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Melton Island, spéculations, et Daryl le magicien (ou de l‘échange Suns-Rockets)

Difficile pour moi de désigner l’échange entre Rockets et Suns comme “l’échange de Ryan Anderson”. En vrai, il le faudrait, et c’est effectivement le cas : parmi les quatre joueurs impliqués dans la transaction, l’ailier fort est à la fois le plus connu, le plus important d’un point de vue salaire et le joueur le plus accompli, celui qui (théoriquement) possède la plus grande valeur intrinsèque au sein de la grande ligue.

Pourtant, en apprenant les détails de l’échange entre Houston et Phoenix, la première pensée qui m’est venue à l’esprit fut de me dire “oh oh, De’Anthony Melton !”.

Les nerds de la Draft ont cette chance de pouvoir trouver un peu partout et tout le temps des petits plaisirs en NBA. Une fierté arrogante bien que parfois très honnête, à voir un de ses “petits poulains” surperformer par rapport à sa position à la Draft, à son statut ou à ce que l’imaginaire collectif attend de lui. “Ben ouais, mais fallait m’écouter, j’arrêtais pas de le dire qu’il était bon et qu’au delà de la 20e position c’est un steal”. Ce genre de truc, vous voyez le genre. Et après tout, ce n’est qu’un simple retour des choses, une bien maigre consolation même par rapport au nombre bien plus important de prospects de haut calibre qui chaque année inévitablement se plantent (on a jamais vu 10 All-Stars, voire même 10 bons joueurs parmi un “top 10 de la Draft très dense cette année en particulier”).

Pour cette catégorie de nerds de la Draft, De’Anthony Melton est un de ces poulains sur lequel tout le monde, ou presque, est prêt à parier qu’il va excéder sa position à la Draft et qu’il pourrait devenir un excellent joueur NBA. Melton Island est une petit île perdue dans le paysage, peuplé de Draft geeks. Pour l’instant en tout cas, on risque de pas se sentir seuls très longtemps dès que la saison NBA va recommencer. Bien que chaque joueur au-delà de la 20e place possède son petit lot de fervents admirateurs/traders prêts à acheter toutes ses actions en bourse, c’est en revanche très rare d’avoir un tel consensus sur un joueur. Qui plus est un joueur drafté aussi bas (46e position), et qui n’est pas un talent hors norme tombé pour cause de blessure/problème de comportement.

En quelques mots, Melton est un meneur/arrière au profil physique on ne peut plus idéal (très athlétique, rapide, de très longs bras), qui a pour lui d’avoir laissé bouche bée n’importe qui l’aurait vu jouer en défense à l’université d’USC. Au-delà de ses atouts physique et athlétique, ce sont ses instincts défensifs d’exception qui déménagent la rétine. Le défenseur parfait pour la NBA en somme, pour convenir aux schémas défensifs toujours plus dynamiques et changeants mis en place pour contrer les armadas offensives des temps modernes : la capacité de freiner des catalyseurs de jeu moderne (les meneurs), une certaine polyvalence pour switcher sur des ailiers, et très bon en défense collective (aides, rotations, etc). Pensez Avery Bradley, grosso modo, pour la défense.

Pourquoi 46e choix de la Draft alors, me direz-vous ? Le garçon n’a pas montré énormément en attaque, particulièrement au niveau du shoot extérieur, la qualité primordiale pour n’importe quel joueur NBA : même un défenseur d’élite dépassera rarement les 20min/m s’il ne peut rien faire de l’autre côté du terrain, alors qu’un simple 3&D capable de temps à autre de rentrer un catch & shoot peut tout à fait être un élément crucial d’une bonne équipe (Robert Covington, par exemple). Inutile de dire non plus que, malgré d’assez bons instincts naturels en attaque, Melton est incapable de jouer meneur, ou avec la balle dans les mains. Autre problème : Melton n’a pas pu jouer du tout en 2017-2018, suspendu pour toute la saison NCAA dans le cadre des investigations de fraude et corruption à USC.

Sauf que.

Sauf que Melton n’a pas perdu son temps l’an passé, de toute évidence. Alors qu’il ne semblait pas avoir extraordinairement progressé au shoot durant les workouts (vitrine dont en plus il faut toujours se méfier), le garçon a débarqué en Summer League pour soudainement se mettre à enchaîner les trois-points…en sortie de dribble, même ! Mécanique très propre, très bon footwork, geste d’une très grande fluidité, et une énorme confiance pour tenter (et rentrer) ces pull-ups three, pourtant pas l’arme la plus facile du répertoire à maîtriser pour un non-shooteur. En somme, l’exact opposé de ce qu’il avait montré en NCAA.

Pour Houston, récupérer un tel joueur à cette position de la Draft fut une aubaine incroyable. S’il apprend à shooter, Melton est dans l’équipe parfaite, avec des schémas offensifs et défensifs qui lui conviennent parfaitement. Défendre, switcher, et prendre les shoots que Harden ou Paul lui offre. Et c’est tout. En l’occurrence, les progrès qu’il semble avoir réalisés sur son shoot permettent d’être bien plus serein quant à sa capacité à devenir tout du moins un shooteur correct chez les pros.

Bref.

Une fois passé le stade de la déception de ne pas avoir droit à De’Anthony Melton dans le rôle parfait de la mouche du coche sur Stephen Curry lors d’une finale de conférence 2019 Rockets – Warriors, vint alors la surprise : Melton semble avoir une valeur assez importante sur le marché désormais. D’ordinaire, pour mieux faire passer la pilule d’un gros contrat qu’on bazarde, il est nécessaire d’y rattacher un atout pour équilibrer la balance. Les franchises, même celles qui n’ont rien à jouer ou qui ont du salary cap à ne plus savoir quoi en faire, n’ont aucune raison d’accepter un boulet financier sans une juteuse contrepartie : un jeune joueur, ou un futur 1e tour de draft. Récemment, c’est ce qu’a réalisé Denver en bazardant Kenneth Faried en compagnie d’un tour de draft chez les Nets par exemple.

Or, l’atout juteux qu’a obtenu (réclamé ?) Phoenix, l’atout d’une valeur positive pour équilibrer la balance du négatif (gros contrat et manque de polyvalence dans le jeu moderne) de Ryan Anderson, cette contrepartie alléchante, c’est DeAnthony Melton. Un joueur drafté 46e de la dernière Draft fait office d’équivalent à un futur premier tour de draft. Si vous n’aviez pas compris que le garçon a été “sous drafté”, ou que sa valeur avait déjà excédé son 46e rang, en voilà une preuve. Melton, 46e choix de la Draft, est un de ces “précieux jeunes joueurs de talent à développer”. Bah moi je dis, c’est pas rien quand même.

Evidemment que n’importe quel marché est changeant, et mesurer la valeur d’un élément de ce marché est une science évolutive. M’enfin, quand même. En un peu plus de deux mois, c’est un sacré boost en termes de valeur pour Melton, et la Summer League ne doit pas y être si étrangère que ça. Au diable les performances ou les totaux de points. Non, ce qui a fait monter sa valeur, ce sont les capacités intrinsèques qu’il a démontrées et qu’on ne lui connaissait pas, indépendamment du contexte Summer League d’ailleurs (la fluidité, l’adresse et la confiance dans son tir extérieur n’ont pas grand-chose à voir avec la qualité des défenseurs en face de lui).

C’est encore un excellent coup réalisé par Daryl Morey. Alors que cela semblait évident que Houston allait devoir passer à la caisse, comme tout le monde, et se dépouiller d’un tour de Draft pour réussir à faire partir un Ryan Anderson plus tellement utile face à Golden State (et donc plus utile du tout, pour les Rockets), Morey a une nouvelle fois fait parler son talent. Rien ne se créé, rien ne se perd, tout se transforme. Moitié Antoine Lavoisier, moitié Robert Houdin le type quand même.

Houston drafte Melton avec le 46e choix, un pick obtenu de Memphis lors de l’échange de Dillon Brooks l’an passé, lui même sélectionné grâce à un pick obtenu via Portland en 2013 dans un échange où les Rockets débarrassent de Thomas Robinson, coupant court à l’expérience après seulement quelques mois (la suite semblera même leur donner raison). Houston est parvenu à partir de rien, ou presque rien (des bricoles, des deuxièmes tours de draft échangés et rééchangés) à dégager un des contrats les plus encombrants de NBA, là où la majorité des autres franchises se font un peu plus déplumer pour réaliser la même chose.

Plus encore, Morey obtient même une contrepartie que l’on pourrait qualifier, selon l’optimisme des personnes interrogées, de intrigante à vraiment très intéressante. Je suis personnellement plutôt du côté du second avis, mais qu’importe : il obtient quelque chose en échange. Et pas rien du tout. Nul ne sait dans quel état est Brandon Knight après être passé par la case Phoenix qui lui a un peu déraillé sa carrière, et surtout après ses multiples blessures. Mais si ses vieux os de 26 printemps lui permettent de performer ne serait-ce qu’à 50% du presque All Star qu’il était en 2015 à Milwaukee, c’est un bel atout (création individuelle, un peu de shoot, de très bons drives/contre-attaques, un peu de défense). Quant à Marquese Chriss, il me semble tôt là aussi pour abandonner. Certes, le garçon reste un projet, et pas un facile du tout à mener d’après ce qu’on a vu (intelligence de jeu, et immaturité). Mais il est encore très jeune et avec des atouts athlétiques d’élite. Peut-être qu’il n’atteindra jamais son potentiel maximum, mais si Houston arrive à en tirer une vingtaine de minutes pour switcher les écrans, protéger le cercle (un peu), courir en transition, conclure avec férocité au cercle et même shooter dans le périmètre à l’occasion, ça peut être un back-up ou une rotation des plus intéressantes à Clint Capela.

C’est pas le carnaval de Rio, je vous l’accorde. Mais encore une fois : un meneur back-up potable capable d’un peu tout faire, et un jeune intérieur à potentiel obtenus grâce à des échanges multiples de second choix de draft, c’est (quasiment) gratuit et ça ne peut être qu’une plus-value. Sans même parler de la flexibilité du salary cap, bien entendue.

Pour Phoenix, Melton semble un fit on ne peut plus parfait autour du noyau dur de jeunes pousses déjà en place. A terme, si Melton confirme et devient un vrai bon titulaire NBA, il simplifie grandement l’équation du cinq majeur, et solutionne notamment les problèmes incontournables que posent la présence du non moins indispensable Devin Booker : ses manquements défensifs. Un backcourt Booker-Melton permet d’envisager les choses plus sereinement des deux côtés du terrain, offrant à Booker un shooteur supplémentaire lorsque le celui-ci évolue balle en main, et surtout peut s’occuper du meneur ou du l’arrière adverse de meilleure qualité afin de “cacher” Booker sur le moins menaçant. Une stratégie de moins en moins payante dans une NBA ou la recherche du switch par les attaques permet de cibler n’importe quel défenseur (plus personne ne peut se cacher) mais quand même : avoir une assurance défensive comme Melton sur les lignes extérieures est toujours fortement appréciable à côté d’une star.

Plus encore, les Suns ont également rajouté dans leur rangs Mikal Bridges cette intersaison et possédaient déjà Josh Jackson, deux ailiers pas franchement infranchissables en défense individuelle mais de très bons défenseurs collectifs loin du ballon. Si on rajoute à cela Dragan Bender, et donc Melton lui-même excellent loin de l’action, les Suns ont même de quoi combler les brèches de leur défense collective à coup d’aides dynamiques et de rotations défensives pour limiter l’exposition de DeAndre Ayton dans un premier temps (lui qui, justement, a pour principal défaut d’être perdu dans loin du ballon et de ne pas bien protéger le cercle).

Pour Phoenix donc, cet échange semble une excellente affaire dans ce sens que les Suns ont assez peu à perdre et tout à gagner : le contrat d’Anderson ne les handicape pas plus que ça (pas autant que s’ils avaient besoin de l’intégralité du salary cap pour jouer le titre), DeAnthony Melton est un pari pas cher qui peut rapporter gros (potentiellement un titulaire très complémentaire de la star, jackpot), Brandon Knight n’avait plus vraiment de futur avec l’équipe (un meneur vétéran signé au minimum saura très bien faire tourner la boutique), tout en se débarrassant de Marquese Chriss qui aurait pu freiner la progression de Ayton et Bender. Le seul scénario possible où les Suns peuvent regretter les détails de ce trade est si Chriss venait à exploser, mais c’est franchement un scénario très peu probable, bien que théoriquement possible. Ce que cet échange dit, d’ailleurs, c’est que Phoenix pense plus probable que Dragan Bender devienne un bon joueur plutôt que Chriss, sans quoi c’est le Croate qui aurait été sans doute inclut dans le deal.

Du côté de Houston, cependant, deal n’est pas parfait en tout point. Certes, Morey a réussi à manufacturer du “rien du tout” (du cash) en quelque chose d’intéressant (deux potentiel role players intéressants dans une bonne équipe, et surtout de la place sous le salary cap). Mais…

Morey a tout de même pri un petit risque. En un sens, le GM des Rockets semble avoir complètement profité de la valeur montante de Melton après sa Summer League, mais au fond, peut être que Melton n’est pas à son pic et que sa valeur va continuer à monter au fil des saisons. Dans ce cas-là, avoir laissé filer un titulaire parfaitement taillé pour le jeu de l’équipe, jeune, dans un contrat rookie (et donc pas cher du tout par rapport à sa productivité) simplement pour arriver à bazarder Anderson, c’est ce que j’appellerais avoir surpayer pour se débarrasser du contrat d’Anderson, et s’en mordre les doigts.

Pour autant, c’est un risque que Morey et les Rockets sont totalement prêts à prendre. Leur stratégie est court-termiste et vise à optimiser au maximum le niveau de l’équipe quitte à sacrifier des atouts futurs. Ils n’ont par exemple pas eu leur choix du premier tour de draft sur les quatre dernières années (le dernier se nomme Clint Capela, en 2014), préférant toujours l’échanger pour obtenir de meilleurs atouts instantanés : faciliter le salary dump de Jeremy Lin aux Lakers, acquérir Ty Lawson, acquérir Lou Williams, acquérir Chris Paul. Et grand bien leur prend : c’est exactement ce qu’une équipe qui est en position de jouer le titre doit faire, tout en mettre en œuvre pour y arriver (d’autant que Morey le fait sans autant se déplumer que Cleveland n’a pu le faire par exemple). De ce fait, perdre un rookie comme Melton au profit d’un peu de salary cap et de joueurs pouvant peut-être aider à gagner dès l’an prochain, c’est une décision assez facile selon le processus de réflexion des Rockets.

Certes. Mais n’était-il pas possible d’attacher un futur premier tour de draft à Anderson plutôt que de refourguer Melton dans le lot ? Était-il nécessaire de prendre ce risque de laisser filer un bon joueur lorsqu’on a une autre cartouche à griller ? C’est mon seul bémol dans toute cette affaire. Si Melton confirme son shoot (ne serait-ce qu’un tout petit peu) et se montre capable de défendre correctement, il me semble qu’il aurait tout à fait sa place dans une série de playoffs contre les Warriors. Ça aurait été ma préférence.

Et en même temps, mon raisonnement se raccroche à des “si”. La défense est peut-être un des éléments les plus difficiles à transposer au niveau supérieur, de par le différentiel de vitesse du jeu et de qualités des attaquants à gérer. Même pour les prospects avec d’excellents instincts défensifs, rien n’est jamais sûr et il faut généralement un temps d’apprentissage et d’adaptation (demandez à Aaron Gordon). Quant au shoot, le côté aléatoire de cet exercice et le tout petit échantillon disponible sont des biais conséquents dont il faut se méfier : rien ne garantit que Melton soit un bon shooteur chez les pros.

Le raisonnement de Morey se tient tout à fait. Malgré tous ses attraits, Melton reste un rookie qui aura sans doute besoin d’un temps d’adaptation et/ou n’est pas forcément le joueur qu’on pense qu’il peut devenir. Or, à Houston, on veut de la certitude, et on la veut tout de suite. Qui plus est, inclure Melton dans ce salary dump permet de conserver un futur tour de draft pour éventuellement l’utiliser plus tard et aller chercher en cours de saison un role player supplémentaire.

Comment savoir si le choix de Daryl Morey est le bon ? Attendre.

Tout ce que l’on sait actuellement, c’est que la valeur de De’Anthony Melton sur le marché a connu une récente progression et semble être aujourd’hui à son pic. Est-on dans le cas de figure de Isaiah Thomas, échangé au parfait moment, au pic de sa valeur l’été dernier juste avant que celle-ci ne se casse la figure ? Ou bien est-on dans celui de l’échange de Jayson Tatum, qui avec le temps voit sa valeur sur le marché grimper de manière extraordinaire et qui donne l’impression à Philadelphie d’avoir “surpayer” pour le 1e choix en 2017 ?

Nouveau coup gagnant du maître spéculateur Daryl Morey ou opportunité en or qui leur glisse entre les doigts ?

Seul De’Anthony Melton nous le dira.

 Guillaume (@GuillaumeBInfos)

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