire des Clippers porterait-elle le nom de Lawrence Frank  Punaise, j’en ai pas fini avec organisation.

Fin.

StillBallin (@StillBallinUnba)

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2 réflexions sur “Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer (Part. III)

  • WarriorsBucksKid #A

    "l’enf*iré ment comme un type qui cherche à me voler un rein. Ses mots sont sortis de sa bouche bien trop rapidement et avec le ton d’un mauvais film d’action vendu directement en DVD" Ce passage m'a tué haha
    On verra bien ce que font les clipps cet été !

  • StillBallinBB

    (ah ah merci) En vrai, je crains une intersaison tiédasse de leur part, sans trop de gros mouvements. Mais bon, c'est dur à dire.

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