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[Grosse Interview] Sekou Doumbouya : « J’avais le seum ! »

Plus jeune joueur NBA cette année, le Français, né en Guinée, a éclaté au grand jour début janvier. Sa fin de mois fut beaucoup plus compliquée, soldée par une diatribe de son coach, Dwyane Casey, où l’on était. Revue mensuelle avec l’intéressé.

Sekou, la dernière fois que l’on s’est vus, c’était à la Draft (lire les interviews avant ici, après ici et avec Bouna N’Diaye ici). Tu nous racontes un peu la suite, l’arrivée à Detroit, le fait qu’ils recrutent Tony Snell direct, alors que sinon tu étais le seul poste 3, tout ça ?

Quand j’arrive à Detroit, ça se passe très bien. Ils sont contents de m’avoir, et ils me le font savoir ! Je savais qu’ils avaient pris Tony Snell oui. Mais je n’en discute pas vraiment avec les gens des Pistons. Eux ils font leur choix, ils s’assurent leurs arrières. Moi, j’étais plus dans l’optique de jouer ! Je ne voulais pas rester sur le banc, à rien faire. Donc on en a parlé avec l’équipe. Ils m’ont proposé l’option d’aller en G-League, et je l’ai prise, tu vois ? Ils m’ont dit d’aller là-bas, et que l’on verra comment cela se passe. Moi, j’y suis parti, et j’y ai fait ce que j’avais à y faire…

Ils te l’ont dit assez tôt, ou vers la rentrée ?

Ils m’ont dit ça quelques semaines après le training camp. C’est là que l’idée est venue. C’était un peu proposé comme une option. Mais en même temps, au final, je me suis dit que ça ne servait à rien de rester, si c’était pour être sur le banc, pour jouer trois minutes à la fin… Donc j’y suis allé pour me remettre en forme, un peu. Puisque je n’avais pas joué depuis ma fin de saison en France. Aucun match. C’était une opportunité de jouer.

Tu étais encadré sur le plan personnel aussi ?

Oui, au début il y avait de la famille qui est venue. J’ai un ami, qui est là tout le temps, depuis Poitiers. Ça me permet de me sentir bien, d’avoir quelqu’un à qui parler.

Techniquement, tu sentais quelque chose de différent dans la préparation avec les Pistons ?

En vrai, je faisais un peu la même chose à Limoges. Ils avaient déjà des choses genre travail individuel, tout ça. Donc tout ce que je faisais à Limoges, je l’ai fait ici aussi, mais ici c’était plus détaillé. Il y a beaucoup plus de monde, pour un seul joueur, déjà. Tu travailles sur plusieurs choses à la fois, du coup.

« Les installations, c’est incroyable, c’est fou ! »

La découverte des installations NBA a dû être quelque chose…

(Son visage s’illumine) C’est… c’est incroyable. C’est juste fou, en fait. Tout est à disposition pour que tu n’aies qu’à venir à la salle. Tout est près pour toi. Tu ne t’occupes de rien. Juste jouer au basket, point.

D’autant que leur Training Center est flambant neuf…

Oui, ils ont inauguré un nouveau centre d’entraînement, effectivement. Qui est, je pense, l’un des meilleurs en NBA. Même l’un des meilleurs dans le monde, tu vois ? Tu as carrément un hôpital qui est situé dans le centre d’entraînement ! Enfin, juste à côté, collé au centre d’entraînement. On a plein de nouveaux trucs aussi, des machines, tout ça… C’est fou ! C’est vraiment incroyable.

Ça te porte, un peu, d’être mis dans ces conditions ?

Oui, complètement. C’est ce qui aide. Parce qu’en fait, tu arrives à la salle, tu te dis : « Je n’ai pas grand-chose à faire ». Tu viens, quand tu arrives tu as quelqu’un qui s’occupe de toi pour s’échauffer. Tu as le kiné qui est là pour prendre soin de toi. Tu n’as qu’à arriver sur le terrain à l’heure où l’on t’a dit, et tout va tout seul quoi !

« La G-League, honnêtement, je l’ai mal pris ! »

Donc tu as cet avant-goût de la NBA, ce côté unique au monde, et là on t’envoie en G-League. Qui est vraiment une autre ambiance. Comment l’as-tu vécu ?

Honnêtement, je l’ai mal pris ! Ce que je me suis dit c’est : « Ils ne m’ont pas vraiment vu jouer, en fait ». Avant de m’envoyer en G-League. Parce que bon, les entraînements, tout ça, c’est beau… Le training camp aussi. Et j’ai fait un bon training camp. Mais ça c’est… C’est pas les vrais matchs ! Ils ne savaient pas vraiment de (il insiste sur ce mot) QUOI j’étais capable. Donc il faut aller en G-League ? OK. Je vais y aller. Et faire ce que j’ai à faire quoi. Donc je suis allé là-bas, je leur ai montré que mon niveau, ce n’est pas celui de la G-League, et ils m’ont rappelé.

D’autres Français sont passés par là, notamment Evan Fournier, qui a détesté. Tu leur en as parlé ?

Non, je n’ai pas vraiment parlé… (il retient un petit rire nerveux) Je n’avais pas envie de parler aux gens à ce moment-là ! Je me suis mis dans ma bulle et… j’ai joué quoi. J’ai joué. Mais j’avais le seum ! J’avais le seum. C’était un peu… je ne vais pas dire irrespectueux. Mais c’était un peu (il grimace et cherche le mot)…

Comme une punition ?

Ouais, voilà. Je l’ai vécu comme ça : « T’as pas le niveau ! (il répète)T’as pas le niveau et on t’envoie là-bas », quoi.

Donc un peu le seum. Et après, tu te dis que tu n’as plus qu’à péter la G-League ?

C’est ça. J’avais un peu le seum, mais après je me suis dit que ça reste du basket quoi. Ça reste du basket. Et donc je suis parti là-bas et j’ai pris du plaisir. Les deux premiers matchs j’étais un peu… (il grimace et balance sa tête de droite à gauche) j’étais encore un peu dans le seum. Puis troisième match, quatrième match, je me suis dit : « Lâche-toi, joue ton jeu ». Ça reste du basket.

« Avant Kawhi, je n’étais pas serein ! »

Plus un défi mental que basket quoi…

Clairement. C’était plus un défi mental que basket. Parce que tu viens en NBA pour jouer en NBA. Tu ne viens pas en NBA pour jouer en G-League. Donc tu as toutes ces questions qui se passent dans ta tête. Tu te poses plein de questions. Et si tu n’arrives pas à passer le cap rapidement, ça te bouffe l’esprit et tu n’arrives plus à rien faire.

Tu avais déjà vécu ce genre de choses, tu savais les gérer ?

Je savais que cela allait passer, mais que cela allait prendre du temps. Pendant un mois, j’étais comme un fou. J’étais comme un fou et… et après c’est passé.

Et en même temps, tu n’es pas complètement coupé des Pistons, tu reviens souvent… Jusqu’à ce qu’il y ait une vraie opportunité de jouer.

Oui. On joue à Boston. Je ne joue pas vraiment, mais un peu quand même (presque 10 minutes, 2 pts à 20%, 1 rbd, 1 int le 20 décembre). Après on a eu le West Coast trip. Et c’est là où on a un blessé, ou quelqu’un qui est malade plutôt, Bruce (Brown). Donc je vais en salle vidéo le matin, et je vois mon nom sur le tableau. Ils mettent les match-ups… et là donc on me dit : « Sekou, aujourd’hui tu commences le match, sur Kawhi ». Là (il fait de grands yeux et s’essuie les mains sur son tee-shirt en le regardant) j’étais pas serein ! Après les gars sont venus me parler : « Ça va aller, joue ton match, soit focus, n’essaie pas de faire des choses que tu ne sais pas faire. Fais ce qu’on te demande ». Donc j’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai joué dur, et c’est passé.

Kawhi d’entrée donc, et puis il y en eu d’autres juste après (Draymond Green, puis les Lakers de LeBron James et Anhony Davis) ! C’est d’ailleurs ce qui a impressionné tes coéquipiers, comme Derrick Rose et Andre Drummond, c’est qu’une fois sur le match, tu fais abstraction. Et tu les taffes quoi…

C’est ça. En dehors du terrain, je suis un mec un peu… Je m’en fous. Je vis ma vie. Je ne suis pas là pour me mettre des barrières, je fais ce que je veux. Mais quand je suis sur le terrain, je joue. (il insiste) Je joue. Qui que tu sois, je te respecte, en fait. Je te donne mon maximum.

Ça ne t’a pas un peu aidé aussi ? Tu es tellement dos au mur face à des gars de cette trempe, que tu es juste obligé de tout lâcher quoi…

C’est exactement ça. Je pense que c’est… (il prend le temps de réfléchir, comme s’il vérifiait) C’était les meilleures conditions en fait, pour moi. Pour commencer. Parce que tu commences directement sur du lourd et tu ne peux pas faire autrement que d’être à 100%. Et je pense que cela m’a aidé à me mettre dans le bain.

« Le tomar, je savais que ça ferait du bruit »

Le tomar sur Thompson aussi ?

(Il déguste, comme une bouchée d’un mets raffiné) Ça aussi, ça m’a libéré. Ça fait du bien ça. Ça m’a fait du bien. Je commençais vraiment à… (il agite les mains et regarde son propre corps) je commençais à me sentir bien. Je savais qu’à partir de là, je serai attendu. Et que du coup, j’aurai des hauts et des bas. Je savais qu’il faudrait du temps après pour vraiment bien me stabiliser. Et là je pense que cette vague est passée là. Je commence vraiment à comprendre comment cela se passe. Comment approcher les matchs et comment ne pas avoir de matchs à 0 points et 2 rebonds. Mais vraiment être constant.

Et forcément, tu savais que cela allait faire parler, ce dunk…

Oui, je savais que cela allait faire du bruit. Je n’étais pas surpris. Mais après, je n’ai pas trop calculé. Car je savais que si tu te focalises sur ça, après tu pars dans tous les sens. Mais sur le moment, voilà quoi. Direct, mes coéquipiers dans le vestiaire, ils m’ont parlé, ils m’ont dit : « Ouais, tu vas voir, Sports Center, Top 10 », tout ça.

C’est après le tomar que tu vas à Boston et leur fait un show non (24 pts à 10/13 aux tirs ; on notera aussi les 16 pts, 8 rbds, 1 ast, 1 blk, 1 stl face à New Orleans) ?

Ouais, j’étais vraiment en confiance et ce jour-là j’étais juste : « Joue quoi ! Les tirs, prends-les, n’hésite pas ».

Alors que nous sommes interrompus par les relations média des Pistons, on se donne rendez-vous au match, le soir. Nous ne nous attendons pas du tout à ce qui va suivre. Sekou est détendu dans le vestiaire, à un peu plus d’une heure de la rencontre face aux Nets. Il nous présente le responsable médical des Pistons, d’origine française par sa mère et parfaitement bilingue, mais avec un accent pour le coup surprenant, continue sa routine habituelle… On se dit, vu ses propos sur le fait d’être constant et sa place de titulaire conservée, qu’il devrait faire un match au moins correct. Mais en 7 minutes, il prend l’eau d’entrée, avec un vilain -20, ne montre pas assez d’envie sur le terrain, notamment sur un ballon qu’il laisse sortir sans se battre… Dwane Casey, coach « old school » s’il en est, le met direct sur le banc et on ne le renverra pas sur le parquet du Barclays. Post-match, le technicien le passera même à tabac devant les médias. Verbalement, mais fermement, sans jamais même daigner le nommer. On rejoint donc Sekou dans le vestiaire. Casey ne lui a pas parlé. Son rookie ne sait pas ce qu’il vient de se passer. Nous lui apprendrons.

Sekou, ce n’est pas un piège vu que l’on souhaitait déjà en parler ce matin : comment se passe la relation avec Dwyane Casey ?

Bonne relation. Il est un peu… je ne vais pas dire réservé, mais il ne parle pas trop aux jeunes joueurs. Il est plus en retrait, il regarde ce qu’il se passe et il ne parle pas trop. Peut-être un petit peu avant les matchs. Mais sinon, ce n’est pas trop son genre de parler avec les joueurs.

Bouna et d’autres avaient dû te prévenir non ? On sait que ce fut un peu pareil avec Pascal Siakam, et tous ses jeunes joueurs en général…

Oui, ils m’ont briefé, ils m’ont briefé… Ils savent comment il fonctionne. Et je sais comment il fonctionne maintenant, aussi.

Je suis obligé de t’en parler : il vient de nous dire des choses assez dures sur toi après ce match… Même s’il a noté aussi pendant ta bonne période que tu étais celui qui se battait le plus. Il dit notamment que ce n’est pas possible pour un rookie de faire un -20 en 7 minutes, que tu risques de repartir en G-League, ce genre de choses. Comment réagis-tu à ça ?

Franchement, là, je ne suis pas trop dans l’optique de me poser des questions. Je dois juste rebondir et faire un bon match derrière, c’est tout. Je ne me pose pas de questions.

Tu te dis que Casey est peut-être dur avec toi exprès, pour voir si tu as une réaction ?

Non. Pas vraiment. Je ne pense pas vraiment à ce que lui peut penser, en fait.

« Ça va passer »

Le scouting adverse joue ? Tu es plus attendu…

Plus que le scouting, je pense surtout que c’est le contexte. Tout ce qu’il y a autour. Après, je ne vais pas rentrer dans les détails. C’est plus le contexte. Mais je sais que ça va aller. Ça va passer.

Aucune gêne physique, notamment ta cheville ?

Physiquement, ça va. C’est plus mentalement. La cheville… (il secoue la tête en la regardant, alors qu’elle est dans un bain glacé, entre nous) Ça va. Mais ça n’a pas joué sur ma mauvaise performance de ce soir. Quand je jouais, je n’y pensais pas. C’est après.

C’est dur de rester à un tel niveau d’intensité ? Ça commence à faire plusieurs semaines que tu es titulaire, il n’y a plus Kawhi en face, ou pas chaque soir, ce genre de choses ?

Peut-être. Peut-être. C’est possible. Je ne sais pas vraiment. Je suis dans le flou.

On parle de toi pour le Rising Stars (les résultats n’avaient pas encore été annoncés)…

Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’attends. Je verrais si je suis dedans et je déciderai. Mais ça peut être le moment de penser à autre chose et de revenir mieux.

Comme Sekou n’est pas très disposé à s’exprimer, on le laisse tranquille. Après une nouvelle discussion avec le responsable médical franco-américain, qui est allé soutenir assez longuement son poulain-compatriote, et une discussion avec un assistant (le personnel de l’équipe n’étant pas autorisé à faire de déclarations dans les médias, nous ne pouvons retranscrire ces échanges), nous allons à la rencontre d’un beatwriter, ces journalistes locaux qui suivent l’équipe au quotidien. Il nous confirme, entre autres, que cette sortie, c’est le style Casey, qu’il n’y a rien de plus à y lire qu’une remontrance d’un coach qui n’accorde jamais d’attention, voire même ne crée jamais de relation, avec ses jeunes joueurs. Des choses qui nous avaient déjà été dites du temps de son passage à Toronto. On reprendra le fil de la discussion avec Sekou, notamment poste 3 vs poste 4 et une partie biographique pré-NBA, plus tard dans la saison.

Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York

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