Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.
Lorsque les Timberwolves, le 19 mai dernier, gagnèrent pour la première fois de l’histoire le first pick lors de la lottery, les insiders suivant la franchise du Minnesota étaient unanimes : le coach-GM Flip Saunders penchait très sérieusement vers la sélection de Jahlil Okafor, plutôt que Karl-Anthony Towns. Au bout d’une heure à observer un workout du pivot de Kentucky, Saunders avait changé d’avis : ce serait Towns, et personne d’autre.
Avoir poussé le regretté Flip Saunders, attaché à un jeu offensif assez vieillot, à modifier son opinion aussi vite n’est pas le moindre des exploits de la très jeune carrière de Karl-Anthony Towns. Les supporters des Wolves bénissent aujourd’hui ce workout de juin qui a peut-être changé le visage de la franchise pour les dix années à venir. Après presqu’une saison complète, Towns n’est pas seulement un bon rookie : il est un rookie d’exception, tel qu’on en a très peu vu ces dernières années.
Quelques chiffres d’abord, si vous n’êtes pas convaincu. Avec un PER de 22.9, la saison rookie de Towns est pour l’instant la 11e meilleure de l’histoire de la ligue, et la meilleure depuis celle de Shaquille O’Neal en 1993. Devant lui, Chamberlain, Big O, Robinson, Bellamy, Jordan, Bob Pettit, Sabonis (à 31 ans), Baylor et Ray Felix. Dans ces dix-là, seul le Shaq avait, comme Towns, moins de 21 ans. Les références contemporaines ? Duncan (22.6), Paul (22.1) et Griffin (21.9) sont les plus proches. Avec ses moyennes de 18.3 pts, 10.3 rbds et 1.7 cts par match, il rejoint un club extrêmement fermé, dont les noms font rêver : seuls Robinson, le Shaq, Duncan, Olajuwon, Mourning et Ralph Sampson ont aligné de pareilles moyennes lors de leur année rookie. Towns est, de loin, celui des sept qui joue le moins à chaque match. Il est aussi le seul à shooter correctement à 3-pts (33.8 %), et le meilleur shooteur aux lancers, de très loin (82.5 %).
Vous en voulez d’autres ? Towns est déjà dans le top 10 des meilleurs rebondeurs de la ligue (9e) et des meilleurs contreurs (9e) en moyenne par match. Dans toute la ligue, seuls DeAndre Jordan (992) et Andre Drummond (1102) ont gobé plus de rebonds que lui (762). Il est par ailleurs devenu le premier joueur depuis LeBron à signer un match à 30 pts et 15 rbds, performance que le dernier rookie à avoir effectuée est Blake Griffin en 2011. Avec des moyennes d’adresse de 54.8 % (FG%), 33.8 % (3P%) et 82.5 % (FT%), il est même un cas unique dans la ligue: personne d’autre que lui n’a ses moyennes là, les plus proches étant David West et Enes Kanter, qui prennent infiniment moins de tirs par match. Cette perf est exceptionnelle au point qu’il n’est pas illusoire de penser que Towns puisse, à terme, frôler les mythiques 50/40/90.
Être le meilleur marqueur, meilleur rebondeur et second meilleur contreur (derrière Porzingis) d’une classe de rookies pourtant particulièrement talentueuse en est, à ce point-là, un simple détail. La saison historique de Towns devrait lui offrir sur un plateau le titre de Rookie of The Year, dans des proportions qui ne devraient pas être loin de l’unanimité qui accompagnera le doublé de Stephen Curry.
Au-delà des chiffres, tout le monde s’accorde à dire que Towns est doté d’une panoplie qui, dans le jeu moderne, a tout de l’arme de destruction ultime. Offensivement, il est capable de jouer comme un pivot classique, en recevant le ballon dos au panier pour poster son défenseur ou, plus fréquemment, pour se retourner et lui planter un fadeaway sur le nez:
Towns n’a sûrement pas la fluidité du jeu au poste de Jahlil Okafor, mais son efficacité n’a rien à envier à celle du pivot des Sixers. S’il utilise près de deux fois moins le jeu au poste qu’Okafor (17.7 % de ses possessions, contre 32 % pour Okafor), son adresse est légèrement meilleure que son collègue sur ces phases de jeu: 47.6 % contre 46.9 % de réussite. Mieux que Zach Randolph, Greg Monroe ou Derrik Favors.
Surtout, Towns, grâce à ses atouts physiques et sa vélocité hors du commun pour un pivot, est capable de s’adapter à une défense qui le force à poster loin du cercle. Mettez sur lui un défenseur peu rapide, il partira en dribble au panier trop vite pour être arrêté, et pour que l’aide arrive:
Forcez Towns à s’éloigner du panier pour vous faire face, et il vous punira d’un jump shot. Regardez comment le pauvre Willie Reed tente de prévenir un départ en dribble vers le cercle, et se prend aussitôt un stepback qu’on attendrait plus d’un meneur:
A mi-distance, Towns tourne déjà à 47.7 %, plus de 7 pts au-dessus de la moyenne de la ligue. Une telle adresse en fait une arme remarquable -quoique longtemps sous utilisée par Sam Mitchell – sur pick & pop, surtout avec un meneur de la qualité de Ricky Rubio, ou avec les qualités de pénétration de Zach LaVine et Andrew Wiggins. Donnez la balle à un des ces deux-là, la défense viendra forcément leur boucher l’accès au panier, laissant à Towns le champ libre pour sanctionner après l’écran. Sur pick & roll, sa vélocité fait également des merveilles, le sens du timing de Rubio n’y étant pas pour rien:
Towns, qui plus est, est un des rares pivots à pouvoir se targuer de savoir shooter à 3-pts. S’il n’en prend qu’un seul par match, il tourne déjà à une moyenne très honnête de 33.8 %, qui devrait pouvoir s’améliorer avec le temps. Cette qualité complète un arsenal de compétences offensives qui dépasse largement les attentes nées de sa saison universitaire. Dire que Towns est une menace à n’importe quel endroit n’est pas une illusion, si l’on regarde sa shotchart:
Autant de vert dans une shotchart n’est pas si fréquent. Pour un pivot rookie de 20 ans, ça en devient diablement séduisant. Mais le plus fort est que Towns parvient aussi à avoir un impact de l’autre côté du terrain, une compétence qui était son gros point fort à Kentucky. On a déjà cité ses chiffres au contre, qui ne sont qu’un exemple de son influence défensive, quand bien même celle-ci est encore à parfaire dans une très jeune équipe des Wolves, qui s’oublie très souvent en défense. Capable de protéger le cercle, Towns a également la vivacité nécessaire pour défendre le pick & roll, même si son association avec Gorgui Dieng pose, de ce point de vue, plusieurs problèmes de complémentarité. Surtout, sa capacité à switcher le pick & roll est une arme fantastique dans la NBA moderne, où les changements sur ces phases de jeu offrent des déséquilibres en faveur de l’attaque. Sa capacité à suivre les déplacements d’un meneur est absolument saisissante:
Le pauvre Bradley Beal est incapable de se sortir de la pression défensive de Towns. Regardez le jeu de jambes de ce dernier, sa rapidité à suivre les changements de direction du joueur de Washington. Quel pivot est capable, aujourd’hui en NBA, d’une telle action défensive, à part Nerlens Noel, Draymond Green et Willie Cauley-Stein? Et aucun d’eux n’a le talent offensif de Towns…
Les talents de KAT auraient été utiles à n’importe quelle époque de la NBA. Mais à l’ère du small ball, son profil est réellement un atout exceptionnel. Le principe de base du small ball est d’ajouter des shooteurs dans son 5, quitte à sacrifier la taille. Un tel 5 souffrira en défense et au rebond, mais fera bien plus que compenser de l’autre côté du terrain, en s’offrant des shoots extérieurs ouverts, le moins mobile des intérieurs adverses étant incapable de défendre correctement loin du cercle. Lors des dernières finales, Timofey Mozgov a eu beau faire un vrai chantier dans la raquette des Warriors, il s’est fait martyriser en défense par la capacité des hommes de Steve Kerr à shooter derrière l’arc. Mais la force des Warriors, qui fait de cette équipe une équation quasi impossible à résoudre, est d’avoir Draymond Green dans leurs rangs: un joueur capable de défendre sur les pivots adverses, de shooter à 3-pts, mais aussi d’être un danger près du cercle. Green est le vrai playmaker des Warriors parce qu’il est capable d’entrer dans la raquette et de ressortir la balle vite et bien pour un des quatre shooteurs qui l’entourent. Golden State transcende ainsi le small ball « classique », qui consiste à entourer un grand, mobile sur pick & roll et bon protecteur de cercle, de quatre shooteurs: avec Green, ils ont ce grand qui, en plus, peut shooter et faire des passes.
Steve Kerr, bien sûr, ne fait pas jouer Draymond Green en pivot tout un match. La taille adverse finit toujours par fatiguer l’ex de Michigan State en défense, et Andrew Bogut et Festus Ezeli sont là pour assurer les bases d’un jeu plus classique. Or ce problème de taille n’en est justement pas un pour le seven-footer qu’est Karl-Anthony Towns. Pour l’instant moins accrocheur défensivement que Green, Towns n’en a pas moins toutes les qualités nécessaires pour représenter une nouvelle étape du small ball: un pivot qui joue comme Draymond Green, avec la taille en plus!
Towns est, à l’heure actuelle, entouré de shooteurs médiocres (Wiggins, Rubio, Dieng), et le 5 des Wolves est loin d’avoir la polyvalence de celui des Warriors. Si ne serait-ce que Wiggins et Rubio confirment leurs progrès récents dans le domaine, les qualités de Towns devraient devenir encore plus impressionnantes. Sa mobilité pour aller au cercle, vue plus haut, ainsi que son habileté en post-up, nécessitent en effet de la part de la défense de venir en aide pour lui couper l’accès au panier; ce qui signifie, par conséquent, lâcher l’un des autres joueurs offensifs. Or la qualité de passe de Towns, que le spacing suspect des Wolves cette année n’a pas encore permis de voir régulièrement, le rend tout à fait capable de trouver immédiatement un shooteur ouvert, à l’image de Draymond Green. Ou encore de voir les coupes sous le panier et de servir un coéquipier libre, comme le fait si bien Marc Gasol:
Une telle passe est si inattendue de la part d’un pivot que le pauvre Andrew Wiggins ne s’attend même pas à la recevoir. Cette qualité de passe, qui relève à la fois de l’habileté technique et de l’intelligence situationnelle, est essentielle dans le jeu moderne: le jeu en post-up étant rendu plus compliqué par les nouvelles règles défensives, sa grande utilité est désormais de fixer la défense pour parvenir à ressortir la balle sur un joueur libre. D’où la passion de la ligue pour les « playmaker 4 », ces ailiers-forts capables, à l’image de Draymond Green ou Paul Millsap, de poster non pour marquer, mais pour mettre en place un shoot qui reviendra à un autre. S’il est bien coaché, au sein d’un effectif orienté vers un jeu suffisamment moderne, Towns peut devenir un des très rares « playmaker 5 » de la ligue, ayant toutes les qualités d’un joueur small ball tout en gardant la taille d’un pivot classique.
KAT n’en est pas encore là, bien sûr. Il lui reste à développer une plus grande dureté défensive, à s’imposer davantage offensivement, à devenir le véritable franchise player de son équipe. Mais sa saison rookie est d’ores et déjà une promesse incroyable, qui le situe tout proche du niveau All-Star. Reste aux Wolves à entourer correctement leur pépite, et à trouver notamment un poste 4 dont il soit parfaitement complémentaire. Gorgui Dieng est un bon joueur, dont les progrès sont évidents, mais ses limites défensives sur pick & roll et son incapacité à shooter extérieur peut être un problème sur le long terme. Bien sûr, l’étendue des talents de Towns rend envisageable plusieurs profils à ses côtés. Mais dans un 5 avec un scoreur prolifique comme Andrew Wiggins, qui marque la majorité de ses points près du cercle, l’importance d’un stretch 4 pour libérer de l’espace près du cercle est indéniable. Nemanja Bjeliça, un autre rookie, pourrait peut-être le devenir, mais sa saison est extrêmement chaotique. Paradoxe de l’histoire: le joueur le plus complémentaire de Towns à l’heure actuelle n’est peut-être autre que… Kevin Love.
Quelques remarques sur le petit monde des rookies
- Tous les top picks ne connaissent pas une saison aussi idéale que Towns. Après les déboires extra-sportifs de Jahlil Okafor et sa fin de saison anticipée, après les hauts et les bas, fort logiques, de Kristaps Porzingis (qui revient bien ces derniers matchs), voilà que D’Angelo Russell se tire une balle dans le pied avec cette ubuesque histoire de vidéo de Nick Young. Au-delà du manque de jugeote que l’anecdote sous-entend, on peut tout même se demander si les Lakers ne sont pas en train de gâcher la formation de leurs jeunes joueurs avec ce « Kobe Tour »: comment apprendre à un rookie à la concentration parfois suspecte les exigences NBA, alors que toute la franchise semble n’avoir aucun intérêt pour les résultats sportifs? On critique à raison Byron Scott, mais son exigence un peu vieux jeu est un des rares cadres offerts aux jeunes Lakers cette saison.
- Les performances de Devin Booker deviennent assez incroyables. Sur le mois de mars, le jeune arrière des Suns tourne à 22.7 pts, 3.1 rbds et 5 pds! Des chiffres de All-Star, malgré un shoot extérieur qui entre moins facilement (28 % en mars). L’intersaison des Suns s’annonce intéressante: que faire de Brandon Knight, notamment?
- Autres progrès notables, ceux d’Emmanuel Mudiay. Le meneur des Nuggets a drastiquement réduit sa moyenne de balles perdues, tout en progressant légèrement au shoot (notamment à 3-pts). Son jeu reste un peu confus, mais l’optimisme est de rigueur concernant son évolution.
- La belle histoire du mois de mars s’appelle Josh Richardson. Drafté en 40e position l’an dernier, l’arrière du Heat se régale au sein d’une équipe que Spoelstra a magistralement relancée. Son mois de mars est absolument inouï: 63.5 % à 3-pts, en en prenant près de 4 par match! Avec lui et Justise Winslow, le Heat a fait une des plus belles drafts de la ligue l’an dernier.
- Moins enthousiasmant, Mario Hezonja continue de galérer. On pensait que les moves du Magic à la trade deadline lui offrirait plus de temps de jeu, ça ne saute pas aux yeux pour le moment. Ses difficultés défensives persistent, et il ne parvient pas à s’imposer offensivement derrière Fournier et Hezonja. Inquiétant.
- Willie Cauley-Stein n’avait sans doute jamais eu autant de tickets shoot de sa vie: 40 sur les trois derniers matchs! Dans le marasme déprimant qu’est la saison des Kings, une mini-satisfaction vient de ne pas s’être trompé à la draft, pour une fois.
- Montrezl Harrell voulait s’assurer sa place en NBA? Il a tout fait pour que le contraire arrive, en envoyant valser un arbitre lors d’un match de D-League. Ou comment se tirer une belle balle dans le pied.
- Sans crever l’écran, Axel Toupane réalise de solides passages avec les Nuggets. Son avenir NBA est encore loin d’être assuré, mais il a bien su saisir sa chance. (En passant, cochez tous les rookies non-américains de la prochaine draft et envoyez-les aux Nuggets: il n’y a plus que ça dans l’effectif).
- Comme le Cahier des Rookies a été absent pendant un mois, on se fait pardonner en proposant un peu de lecture. L’excellente plate-forme SB Nation a proposé une Rookie Week, où vous pourrez trouver des analyses sur presque tous les rookies. A lire. Quant à la référence Zach Lowe, il s’est penché sur le cas de Devin Booker, avec sa pertinence habituelle.