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[Interview] Thomas Berjoan : « Ce qui m’a frappé, c’est que Stephen Curry a toujours été Stephen Curry »

Pour l’auteur Thomas Berjoan, « LeBron James est sans doute le plus fort, mais Stephen Curry a amené une révolution plus importante » en NBA.

Un an après «Stephen Curry – La révolution», l’auteur Thomas Berjoan a publié une seconde biographie sur un monstre sacré du basket américain : «LeBron James – Le destin du King.» Deux superstars différentes, mais comparables, qui se sont croisées quatre fois de suite en finale NBA entre 2015 et 2018.

Vous êtes l’auteur d’une biographie de Stephen Curry, et d’une autre de LeBron James. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en écrivant sur Curry ?

Thomas Berjoan : En faisant des recherches, ce qui m’a frappé, c’est que Stephen Curry a toujours été Stephen Curry. Lors de sa première finale dans une toute petite équipe, ils sont menés de 8 points à une minute de la fin, tout le monde pense que c’est foutu sauf lui. Il marque à 3 points, il intercepte, re-marque à 3 points. Derrière, il fait une passe décisive. Tout de suite, par la qualité de son tir extérieur et par son mental, il fait des miracles et parvient à retourner des situations. Il a cette croyance en lui, en son shoot. Et ce qui est fou, c’est qu’à chaque étape de sa carrière, on pense qu’il sera trop petit, trop lent, trop maigre, que son jeu à base de shoot extérieur ne passera pas. Au lycée, ça ne passera pas. Ah bah si, ça passe. Oui, mais alors en université, ça ne passera pas. Ah bah si. Oui, mais en NBA… Et non seulement ça a fini par passer, mais c’est la NBA qui a fini par s’adapter à lui. Le titre du bouquin est «La révolution» parce qu’il a révolutionné le jeu. Son histoire, elle se répète de ses 12 ans jusqu’à sa saison de MVP unanime, en 2016.

Et sur LeBron ?

On a longtemps pensé que LeBron pouvait avoir une faiblesse mentale. Et en écrivant le livre, je me suis rendu compte que, oui, parfois, il a craqué. Mais quand on voit le niveau de pression qui était son quotidien, quand on voit comment les joueurs, les coaches ont tous craqué, que ce soit Kevin Love, Kyrie Irving, Richard Jefferson ou l’entraîneur Tyronn Lue. Soit ils sont partis, soit ils pleuraient dans l’avion, soit ils sont tombés en dépression. Je ne pense pas que ce soit le joueur le plus fort de l’histoire mentalement, mais il n’en reste pas moins très fort. Simplement, il s’est parfois retrouvé à assumer un niveau de pression impossible à tenir. Et il en était responsable, car il a participé à sa construction. Donc en creusant en profondeur, on se rend compte que LeBron, ce n’était pas juste un physique ou un cerveau.

«Stephen Curry a été sous-estimé toute sa carrière en dépit des récompenses, alors que LeBron a été attendu comme le Messie dès 17 ans.»

Est-ce que tout les oppose ?

C’est sûr qu’énormément de choses les opposent. Leur enfance, d’abord. Curry est un fils de joueur NBA millionnaire, dans un foyer uni, solide et heureux. LeBron est fils d’une mère célibataire qui a vécu dans la misère la plus totale. Stephen Curry a été sous-estimé toute sa carrière en dépit des récompenses, alors que LeBron a été attendu comme le Messie dès 17 ans. Les deux points se rejoignent : Curry a longtemps été sous-estimé, car on pensait que son physique n’était pas suffisant à chaque étape de sa carrière, là où LeBron a gagné la loterie génétique. Pendant longtemps, le tir extérieur a été un point faible de James alors que Curry a construit sa principale force là-dessus.

Au niveau des points communs, on note qu’ils sont nés dans la même petite ville d’Akron (Ohio), qui est pourtant loin d’être une mégapole américaine.

C’est le hasard de la vie. Il y a aussi leur éthique de travail que je détaille dans les deux bouquins. Ça fait un peu marronnier de le dire, mais c’est intéressant de voir les témoignages de ceux autour d’eux, parfois des stars NBA qui ont aussi beaucoup travaillé et qui expliquent qu’ils sont dans une sphère qui leur est propre.

Lorsque Curry impressionnait à l’université (entre 2006 et 2009), LeBron allait le voir jouer et devenait fan de ce gamin. Il ignorait qu’il lui ferait vivre l’enfer un jour…

C’était inenvisageable à l’époque. Mais LeBron est un vrai amoureux du basket, un «étudiant du jeu» comme il dit. À ce moment, Curry connaît avec Davidson (l’université située en Caroline du Nord où il a évolué, ndlr) un parcours de petit Poucet en éliminant des plus grandes universités lors du tournoi national. Il crée un buzz fou avec des performances extraordinaires. On a l’impression qu’il a 15 ans, avec un duvet disgracieux en guise de moustache, il est tout maigre. Les amateurs de basket du monde entier découvrent ce shooteur fabuleux, ce culot. LeBron est comme tout le monde, il trouve ça génial. Il est toujours allé voir des matches de lycée et d’université. Et effectivement, à l’époque, il est loin de se douter que c’est ce gringalet qui va le battre 3 fois sur 4 en finale 10 ans plus tard.

«Stephen Curry a construit une culture de la joie à Golden State. […] LeBron James a un tempérament arrogant, orageux.»

 

Un autre fait amusant : vous expliquez que le choix de Kevin Durant de rejoindre Golden State en 2016 ne serait jamais arrivé si LeBron n’avait pas pris une décision similaire en 2010, en signant à Miami. Quelque part, Curry peut remercier LeBron ?

Je serais curieux d’avoir une discussion 100% honnête avec Curry sur l’arrivée de Durant. Mon analyse, c’est que Curry aime trop gagner. D’autant plus que c’est un joueur qui a été souvent blessé dans sa carrière, et c’est ce qui lui coute le titre en 2016. Je pense que Curry fait le choix de la dynastie (en acceptant Durant dans son équipe, ndlr), et il a raison, car ils ont gagné deux titres depuis. Curry savait qu’il devrait partager, qu’il faisait une croix potentielle sur les trophées individuels. Il y a énormément de joueurs incapables de faire ça. Je respecte immensément Curry d’avoir fait le choix du palmarès collectif au détriment de ses stats et ses trophées de MVP. Oui, Stephen Curry peut remercier LeBron pour les titres après 2016. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que c’était probablement plus difficile qu’il n’y paraît pour Stephen Curry. Et d’ailleurs, la 1re année avec Durant, et je le raconte dans le livre, a vu beaucoup de difficultés, d’ajustements. Ce n’était pas simple pour lui de laisser de la place à Kevin Durant.

C’est plus facile de jouer avec Curry ou LeBron ?

Ça dépend de quel type de joueur on parle. Curry, et c’est une des raisons pour lesquelles ce qu’il fait est admirable, a construit une culture de la joie à Golden State. Quand son record de tirs à 3 points réussis dans un match est battu par son coéquipier Klay Thompson, il est le premier à exulter sur le banc. C’est un coéquipier modèle, et un joueur autour duquel il a été possible de construire une dynastie. Est-ce que Kevin Durant est le meilleur joueur de Golden State sur les 3 dernières années ? Durant est plus brillant, mais l’équipe de Golden State n’est pas construite autour de lui, même aujourd’hui. Le leader historique, celui qui a fait passer une franchise des bas-fonds à une dynastie qui gagne tout, c’est Curry. Mais il l’a fait dans une culture du sourire. Le titre de 2015 en est caractéristique. Tout le monde se marrait, c’était la joie de jouer et le plaisir qui l’emportaient sur tout le reste. Là-dessus, ça doit être plus sympa d’être coéquipier de Curry que de LeBron, parce que, de 2014 à 2016, c’est l’enfer de jouer avec lui. Il y a énormément de pression parce qu’il a un tempérament arrogant, orageux. Il règle ses problèmes de façon passif-agressif, envoie des piques. Après, sur le terrain, il y a une anecdote assez drôle que je raconte dans le livre. Dans les années 2000, Larry Bird, directeur des opérations basket au sein des Indiana Pacers, voit son assistant lui suggérer de recruter des coéquipiers de LeBron. Il lui répond : «Non, mais t’es fou, ces mecs-là sont nuls ! On a l’impression qu’ils sont bons parce qu’ils jouent avec LeBron.» Ils ont en commun de rendre meilleur leurs partenaires, de faire gagner leur équipe, et on peut construire autour des deux. Après, leurs tempéraments sont très différents.

«Sur tous les terrains du monde, les gamins veulent prendre des tirs comme Stephen Curry.»

 

Qui va laisser le plus grand héritage en NBA ?

(Il réfléchit) C’est à la fin de la foire qu’on compte les boules, donc c’est difficile de répondre. Aujourd’hui, LeBron est le deuxième sportif le plus populaire du monde derrière Cristiano Ronaldo. C’est une star aux États-Unis depuis 2002. Quand il raccrochera, il aura fait 20 ans où on ne parle que de lui. Il a fait 8 finales consécutives. Donc parce qu’il a été instigué comme l’héritier de Jordan dès le départ, la notoriété de LeBron est très grande. Mais sa popularité est singulière dans le sens où elle est clivante. Il y a beaucoup de gens qui le détestent. Au niveau des stats, il risque de finir meilleur marqueur de l’histoire de la NBA, il va accumuler énormément de distinctions individuelles, son palmarès est déjà fou. Sa place ne sera pas loin du sommet de la NBA. Maintenant, Curry a révolutionné le jeu. À la fin, il sera tout en haut dans l’histoire des meneurs avec Magic Johnson. Il sera devant Jason Kidd, John Stockton, Isiah Thomas. LeBron sera certainement au-dessus, mais Curry, c’est fabuleux. Et quand on pense à ce qu’il fait avec le physique qu’il a, c’est encore plus impressionnant.

Stephen Curry a plus révolutionné le jeu que LeBron James ?

Je ne sais pas si LeBron a révolutionné le jeu. Ça ne veut pas dire qu’il était moins fort ou moins unique. La période la plus «révolutionnaire» de LeBron, c’est à Miami en 2012, quand ils développent leur basket sans position. Toute l’attaque tourne autour de lui, mais ça a marché parce qu’il avait les bons coéquipiers. Après, LeBron est monstrueux dans plein de domaines, mais des choses qu’on connaissait. La percussion, la vitesse, la contre-attaque, le jeu dos au panier. On avait rarement vu un mec qui excellait dans tous ces domaines et qui avait de telles qualités physiques, mais est-ce qu’il a révolutionné le jeu ? Je ne suis pas sûr. Curry révolutionne le jeu dans le sens où, avant 2015, tout le monde dit que c’est impossible de gagner sur du tir extérieur. Depuis, il a boosté les volumes de tirs à 3 points et fait exploser les cadres. Avant, les joueurs ne shootaient pas à 10 ou 11 mètres. Aujourd’hui, LeBron le fait, Damian Lillard aussi. Pareil pour le rookie d’Atlanta Trae Young. On s’est mis à reconsidérer ce type de joueurs. On peut ne pas être le plus rapide ou le plus grand du monde, mais la technique individuelle parfaite, le dribble, la portée du tir, la vista absolue au niveau de la dextérité, finalement, tout ça peut amener au plus haut niveau. Et il a aussi révolutionné dans le sens où, sur tous les terrains du monde, les gamins veulent prendre des tirs comme Stephen Curry. Il est le joueur le plus populaire chez les jeunes Américains. LeBron James est sans doute plus fort, mais Stephen Curry a amené une révolution plus importante.

 

Thomas Berjoan. Stephen Curry – La révolution, Editions Marabout, 19,90€

Thomas Berjoan. LeBron James – Le destin du King, Editions Marabout, 19,90€

Par Sébastien Ferreira

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