Nikola Jokic, l’homme qui n’aurait jamais dû devenir (le futur) MVP
Nikola Jokic for MVP ? C’est en tout cas une forte probabilité, même si le principal intéressé est très loin d’en faire la propagande. Le « Joker », aux 72 matchs en régulière cette saison, couplés a ses affolantes moyennes de 26.4 points, 10.8 rebonds et 8.3 assists est un réel candidat au titre de meilleur joueur de l’année. Pourtant, le serbe revient de loin. Drafté en 41ème position dans le Colorado en 2014, le pivot aux 2m11 et 129kg n’était pas destiné à devenir MVP. Si Giannis Antetokoumpo et Steve Nash ont reçu le prix du MVP en ayant été drafté en 15ème position, Jokic pourrait lui le devenir en ayant été choisi bien plus loin. Une destinée bousculée par un changement d’état d’esprit, expliqué par son coéquipier, le Kevin Durant du Missouri, Michael Porter Jr :
« L’année dernière, et l’année précédente, s’il n’avait pas vraiment envie de jouer ce jour-là, il se détendait », a déclaré son coéquipier Michael Porter Jr. « Cette année, c’est comme s’il savait que c’était son équipe, il va aller chaque soir sur le terrain et être le MVP ».
A 26 ans, le serbe est devenu l’un des monstres de la NBA, peut être le meilleur « big men » passeur de l’histoire, la tour de contrôle comme le créateur des Nuggets, d’autant plus depuis la blessure de Jamal Murray. Il est déjà dans le top 10 des joueurs ayant réalisés le plus de triple double en carrière.
« Les gens ne réalisent pas qu’il est encore si jeune », a déclaré Will Barton. « Il faut du temps pour assumer toutes ces responsabilités ».
Au fur et à mesure des années, Jokic a donc appris, progressé. Une progression presque inexplicable, mais expliquée. Petit retour en arrière.
Vers novembre 2012, les statistiques surprenantes de Nikola Jokic à Vojvodina, un petit club serbe, ont attiré l’attention de Misko Raznatovic, un agent européen qui possédait également le club de Mega Vizura, là ou va évoluer le pivot quelques temps plus tard. Raznatovic voulait Jokic comme client bien qu’il ne l’ait jamais vu jouer. C’est la seule fois dans sa carrière, dit-il, qu’il a engagé un joueur sans l’avoir jamais vu évoluer auparavant.
« J’ai lu un article dans un journal sportif, avec des résultats de ligues juniors. J’ai vu qu’un gars avait des stats incroyables deux semaines de suite. J’ai décidé d’aller le chercher. Je ne fais jamais ça. J’ai toujours un rapport, mes collaborateurs, mon équipe de scouts le voient, donnent leur avis, je regarde, et ensuite on dit ‘OK, on y va ou on n’y va pas’. Ici, rien. Personne ne savait. Même moi, je ne savais rien. »
A son arrivée au Mega Vizura, Jokic crève l’écran. Le staff du club voit en lui un meneur de jeu dans un corps de pivot, ce qui va entrainer quelques expérimentations tactiques. L’entraineur, Dejan Milojevic le teste en tant que passeur en situation de pick and roll, chose peu commune pour un joueur aussi grand et aussi peu mobile. Il change son jeu pour son pivot, expérimente, car son joueur lui permet d’innover. Jokic change le jeu.
« Il avait certaines compétences que vous ne pouvez pas enseigner au joueur. … Tout d’abord, vous avez un gars qui aime le basket, qui aime jouer au basket. Pas seulement jouer en tant que professionnel, il aime jouer au basket comme un jeu. … Cette joie qu’il a même maintenant, je suis vraiment ravi de la voir. C’est toujours un enfant qui joue au basket. Il joue à un jeu comme un enfant, pas comme un pro. »
En 2014, Jokic se présente à la draft NBA. Après avoir vu son agent retirer son nom du fait du peu de chances d’être drafté, le Serbe revient sur le devant de la scène après les sollicitations de plusieurs équipes NBA, dont les Nuggets, menés par Arturas Karnisovas. Pourtant, le profil affiché par Jokic n’était pas forcément une évidence aux yeux des franchises outre-Atlantique.
« Honnêtement, j’ai eu du mal à convaincre les gens de la NBA que Nikola pouvait jouer en NBA, surtout au poste 5. » ajoute Milojevic. « Je parlais toujours de lui comme d’un pivot. Oui, il ne joue pas comme un pivot normal, mais sa position principale est au poste 5. Et les gens de la NBA ont eu du mal à le voir. Ils le considéraient plus comme un 4, mais j’avais mes raisons. Il peut mieux défendre au poste 5, et il est probablement l’un des meilleurs joueurs de pick-and-roll du monde. »
Jokic sera donc drafté en 41ème position lors de la draft, derrière un joueur comme Jusuf Nurkic par exemple. Il restera un an de plus au Mega : lors de sa dernière saison en Europe, il sera élu MVP de la Ligue Adriatique. Mais a ce moment-là, aucun GM ne voit en lui un potentiel MVP, ce qui explique sa position. Des attentes peu élevées amenées par des doutes au niveau physique. Jokic est davantage gras que musclé, ce qui fait un peu peur aux franchises NBA.
Karnisovas : « Un gamin génial, gaffeur, et un cercle familial formidable. Toutes les questions autour de lui portaient sur ses caractéristiques physiques, c’est-à-dire qu’il soit plus fort/plus vertical/plus rapide, il n’a jamais été un grand athlète, mais il a toujours été long, eu une excellente vision du jeu – on ne peut pas enseigner ça – un QI basket élevé, un grand contrôle du corps et de l’équilibre. »
Un an après la draft, Jokic se rend enfin à Denver, pour entrer dans l’effectif des Nuggets. Avec une 41ème place l’année précédente et les doutes sur son profil physique, les attentes envers ce joueur ne sont pas essentiellement élevées pour une première saison NBA. Mais sa dernière année avec le Mega lui a permis de montrer des choses très intéressantes. Cependant, avant de pouvoir montrer ses qualités sur les parquets américains, il va d’abord falloir s’adapter à la NBA, et se fondre dans le moule de l’effectif de Mike Malone :
« Je me souviens qu’il est venu pour le camp d’entraînement (en 2015) et qu’il était juste tellement heureux d’être là » pour Will Barton. « Il était heureux de faire partie de l’équipe. Il courait partout, on voyait qu’il était encore un enfant, toujours en train de rire et de plaisanter. Toujours à apporter une énergie positive. »
Encore une fois, la destinée de Jokic ne s’est pas produite comme elle devait se produire. Les Nuggets n’avaient pas du tout prévus de le faire jouer si tôt, autant. Mais une blessure de Jusuf Nurkic va tout chambouler. Jokic va jouer 55 matchs lors de sa saison rookie en NBA. À la fin de la saison, Jokic et Nurkic se partagent le frontcourt de Denver afin d’expérimenter des compositions.
A l’aube de la saison suivante, un changement drastique va s’opérer. Mike Malone, sur demande du joueur, va faire passer Jokic de titulaire aux côtés de Nurkic à joueur en sortie banc. Quelques mois plus tard, l’inverse se produira, et cette fois-ci, Nurkic sera relégué sur le banc, et pour de bon :
« (Nikola) était frustré, il ne pensait pas que l’association entre lui et Nurkic se passait bien, mais surtout, qu’elle n’aidait pas l’équipe. » selon Mike Malone. « Ce n’était pas seulement à propos de Nikola et Nurk, c’était à propos de l’équipe, il voulait aider l’équipe. Et c’est ce que vous aimez chez Nikola. Ce n’est jamais à propos de lui. … À ce moment-là, il était en pleine ascension pour devenir un joueur MVP. Il était prêt à dire : » Sors-moi du cinq majeur, fais démarrer quelqu’un d’autre, laisse-moi sortir du banc, laisse-moi jouer mon jeu « . Et, peu après, nous avons pris la décision de faire de Nikola notre pivot titulaire, et nous n’avons pas regretté depuis. »
A la fin de cette saison, Denver terminera avec la 4ème meilleure attaque de la NBA. Au cours des années suivantes, ils ne tomberont jamais plus bas que 7ème. Et Jokic y est pour beaucoup, il n’a jamais cessé de progresser quant à son apport offensif, avec cet exercice 2020-2021 en point orgue. En attendant, de voir, peut-être, encore mieux les saisons prochaines.
« Il m’a d’abord montré qu’il pouvait jouer, et je me suis dit : » Wow, il peut faire certaines choses. » a déclaré Barton. Il peut être un joueur de rotation. Et puis il est passé de ça à « Ce gars est bon. Il peut être titulaire. Et ensuite, c’était : « Ce gars pourrait être le meilleur joueur de l’équipe, un All-Star ». Et puis il est devenu un All-Star. Puis c’était genre : ‘maintenant il est une superstar’… Il n’a pas sauté une étape. «
En 2016-2017, il finira deuxième au titre de MIP. Deux ans plus tard, il connaîtra sa première sélection All-Star, puis a connu sa première victoire en playoffs contre les Spurs quelques mois plus tard. Cette saison-là, il a terminé quatrième dans la course au MVP. Viendra ensuite une autre sélection All-Star. Un exemple pour tous ses coéquipiers, qui le voient se surpasser tous les jours :
Pour Barton, « Il s’entraîne tous les jours. Il s’entraîne tous les jours, même les jours de repos, peu importe si nous avons une série de matchs à jouer, peu importe. Il n’a pas pris un seul jour de repos, et cela se voit dans son jeu, il domine. Je pense que ce qui le pousse aujourd’hui, c’est sa volonté d’être un grand joueur. Il la voit enfin [cette grandeur]. Tout le monde le lui disait, mais je pense qu’il la voit enfin. Je pense qu’il sait qu’il a une grande responsabilité non seulement envers l’équipe, mais aussi envers la franchise, en étant notre joueur vedette. Je pense que dans son pays il est adulé, il est si grand là-bas, il ne veut pas laisser tomber son pays. »
« J’étais en train de m’entraîner sur un panier, il est arrivé et il est parti sur un autre terrain pour ne pas me déranger » a soulevé Austin Rivers. « Cela semble être quelque chose de très, très normal, mais vous devriez voir comment il fonctionne. Il s’en fiche complètement. Il n’agit pas comme une star qu’il est..comment puis-je me comporter comme un (abruti) alors que ce gars a tout et qu’il ne se comporte pas comme tel [une star] ? Il établit un standard pour l’équipe. »
Jokic est un immense compétiteur, qui veut tout gagner, tout le temps. Pour Paul Millsap, même s’il ne le « montre pas, qu’il le dise ou pas. Il veut gagner, et il veut gagner gros ». Une ambition dévorante qui pourrait bien l’amener au Graal individuel dans la grande ligue. Une situation qui pousse Will Barton, qui l’a toujours connu en NBA, à jeter un coup dans le rétro.
« Ce que je dirais maintenant, en regardant en arrière, c’est voir qu’il est l’un des tout meilleurs joueurs NBA, si ce n’est le meilleur, et comparer à ce qu’il était à son arrivée. » pour Will Barton. « Je l’ai vu, lors du premier camp d’entraînement, être le porteur d’eau pour d’autres joueurs. Le voir passer de cela à ce qu’il est maintenant est (sacrément) incroyable ».
Via Denver Post