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[Grosse Interview] Goran Dragic : « Tony Parker, ce qu’il a fait, c’est incroyable, sa contribution est énorme »

Le meneur titulaire du Heat, All-Star en 2018, champion d’Europe et MVP en 2017, revient pour Basket-Infos sur la saison de Miami et bien sûr la toute dernière danse de Dwyane Wade, qui allait se dérouler quelques minutes plus tard sur le parquet du Barclays Center. Il ne nous cache pas non plus sa colère par rapport au système des qualifications de la FIBA, mais retrouve le sourire quand il parle de Luka Doncic, l’avenir radieux des joueurs internationaux dans la NBA, ou encore le rôle précurseur de Tony Parker pour les meneurs étrangers.

Goran, alors que Dwyane va jouer son dernier match ce soir, quel bilan tires-tu de votre saison ?

Ç’a été une saison difficile. On s’attendait tous à faire les playoffs. Et on les manque dans les tout derniers matchs. Une saison difficile toute l’année d’ailleurs, parce qu’on a eu beaucoup de blessés, on a dû changer les rotations tout le temps… Mais bon, ça fait partie du jeu, du sport en général même. Là, l’objectif, c’est que D-Wade puisse avoir un dernier match qui soit beau, une toute dernière danse ! Et pouvoir en profiter pour finir sur une bonne note du coup (l’arrière légendaire a réalisé son cinquième triple-double en carrière moins de trois heures plus tard).

Quand on s’était parlés l’an dernier*, tu nous disais que ce moment où tu sais que la saison est finie, ou que tu ne joueras pas les playoffs, pour toi c’est la pire sensation possible.

Oui. Tu veux continuer de jouer. Jouer pour gagner. Personne ne veut rentrer tôt à la maison ! C’est clair que je veux jouer les playoffs, chaque année. Malheureusement ce n’est pas le cas là. Mais en même temps, c’est peut-être le mieux pour mon corps en fait. Avec tout ce que j’ai eu au genou (il a essayé de tenir plusieurs semaines avec seulement des traitements et une pause dans la saison, mais a finalement dû passer sur la table d’opération pendant 45 minutes en décembre), je vais avoir besoin de faire beaucoup de travail pour revenir à 100%. J’ai plus de temps, donc j’espère revenir encore plus fort (il a notamment été All-Star l’an passé, après avoir été champion d’Europe et MVP de l’Euro en 2017).

« C’est vraiment LE souhait de chaque joueur »

 

Le fait que ce soit la dernière saison de D-Wade, cela aide à prendre du recul ?

Oui, c’est clair ! Tu ne sais jamais quand va se dérouler ton dernier match… (il hésite longtemps avant de lâcher ces mots qui le rendent clairement inconfortable) Tu peux avoir une grosse blessure qui met fin à ta carrière d’un coup. C’est pour ça que tu dois jouer tous les matchs à fond, essayer d’en profiter à chaque match. Parce que tu ne sais jamais. Et pour D-Wade, ce qui est génial, c’est qu’il part de la manière dont il a choisi (le MVP des finales 2006 portait d’ailleurs une boucle de ceinture « My Way » pour sa dernière sortie). Il n’a manqué aucun match cette année, zéro ! Il a décidé de partir alors qu’il peut encore jouer à un très haut niveau. Et surtout, il ne part pas à cause d’une blessure. Je crois que c’est vraiment LE souhait de chaque joueur. Du coup je suis super content pour lui.

Le groupe et le coach ont facilement géré l’équilibre entre lui donner la place pour briller, développer les jeunes joueurs, essayer de se qualifier en playoffs ?

Je pense oui. Avoir ce genre de joueur dans ton équipe, c’est toujours énorme. Il a tellement d’expérience que rien que ça, ça aide beaucoup les jeunes comme Justise (Winslow) ou Josh (Richardson). C’est le meilleur mélange possible en fait. Quand tu es jeune, tu veux apprendre des meilleurs, comme moi avec Steve Nash, et Dwyane est clairement l’un des meilleurs, de toute l’histoire du basket. Cette dernière danse, cette dernière saison, il y avait quelque chose de spécial. Nos matchs à l’extérieur, on avait énormément de fans du Miami Heat qui étaient là pour nous encourager. Ça nous a vraiment soutenus, particulièrement avec tous les moments difficiles par lesquels on est passés.

Qu’est-ce que sa présence signifiait pour toi quand tu es arrivé au Heat ?

Énormément ! Quand j’ai signé, on avait de grosses ambitions. Chris Bosh, lui, Luol Deng… on pensait avoir une équipe très compétitive pour plusieurs années. Malheureusement, il y a eu cette situation avec CB (l’intérieur onze fois All-Star entre 2006 et 2016 a dû couper net sa carrière à cause d’un caillot sanguin considéré trop dangereux par la NBA pour le laisser jouer), et c’est parti dans une autre direction. On a essayé d’amener de jeunes joueurs pour compenser, mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça.

« Ce qui m’a le plus surpris avec Dwyane c’est… »

 

As-tu appris des choses sur lui que tu ne savais pas avant de jouer à Miami ?

Oui ! Forcément, quand tu vois quelqu’un tous les jours, tu apprends des choses. Ce qui m’a le plus surpris, c’est que dès que je suis arrivé, il a été non seulement un coéquipier exceptionnel, mais en plus un vrai ami. Il était toujours là si j’avais besoin de quoi que ce soit, il venait même carrément me demander de quoi j’avais besoin ! Avec son statut de superstar –en NBA mais encore plus à Miami et même carrément en Floride, où il est vraiment la plus grande figure sportive qui existe–, il pourrait rester concentré sur lui-même et n’en avoir rien à faire des autres… Mais il n’est pas du tout comme ça. Il est là pour ses coéquipiers, pour les gens de Miami, pour la communauté autour du Heat, les gens dans le besoin… C’est pour ça que tant de monde l’aime. C’est ce qui fait tout l’engouement autour de sa dernière saison, et qui le résume bien. Ce n’est pas seulement un super joueur. C’est vraiment une belle personne.

Tu aimes beaucoup regarder l’histoire du jeu, qu’elle est sa place dans l’histoire ?

Tout en haut. C’est l’un des meilleurs poste 2 de l’histoire, de toute l’histoire ! Hall of Famer, trois bagues, MVP des finales… Et il faut vraiment prendre en compte ce dont on vient de parler. Il y a ses contributions sur le parquet, mais il y a surtout ses contributions en dehors du terrain. D’un côté tu as des choses comme le plus grand nombre de contres pour un arrière, et le reste du CV parle de lui-même, mais les jeunes joueurs peuvent s’inspirer de lui au-delà de ça : pour tout ce qu’il a fait en dehors du terrain, sa manière d’être, ce qu’il a fait pour sa franchise (fondé en 1988, le Heat n’avait atteint les finales de conférence avant son arrivée qu’une seule fois, en 1996-97).

« C’est bullshit ce qu’a fait la FIBA »

 

Passons à un autre sujet : on imagine ta déception pour la Slovénie, qui ne sera pas à la Coupe du monde cet été, alors que vous êtes champions d’Europe en titre…

(Il s’agace) C’est bullshit ce qu’a fait la FIBA en changeant le système de qualification. Les fans veulent voir les meilleures équipes au monde. Clairement, on en fait partie vu qu’on a gagné l’Euro, sauf qu’on ne peut pas se qualifier (les meilleurs joueurs NBA ou Euroleague ne peuvent pas se libérer)… C’est mauvais pour le basket, c’est mauvais pour les joueurs et c’est mauvais pour les fans. Ça va même affecter les Jeux Olympiques. J’espère vraiment qu’ils vont changer ça. Moi, j’ai pris ma retraite internationale, mais pour mes coéquipiers (dont Luka Doncic…) c’est… (il secoue la tête, clairement dépité, et pince ses lèvres, avant de reprendre d’un ton calme mais ferme) On est 2 millions d’habitants et on a eu jusque 6 joueurs qui jouaient en même temps en NBA ! Notre pays aime le basket, on a une super culture du jeu, on sait développer de super jeunes joueurs… Là on n’est plus que deux joueurs en NBA, moi et Luka, mais on sait que Luka est vraiment spécial. Et j’espère qu’on aura d’autres jeunes qui vont nous suivre !

Puisqu’on parle de Luka, as-tu été surpris des doutes qu’il a suscités au moment de la Draft ? Après avoir joué avec lui en sélection et si bien connaître la NBA, tu étais sûrement le mieux placé…

Moi je savais qu’il allait faire la transition sans problème. Ce n’est pas n’importe quel rookie, et ce n’est pas n’importe quel joueur européen. Il a joué énormément de matchs en Euroleague pour le Real Madrid, il l’a même remportée ! En étant élu MVP (de la compétition et du Final Four) ! Il avait fait un super Euro (élu dans le meilleur cinq)… Mais bon, au final, ce qui s’est passé à la draft, ça ne compte pas. Il a clairement montré cette saison que c’était lui le numéro un, et pour moi il ne va faire que progresser. Il va avoir plus de temps pour se préparer cet été, faire des ajustements pour le jeu NBA… (Dans un grand sourire) Tout était nouveau pour lui cette année, l’an prochain, il sera encore meilleur !

Il y a eu des joueurs internationaux MVP de la saison, MVP des finales… Penses-tu qu’il existe un niveau supplémentaire, LE joueur de sa génération, et que cela puisse arriver sous peu ?

Bien sûr, bien sûr ! Ça marche par cycle de 10 ou 15 ans. Généralement, les joueurs US sont les plus dominants, mais on a vu que les joueurs internationaux avaient réussi à prendre place à l’échelon le plus élevé. Et là, on voit que les meilleurs jeunes, ce sont sûrement les internationaux : Giannis (Antetokounmpo), Joel (Embiid)… Pour moi, Giannis est MVP cette saison. On voit de plus en plus d’internationaux, au plus haut niveau en NBA, donc la probabilité augmente. Luka a sa chance par exemple… Il peut y avoir un cycle où ce seront les internationaux qui gagneront les trophées les plus prestigieux. Mais ça ne veut pas dire que ce sera tout le temps comme ça non plus. Regarde Zion (Williamson), qui est Américain… Là je donnerai l’avantage aux internationaux chez les jeunes, mais on ne sait jamais. En tout cas, ça fait plaisir de voir le jeu évoluer, de voir la NBA évoluer et devenir aussi internationale. Et le jeu change aussi du coup. Quand je compare à quand j’ai débarqué, il y a 10 ans… On shoote beaucoup plus maintenant, tu ne vois plus trop de big guys au poste bas, tu les vois shooter à trois points et dribbler maintenant ! Je crois que le jeu change aussi selon des cycles, mais encore plus court, 5 ou 10 ans. Ça sera vraiment intéressant de voir à quoi ressemblera le jeu NBA dans 10 ans d’ailleurs !

« La contribution de Tony Parker est énorme pour les meneurs étrangers »

 

Les internationaux restent quand même assez sous-cotés dans la plupart des cas. Tu fais partie des plus nommés quand on demande aux joueurs qui l’est le plus en NBA, Luka a attiré l’attention mais aussi beaucoup de doutes à la Draft, les opportunités business restent souvent bien moindre à CV comparable (ou même favorable)… Tu penses que ça va changer ?

Oui, mais la NBA reste une ligue de guards. Du coup il y a beaucoup plus de compétition sur ces postes-là. Giannis et Joel par exemple, ce sont des intérieurs. C’est sûrement là que ça va se jouer du coup… Mais moi, au final, ça ne m’a pas dérangé. Mon objectif, c’était d’être le meilleur joueur que je puisse devenir. Certains apprécient plus mon jeu, d’autres moins, mais… (il écarquille les yeux et prend un grand sourire, comme s’il avait eu une illumination) C’est ça le truc : je ne peux avoir aucune influence sur eux. Ça reste leur opinion (il insiste sur ce dernier mot tout en souriant). Donc je ne suis jamais allé très loin dans ce genre de pensées : qu’est-ce qu’ils pensent de moi, qu’est-ce que ce gars-là pense de moi… Personnellement, je veux jouer et prendre du plaisir. C’est ça le plus important.

Tu mentionnes la compétition sur les postes arrières. A quel point Tony Parker a ouvert le poste de meneur aux internationaux ?

Absolument. Complètement. En gros, tu n’avais pas de meneur titulaire avant lui. Et même après, regarde, il y a qui ? Ricky Rubio et moi. Il a été le premier à être All-Star aussi… et bien sûr le reste de son palmarès : multiple champion, MVP des finales, multiple All-Star. Combien ont été All-Stars d’ailleurs ? Lui et moi. Bien sûr, il y a Steve (Nash), mais Steve a été formé en très grande partie aux Etats-Unis (4 ans à Santa Clara). C’est un poste très, très difficile. Il y a énormément de meneurs américains disponibles. La compétition est incroyable. Donc oui, Tony, ce qu’il a fait, c’est incroyable, sa contribution est énorme. Et Steve aussi bien sûr, même si c’est différent parce qu’il est passé par la NCAA. (Il prend une pause) En fait, tu me fais réaliser qu’il n’y a que moi et Tony qui avons été All-Star, en tant que joueurs formés à l’étranger… (il prend une grande inspiration) C’est un énorme accomplissement. On lui doit beaucoup.

* retrouvez l’interview « Ma NBA » de Goran Dragic ici

Propos recueillis par Antoine Bancharel, à Brooklyn

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