Cahier des rookies: Quel rookie a le plus d’influence sur son équipe?
Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.
Mesurer l’influence d’un joueur sur son équipe n’est pas toujours évident. Dans les multiples stats proposées par la NBA, il y en a néanmoins une qui permet d’évaluer assez précisément si une équipe fonctionne bien lorsque le joueur est sur le terrain: il s’agit du Net Rating. Cette statistique mesure le nombre de points inscrits et encaissés sur 100 possessions par une équipe lorsque chaque joueur est sur le parquet, et lorsqu’il est sur le banc. Prenons l’exemple de Stephen Curry, avec le tableau ci-dessous:
On Court | Off Court | Différentiel | |
Offensive Rating | 120.4 | 106.5 | 13.9 |
Defensive Rating | 102.9 | 100.5 | -2.4 |
Le tableau indique que Golden State, avec Curry, inscrit 120.4 pts sur 100 possessions, un chiffre exceptionnel (la meilleure attaque de la ligue, Houston, a un Offensive Rating de 115.7). Lorsque Curry est sur le banc, ce chiffre tombe à 106.5, l’équivalent de la 16e attaque de la ligue. Le différentiel de 13.9 indique donc l’influence considérable de Curry sur l’attaque des Warriors. A l’inverse, le différentiel défensif est négatif, quoique assez légèrement: Golden State est un peu moins bon en défense lorsque son double MVP est sur le parquet. Le Net Rating est la différence entre les deux chiffres, soit 11.5 ici (13.9 – 2.4).
Ces chiffres sont extrêmement utiles, même s’ils exigent d’être pris avec des pincettes. Ils dépendent en effet des lineups dans lesquels un joueur est utilisé et de ceux auxquels il fait face: un joueur moyen aligné avec des titulaires de très bon niveau aura sûrement un bon Net Rating, alors qu’il en aurait un mauvais s’il était aligné uniquement avec un banc très faible. (Un bon exemple, qui a fait se creuser la tête à tous les geeks de la NBA l’an dernier, était le phénomène curieux par lequel les Spurs avaient un moins bon Defensive Rating avec Kahwi Leonard sur le terrain que sans lui).
Quoi qu’il en soit, les Offensive et Defensive Rating peuvent être intéressants pour mesurer l’impact qu’ont les rookies 2017, et notamment pour identifier leurs points forts: dans les zones grises où le différentiel est entre -2 et 2, il est difficile de conclure quoi que ce soit, mais si un des différentiels est un gros chiffre, il indique sans aucun doute un vrai apport. Il est difficile de nier, au vu du tableau ci-dessus, que Curry a un impact réel sur l’attaque des Warriors. Voyons donc ce qu’il en est pour les rookies 2017.
Commençons par un graphique, qui modélise les Ratings des 20 rookies ayant le plus joué cette année. En abscisses, le différentiel offensif du joueur; en ordonnées, son différentiel défensif. Plus le point représentant le joueur est à droite, plus son impact offensif est important; plus il est en haut, plus son impact défensif est important.
(Passez la souris sur les points pour voir le nom des joueurs)
Visuellement, on voit tout de suite que les impacts de nos rookies sont assez divers: les points sont un peu partout sur le graphique, sans qu’il y ait grand-monde au pire endroit, le coin en bas à gauche. Plutôt bon signe.
Deux leaders surprises
Deux points se détachent à droite du graphique, qui semblent être les rookies les plus influents. Donovan Mitchell? Ben Simmons? Pas du tout! Il s’agit de deux role players, choisis assez loin dans la draft, OG Anunoby (Toronto) et Frank Mason (Sacramento). Tous les deux améliorent sensiblement la défense de leur équipe (aux alentours de 4 points de moins encaissés), mais ont surtout un incroyable différentiel offensif: les Raptors marquent près de 11 points de plus avec Anunoby sur le terrain, les Kings près de 9 avec Mason!
Comment expliquer cela? Anunoby, par exemple, ne marque que 6.9 pts par match, ce n’est donc pas son scoring qui fait une telle différence. Le fait qu’il joue une bonne partie de ses minutes (environ 45%) avec les titulaires est une première explication, mais elle ne suffit pas: remplacez Anunoby par Norman Powell, et l’Offensive Rating de Toronto chute de 15 pts! Le grand apport d’Anunoby est en fait le spacing qu’il apporte à l’équipe, avec ses 41.5 % de réussite à 3-pts: sa présence force les défenseurs à le garder, libérant des espaces pour que DeRozan aille au panier et des 3-pts ouverts. Le 5 avec les titulaires et Anunoby shoote à 40.7 % derrière l’arc; avec Powell, le pourcentage tombe à 32.9! Les Ratings du rookie montrent en fait qu’il est déjà un parfait 3 & D: d’où, également, la réussite offensive des lineups où Casey aligne Anunoby au poste 4, avec un autre shooteur (Miles ou Van Fleet) dans le 5.
La réponse est un peu différente pour Frank Mason aux Kings. Dave Joerger bricolant des lineups sans cesse différents, la situation est moins claire qu’aux Raptors, mais elle s’explique par comparaison: Mason remplace le plus souvent De’Aaron Fox (seulement 18 possessions jouées ensemble) ou George Hill (71 possessions en commun), deux meneurs décevants par jeunesse pour Fox, par manque de motivation pour Hill. Or les chiffres de Mason, évidemment, se construisent en comparaison avec ces déceptions: Fox, sur le graphique, est un des points les mieux situés. Pour entrer davantage dans le détail des chiffres, les lineups avec Mason perdent moins de ballons (-1 %), prennent moins de tirs à mi-distance (-3.9 %) et sont infiniment plus précis dans les corner 3 (+15.9 %!). Bref, sont plus efficaces.
Mitchell et Kuzma, promesses contrastées
Donovan Mitchell et Kyle Kuzma sont deux des rookies les plus dans la lumière cette saison, et pour cause: tous les deux sont capables d’explosions offensives spectaculaires, qui en font les eux meilleurs scoreurs de la cuvée 2017. Le graphique fait apparaître un impact assez semblable, puisqu’ils forment, avec Josh Hart, un petit groupe à très bon différentiel offensif, mais mauvais différentiel défensif. Par rapport à Larry Nance, Kuzma offre plus de spacing (la réussite des Lakers à 3-pts augmente de 6.6 % lorsqu’il est sur le terrain) et d’efficacité en transition, mais fait aussi plus de fautes, et est absolument incapable de défendre lorsqu’il est associé à Jordan Clarkson à la mène.
Donovan Mitchell, lui, booste le Jazz dans des lineups avec un seul intérieur, où il est entouré de joueurs offrant de l’espace. Lorsqu’il est sur le terrain, la réussite du Jazz près du cercle augmente de 3.6 %, ce qui est dû à l’agressivité du jeune meneur. Ce qui est frappant, c’est que Mitchell est bien plus efficace offensivement quand il prend la mène, mais c’est aussi là qu’il fait le plus de mal à son équipe défensivement. La présence de Ricky Rubio, qui n’apporte pas de spacing, neutralise en partie Mitchell en attaque, mais permet au Jazz de ne pas couler en défense.
Ntilikina et Isaac, stars défensives
Sur le graphique, les deux meilleurs joueurs en différentiel défensif sont Jonathan Isaac et Frank Ntilikina. Le rookie du Magic est malheureusement blessé depuis un moment, mais ses 15 matchs ont confirmé son énorme potentiel défensif. Bien que peu efficace offensivement, il a une mobilité qui permet au Magic de mieux défendre le périmètre: avec lui sur le terrain, Orlando fait baisser de 6.1 pts le pourcentage de l’adversaire sur les 2-pts longs, et de 7.4 sur les 3-pts. Vivement qu’il revienne.
Le constat est un peu le même pour Frank Ntilikina, qui pénalise les Knicks en attaque par sa timidité à attaquer le cercle (on notera à sa décharge qu’il est assez peu associé à Kristaps Porzingis), mais qui défend remarquablement sur les meneurs ou arrières adverses, multipliant les steals.
On soulignera aussi les bons scores, défensivement, de Mason, Anunoby, Brooks, Ball et Simmons.
Josh Jackson et Dennis Smith Jr, cancres de la promotion?
Les deux joueurs les moins bien situés dans le graphique sont deux lottery picks, l’ailier des Suns Josh Jackson et le meneur des Mavs Dennis Smith Jr. Même si les deux axes renvoient des résultats négatifs, chacun a une faiblesse évidente: la défense pour Smith, l’attaque pour Jackson.
Il y a là une certaine logique, au vu de ce qui était attendu de chacun d’eux lors de la draft. Josh Jackson a toujours été perçu comme un potentiel excellent défenseur avec un tir posant réellement problème. A voir son différentiel offensif, le tir continue de poser problème, effectivement. Comment pourrait-il en être autrement, alors que Jackson tire à des pourcentages affreux: 37.8 FG%, 23.9 3P%, 56.4 FT%! Le lineup dans lequel il est le plus utilisé (avec Ulis, Warren, Chriss, Chandler) a un Offensive Rating absolument abominable de 66.9. 66.9!!! Jackson n’est pas le seul responsable, mais tout de même…
Quant à Dennis Smith, ses problèmes défensifs ne datent pas d’hier non plus. Le meneur des Mavs était déjà une vraie porte de saloon à la fac, il n’y a pas vraiment de raison que cela change une fois arrivé en NBA. Mais Smith n’est pas vraiment aidé par le choix de Carlisle de l’aligner si souvent avec Dirk Nowitzki au poste de pivot: un axe 1/5 si faible est la meilleure façon de prendre des paniers sur chaque possession… ce qui arrive invariablement. La meilleure position défensive de Smith est à l’arrière, où Carlisle le « cache » et donne à Yogi Ferrell la responsabilité de défendre sur le meneur. Les lineups avec Ferrell à la mène, Smith en 2 et Powell en pivot fonctionnent ainsi bien défensivement (99.1 de Defensive Rating).
Plus surprenant est le mauvais score offensif de Smith, alors que le jeune meneur a montré de vraies qualités de ce côté du terrain. Cela peut en fait s’expliquer par les problèmes défensifs de Smith: en l’associant à un autre meneur pour le protéger défensivement, Carlisle est en même temps obligé de lui donner moins de responsabilités en attaque. De 105 lorsque Smith joue poste 1, l’Offensive Rating des Mavs descend à 102.4 lorsqu’il joue poste 2, notamment parce que le rookie a moins l’opportunité de pénétrer vers le cercle.
Et les stars, dans tout ça?
Nous n’avons pas encore parlé des deux rookies les plus médiatiques de la saison, Ben Simmons et Lonzo Ball. Si vous regardez bien le graphique, vous comprendrez pourquoi: leurs chiffres ne sont pas franchement spectaculaires. L’impact de Ben Simmons sur son équipe est bon: avec +5.6 de Net Rating, il n’y a pas de doute sur le fait que Philadelphie est meilleur avec lui que sans lui. Mais ce chiffre cache des nuances, qui sont dues à la présence ou non de Joel Embiid à ses côtés. Présentons cela sous forme de tableau:
Offensive Rating | Defensive Rating | Net Rating | |
Simmons et Embiid | 113 | 101 | +12 |
Simmons seul | 103.9 | 113 | – 9.1 |
Embiid seul | 108.1 | 106.8 | +1.3 |
Simmons et Embiid sont un duo de choc. Mais quand le pivot camerounais sort, Simmons n’assure pas vraiment l’intérim: l’attaque s’effondre, parce que Simmons ne shoote jamais loin du cercle, et a besoin d’espace pour scorer, et la défense devient très mauvaise. Lorsqu’Embiid est seul, les Sixers sont moins redoutables qu’avec le duo, mais restent un bonne équipe. Avec Simmons seul aux commandes, ils sont une équipe de fond de classement. Cela ne veut pas dire que l’Australien soit un mauvais joueur, loin de là, mais cela met en évidence le rôle du contexte dans ces chiffres: mettez Dennis Smith aux côtés de Joel Embiid, et vous pouvez être surs que les Ratings du meneur des Mavs grimperont en flèche.
Les prestations pitoyables des Lakers depuis sa blessure montrent à quel point Lonzo Ball est, lui, indispensable aux Lakers, notamment défensivement – le fait que son remplaçant soit Jordan Clarkson, très mauvais défenseur, n’étant pas étranger à l’affaire. Offensivement, les Lakers marquent plus sans lui, mais leur attaque n’est pas forcément mieux organisée. La présence de Ball permet en effet de créer plus de 3-pts (+4.2 %) et de moins tirer à mi-distance ou en isolation, mais la faiblesse du rookie au tir fait que cette meilleure répartition des shoots ne porte pas ses fruits. Autrement dit, Ball organise mieux l’attaque, mais est incapable de concrétiser les occasions qu’il crée, aussi bien à 3-pts que près du cercle.
Conclusion
Les chiffres procurés par l’Offensive et le Defensive Rating doivent toujours être remis en contexte: pris séparément, ils ne disent qu’une partie de l’impact du joueur sur son équipe. Pour nos rookies 2017, ils indiquent néanmoins certaines tendances fortes: la découverte de précieux role players (Anunoby, Mason), la confirmation de gros talents offensifs (Kuzma, Mitchell) et défensifs (Isaac, Ntilikina, Bell) et la preuve de vraies difficultés en attaque (Jackson, Fox) ou en défense (Smith). A partir de ces chiffres, les coachs peuvent évaluer comment utiliser au mieux des joueurs qu’ils découvrent eux aussi: ne vous étonnez pas si, d’ici la fin de saison, les chiffres de certains s’améliorent, boostés par une meilleure mise en valeur et par la fin de la phase d’adaptation à la grande ligue.
Les statistiques utilisées dans cet article sont issues de NBA.com, Cleaning the Glass et nbawowy.
Si vous voulez en lire plus sur les rookies 2017, voici les cinq premiers épisodes du cahier des rookies:
- sur Lauri Markkanen
- sur Lonzo Ball, Dennis Smith Jr, De’Aaron Fox et Frank Ntilikina
- sur Ben Simmons
- 20 stats avancées remarquables sur 20 rookies de la promotion
- sur Jayson Tatum
Peu de surprise finalement