Le Thread d’Antoine : Salaires, Salary Cap, intersaisons… Quelles vont être les conséquences de la suspension de la saison NBA ?
La NBA est suspendue désormais depuis près de 4 semaines et les conséquences économiques vont être énormes. Mais pas seulement, cela va avoir un impact sur un grand nombre d’aspects de la ligue, et c’est le sujet du long thread d’Antoine sur Twitter, que l’on vous remet ici pour ceux qui n’ont pas Twitter ou ne l’ont pas vu passer.
Vous pouvez directement retrouver ce thread sur Twitter si vous préférez ou alors ci-dessous :
Salaires, Salary Cap, intersaisons, l'interruption de la saison NBA a d'immenses implications actuelles mais aussi futures.
Très long thread pour expliquer les tenants et aboutissants de la suspension des matchs et pourquoi la NBA doit prendre des décisions dès maintenant.
— Antoine Tartrou (@Tartrou) April 8, 2020
Une bonne partie de ce que je vais expliquer ici provient de l’analyse de @AlbertNahmad et de son article publié récemment ici. N’hésitez pas à le suivre et le lire, c’est un peu dans les big boss du CBA sur Tweeter.
Commençons déjà à parler des pertes financières. La NBA avait prévu un chiffre d’affaires pour la saison actuelle autour des $8 milliards. Peu importe le scénario à venir (annulation complète, playoffs avec fan, playoffs sans fan), ce montant ne sera pas atteint.
Peu de monde en dehors de quelques personnes dans les bureaux de la NBA ne dispose d’estimations précises des pertes engendrées dans chacun de ces scénarios. Les spécialistes spéculent sur une baisse pouvant aller de $500 millions à presque $2 milliards. Sauf que ces spécialistes n’ont probablement pas accès aux comptes de la NBA et de l’ensemble des 30 franchises donc les pincettes sont de mises. Pour la suite, on va reprendre les chiffres de @AlbertNahmad à savoir un scénario avec $500 millions et un autre avec $1 milliard.
Passons maintenant aux salaires de la saison actuelle. On le sait, la NBA possède des mécanismes garantissant une certaine part de son chiffre d’affaires (entre 49% et 51%) aux joueurs. On pourrait donc penser que les salaires des joueurs cette saison vont diminuer de la même manière que le CA (chiffre d’affaires) de la NBA. Sauf que c’est oublier que les salaires sont déterminés avant la saison et donc avant de connaître le CA. C’est tout l’exercice de funambule de la NBA chaque saison : estimer au mieux son CA futur et utiliser des mécanismes d’incitations ou de réprobations économiques comme le Salary Cap ou la Luxury Tax pour que le salaire de l’ensemble des joueurs tombe pas trop loin des 49%-51%.
Mais vous vous en doutez, au moment de faire les comptes lors du moratorium début juillet, on ne tombe jamais pile-poil sur le montant garanti aux joueurs. Mais depuis 1999 (c’était l’une des raisons du lockout), il existe des mécanismes de redistribution. Deux cas possibles:
- Cas 1 : les joueurs ont touché une somme inférieure.A ce moment là, les propriétaires des 30 franchises font un chèque à l’ensemble des joueurs dont le montant correspond au manque pour atteindre la part garantie. C’était le cas en 2016 avec un chèque de $131M à la clé.
- Cas 2 : les joueurs ont touché une somme supérieure. Les proprios vont prélever le trop-perçu dans un fond appelé l’Escrow Tax (sans jeu de mots) dans lesquels les joueurs laissent temporairement 10% de leur salaire. C’était le cas la saison dernière avec $60M de prélevé.
A noter que (important pour la suite) : 1) le reste de l’Escrow Tax non prélevé aux joueurs leur est retourné une fois les comptes clos. 2) Si l’Escrow Tax ne suffit pas à combler le manque, on reste comme ça et les joueurs auront touché plus que leur part. (jamais arrivé)
Maintenant, revenons à la saison actuelle. Au vu des pertes évoquées plus haut, si les joueurs conservent leur salaire, il est très probable qu’on arrive dans le cas où même après l’utilisation de l’Escrow Tax, les joueurs aient gagné bien plus que leurs 51% de CA garantis. Il existe malgré tout une clause dictant aux acteurs de négocier « de bonne foi pour arriver à un accord raisonnable pour tout le monde ». Bref, la sémantique est hasardeuse et même si les joueurs retournaient l’argent aux proprios, cela ne se ferait pas de suite.
Là arrive une autre problématique : les franchises n’auront peut-être pas la trésorerie pour payer les salaires maintenant. Certes, la NBA démarche pour augmenter les capacités d’emprunt des franchises, mais cela suffira-t-il ? Pas sûr…
Amid the coronavirus pandemic, the NBA is planning to raise its credit line up to $1.2 billion, sources tell ESPN. The previous credit line has been $650 million.
— Adrian Wojnarowski (@wojespn) March 17, 2020
On comprend mieux pourquoi l’option « ne plus payer le reste de salaire des joueurs » devient tentante pour les franchises. Mais en dehors de questions morales, est-ce légal ? Le CBA contient une clause de force majeure incluant les épidémies et permettant aux franchises de retirer du salaire une somme correspondante au nombre de matchs annulés. On arriverait à ça : Saison régulière annulée : 18% de salaire en moins Saison entière annulée : 24%
Bien évidemment, cet argent non versé aux joueurs n’empêche pas de respecter la part garantie du chiffre d’affaires. Néanmoins, vis-à-vis des potentiels problèmes d’Escrow Tax insuffisante et de trésorerie évoqués ci-dessus, cela paraît être une meilleure option pour les proprios. Le conditionnel est de mesure pour 2 raisons. La 1ère, facile à comprendre, réside dans les dates de paie. La majorité des joueurs reçoivent leur salaire 24 fois dans l’année. Mais certains disposent d’une paie mensuelle et d’autres ont même reçu 50% en avance dès le 1er mois.
Bref, même si les franchises arrêtaient de payer les salaires aujourd’hui, certains ont déjà touché un salaire + important que ce qui est convenu par la clause de force majeure. Autrement dit, ça sent la situation compliquée à plein nez.
La 2ème raison, c’est que pour lancer ce cas de force majeur, il ne faut plus suspendre les matchs, mais bien les annuler définitivement. Ainsi, plus la NBA attend (les salaires du 1er avril ont été versés, mais encore ceux du 15), plus cette option perd de son intérêt.
Cependant, un avantage décisif peut en faire la meilleure solution pour les proprios. Mas comme c’est compliqué, on va faire un détour par le Salary Cap avant. Ah, mettez une aspirine de côté avant, vous en aurez besoin…
Beaucoup de monde présume que vu que le Salary Cap est indexé sur le chiffre d’affaires de la NBA, celui-ci va diminuer en 2021. CBA oblige, c’est plus compliqué que ça… Pour le calcul du Salary Cap, ce n’est pas si difficile, voici la recette :
- 1) vous partagez vos revenus de la saison à venir en 2 catégories : ceux où vous connaissez déjà le montant (contrat TV national) et ceux que vous ne connaissez pas à l’avance (billetterie)
- 2) A la 1ère catégorie, vous additionnez les revenus de la saison passée issue de la 2ème catégorie, mais que vous avez augmentés de 4,5% au préalable.
- 3) Vous prenez 44.74% de cette addition et vous divisez par le nombre de franchises.
- 4) vous avez votre Salary Cap pour 2020-21
Maintenant, on voit vite le souci. Vu les baisses de chiffre d’affaires qui vont avoir lieu pour la billetterie, le merchandising, certains sponsors et autres revenus, difficile de ne pas imaginer une baisse du Salary Cap, même avec un boost de 4,5%. Pour se donner une idée concrète, chaque baisse du CA de $100M diminuera le Salary Cap de $1,5 million. Ainsi : Saison régulière annulée ($500M de pertes) => Salary Cap 2021 à $109M (au lieu de $115M) Saison entière annulée ($1B de pertes) => Salary Cap à $101M
Mais il existe aussi un autre facteur qui peut modifier le calcul du Salary Cap : le cas où l’ensemble des salaires des joueurs est très éloigné de leur part garantie. Qu’est-ce que ça vient faire là dedans vous demandez-vous ? En soi, ce n’est pas illogique. Si les joueurs ont gagné trop peu de $, OK, ils recevront leur chèque des proprios comme expliqué plus haut. Mais c’est pas idéal et plutôt que ça recommence l’année suivante, mieux vaut inciter les équipes à dépenser + en augmentant le Salary Cap. A l’inverse, si les équipes ont trop dépensé en masse salariale, autant les freiner et diminuer le Salary Cap et la Luruxy Tax. Bref, on décorrèle légèrement ces seuils du chiffre d’affaires pour revenir à la normale à savoir des équipes qui dépensent 51% des revenus en salaires.
Il y a un exemple récent d’utilisation de ce mécanisme : l’été 2016 et l’arrivée du nouveau contrat TV national. Lorsqu’on est passé d’un Cap de $70M à $94M, les équipes n’avaient pas réussi à dépenser assez en salaire. (oui, oui, même avec les contrats de Noah, Biyombo & co). Du coup, la hausse l’année suivante de $94 à $99M était presque juste due à ce rattrapage. Cette décorrélation du CA en 2018 avait amené à une très faible augmentation du Cap en 2019 ($101M) avec un retour à la normale où le Cap est indexé sur le CA. C’était l’époque « Cap Smoothing », les agents libres qui évitaient à tout prix l’été 2018, etc… J’avais déjà à l’époque écrit sur le sujet, notamment sur l’effet vague de ce système correctif :
Mais revenons à nos moutons. Les chiffres que j’ai donnés toute à l’heure sont donc faux. En effet, si les joueurs continuent de toucher leurs salaires en 2020, ils seront bien au-dessus des 51% du chiffre d’affaires et la correction va s’enclencher. Ainsi, on serait plus proche de ça : Saison régulière annulée ($500M de pertes) => Salary Cap 2021 à $105M Saison entière annulée ($1B de pertes) => Salary Cap à $89M C’est le double effet Kiss Cool…
Deux solutions pour éviter ce scénario catastrophe. 1er scénario : on revient encore plus haut dans ce thread de + en + long, ici pour être précis, quand je parlais du suspendre le salaire des joueurs. Si les joueurs ne sont plus payés, il y a des chances pour qu’on tombe dans l’autre excès, à savoir les joueurs sont bien en deçà des 49% garantis, même avec les pertes de chiffre d’affaires. Mais dans ce cas là, au lieu d’avoir l’effet Kiss Cool de la double baisse du Salary Cap (celle due au revenu et celle due aux salaires en trop des joueurs), on a une baisse (toujours les revenus) et une hausse (le manque de salaire des joueurs).
Reprenons nos calculs de toute à l’heure avec les salaires des joueurs en moins sur la partie annulée : Saison régulière annulée ($500M de pertes) => Salary Cap 2021 à $117M Saison entière annulée ($1B de pertes) => Salary Cap à $105M C’est mieux tout de suite. Mais il existe une solution encore plus simple : 2ème scénario : le Salary Cap peut être déterminé arbitrairement si la ligue et le syndicat des joueurs se mettent d’accord sur un chiffre. (oui, vous avez peut-être lu tout ce qui précédait pour rien). C’est ce qui s’est passé par exemple après le lockout de 2011 où le Salary Cap de 2011-12 était resté artificiellement au même niveau que celui de 2011 alors que la saison avait été raccourcie à 66 matchs. (bon, les revenus avaient été excellents sur cette saison raccourcie)
Plutôt que de se lancer dans les calculs de Salary Cap avec suspension des salaires et répercussions sur plusieurs années comme après l’été 2016, autant trouver un accord pour régler les différents salariaux cette saison et repartir avec une vraie estimation des revenus 2021. Mais cela sera le fruit d’une négociation où chaque partie dispose d’un « avantage » (relatif au vu de la situation) : les propriétaires ont la clause de force majeure et ainsi la suspension des salaires. Le syndicat des joueurs a le temps pour lui. En effet, la ligue veut (a priori) encore évite d’annuler la saison, mais chaque jour d’attente en plus est synonyme de paie pour les joueurs et de la perte d’intérêt de la close de force majeur.
En tant que fan (le + important dans cette histoire), il faut espérer qu’une coopération entre les 2 parties se fera du mieux possible pour éviter que la situation dégénère et qu’on se retrouve avec un capharnaüm pas possible sur plusieurs saisons.