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Cahier des rookies: l’étrange cas de Kris Dunn

Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.

 

[dropcap] U [/dropcap] n cinquième choix de draft est censé être une star. On dit bien « censé ». Depuis dix ans, les cinquièmes choix de draft n’ont pas toujours été des joueurs brillants. On y trouve deux superstars avérées (DeMarcus Cousins, Kevin Love), deux solides titulaires (Ricky Rubio, Jonas Valanciunas), un correct joueur de rotation (Jeff Green), un bust (Thomas Robinson) et, dans les trois dernières années, trois joueurs restant des mystères, mais ne se dirigeant pas franchement (c’est le moins qu’on puisse dire) vers une carrière d’All-Star (Dante Exum, Mario Hezonja, Alex Len). Du point de vue des strictes probabilités, rien n’oblige donc à ce que Kris Dunn, cinquième choix de la draft 2016, soit nécessairement une star. La réflexion n’a rien de très scientifique, mais elle permet tout de même de remettre en perspective les attentes autour de Dunn, dont le début de saison commence à faire naître une certaine perplexité.

Le profil de Kris Dunn, à la veille de la draft, était connu : meneur très athlétique, ayant fait l’intégralité de son cursus universitaire (avec quelques blessures) à Providence, Dunn était présenté comme un défenseur de très haut niveau, porté par un physique NBA ready et une bonne connaissance du métier de meneur. Dans la colonne des points négatifs, on relevait un jump shot très irrégulier, un dribble modérément fiable et une tendance au turnover. Rien qui n’empêche de le considérer comme le meilleur meneur de la promotion, susceptible de décrocher très vite une place de titulaire en NBA. Une fois son arrivée aux Wolves finalisée, les rumeurs commençaient déjà à enfler : Ricky Rubio n’avait qu’à bien se tenir, ce n’était qu’une question de temps avant que le rookie ne lui pique sa place de titulaire.

Un mois après le début de saison, la situation est loin d’être si claire. Avec 3.5 pts, 2.5 rbds et 2.6 pds de moyenne en 18 minutes et une adresse générale de 31.7 %, Dunn est à des années-lumières du niveau d’un titulaire NBA. Pire, la courbe de son temps de jeu suit l’évolution inverse de celle que l’on rencontre habituellement chez les rookies : au lieu de monter progressivement, elle prend une trajectoire opposée.

Certes, Dunn a profité un temps de la blessure de Ricky Rubio pour jouer davantage. Mais depuis quelques matchs, le rookie rétrograde dans la hiérarchie au profit d’un joueur plus jeune que lui, Tyus Jones, drafté par les Wolves l’année dernière, et les observateurs s’inquiètent : Tom Thibodeau a-t-il vraiment fait le bon choix avec Dunn, en juin dernier ?

 

[dropcap] O [/dropcap] ù est vraiment le problème avec Kris Dunn ? En tant que pur meneur, Dunn n’a rien de catastrophique. Son Turnover Percentage (nombre de ballons perdus sur 100) est de 22.1 %, ce qui est très moyen – supérieur, par exemple, à Mudiay l’an dernier – mais Dunn se montre plutôt appliqué lorsqu’il s’agit de faire tourner le ballon, même s’il ne prend guère de risques. En défense, il se montre à la hauteur de sa réputation. Tom Thidodeau le disait en début de saison, il est fan de l’aptitude de son rookie à lire les lignes de passe, à aller chercher l’interception et à défier physiquement son vis-à-vis :

Il a une vitesse de pieds incroyable. Il est costaud. Il anticipe parfaitement. Pour un rookie, sa défense est remarquable.

Une des grandes qualités défensives de Dunn est la manière dont il gère les écrans lorsqu’il défend le pick & roll. Sa vitesse et sa puissance physique lui permettent de contourner les écrans et de rester proche de son attaquant pour le gêner lors du shoot ou tenter l’interception.

Dans l’action ci-dessus, Dunn a la vélocité nécessaire pour suivre Conley, résister à l’écran de Randolph et contester le shoot du meneur des Grizzlies, ce qui aboutit à une interception. Une telle action nécessite d’énormes qualités physiques, mais aussi un sens aigu du déplacement des joueurs adverses et du timing de cette subtile danse qu’est le pick & roll. Bien sûr, Dunn parie parfois trop sur sa capacité à passer sous l’écran :

Toujours face à Mike Conley, excellent shooteur, Dunn fait ici l’erreur de passer sous l’écran plutôt que de suivre son adversaire. Conley dégaine vite, et Dunn revient trop tard pour empêcher le shoot de rentrer.

Ces petites erreurs ne doivent pas faire oublier que la déclaration de Thibodeau est, dans l’ensemble, plutôt juste. Pour un rookie, Dunn est un très bon défenseur, même si son influence sur le Defensive Rating de l’équipe n’est pas très frappant (Minnesota encaisse 2.8 pts de moins sur 100 possessions lorsqu’il est sur le terrain).

Le vrai souci est que, contrairement à un pivot, un meneur n’a pas la possibilité d’être simplement un très bon défenseur. En raison de l’évolution de la ligue et de la spécificité d’un poste, il est très difficile aujourd’hui pour un meneur de s’imposer en NBA s’il n’est pas capable d’avoir un impact offensif. Les Wolves connaissent le problème depuis des années avec Ricky Rubio, mais l’Espagnol a beau être un shooteur médiocre, il illumine le jeu offensif par sa qualité de passe. Dunn étant encore timide dans l’animation, il ne peut pour l’instant compter que sur son scoring pour peser de ce côté du terrain, et c’est dans ce domaine que le tableau est, sur ce premier mois, franchement sombre.

La stat ci-dessus a dû vous frapper : le pourcentage de réussite de Dunn n’est pas médiocre, il est mauvais. Très mauvais. Parmi les rookies ayant fait une saison complète (plus de 60 matchs, plus de 15 minutes par match ), seuls deux ont fini à moins de 32 % depuis 1958 : Nikoloz Tskitishvili et Phil Pressey. Une bien belle compagnie (Rashad Vaughn était tout proche de les rejoindre l’an dernier, mais il n’a joué que 14 minutes de moyenne). La stat est bien sûr un peu malhonnête, puisqu’il est normal que les rookies commencent leur carrière NBA avec un ou deux mois très compliqués au pourcentage. Mais elle indique que Dunn est parti sur des bases bien faibles, et que l’impression visuelle de son arsenal offensif est inquiétante. Jetons d’abord un coup d’œil à sa shotchart :

(La taille des points indique la fréquence des shoots dans une zone ; leur couleur la moyenne de réussite par rapport au reste de la ligue : plus c’est bleu, plus c’est nul)

Première remarque : il y a beaucoup trop de bleu. Dunn est largement en-dessous de la moyenne de réussite NBA dans toutes les zones. Deuxième remarque : il n’aime visiblement pas le côté gauche du terrain, ce qui rend son jeu offensif bien plus prévisible. Troisième remarque : il a si peu confiance en son jump shot qu’il s’éloigne le moins possible du cercle (quant à shooter régulièrement à 3-pts, n’en parlons pas). Sur 40 tirs pris hors de la raquette, Dunn en a réussi 9. Pas glop. Lorsqu’il dégaine derrière l’arc, on n’a pas franchement l’impression de voir Stephen Curry :

 

Le problème, bien sûr, est que les défenses sont parfaitement au courant du problème et traitent Dunn comme tous les mauvais shooteurs : elles le laissent ouvert, le priant de prendre son shoot pendant qu’elles font en sorte de bloquer avec deux défenseurs l’intérieur (Towns, ici) qui roule vers le cercle.

Comme beaucoup de mauvais shooteurs, Dunn marque la majorité de ses points en transition, où ses qualités physiques lui permettent de faire la différence en allant au cercle :

Une action comme celle-ci explique tout ce qui a plu chez Dunn lors de la draft. Elle part d’une action défensive où Dunn, après un switch, se retrouve à défendre sur un post-up de Lauvergne, ce qu’il fait plutôt honorablement. La balle étant récupérée, il se lance dans une contre-attaque éclair : admirez sa maîtrise du dribble pour battre son défenseur, suivie d’un layup parfaitement exécuté dans le trafic. Malheureusement, ce genre d’actions n’est pas si fréquent, et Dunn attaque bien trop peu le cercle pour un joueur qui a de telles difficultés avec son shoot. Depuis le début de la saison, il ne s’est présenté sur la ligne des lancers qu’une fois et demi par match en moyenne, avec un triste pourcentage de 60 %. Une telle timidité ajoutée à un jump shot défaillant, voilà qui vous transforme un joueur en un élément quasi inutile en attaque.

 

[dropcap] S [/dropcap] ’affoler au bout d’un mois de compétition serait évidemment absurde. Mais Kris Dunn a bientôt 23 ans, ce qui pose question sur sa capacité à progresser très significativement en attaque. Une partie de ses difficultés se résorbera avec le temps, la confiance et l’expérience du jeu NBA. Mais peut-il réellement se transformer en un shooteur ne serait-ce que correct ? La question se pose de manière d’autant plus aiguë que les Wolves nagent dans la purée de pois lorsqu’il s’agit de leur rotation à la mène. Tom Thibodeau a raisonnablement mis au placard l’association Rubio-Dunn, qu’il envisageait d’aligner très régulièrement en début de saison : ces deux-là n’ont été associés que 6 minutes, pour un résultat déplorable (-40 pts de Net Rating !). Il faut dire qu’associer deux meneurs qui ne dépassent pas les 35 % de moyenne a rarement aidé à construire une attaque efficace… Rubio, au demeurant, est en grosse difficulté depuis le début de saison. Non seulement son adresse est encore pire que d’habitude, mais son dynamisme défensif et son playmaking semblent également s’effilocher, que ce soit pour des raisons physiques, tactiques ou mentales. Dans l’affaire, c’est le troisième larron de la bande, le sophomore Tyus Jones, qui tire son épingle du jeu et joue désormais les fins de match. Jones n’est pas un meneur génial, il est très léger en défense mais il a le grand mérite de savoir shooter (42.9 % à 3-pts) et de bien faire tourner l’équipe. Son efficacité est en grande partie responsable de la baisse du temps de jeu de Dunn.

Une partie de cette situation est due aux expérimentations de Thibodeau, qui cherche à évaluer son effectif en ce début de saison. Mais elle pose aussi de vraies questions sur le long terme. Il n’est un mystère pour personne que Thibodeau n’est pas un grand fan de Rubio, et que la draft de Dunn s’inscrivait dans le projet de lui confier les clés à relativement court terme tout en échangeant le meneur espagnol. Or les difficultés de Dunn rendent cette perspective bien plus risquée, et posent même la question de sa future compatibilité avec le noyau dur de l’effectif. La qualité du spacing offert par le quatuor LaVine-Wiggins-Dieng-Towns reste encore floue, tant que l’on n’est pas certain que Wiggins est réellement un shooteur extérieur fiable. Ajouter à cela un meneur incapable de shooter exige une confiance qu’il est encore trop pour accorder à cet effectif. Surtout, Thibodeau a déjà beaucoup de travail de formation à faire avec une équipe inconstante ; s’il veut gagner rapidement (ce qui semble être le cas), il ne peut pas le faire en faisant jouer Kris Dunn trente minutes par soir. Face à une situation semblable, Denver a fait son choix : Mudiay joue beaucoup pour apprendre le métier, sans doute au détriment des résultats de l’équipe. Le Magic ignore s’il doit faire pareil avec Elfrid Payton (le Magic ignore beaucoup de choses, en ce moment). Les Celtics ont résolu la question en faisant de Marcus Smart un 6e homme. A chaque franchise sa solution, mais il est clair que Thibodeau va vite devoir clarifier l’avenir de ses meneurs. La progression de Kris Dunn est à ce prix.

Stats en provenance de NBA.com, Basketball Reference et NBAWowy. Les citations de Tom Thibodeau proviennent du site de Star Tribune.

 

[highlight] Rookie Watch [/highlight]

D’abord, quelques lectures, si vous avez du retard sur les rookies: le cahier des rookies précédent, consacré à Jamal Murray et Buddy Hield, et le portrait de Joel Embiid par Guillaume. Ailleurs sur le Web, The Ringer a consacré un très bon papier au rookie du Thunder Domantas Sabonis.

  • A propos de Murray et Hield, justement: on disait dans l’article cité ci-dessus que Buddy Hield semblait légèrement plus à l’aise dans ce début de saison que son collègue des Nuggets. Evidemment, c’est tout l’inverse qui se produit depuis dix matchs. Hield joue de moins en moins (et les Pelicans gagnent de plus en plus), tandis que Murray fait une très belle impression. Avant un match moins réussi face à Phoenix, il avait enchaîné quatre matchs à 21.3 pts, 4.8 rbds et 2.3 pds, le tout à 56 % de réussite. Solide.
  • Dario Saric est franchement médiocre lorsqu’il s’agit d’attaquer le cercle, mais il est, de manière surprenante, très efficace à 3-pts, avec 37.9 % de réussite sur 3 tentatives par match. Il est encore difficile de voir quelle place aura le Croate dans l’effectif des Sixers sur le long terme, mais cette capacité à jouer sans ballon est de très bon augure pour une possible association avec Ben Simmons. Puisque Saric est particulièrement redoutable lorsqu’il shoote du centre du terrain, on se délecte d’avance d’un pick & pop Saric/Simmons.
  • Pascal Siakam profite à plein de la blessure de Jared Sullinger et fait du bon boulot dans le 5 des Raptors. Bien sûr, il n’apporte pas énormément en attaque, ce qui se traduit par le fait que Toronto marque 7 pts de plus sur 100 possessions lorsqu’il est sur le banc, mais il est parfait dans ce qu’on lui demande: de la défense, de l’énergie, du rebond. Un début de carrière pour le moins inattendu pour un rookie choisi si loin!
  • On avait beaucoup aimé Wade Baldwin lors de son premier match contre Minnesota. On l’aime beaucoup moins depuis. Tant pis pour lui.
  • A part son pourcentage scandaleux aux lancers-francs (53.8 %), Marquese Chriss est plutôt bon. Tout part un peu dans tous les sens, mais on sent du sérieux et de la concentration. Lui qui était le plus gros « boom or bust » de la draft donne plutôt raison à ceux qui lui faisaient confiance. On aimerait bien voir autant Dragan Bender, par contre (oui, on se répète).
  • L’invité surprise chez les rookies s’appelle Dorian Finney-Smith. L’ancien ailier de Florida, non drafté en juin, joue beaucoup à Dallas, alors que Rick Carlisle n’est pas spécialement tendre avec les débutants. Que les Mavs se résument actuellement à un mélange de pré-retraités, de joueurs de D-League et d’isolations d’Harrison Barnes aide, évidemment. Mais bon, ça mérite d’être signalé.
  • Bien qu’il ait tendance à perdre beaucoup de ballons, Willy Hernangomez s’impose comme un très bon back-up intérieur à New York. Sur les cinq derniers matchs, il tourne à 7.6 pts et 6.2 rbds en 20 minutes, à 70.8 % de réussite (!). Encore une mauvaise nouvelle pour Joakim Noah.
  • Ce magnifique mix de Paul George et Mamadou Niang qu’est l’ailier des Pacers Georges Niang prend la place d’Andrew Harrison dans notre palmarès des plus mauvais shooteurs parmi les rookies, grâce à son merveilleux 14.8 % de réussite. Soit 4 tirs réussis sur 27 tentés. Bien joué, Georges.

3 réflexions sur “Cahier des rookies: l’étrange cas de Kris Dunn

  • Guillaume

    Comme en NCAA, j'aime pas beaucoup les angles de ses lay-ups, très compliqués, et qu'il manque logiquement plus qu'à la fac où les défense étaient moins bonnes et les défenseurs moins grands. Il paye son manque d'explsovité assez durement.

    Je m'attendais à un peu mieux dans la distribution/gestion du jeu, même si y'avait quand même ce risque qu'il soit juste un role player défensif. Son profil (peu shooteur, slasher peu explosif, passeur potable mais gros gros défenseur) ressemble beaucoup à Smart, et avoir une carrière comme Smart est en train d'avoir serait très bien, surtout qu'il y a Rubio en titulaire. Le seul truc, c'est qu'il apparaissait un peu meilleur que Smart en création/passe.

  • Rapha

    La comparaison avec Smart vient tout de suite à l'esprit, oui. C'est pour ça que j'étais loin d'être fan de ce pick en juin, je ne vois pas l'intérêt de prendre ce genre de profil quand tu as Rubio comme titulaire. Murray et Hield me paraissaient plus utiles, mais bref, c'est du passé.

    Le fait est que même en connaissant ses limites offensives, je suis déçu de voir à quel point il est incolore en attaque.

  • Guillaume

    Après ça se défend. Si Thib veut construire de la grosse défense, avoir Dunn en sortie de banc qui peut même jouer 30-35min, ça le fait. Et surtout ça rentre bien dans ce que veut faire Thibodeau.

    J'aurai personnellement aussi prit Murray, mais c'est aussi plus dur à intégrer en sortie de banc un shooteur (faut qu'il soit dans le rythme, faut veiller à son utilisation, ses pourcentages, et y'a pas la défense qui suit derrière). Alors que Dunn, tu le fait rentrer, t'as pas à t'en soucier il va te faire un marquage à la culotte du meneur adverse. D'autant qu'avec déjà Towns, Wiggins et LaVine, ton scoring est déjà assuré donc autant fignoler avec un défenseur extérieur. Pas le choix avec le plus de potentiel, mais le choix "sur".

    Faut le prendre pour ce qu'il est, un gros role player défensif. Si y'avait moyen d'avoir Ingram ou Bender, je dis pas. Mais c'était pas le cas, et du coup, je comprend le raisonnement de prendre Dunn plutôt que Murray ou Hield. Après, encore une fois il n'est que ce qu'il est, le meneur qui te fait gagner, c'est Rubio.

    Par contre, je garderai d'éternels regrets de ne pas avoir eu la raquette Towns Bender pendant 15 ans.

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