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Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer

Ça fait maintenant plusieurs minutes que je marche en direction de Detroit, les mains dans les poches et la tête dans mes pensées. Un peu avant, le commissioner m’avait fait venir dans son bureau. Blake Griffin venait d’être transféré à Motown et il voulait en savoir plus sur les motivations qui avaient amené les Clippers et les Pistons à conclure cet accord.

Comme à son habitude, il ne m’avait pas dit pourquoi il voulait cette enquête. Il s’était contenté de conserver son éternel sourire poli teinté d’une certaine puissance sous-jacente, semblable à celui d’un majordome devenu riche homme d’affaires.

Je me doute qu’il craint une nouvelle crise d’incompétence chez les Clippers. Connaissant l’histoire poisseuse de ces derniers, ça fait bien trop longtemps qu’ils sont bons pour qu’ils ne marchent pas à nouveau sur leur propre lacet défait. M’enfin, même quand ils présentent beau ils trouvent le moyen de se casser la gueule sur les dernières marches de l’escalier.

Je ne pense pas que Silver ait vraiment quelque chose contre l’idée qu’une franchise décide d’entamer un long processus de reconstruction. Du moins pas trop. Par contre, celle de voir les deux équipes de Los Angeles -l’un des coins les plus pompe-à-fric de la ville- se cogner défaites sur défaites comme un ivrogne enquille les bouteilles, doit lui foutre des furoncles à faire vaciller sa gueule de croque-mort toujours heureux.

Sans parler qu’avec le départ de Griffin, il n’y a plus une seule star dans le quartier des Anges. Il y a donc moins d’attention médiatique et de spectacle, moins de popularité et moins de pognon. Or, chaque dollar qui n’est pas gagné abîme son petit cœur de businessman. Certainement aussi celui de l’immense portrait de David Stern qui est accroché dans son bureau. On parle quand même d’un type qui est prêt à mettre un patch dégueulasse sur ses maillots pour gratter quelques biftons de plus alors que son compte en banque vomit de la maille quand on lui appuie sur le ventre.

Il voit bien que ce n’est pas Tobias Harris qui va lever les foules, ni pour le moment la flanquée de haut-draftés des Lakers dont on attend encore qu’elle nous file les rêves promis.

Quelque chose toutefois, doit davantage le faire flipper que les furoncles et les pincements au palpitant, c’est d’imaginer les Clippers patauger dans leur reconstruction pendant des années à cause de leur incompétence crasse et légendaire. Je pense que c’est ce qu’il veut que je vérifie: est-ce que les rouges et bleus entame une reconstruction avec l’intelligence pour la réussir ou est-ce que le transfert de leur star historique contre une contrepartie peu aguichante est le signe d’une rechute de débilité après une rémission de quelques temps?

Dans le second cas, Silver voudra peut-être tirer quelques ficelles invisibles pour écarter l’éventualité que cette fichue franchise se fiche à nouveau dans un trou puant qu’elle aurait elle-même creusé. Il l’avait déjà fait avec des gros sabots, peut-être poussé par le milieu, lors du tanking de l’extrême de ces têtes brûlées de Philadelphie. Je gage que cette fois, il aimerait faire bouger les choses avec un discret doigté avant qu’une bande de grincheux pétochant pour leurs réputations viennent lui dire qu’il y a des morceaux de sa ville qui embarrassent tout le monde et qu’il doit donc absolument faire quelque chose pour y remédier.

Je devrais commencer mes investigations du côté de Los Angeles mais une info de mon indic -un type au nom à coucher dehors qui sait tout avant tout le monde- me décide à faire d’abord un détour par le territoire des Pistons. D’après lui, Stan Van Gundy serait actuellement en train de fêter un quelconque heureux événement à grand renfort de bouteilles et de filles peu farouches dans un bar de son quartier.

Je pense bien que l’arrivée de Griffin a quelque chose à voir là-dedans. L’alcool et la dopamine devraient lui délier la langue.

***

Les bouches d’égout à moitié couvertes de neige fondue frappées du logo des Pistons m’annoncent que je suis arrivé à Detroit. Le temps où Motown était un quartier florissant commence doucement à se transformer en un souvenir fané et jauni que les plus jeunes n’ont pas connu. Aujourd’hui, les gens ne laissent traîner qu’un regard désintéressé sur son décor et ses peu concluants efforts pour retrouver son lustre d’antan.

Le bar que m’a indiqué Wojnarowski se cache derrière un coin de rue. Van Gundy s’y trouve tel que décrit, gesticulant de joie autour de dulcinées d’un soir et la gorge pleine d’un rire gras et aviné. Malgré le brouillard qui semblait végéter dans ses yeux depuis un moment, le coach moustachu m’aperçoit rapidement après mon entrée.
– Inspecteur !
– Ça faisait un bail, Stan. Depuis l’affaire Josh Smith, non? Tu bois pour fêter un succès ou pour oublier une connerie?
– Je bois parce que j’ai sauvé ma peau.

Il avait dit ça avec un sourire niais qui jure pas mal avec l’image du gueulard tout rouge qu’on a coutume de voir sur les bords des terrains. Je m’assoie en face de lui pour l’encourager à poursuivre le déballage de ses pensées.
– Tu vois, Inspecteur. Avec Griffin, j’ai vendu un peu de rêve et de glamour au proprio. Il a enfin une star, une vraie star. Je peux te dire qu’il va être tout content de parler d’elle dans ses soirées mondaines de pétés de thunes. Ah ça, ça va être autre chose que d’assumer Andre Drummond et Reggie Jackson comme plus fines fleurs de son équipe de basket.
– Ouais mais c’est pas toi qui avait parié sur ce duo pour porter les Pistons au sommet, non?
– Ouais, ouais, je sais. C’est pour ça que je marchais un peu sur un fil de coton ces derniers temps. J’étais coincé avec ces deux mecs contre qui personne ne voulait me filer d’autres trucs brillants à montrer au patron. Encore que ça va mieux cette année. Mais l’année dernière, pfiouuu. J’aurais pu dévisser la tête de l’un et la placer devant celle de l’autre en bougeant sa mâchoire avec ma main pour faire comme si c’était lui qui lui gueulait dessus à ma place. Punaise, c’était comme cette fois où Reggie est allé voir Ish…
– Tu t’égares, Stan. Le transfert de Griffin, tu dis qu’il a sauvé ta peau?
– Ouais, ouais, j’ai dit ça. Le proprio en avait marre d’avoir une équipe peu flamboyante et qui ne gagne pas beaucoup. Sauf que c’est moi qui l’ai bâti. Tu vois donc le topo, hein? Il dit quoi ton gamin quand tu lui promets une console de jeu pour Noël et qu’il se retrouve avec une boîte de puzzle? Ben là, c’est pareil. En plus, avec les contrats que j’ai filé, je l’ai construite pour durer longtemps cette fichue équipe moyenne. Je pensais qu’il était impossible de sortir de l’ornière: j’avais pas de place sous le salary cap, pas de haut choix de draft, pas de monnaie d’échange suffisamment intéressante pour faire un gros coup… Qui aurait cru que j’aurais pu avoir Griffin contre Tobias Harris, un Avery Bradley au contrat finissant et un pick peu enthousiasmant? Tu penses, j’ai sauté sur l’occasion. Obtenir une star, un franchise player, c’est ce qu’il y a de plus dur. Il n’y a rien de mieux pour dépasser les limites d’une équipe. On va faire les playoffs tous les ans, peut-être passer le premier tour ou le deuxième ; le blason des Pistons sera redoré et ça suffira pour rendre tout le monde content.

Le coach ventripotent fait une pause pour remplir son verre et reprend son plaidoyer.
– Depuis les années 80, les habitants de Detroit ont eu beaucoup de motifs de fierté avec leur franchise. Les seuls moments un peu longs où ils n’ont pas eu une belle équipe comme celle des Bad Boys d’Isiah Thomas ou des cols bleus de Chauncey Billups, ils ont pu se faire la cerise en se disant qu’ils avaient Grant Hill. Mais depuis 2010 environ, ils ont rien pour se palucher et ils commencent à être à cran. Pour le proprio, c’est pareil multiplié par cent. Maintenant, il y a une star et si je me démerde bien, une véritable équipe de playoffs. Fallait que j’inverse la tendance de la déception à la fierté et punaise, je crois que j’ai réussi.
– Même si au final tu n’as pas une grande chance de viser sérieusement le titre?
– Hey, ça va lâche moi, on est trente équipes à jouer pour un seul trophée, il y a forcément chaque année vingt-neuf équipes qui ne le gagnent pas. Et puis on aura toujours plus de chances de le décrocher qu’avec les seuls Drummond et Jackson, additionnés de Tobias Harris. Fais pas cette tête, je sais ce que tu vas dire. Oui, une défense intérieure défaillante inscrite dans le marbre et un spacing de boite à sardines sont un mur infranchissable pour atteindre ce fichu titre. Mais écoute ce que j’ai à te dire, maintenant que j’ai un joueur transcendant comme Blake Griffin, le reste sera plus facile tant sur le terrain que dans le coaching…
– Sauf si justement, il n’est pas sur le terrain à cause des blessures ou si son déclin physique prend une sale tournure.
– Parle pas de malheur.

Van Gundy se met à chercher tout autour de lui s’il y a du bois pour qu’il puisse conjurer le sort. J’ai l’habitude de traiter avec ce milieu sportif plus superstitieux qu’une vieille bohémienne de roman de gare. Je sors de ma poche les clefs de mon appartement auxquels est accroché une réplique en bois de l’écusson de NBA Ville, et le pose sur la table à son attention. Le coach touche l’objet trois fois avec un air soulagé.
– Maintenant que j’ai un vrai franchise player, reprend-il, je pense être capable de construire une belle équipe compétitive autour de lui. Les gens comme toi ont tendance à penser que pour faire passer un cap à une formation, il faut forcément passer par le recrutement d’un joueur d’un certain talent ou d’un certain profil comme s’il s’agissait d’un simple jeu de construction. Pourtant, il y a d’autres moyens si on a déjà une base assez talentueuse comme je l’ai maintenant. Regarde les Spurs sans Kawhi Leonard de cet enfoiré de Popovich. On peut sophistiquer le jeu, développer les joueurs, trouver des leviers stratégiques, etc. C’est comme ça que pense un coach.

Il y a du vrai dans ce qu’il dit. Beaucoup de vrai. Mais je crois aussi qu’il est un peu aveugle quant à certains points de son effectif. Il y a un paquet de domaines du jeu importants où on aimerait voir Reggie Jackson progresser sérieusement et ça commence à faire un bail qu’on attend. Andre Drummond n’arrête pas de faire des pas en avant et des pas en arrière.

Cette équipe des Pistons méritera malgré tout le coup d’œil. Beaucoup de choses peuvent se passer dans les prochaines années. Des joueurs peuvent exploser de nulle part, d’autres se réinventer ou changer de dimension de façon inattendue ; des opportunités de recrutement peuvent tomber du ciel… Et Van Gundy est un excellent coach, ça je ne peux pas le nier.
– Mais dis-moi Stan, ça ne t’a pas posé question que les Clippers veuillent transférer Blake à peine quelques mois après lui avoir chanté une sérénade à réveiller tout le quartier et filé un contrat en or massif?
– Si, un peu. Mais tu sais, ces gars-là ont toujours été un peu étranges.
– Ils se sont comportés comment durant les négociations?
– Bah tu sais, c’est allé vite. Deux questions, deux réponses et pif paf, c’était réglé. Ça n’a pas dû durer plus d’un quart d’heure.
– Ils avaient l’air pressé?
– Pas spécialement. C’est juste qu’ils semblaient satisfaits de la contrepartie et que nous, de notre côté, on ne voulait pas trop leur laisser le temps de changer d’avis alors on s’est empressé de dire oui. Et puis il y avait toujours la visite médicale pour s’assurer qu’ils ne nous avaient pas caché quelque chose sur l’état physique du rouquin, ajoute-t-il un peu sur la défensive.

Je n’en tirerais pas plus. Je prends congé du coach moustachu qui semble se rendre compte seulement maintenant que les demoiselles qui l’accompagnaient sont parties.

Je referme la porte du bar avec un soupir de dépit. Quelques rares passants essaient d’échapper au froid ambiant en enfonçant leur menton dans le col de leur manteau. J’en fais autant en prenant la direction de l’Ouest sans tarder. Je compte bien laisser Detroit dans mon dos avant que mon pessimisme naturel n’éteigne la petite flamme d’espoir qui vient d’y être allumé.

J’avais une idée assez précise de ce que j’allais trouver dans l’ancien quartier de Ben Wallace, Larry Brown et Rip Hamilton. C’est beaucoup moins le cas pour Los Angeles où tout est toujours un peu nébuleux et couvert d’un fichu vernis grimant souvent une sale réalité. J’espère simplement que si le fin mot de cette histoire mène à des squelettes cachés dans des placards, ce ne sera pas à moi de les enterrer.

A suivre.

StillBallin (@StillBallinUnba)

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2 réflexions sur “Un autre jour à NBA Ville : Blake Griffin s’est fait transférer

  • WarriorsBucksKid #A

    Toujours un plaisir de retrouver la touche StillBallin !

  • StillBallinBB

    Merci ! (on voit les fidèles).

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