[Interview d’Expert] Dan Burke, le monsieur défense des Pacers
En 2016, Larry Bird déclarait: « Ma priorité pour la free agency ? Dan Burke ! ». Depuis 1997, cet homme discret s’est fait une place de choix du côté d’Indiana. Respecté comme peu dans ce milieu hyper exigeant, où le turnover est incessant, il s’est ouvert à nous petit à petit (on le travaille depuis plus de cinq ans…). La semaine passée, l’homme aux 6 finales de conférence et une finale NBA, qui n’a manqué la post-season que lors des quatre saisons de reconstruction, nous a accordé un entretien rare, les assistants n’étant souvent pas mis à disposition des médias. Découvrez le bras droit de Nate McMillan, l’un des piliers des Pacers, élément majeur de leur bon début de saison, malgré les blessures.
Dan, vous êtes crédité comme le spécialiste de la défense aux Indiana Pacers. Vous y avez débuté en 1997 (après 8 ans aux Blazers comme scout et coordinateur vidéo), c’est bien cela ?
(Souriant mais un tantinet nerveux) Le 27 juillet 1997 oui. C’était mon premier jour… Je ne sais pas si on peut dire « spécialiste », je n’aime pas trop ce genre de termes, mais c’est certainement ma principale responsabilité ces dernières années (il a toujours travaillé dessus et a assumé un rôle leader depuis 2011).
D’où vient cette longévité dans la culture défensive à Indiana, perpétuellement classée parmi les meilleures ?
Je pense que cela vient d’abord des joueurs que l’on recrute. On fait très attention à leur personnalité, leur éthique… On a généralement des joueurs qui sont consciencieux, qui cherchent à s’occuper les uns des autres. Du coup il y a toujours en eux la notion d’aide, qui est fondamentale en défense. Ils se tiennent responsables les uns des autres aussi. Ils ne se laissent pas aller et se parlent franchement quand l’un d’eux dévie de nos objectifs. Mais il y a une autre chose fondamentale dans notre système : on reste sur des règles assez simples. L’idée, c’est que ça ne sert à rien si tu dois trop réfléchir à ce que tu fais. Tu vas juste rendre une équipe lente encore plus lente, et une équipe qui devrait être rapide pas assez. Mais encore une fois, c’est la personnalité des joueurs – qui doit rentrer dans la culture que je te détaillais – qui compte le plus. Quand on les coache, on n’a pas besoin de dire beaucoup plus que : « C’est à qui de corriger cette erreur ? ». D’un coup, ils vont tous réagir à l’unisson et dire : « C’est untel ou untel », ou « les joueurs en bas », « les joueurs en haut » etc. Et comme cela fait désormais longtemps que ce système est en place, cela crée une culture qui perdure.
Rick Barry nous disait qu’il valait mieux avoir cinq gars qui savent défendre en équipe que cinq super défenseurs individuels. Vous êtes sur la même longueur d’onde ?
C’est quelque chose de vraiment intéressant ce qu’il dit là ! Il y a certainement une part de vérité là-dedans. On a toujours dit : « Certains des meilleurs défenseurs individuels sont souvent pauvres en aide défensive, et certains des meilleurs en aide défensive sont assez mauvais dans le un-contre-un… ». Je crois que je suis assez d’accord avec lui : je préfère avoir cinq gars absolument unis qui ne lâchent rien. Mais je vais te dire un truc : tu as besoin d’un stoppeur. (Il répète) Tu as besoin d’un stoppeur. A la fin du match, quand c’est serré, tu veux savoir qui va prendre le meilleur gars en face. Ce soir il ne joue pas, mais d’habitude, c’est vraiment la question que l’on se pose : « Qui va prendre Kyrie Irving ce soir ? ». Tu veux savoir qui peut s’occuper de certains joueurs adverses, qui sont vraiment, (il insiste) mais vraiment, spéciaux en attaque.
« Oui, la défaite te tue. Mais ne pas avoir réussi à soutenir ton coach, à trouver la solution ? Ça me prend longtemps pour m’en remettre… »
La NBA a tellement changé en 22 ans… comment s’adaptent les défenses aux différents styles et évolutions ?
(Il acquiesce de la tête et grimace en même temps) Nos principes restent les mêmes, en gros. On fait peut-être des petits ajustements. Peut–être que le gars qui auparavant devait gêner le « roller » (celui qui « roll » dans le pick-n-roll) va rester uniquement sur son joueur désormais, et laisser le gars en bas s’en charger à 100%. Peut-être que les deux qui sont sur le ballon dans le pick-n-roll vont devoir être un peu moins agressifs, et plus vigilants sur l’ensemble du périmètre. Mais au final, on continue de faire la grande majorité de ce que l’on a toujours fait. Coach Nate (McMillan) dit tout le temps : « Do what we do » (faites ce qu’on fait, ou fais ce qu’on fait, en français). On vient de jouer deux équipes qui tirent énormément à trois points, et bien : Houston et Milwaukee. Or aucune n’a eu plus de réussite que ce que les autres ont d’habitude contre nous. Je ne sais pas à quel point c’est notre défense ou simplement leur adresse qui a joué là-dedans, mais le principal, c’est que leurs shooteurs doivent savoir qu’on arrive, qu’on va débouler sur eux tout le match. On y va et on fait sentir notre présence, en leur touchant le torse à chaque fois. On se doit de contester chaque tir. Mais sinon, pas énormément de changements concernant notre système, même avec les évolutions récentes. C’est plutôt des petits ajustements.
Vous parlez de Nate et il nous a justement déclaré ce matin qu’il avait une immense confiance en vous. Vous étiez tous les deux assistants (McMillan est sur le banc des Pacers depuis 2013) avant qu’il ne devienne coach principal en 2016. Quelle relation entretenez-vous ?
(Sur un ton enjoué et presque ému) Cet homme-là, je l’aime. Il nous donne beaucoup de responsabilités, il nous met en confiance et nous fait énormément de confiance. Oh boy, il veut tellement gagner en plus ! Et c’est le genre de gars pour qui tu aimes tellement travailler, que tu as peur de ne pas être à la hauteur. Quand tu te fais scorer dessus en fin de match, surtout pendant les playoffs, c’est la misère absolue. Tu te sens tellement mal… (sa voix s’étrangle un peu) Oui, la défaite te tue. Mais ne pas avoir réussi à le soutenir, à trouver la solution ? Ça me prend un long moment avant de pouvoir m’en remettre. (Revigoré) Mais c’est un homme de grande qualité, avec une superbe personnalité, des valeurs impeccables. Tu veux être à ses côtés. Tu veux que ta famille et sa famille soient proches. Cela procure une relation de travail incroyable.
« On nous a dit que ces gars-là n’aimaient pas défendre… »
Vous aimez aussi beaucoup développer des joueurs. Notamment certains qui arrivent avec une piètre réputation défensive, et qui d’un coup se font remarquer dans ce domaine une fois chez vous. TJ Warren cette année par exemple…
Oui, oui… deux ou trois des nouveaux gars, on nous a dit « Oh, ces gars-là n’aiment pas défendre ». Mais encore une fois, si tu as de bonnes valeurs et que tu te soucies des autres, de ce que tu fais, de ton boulot, tu vas apprendre à défendre. Comme tu le sais, la défense, c’est avant tout le désir. Et pour TJ, on se rend compte aujourd’hui qu’il est plutôt bon en défense ! On doit encore le rendre plus régulier. Mais il a montré qu’il pouvait défendre des postes 1 à 4. On a même eu deux-trois matchs, on a carrément dit : « Mets TJ sur lui ». (Il lance son menton en avant pour insister) « Mets TJ sur James Harden ! ». Désormais, il a prouvé qu’il en était capable. Donc maintenant, le truc, c’est que nous, on impose qu’il le fasse ! Jeremy Lamb a montré qu’il en était capable, on attend de lui aussi qu’il le fasse ! Quand on a fait un mauvais à Charlotte, on leur a dit : « Les gars, vous nous avez montré que vous êtes capables de le faire, donc maintenant, vous devez le faire tous les soirs ! ». Mais on doit encore faire progresser d’autres joueurs. TJ McConnell, je vois bien qu’il n’est pas encore tout à fait familier avec notre système, avec ce qu’on fait. On doit faire progresser pas mal des gars du banc, les amener au niveau, par rapport à ce qu’on attend du côté de la défense en équipe, collective.
Vous avez évoqué les playoffs. A quel point tout change à ce moment de la saison ?
On garde notre slogan : « Do what we do ». Surtout sur les premiers matchs. Et même quand tu te prends une défaite, je ne pense pas que ce soit le moment de tout changer. On va changer un peu les match-ups (oppositions individuelles), ajuster une ou deux choses… Par contre, match 3, match 4, là tu commences à faire pas mal d’ajustements. Mais le truc marrant avec les playoffs, c’est que quoi que tu fasses, au final cela se résume beaucoup aux match-ups individuels. Qui joue sur qui. Je reprends un exemple récent pour illustrer : quand on a mis TJ (Warren, on précise, car il y en a trois aux Pacers…) sur James Harden dernièrement, à un moment il s’est embourbé dans un écran, avant de se prendre un trois-points sur la tête. Est-ce que c’était de notre faute ? Est-ce que c’était la sienne ? Tu commences à douter de tout, tous les jours. Mais ça veut dire que tu veux aussi devenir meilleur, pour le coaching staff et pour l’équipe. En playoffs, tu es prêt à changer pas mal de choses rapidement d’ailleurs. Contre Boston l’an passé, on a fait pas mal de changements. Et je trouve qu’on ne les a pas trop mal défendus. Mais au final, on s’est pris 4-0… (petits scores et 10 points ou moins d’écart à chaque match ceci dit). Pour autant, je pense qu’on a plutôt bien défendu contre eux. Et on a vraiment tenté pas mal de choses. Soit nouvelles, soit des choses qu’on n’avait peu faites auparavant.
Comment utilisez-vous les expériences de l’année – et même des années –précédente(s) pour la saison suivante ?
Je les liste chaque été ! (Il répète) Je les liste chaque été. Toutes les erreurs que j’ai faites. Toutes les choses que l’on s’est dit sur le banc : « Ah, là on aurait pu faire ça, ici on aurait pu faire ceci… ». Je prends des notes à chaque fois, et je regarde ça pendant l’été. Mais ce qui est marrant, c’est qu’on passe tout l’été à en débattre, puis au final on arrive au Training Camp… et on en revient à ce qu’on faisait avant (rires) !! Mais j’ai quand même ma liste. Tu dois apprendre de tes erreurs. Tu dois apprendre de tes expériences passées. Tu dois apprendre des différents coaches avec qui tu travailles. Tu dois apprendre de tes adversaires… (pause) J’ai passé tout l’été à parler à des coaches européens, aussi. Même des coaches de fac ou de lycée. Tu dois continuer à te perfectionner, à remettre ton ouvrage sur le métier… Si tu ne t’améliores pas, si tu ne te remets pas en question, tu ne fais de bien à personne.
« Les équipes européennes ont de sacrés systèmes ! »
Un été avec une Coupe du monde ou les J.O., c’est encore plus prolifique dans cette démarche du coup ?
Oui ! Oui ! Absolument. Je vais te dire un truc : s’il y a une chose à apprécier des équipes européennes, et même internationales, c’est qu’ils ont de sacrés systèmes ! Tout est basé sur le mouvement. Tu regardes ça, tu te dis : « Wow, on pourrait faire ça nous aussi ! ». Mais nos gars ne sont pas habitués à ce genre de basket. Passe, mouvement, coupes… Et défensivement, puisqu’on en parle plus précisément là, ils sont beaucoup plus focalisés sur l’aide défensive que sur la défense individuelle. Donc j’aime beaucoup regarder ça. Et quelqu’un que l’on a eu ici à Indiana, Sarunas Jazikevicius (de 2005 à 2007), est en train de prouver que c’est un sacré entraineur ! J’aime beaucoup regarder ses équipes. Il tire beaucoup de ses joueurs. Je reçois beaucoup de vidéos sur ces coaches-là, notamment de la part des scouts qui bossent sur eux. Et même si je suis sensé regarder leurs systèmes offensifs, je finis toujours pas vraiment regarder leur défense. C’était un super été pour apprendre cette année. Pour voir si nos joueurs grandissent aussi (Myles Turner était avec Team USA, Domantas Sabonis avec la Lithuanie), et si un autre coach les utilise d’une manière différente de la nôtre. Peut-être qu’ils les connaissent mieux que nous sur certains aspects ? Au final, il se trouve qu’ils leur ont dit la même chose généralement ! Mais c’est une bonne chose qu’ils l’entendent d’autres personnes, aussi… (sourire qui en dit long)
Pour revenir à cette équipe justement. Les blessures de joueurs majeurs ont-elles été des opportunités de tenter de nouvelles choses ?
Entre les nouveaux joueurs et les blessés, oui. La dernière fois, j’étais tellement dépourvu que je me suis dit : « Tu sais quoi, il faudrait peut-être lâcher une zone là-dedans… ». Mais encore une fois : « Do what we do ». La vraie clé, c’est de les rendre meilleurs à nos principes collectifs. Leur développer de bonnes habitudes. Et leur faire répéter ces bonnes habitudes. Et comme ça, peut-être que d’ici février, mars, avril… ce banc sera un peu plus solide, un peu meilleur. Du coup, toute l’équipe sera meilleure. Quand on aura Victor (Oladipo), Malcolm (Brogdon), Jeremy (Lamb) de retour, ces gars-là auront développé des choses. Parce qu’au final, pour avoir une lame aiguisée, il faut la mettre au feu. Tu mets le fer au feu pour lui changer sa forme… Donc c’est bien de les avoir envoyés au charbon. Cela ne peut que nous rendre meilleurs.
Est-ce une bonne chose aussi de faire face à l’adversité, pour resserrer les liens dans le groupe ?
Oui. On le sent un peu d’ailleurs. C’est un groupe qui ne s’exprime pas beaucoup – vraiment pas beaucoup – mais ils parlent beaucoup entre eux. Et tu vois qu’ils aiment être ensemble. Les derniers matchs, même quand on perd on n’était pas loin. On a parfois manqué de jambes par contre, on n’avait plus rien sous la pédale contre Milwaukee par exemple. On était en back-to-back, avec un effectif réduit, une heure plus tôt que d’habitude en plus… Mais personne ne s’est cherché d’excuse. Personne ! Ils étaient tous prêts à repartir. Ils s’attendent à ce qu’on les pousse, à ce que l’on demande beaucoup d’eux à chaque match. On n’a jamais mentionné les absents. Nate n’en parle jamais d’ailleurs ! Et puis tout le monde continue de supporter tout le monde. Si les joueurs reviennent, que du coup certains perdent des minutes, ça ne les empêche pas d’encourager les autres, à fond sur le banc… J’ai l’impression que l’on construit quelque chose de spécial avec ce groupe.
« Que Larry Bird dise ça de moi… »
Je sais que vous n’aimez pas parler de vous-même – ça fait d’ailleurs presque six ans que l’on vous coure après –, mais d’autres le font. En 2016, Larry Bird a répondu que sa priorité pour la free agency… c’était vous ! Comment réagissez-vous à cette déclaration, surtout venant de lui ?
(Rires gênés) Quelqu’un m’a dit qu’il avait dit ça… Je ne lis ou ne regarde jamais ce qui se dit sur moi. Mais tu sais quoi ? Je dois bien te l’admettre : venant de lui, ça veut dire beaucoup. Bon, je lui ai dit ce que je lui dis toujours quand il me donne un compliment : « Tu dis autant de conneries que le premier venu ! » (rires). Mais j’adore cet homme. Je peux te dire qu’il a exigé énormément de moi mes trois premières années (les seules où la légende des Celtics, née en Indiana, a été coach, avec 3 finales de conférence – poussant Michael Jordan dès 1998 à l’un des trois seuls matchs 7 de sa carrière – et une finale en 2000 à la clé). Le mot d’ordre avec Larry est très simple : « Fais ton boulot ». Il ne va pas te baby-sitter. Mais que LUI dise ça. Ça m’a vraiment touché. J’ai intérêt à ne pas le décevoir !
Avez-vous pensé à devenir coach principal en NBA un jour ?
Les gens m’ont posé la question. Je ne suis jamais arrivé au boulot en me posant la question moi-même. J’ai appris que la raison pour laquelle j’ai duré si longtemps en NBA (encore une fois, c’est rare, et ça se chiffre à un million de salaire la saison pour les meilleurs assistants), c’est que je reste concentré sur ce que je dois faire. Si je ne peux pas faire ça, si je ne peux pas faire le boulot qui est attendu de moi, parce que je regarde ailleurs, rien ne va jamais se produire… Tout ce qui m’importe, c’est de prouver ma valeur. Je n’ai jamais fait campagne, activé de réseau, rien. Je n’ai jamais engagé d’agent, jusqu’à il y a trois ans de ça, pour qu’il gère la négociation et la signature du contrat, mais c’est tout. Au final, je me suis rendu compte que je n’avais pas tant besoin de lui que ça. Je l’aime bien, c’est un bon gars. Mais je lui ai dit que je ne voulais pas qu’il aille démarcher des choses pour moi, que je voulais juste qu’il gère l’offre des Pacers. J’écouterai des offres pour être coach principal, mais au final, je suis ici à 100% pour Nate et pour les Pacers. Ils ont été super dans ma vie. La famille Simon a été fantastique avec moi, ce sont les meilleurs propriétaires de toute la ligue. Et j’ai une belle vie, un bon boulot. « I have it good here ! ».
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à Brooklyn