Les secrets du ballon NBA : dans la fabrique Wilson
Dans toute son histoire, la NBA n’a connu que deux fournisseurs de balles, Wilson et Spalding. De 1945 jusqu’au début de la saison 1983, soit 37 ans, la NBA s’est fournie chez la marque Wilson, dont le siège social se trouve à Chicago, puis, pendant de nouveau 37 ans, la NBA a utilisé des ballons Spalding. Un contrat qui s’est terminé en fin de saison dernière pour de nouveau atterrir dans les mains de Wilson, pour au moins 10 ans. Sauf que changer le ballon utilisé pour chacun des matchs NBA, WNBA, G-League, Summer League, Combine, BAL, etc., cela implique de grandes précautions, mais surtout beaucoup de risques. Changer le ballon, c’est changer les skis d’un skieur d’une année sur l’autre, changer le vélo d’un cycliste ou opérer des changements de réglementations comme la Formule 1 en verra l’année prochaine. Et si ces exemples sont ici cités, c’est parce que l’on en entend souvent parler. Sûrement plus que le passage aux balles Wilson qui, si elles ont connu quelques détracteurs, on fait l’objet d’un très très gros travail pour être livrée dans les conditions les plus parfaites ou franchises et aux joueurs NBA.
Et pour commencer, rien n’a changé. Effectivement, c’est toujours dans la même tannerie, la dernière en activité de Chicago, la Horween Leather Co., que le cuir des ballons NBA est préparé et traité. Entreprise familiale, elle fournit le cuir des gonfles depuis des années et Wilson n’a pas cherché à en changer. Surtout que la proximité géographique a joué, même si les ballons sont ensuite confectionnés en Chine. La conception des ballons n’est pas le seul lien de Wilson avec la Chine. En effet, le choix de Wilson est aussi un choix stratégique, qui s’appuie sur la propriété de Wilson. En effet, Wilson est la possession du groupe Amer Sport, racheté en 2019 par le géant chinois Anta Sports. Ainsi, avec une distribution commerciale des ballons Wilson, la NBA espère utiliser le marché chinois pour booster les ventes de sa balle officielle dans des temps compliqués avec l’Empire du Milieu.

Le travail effectué à Chicago dans l’usine la tannerie en reste toutefois très impressionnant. En effet, c’est un véritable travail à la chaîne qui s’effectue sur le cuir qui enchaîne les traitements pour arriver à un résultat satisfaisant. Sa couleur y est traitée, son grain, sa texture. Les cuirs y sont lavés plusieurs fois au cours d’un processus qui dure jusqu’à 22 jours et qui commence au moment de la sélection de la bête. En NBA, c’est la peau des bouvillons qui est utilisée, le cuir de vache étant trop lisse et le cuir de taureau trop plissé. La zone idéale pour récupérer le cuir se trouvant au niveau du dos et de la colonne vertébrale de l’animal. Et Skip Horween, dont la tannerie appartient à la famille depuis de très nombreuses années apprécie ce travail d’orfèvres apporté à une matière loin de son état final et même un peu bleutée à son arrivée dans les entrepôts.
« Le vrai challenge, c’est que comme chaque peau est différente, vous essayez de prendre quelque chose de non uniforme, chaque peau, pour le rendre le plus uniforme possible. Nous fournissons le marbre, ce sont eux qui font la sculpture. » Skip Horween
En dehors du grain et du cuir, les mensurations et capacités d’un ballon NBA sont très claires et la ligue les a étiquetés selon ces dimensions, la circonférence du ballon doit être comprise entre 74,93 cm 75,565 cm, le poids du ballon doit lui être compris entre 566,99 grammes et 602,43 grammes. Concernant le gonflage du ballon, celui doit être compris entre une pression de 3,4 kilos et 3,85 kilos par 2,5cm carrés. Enfin, une balle NBA, lorsqu’elle tombe d’1m82, doit rebondir entre 1m32 et 1m42 de hauteur. Des mesures très précises qui permettent évidemment d’avoir à quelques micro détails, la même gonfle entre les mains à chaque action.
Car le plus important pour les joueurs, c’est surtout que la balle ne diffère que le moins possible voire pas du tout de l’ancien modèle, car c’est leur outil de travail numéro 1, celui qui peut modifier tout leur rendement et qu’ils ont tous parfaitement apprivoisé, au point d’en connaître tous les détails à l’utilisation. Pour José Calderon, aujourd’hui membre de l’union des joueurs et qui a travaillé sur les nouveaux ballons, les joueurs sont très alertes de tout changement de caractéristiques d’une balle.
« Aussitôt que vous prenez un ballon, vous savez si il est plus lourd ou si il est plus ou moins glissant. Dès que vous dribblez, vous sentez si le rebond est bon ou pas, s’il y a trop de pression, trop d’air ou si ce n’est pas assez gonflé. C’est de cette façon qu’on travaille. C’est notre outil principal. » Jose Caldéron
Malgré la plus grande attention portée à la confection de cette nouvelle gonfle, celle-ci a tout de même trouvé plusieurs joueurs pour la critiquer. Parmi eux, des noms comme Stephen Curry, Joel Embiid, CJ McCollum ou encore Paul George, qui ont attribué aux nouveaux ballons certaines raisons de leur maladresse en début de saison. Pour d’autres, il n’y a pas de quoi remettre cela sur les caractéristiques des balles, comme Luke Walton, encore coach des Kings en début de saison, qui considère que ce sont deux balles similaires et que les différences sont infimes.
« Je ne vois pas ça autrement qu’un nom sur la balle et qu’une distraction pour les joueurs. » Luke Walton
Evidemment, les joueurs NBA ne disposent que des meilleurs ballons disponibles et les ballons de match sont bien différents au niveau qualitatif des ballons vendus dans le commerce. Les ballons dont le grain n’est pas bon ou dont les lignes ne sont pas parfaites peuvent ainsi directement s’orienter vers autre chose que les salles NBA. On trouve ainsi dans les ballons NBA huit couches de cuir qui permettent une absorption optimale de la saleté des terrains et de la sueur des joueurs. Ainsi, un ballon NBA n’est à sa qualité maximale qu’après utilisation, le temps que le cuir se fasse bien. Et pour Kevin Krysiak, directeur produit et de la recherche et développement chez Wilson Sporting Goods, toutes ces caractéristiques font d’un ballon NBA un objet de transmission en NBA, un moyen de réaliser que l’on joue enfin la meilleure ligue du monde.
« Les joueurs vous le diront, « Sentir la balle me donne l’impression d’avoir réussi. ». Ils ont rêvé de NBA durant toute leur vie. » Kevin Krysiak
Si la NBA prend autant de précautions pour la création de son nouveau ballon, c’est aussi parce qu’en 2006, la ligue et Spalding avaient tenté de mettre en place une nouvelle technologie sur les ballons, remplacer le cuir par des microfibres. Résultat, des joueurs très remontés et un abandon du projet au bout de 3 mois d’expérience. Un précédent qui a donc poussé la NBA à prendre les plus grandes précautions. Steve Kerr se rappelle encore de ce nouveau ballon qui provoquait énormément de pertes de balles.
« C’était un désastre. » Steve Kerr
Alors cette fois-ci, la NBA s’est préparée et ce, avec les joueurs. Au total, ce sont plus de 300 joueurs qui ont été consultés durant les différentes phases de développement, d’abord par des entretiens et des questionnaires, puis physiquement, les joueurs se faisant livrer certains prototypes et pouvant faire leur retour auprès des ingénieurs.
Des ingénieurs qui travaillent aussi d’arrache-pied sur des innovations technologiques qui pourraient révolutionner la collecte des données ou l’arbitrage, comme le fait d’installer des micro puces électroniques dans les ballons, comme cela peut être le cas en NFL par exemple. Selon Wilson, c’est un objectif atteignable d’ici 5 ans.
Si quelqu’un était en tout cas bien préparé pour la conception de ces nouveaux ballons et pour faire en sorte que la majorité des joueurs ait donné leur aval pour partir sur tel ou tel modèle, c’est bien Adam Silver. Lui qui travaillait déjà dans les bureaux de la NBA à l’époque avait vécu de très près le scandale des changements de balles en 2006, alors il était hors de question de répéter les mêmes erreurs.
« Adam Silver était de toutes les réunions et au cœur de la controverse de 2006. Il a compris. Si quelqu’un va faire en sorte que la nouvelle balle Wilson soit un succès, Adam est ce gars-là. » Dan Touhey, ancien directeur marketing chez Spalding
Certains joueurs ont même été plus consultés que d’autre. Jouant à Chicago, Zach LaVine a ainsi beaucoup contribué au développement de cette nouvelle gonfle et a été présent dans de nombreuses étapes du processus. Son profil de joueur correspondant aussi très bien à un bon utilisateur test. Car les shooteurs remarquent très rapidement un problème dans l’alignement des coutures tandis ce qu’un joueur qui va beaucoup dribbler va directement constater un problème de grip. Lavine possédant les deux caractéristiques dans son jeu, il était un bon témoin. Surtout que chez Wilson, on voulait vraiment apporter un quelque chose en plus et ne pas simplement devenir le fournisseur de balle de la NBA.
« Nous voulions être sûrs que ça ne donne pas simplement l’impression que nous avions enlevé le logo de Spalding pour mettre le nôtre. Ce n’est pas pour tacler Spalding, ils ont fait un super travail, mais nous ne voulions pas être là à nous dire « Ils ont fait toute la partie recherche et développement pour nous, et nous avons juste énormément payé la NBA pour mettre notre logo dessus. » Nous voulions poser notre empreinte sur cette balle. » Krysiak
Même son de cloche chez José Calderon, alors qu’environ 5 prototypes du nouveau ballon ont été nécessaires pour arriver à un résultat des plus probants.
« Chaque détail a été pensé. Nous essayions de nous rapprocher de plus en plus près de ce que la majorité des joueurs nous disaient jusqu’à ce que nous trouvions ce qui fonctionne. » José Calderon
Si la NBA possède une liste de 12 standards à respecter pour les ballons avant leur validation, Wilson possède aussi les siens, en supplément, pour éviter tout couac. Et la firme de Chicago possède par exemple une machine dans l’Ohio, qui teste la résistance des balles en les mettant sous la pression d’un dribble durant 5 minutes, une machine nommée la « Scottie Piston ».
La première fois que les ballons Wilson ont été présentés à des joueurs pour jouer de vrais matchs, c’est au NBA pré draft combine, où les membres de Wilson ont pu observer les réactions des joueurs au contact de la balle. Depuis, beaucoup ont testé ces nouveaux objets et tous les retours ne sont pas exclusivement positifs. Mais du côté de la NBA, le sentiment qui domine, c’est celui que travail bien fait et presque consensuel.
« C’est pour cela que nous associer avec les joueurs allait être la clé pour que la balle soit intégrée de la façon la plus transparente possible. Ca ne signifie pas que nous n’aurons aucun joueur qui, au moment de donner son opinion sur la balle, dira qu’il ne ressent pas la même chose ou préférera l’autre balle, etc… Je pense que c’est inévitable, c’est ok, tant que nous savons que nous avons fait ce processus avec les joueurs et que la majorité des feedback a été, et que nous espérons voir continuer d’être, très largement positive. » Salvatore LaRocca président des partenariats globaux de la NBA
Malgré des pourcentages historiquement bas depuis la saison 2015/2016, les préoccupations sur ces chiffres ne sont plus vraiment à porter sur les nouvelles balles à l’heure actuelle, mais peut-être un changement de règle et peut-être le retour des fans dans les salles après plus d’un an d’absence qui perturbe certainement plus que prévu les joueurs NBA. Au contraire, les pourcentages de l’année dernière sont quant à eux très certainement à mettre au crédit des salles vides.
Et le maître du cuir Horween termine en rendant un ultime hommage aux joueurs qui utilisent son cuir chaque soir, avec un très beau compliment à leurs capacités techniques. Qui justifie aussi les difficultés à créer un ballon parfait qui même s’il a changé, ne doit pas avoir changé.
« Les meilleurs athlètes du monde peuvent vous dire les subtiles différences (entre deux balles) d’une telle façon qu’il vous faudra mesurer avec un micromètre et des équipements. Ils peuvent juste le sentir. » Sick Horween