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Young Corner: Le cercle des stars

Bienvenue dans le Young Corner! Le coin où l’on décortique les progrès (ou non) des joueurs arrivés dans la ligue depuis moins de trois ans.

James Harden nous l’apprend à chaque match, et ses détracteurs s’en plaignent bien assez : obtenir des lancers-francs est une des armes fatales d’une superstar en NBA. La liste des dix joueurs ayant obtenu le plus de lancers cette année est exclusivement composée de All-Stars quasi certains en février : derrière Harden, on retrouve Giannis, Butler, Doncic, Davis, Embiid, Beal, Lillard, Young et Leonard. Aller sur la ligne offre l’immense avantage de neutraliser la variante la plus imprévisible du basket : l’adresse. Les meilleurs joueurs sont ceux qui, dans un jour sans au tir, parviennent à assurer une vingtaine de points en obtenant des fautes et en récupérant des lancers.

Cette capacité est ce qui sépare l’élite de la ligue des joueurs restant à la frontière du monde restreint des superstars. Une comparaison entre, par exemple, CJ McCollum et James Harden en fournit une bonne démonstration. Durant les sept saisons de McCollum à Portland et les huit de Harden à Houston, leur eFG%, qui mesure leur adresse générale, est sensiblement identique : elle oscille entre 50 et 54%. Autrement dit, Harden n’est pas plus adroit que McCollum. Ce qui le différencie de son collègue est sa capacité à aller au cercle et à récupérer des lancers. En huit saisons, le pourcentage de tirs pris par Harden près du cercle n’est jamais descendu en dessous de 28% ; celui de McCollum n’est jamais monté au-dessus de cette barre. Sur la même période, au minimum 16% des tirs de Harden ont abouti à une faute ; McCollum n’a dépassé qu’une seule fois la barre des 9%, lors de son année sophomore.

La plupart des porteurs de balle d’élite de la ligue sont capables de dépasser la barre des 10% de Shooting Fouled Percentage (SFLD%) : Bradley Beal, par exemple, avait toujours été en-dessous de 9 avant de dépasser la barre de 10 l’an dernier, sa première campagne All-Star. L’un des principaux défauts qui empêchent Jamal Murray de passer un cap est cette incapacité à obtenir des fautes : son SFLD% était de 5.5 l’an dernier, 4.4 cette année, le tout en prenant moins de 25% de ses tirs près du cercle. Ses performances au scoring, par conséquent, varient dramatiquement d’un match à l’autre, parce qu’il n’a pas ce matelas de sécurité.

Bien sûr, cette donnée doit se combiner avec d’autres capacités : Jeff Teague, par exemple, a toujours été excellent pour obtenir des fautes, mais son manque général d’adresse et de volume à 3-pts le freine comme arme offensive. Idem pour Ricky Rubio, capable d’obtenir des fautes, mais très maladroit près du cercle (une seule fois au-dessus des 51% de réussite en neuf saisons) et à 3-pts. L’évaluation du scoring d’un joueur est toujours multifactorielle, mais la capacité à aller sur la ligne dessine un plancher très révélateur.

Une façon assez basique de calculer ce plancher est d’additionner les points scorés près du cercle et les points marqués sur la ligne, pour avoir un aperçu des points « faciles » qu’un joueur apporte en moyenne chaque soir à son équipe. Si on prend une vingtaine de porteurs de balle les plus performants de la ligue, on peut les classer par catégories selon le total obtenu :

Surnaturel (au-dessus de 20 pts « faciles ») : Giannis et Harden

Élite (> 13 pts) : Westbrook, LeBron, Lillard, Booker, Beal, Butler

Très bon (> 10 pts) : Holiday, Leonard, Simmons

Bon (> 8 pts) : Lou Williams, Walker

Médiocre (> 6 pts) : McCollum, Russell, Murray

Sans surprise, on retrouve Jamal Murray et CJ McCollum dans les scores les plus bas, et les deux derniers MVP dans les scores les plus hauts. Notons que même Stephen Curry, pourtant plus réputé pour son tir, tourne en général autour de 10 pts « faciles » par match, par l’association d’une excellente adresse près du cercle et de sa quasi-perfection aux lancers.

Lorsqu’il s’agit d’évaluer des jeunes joueurs, ces stats sont encore plus intéressantes, par les indications qu’il donne du plancher d’un joueur. Un rookie ou un sophomore capable d’aller fréquemment au cercle et d’obtenir des fautes est un joueur physiquement adapté au niveau NBA. Reprenons le calcul avec les principaux porteurs de balle ayant moins de trois saisons dans la ligue :

Élite (> 13 pts) : Doncic

Très bon (> 10 pts) : Morant, Sexton, Mitchell, Gilgeous-Alexander, Fox, Young

Bon (> 8 pts) : Barrett

Médiocre (> 6 pts) : Fultz, Graham

Inquiétant (en-dessous de 5 pts) : Simons, Garland, White

Là encore, les résultats sont parlants : le joueur qui ressort du lot est Doncic, le seul à pouvoir réclamer le titre de superstar. En plus de sa taille et de ses qualités physiques réelles, Doncic a cette capacité de décélération et de timing qui lui permet de comprendre comment profiter de l’élan du défenseur pour le tromper, voire pour récupérer la faute :

Tout le monde ne peut pas être Luka Doncic. Pour tous ces jeunes joueurs, les stats ci-dessus peuvent être interprétées de diverses façons et méritent d’être analysées de plus près. Dans l’absolu, elles peuvent révéler plusieurs défauts :

  1. Un manque d’explosivité, qui empêche le joueur de faire la différence en sortie de dribble ou de finir correctement près du cercle.
  2. Un mauvais dribble, qui l’empêche d’aller au cercle.
  3. Des limites techniques dans la finition près du panier.

Un joueur qui ne va pas au cercle est, en un sens, plus inquiétant qu’un joueur qui n’arrive pas à marquer près du panier. Le second pourra toujours prendre du poids et travailler sa technique. Le premier ne va pas du jour au lendemain se découvrir un premier pas foudroyant ou des capacités physiques hors du commun. Sans être à 100% prédictive, la capacité à obtenir des fautes est un indicateur intéressant dès l’année rookie. Si l’on reprend le cas de James Harden, ce talent apparaît dès ses débuts dans la ligue :

(Via Cleaning The Glass) La colonne orange indique le percentile dans lequel se situe le joueur par rapport à sa position: c’est-à-dire que sur 100 arrières, Harden n’a jamais été pire que 93e dans toute sa carrière pour obtenir des fautes!

A l’inverse, un meneur comme Kris Dunn, en souffrance avec son tir depuis longtemps, n’a jamais réussi à compenser ce défaut par l’agressivité près du cercle :

Les joueurs qui n’obtiennent pas de fautes restent, en général, des role players. Sur les 116 joueurs prenant plus de dix tirs par match, ceux qui vont le moins souvent sur la ligne sont des purs shooteurs : Bryn Forbes, Joe Harris, Davis Bertans, Taurean Prince, par exemple. Retrouver dans le bas du classement Isaiah Thomas est un témoignage logique de son déclin physique. Y voir les noms de rookies est en revanche assez inquiétant. Au moment d’évaluer les jeunes joueurs à partir de ces données, il est essentiel, avant de fournir des réponses toutes faites, de se poser les bonnes questions : pourquoi ses stats sont-elles ce qu’elles sont ? Peuvent-elles être améliorées ? Dans quel contexte sont-elles réalisées ?

Une question d’équilibre

Trouver un équilibre dans son jeu offensif, lorsqu’on a été habitué à dominer plus facilement au niveau inférieur, n’est pas toujours évident. Un garçon comme De’Aaron Fox a déjà un bel équilibre dans son scoring, avec une grande efficacité au cercle (62% de réussite) et une capacité remarquable à récupérer des fautes (sur 19.3 % de ses tentatives). Il prend 34% de ses tirs au cercle, ce qui est un bon ratio, et son tir extérieur amélioré lui permet de ne pas se reposer que sur cela.

Si l’attaque du cercle crée le plancher d’un joueur au scoring, le shoot extérieur est son plafond : les meilleurs joueurs savent trouver un équilibre, que Fox et Doncic ont déjà, et que d’autres cherchent encore. Le tableau ci-dessous permet de mieux comprendre cette recherche d’équilibre :

Pourcentage de tirs pris près du cercle Réussite près du cercle Pourcentage de fautes obtenues sur 100 tirs
RJ Barrett 51 % 52 % 14.6 %
Markelle Fultz 47 % 62 % 10.7 %
Ja Morant 53% 57% 14.2%
Trae Young 20% 55% 10.2%
Devonte’Graham 21% 49% 8.6%
Donovan Mitchell 25% 62% 8.8%

 

Deux cas différents, ici :

  • Barrett, Morant et Fultz prennent autour de la moitié de leurs tirs près du cercle. C’est trop pour être une vraie menace complète au scoring. Même Russell Westbrook, un furieux du cercle, n’a jamais dépassé 46% en carrière. La raison est la même pour les trois : faute d’avoir un shoot extérieur fiable, ils se reposent principalement sur leur force de pénétration, ce qui limite pour l’instant leur plafond de développement.
  • A l’autre extrémité du spectre, Graham, Young et Mitchell prennent un nombre de tirs près du cercle bien en-dessous de la moyenne pour des stars offensives, même si leur nombre de lancers récupérés reste très honnête. Le cas de Mitchell laisse assez perplexe : depuis son arrivée dans la ligue, il n’a cessé de faire baisser son nombre de tirs au cercle et à 3-pts, et d’augmenter le nombre de floaters, shoot bien moins facile ou rentable. Sa remarquable adresse près du cercle laisse penser que ce choix n’est pas stratégiquement le plus intelligent. On retrouve la même tendance chez Trae Young, qui prend lui davantage de 3-pts. Quant à Graham, le déséquilibre va clairement vers le 3-pts : 55% de ses tirs sont derrière la ligne !

Une question de contexte

Commençons par une image : le joueur des Knicks englouti par quatre Bulls dans la raquette est RJ Barrett, parti à la recherche d’un layup bien compromis.

 

Barrett tourne à un médiocre 52% au cercle, plus facile à comprendre quand on voit l’horrible spacing autour de lui. Entouré de quasi non-shooteurs (Payton, Randle, Robinson), Barrett n’a pas d’espace pour aller au cercle et se trouve contraint à prendre un tir quasi impossible. New York est 26e de la ligue au nombre de 3-pts pris, 22e à l’adresse, et n’offre que peu d’espaces à ses ball handlers pour driver efficacement. Idem, à un degré moindre, pour Gilgeous-Alexander à OKC et Markelle Fultz à Orlando. Doncic, au contraire, joue dans l’équipe qui shoote le plus à 3-pts après Houston, avec la 7e meilleure adresse de la ligue, et a donc beaucoup d’espace autour de lui.

Le contexte est donc essentiel pour nuancer les performances d’un joueur. Qu’un Nigel Alexander-Walker, par exemple, soit à 42% de réussite au cercle dans une attaque top 6 en 3-pts tentés et inscrits est un vrai signe inquiétant : le joueur ne peut pas être efficace, même dans un contexte favorable. Au contraire, la réussite de Fultz (voir le tableau ci-dessus) est très positive pour le futur, et laisse penser qu’il pourrait faire encore plus de dégâts dans une attaque plus espacée.

Une question mentale et physique

Des statistiques basses dans les catégories qui nous intéressent aujourd’hui peuvent aussi signaler un blocage mental. Pour reprendre l’exemple de Markelle Fultz, le fait que son nombre de fautes récupérées ne soit pas à la hauteur de son volume et de son adresse au cercle peut clairement être un indice de sa peur d’aller sur la ligne des lancers, pour les raisons que l’on sait. Doncic et Fox, qui ont des pourcentages de fautes récupérées diaboliques (respectivement 17 et 19.3%), respirent au contraire la confiance à l’idée d’aller sur la ligne, et ne fuient donc pas le contact.

Le fait de prendre beaucoup de tirs à mi-distance peut aussi être un signe d’une appréhension mentale à l’idée d’aller défier les baobabs de la raquette adverse, surtout lorsqu’on est un meneur assez léger. Anfernee Simons, par exemple, ne prend que 20% de ses tirs au cercle, contre 36% à mi-distance. On le voit ici ne pas oser aller défier Poeltl :

 

Devonte’ Graham, Trae Young ou Darius Garland, tous d’assez petite taille et de physique fluet, semblent partager cette appréhension, qui vient d’une pure limite athlétique. La différence avec la confiance – aux limites du raisonnable – de Ja Morant est spectaculaire. Adebayo est sur le chemin ? Pas de problème, on rentre dedans :

Quand – et pour qui – faut-il s’inquiéter ?

A part quelques exceptions (Doncic, again), un jeune joueur aura toujours quelques statistiques plus basses que la moyenne au cercle dans ses premières années. RJ Barrett est maladroit près du cercle, mais parvient à y aller et à obtenir des fautes, Mitchell n’y va pas assez, mais est extrêmement adroit quand il y va, etc… Les vrais profils préoccupants sont ceux qui combinent plusieurs données déficientes.  Les questions de contexte, de mental ou d’équilibre évoquées ci-dessus ne peuvent pas, en général, expliquer des manques dans tous les domaines. Un jeune joueur allant rarement au cercle, y étant très maladroit et n’arrivant pas à obtenir des fautes est un joueur limité en termes de potentiel athlétique et/ou technique, et donc de potentiel offensif. Une carrière de role player peut s’offrir à eux : peu d’observateurs croient encore, par exemple, à un Frank Ntilikina scoreur de haut niveau en NBA, avec ses 22% de tirs pris du cercle à 47% de réussite, et seulement 3.8% de fautes récupérées.

Deux joueurs draftés dans l’optique d’être des leaders offensifs présentent des statistiques assez inquiétantes cette année : Darius Garland et Coby White.

Pourcentage de tirs pris près du cercle Réussite près du cercle Pourcentage de fautes obtenues sur 100 tirs
Darius Garland 21% 43% 4.7%
Coby White 30% 44% 5.2%

 

Tous ces chiffres sont très préoccupants, à l’exception peut-être de l’honorable 30% de tirs pris par White au cercle. Voir Garland prendre un tir comme celui-ci, alors que sa vitesse lui a ouvert l’accès au cercle, n’est pas très bon signe :

Non seulement Garland, par peur de Brook Lopez, déclenche son geste bien avant d’arriver au contact du pivot, mais il le fait avec une maîtrise technique plus que moyenne, et en ne voyant absolument pas le démarquage de Tristan Thompson. Garland drive bien plus que White (10.1 par match, contre 5.4), mais ne sait visiblement pas quoi faire de la balle quand il arrive au cercle, par manque de puissance et de toucher – un problème déjà identifié à l’université. Sa rapidité est un atout, mais, comme il n’est pas spécialement explosif et ne voit pas très bien le jeu, cet atout l’emmène le plus souvent dans le mur.

Chez Coby White, le problème semble davantage technique. Le dribble de White est assez étrange, comme s’il jouait avec un ballon plus gonflé que les autres joueurs : son dribble remonte très haut et a quelque chose de mécanique qui rend son approche du panier lente et en définitive assez prévisible :

Sa manière d’attaquer le cercle est elle aussi tout à fait curieuse. Au lieu de défier Valanciunas, il effectue ici une sorte de saut de cabri esthétiquement contestable et tout à fait inefficace :

Les chiffres de White sont cependant un peu meilleurs que ceux de Garland, notamment parce que le rookie des Bulls a une confiance en soi pas loin d’être démesurée au vu de ses performances. Là où Garland donne l’impression de ne pas toujours savoir quoi faire, White a toujours une réponse à cette question, même si elle est mauvaise (d’autant qu’elle est souvent la même : tirer).

Rien n’est encore fini pour Garland et White : mais l’étude statistique montre, au minimum, que l’un comme l’autre ne présente aucune assurance en termes de plancher offensif. Au vu des limites évoquées rapidement ici, on peut penser que les supporters des Bulls et des Cavs ne doivent pas espérer avoir sous la main de vraies armes offensives complètes avant très longtemps – et encore, ce serait un développement très surprenant, vu leurs lacunes en playmaking. Sans doute leur salut passera-t-il, pour le moment, par le shoot extérieur. Mais quand le plafond est construit avant le plancher, les fondations sont forcément plus fragiles.

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