La NBA et la question LGBTQ
Il y a quelques jours, le joueur de football américain Carl Nassib a révélé son homosexualité dans une vidéo Instagram. Salué par ses pairs et les acteurs de la NFL, l’homme de 28 ans est devenu le premier joueur de football américain à révéler son homosexualité. Mais qu’en est-il de la NBA ?
La NBA est une industrie sportive de plus en plus ouverte. On y trouve des joueurs américains bien sûr, mais aussi des étrangers. La composition ethnique de la ligue a sensiblement évolué. Hormis les joueurs noirs américains numériquement majoritaires, la part des autres ethnies s’est diversifiée. De plus, la NBA est davantage connectée avec le reste du monde. Que ce soit par la diffusion de matchs à heure européenne, l’organisation de rencontres et d’évènements à l’étranger, la fondation d’académies internationales ou les progrès du scouting. Sur les questions sociales, la Grande Ligue s’investit dans la lutte antiracisme et les causes humanitaires. Néanmoins, certaines failles demeurent dans ce processus d’ouverture. Les franchises éprouvent des difficultés à responsabiliser les entraîneurs européens, et encore plus les femmes, même quand ils sont compétents. Plus grave encore, l’environnement ne semble toujours pas idéal pour que les joueurs LGBTQ sortent de l’ombre. Le sujet reste tabou et la NBA met le paquet pour que cela change. On vous propose donc un petit historique des rapports entre la NBA et la communauté LGBTQ suivi d’un exposé sur les mesures prises par la ligue à ce sujet.
Une longue prise de conscience
Autant le dire tout de suite, la ligue a mis du temps avant d’intervenir sur la question LGBTQ. La plus ancienne information liant la NBA à la communauté LGBTQ remonte à 2007. À cette époque, les San Antonio Spurs remportent leur quatrième titre face aux Cleveland Cavaliers de LeBron James. Mais un autre évènement va secouer la ligue : le coming-out de John Amaechi. Inconnu du grand public, Amaechi a passé cinq saisons discrètes en NBA (6.3 pts, 2.6 rbs, 16.4 min en carrière) avant de prendre sa retraite en 2003. Les plus passionnés se souviennent peut-être de son parcours en Europe (Grèce, Royaume-Uni, Italie, France). Dans une interview pour Sportsnet, l’ancien role player est revenu sur l’ambiance dans les vestiaires NBA. L’homophobie y était courante et l’intérieur anglais a relevé des propos lunaires. Il avoue avoir tenté de raisonner ses coéquipiers, sans succès.
Quand on lui demande pourquoi les joueurs restent silencieux sur leur orientation sexuelle, Amaechi fustige l’environnement de la NBA. Il déclare avoir discuté avec des joueurs concernés. Ces derniers redoutent la réaction des franchises et des fans. Il y a cette peur d’être boycotté et d’être catalogué comme homosexuel. En revanche ces joueurs anonymes ont confiance dans leur coéquipiers.
« Il est très clair que l’environnement est moins inquiétant du point de vue des joueurs, et plus inquiétant du point de vue de certains entraîneurs et de certaines directions », déclare Amaechi « Si une seule personne veut votre talent, elle peut plafonner ce qu’elle vous paie. Si dix personnes veulent votre talent, il y a de la surenchère et vous pouvez être payé plus, potentiellement. Cela a un impact sur vos résultats ». John Amaechi
Amaechi conclut en disant que l’énergie dépensée à cacher sa sexualité ruine des carrières. Il affirme qu’il aurait eu une meilleure carrière s’il ne s’était pas toujours caché.
« Je pense qu’il existe de nombreuses preuves que, lorsque vous essayez de protéger une partie de vous psychologiquement, qu’il s’agisse de votre sexualité ou d’autre chose, vous dépensez une partie de votre énergie pour cette protection » déclare Amaechi « Je sais que j’aurais été meilleur si je n’avais pas dû utiliser cette énergie pour protéger mon identité » John Amaechi
La révélation d’Amaechi a suscité de vives réactions. Des soutiens évidemment, mais aussi des critiques. Notamment Tim Hardaway qui déclarait « détester les gays » au micro de Dan Le Batard. La ligue avait alors condamné ses propos, lui interdisant l’accès au All-Star Game 2007. TimBug a affirmé que ses déclarations l’ont empêché d’atteindre le Hall of Fame et depuis il s’est engagé au sein d’associations militantes et éducatives en faveur des LGBTQ. En 2013, la question LGBTQ revient sur le devant de la scène avec le coming out de Jason Collins. Devenu le premier sportif gay en activité aux Etats-Unis, le vétéran des Nets avait reçu une vague de soutien extraordinaire. Pas moins de 187 athlètes s’étaient manifestés pour féliciter le pivot. Malgré cela, Collins dénonçait le même environnement néfaste aux athlètes LGBTQ.
« J’aimerais voir un athlète vivre sa vie de manière authentique, sans avoir à se cacher, sans à avoir peur ou à vivre dans la honte – toutes les choses qui font qu’un athlète est renfermé. Aucun être humain ne devrait avoir à emprunter ce chemin. Mais il y a cette peur de faire un pas en avant. » Déclare Collins « Je pense que c’est à nous tous d’essayer de créer un environnement dans lequel les athlètes (LGBTQ) sauront que, s’ils choisissent de se manifester, ils seront soutenus et défendus, et qu’ils pourront continuer à pratiquer ce sport, à évoluer, sans avoir l’impression de devoir cacher qui ils sont. » Jason Collins
Malheureusement, l’environnement interne à la NBA n’est pas le seul obstacle. La société civile américaine se montre aussi menaçante envers les LGBTQ. En 2014, Mia Henderson, la sœur transgenre de Reggie Bullock, a été sauvagement assassinée. Quelques années après c’est la fille transgenre de Dwyane Wade qui attirait les foudres des fans. Il y a donc un travail à faire auprès du public. Mais est-ce vraiment du ressort de la NBA ? La ligue peut, dans le giron du sport, faire évoluer les mentalités. Mais elle ne peut remplacer un système éducatif et l’auto éducation du public. Il faut aussi rappeler que la NBA est un business qui cherche à acquérir des parts de marché par tous les moyens. C’est pourquoi il faut mettre en perspective l’ouverture sociale de la ligue avec ses préoccupations économiques.
Créer un environnement bienveillant pour les joueurs…
Comme on vient de le voir, la priorité de la NBA est de créer un environnement favorable aux athlètes LGBTQ. Pour que ceux-ci puissent révéler leur sexualité sereinement et continuer à évoluer dans le championnat. En 2011, la ligue a intégré un volet préventif à son Rookie Transition Program – programme d’adaptation à la NBA destiné aux débutants. Concrètement, la NBA travaille avec les associations GLAAD et Athlete Ally qui sensibilisent les jeunes recrues aux causes LGBTQ. Les intervenants, parfois accompagnés d’anciens joueurs comme Jason Collins, discutent du langage et des gestes adaptés pour que ces jeunes puissent devenir à terme des « alliés hétérosexuels ». Kathleen Berens, vice-présidente exécutive pour la responsabilité sociale et le programme des joueurs, a détaillé les objectifs de la ligue.
« Travailler avec GLAAD et Athlete Ally nous donne l’occasion non seulement de dire « ne dites pas ça », mais aussi, nous l’espérons, de donner à nos joueurs une meilleure compréhension des défis auxquels les enfants LGBT sont confrontés et du rôle que nous pouvons jouer pour faire en sorte que les sports, les écoles et les terrains de jeu soient un havre de sécurité pour tous les enfants. » Kathleen Behrens
La protection des athlètes prend aussi une dimension juridique puisque la NBA a ajouté une politique anti-discrimination à son Collective Bargaining Agreement (CBA) – accord collectif de la NBA datant de 2011. À ce jour, on peut lire à la section 5 de l’article 30 du CBA la chose suivante : « Ni la NBA, ni aucune équipe, ni l’Association des joueurs ne doit discriminer dans l’interprétation ou l’application du présent accord contre ou en faveur d’un joueur en raison de sa religion, de sa race, de son origine nationale, de son orientation sexuelle ou de son activité ou absence d’activité au nom de l’Association des joueurs. » Cette initiative a été saluée par la Human Rights Campaign et GLAAD.
« Nous sommes reconnaissants envers le commissaire (David) Stern, la NBA et à l’association des joueurs d’avoir envoyé un message aussi puissant à la société, à savoir que ce qui compte, c’est le talent d’une personne, et non son orientation sexuelle. » Joe Solmonese, président de Human Rights Campaign
Des campagnes publicitaires comme Think Before You Speak (2012) ont été lancées pour combattre le langage homophobe des jeunes. Certains joueurs sont devenus des ambassadeurs du mouvement LGBTQ. Kenneth Faried a par exemple rejoint l’association GLAAD pour lutter contre l’homophobie dans le sport. Voilà ce qu’il déclarait à ce sujet.
« Devenir un athlète allié (à la cause LGBTQ) me donne l’opportunité de diffuser un message d’inclusion à travers la NBA et notre pays », a déclaré Faried « J’ai deux mamans et je les aime toutes les deux très fort. Je les respecte, les honore et les soutiens dans tous les domaines. Le lien que j’ai avec elles m’a fait réaliser que je veux que tous les membres de la communauté LGBT – qu’ils soient parents, joueurs, entraîneurs ou fans – se sentent bienvenus dans la NBA et dans toutes nos communautés. » Kenneth Faried
Même si Faried a toujours été sensible à cette cause de par son milieu familial, c’est un signe que les mentalités changent. Que les joueurs s’investissent réellement dans la lutte. À ce jour aucun autre joueur n’a fait son coming out depuis Jason Collins. Mais un dernier élément pourrait bien changer la donne.
…et profitable au business ?
Il ne faut pas perdre de vue que les mesures prises par la NBA en faveur de la cause LGBTQ sont aussi des opérations marketing. Dans un article pour CNBC, Benjamin Snyder montre comment la ligue cherche à conquérir le public gay. On y apprend que le pouvoir d’achat des personnes LGBTQ américaines avoisine le milliard de dollars. Ce qui en fait l’une des minorités les plus riches des Etats-Unis. Une étude datant de 2016 montre que les LBGTQ sont favorables aux entreprises qui soutiennent la cause des minorités de sexe et de genre. Qu’ils sont prêts à acheter les produits ou à changer pour une entreprise qui se dit LGBTQ friendly. Il semble que les comportements de ces clients potentiels ne sont pas passés inaperçus. En effet, la NBA a affirmé collaborer avec la Chambre nationale de commerce LGBT depuis 2016. Le président de cette institution se réjouit du potentiel économique d’un tel partenariat.
« La NBA reconnaît que ce n’est pas seulement la bonne chose à faire, mais que c’est une affaire intelligente », déclare Justin Nelson, le président de la NGLCC « Il y a là un marché et des entreprises potentielles pour stimuler l’intérêt du public et mieux gérer la production de tout ce qui concerne la saison et les équipes. » Justin Nelson
La NGLCC aide les entreprises dirigées par des LGBTQ à devenir plus facilement des fournisseurs de la NBA. Ces entreprises reçoivent une certification de la part de la NGLCC. Concrètement cela les rend plus visibles aux yeux de la NBA qui les met à contribution dans diverses tâches : organisation de matchs, gestion des opérations quotidiennes, etc. Ces entreprises ne collaborent pas avec la NBA en qualité de LGBTQ, leur activité n’étant pas forcément liée à cette culture. En revanche, leur certification les rend plus visibles. Par exemple, le restaurateur Jim Benton, ouvertement gay, a bénéficié de cette certification et cela lui a permis de collaborer avec la NFL lors du Superbowl 51.
Mais Justin Nelson assure qu’il ne s’agit pas d’une simple manœuvre économique et d’un changement de façade. La diversité est pour lui naturellement bénéfique et la NBA l’a bien senti.
« Je pense que cela renforce à nouveau le fait qu’une grande ligue sportive, désormais ouverte (sur le plan économique, social), a vraiment reconnu la valeur de la diversité et de l’inclusion », explique-t-il. « Je ne parle pas d’une case à cocher comme quoi nous avons fait quelque chose pour bien paraître, il s’agit d’un véritable engagement qui montre qu’une diversité d’opinions, une diversité de pensées, une diversité d’offres de produits, une diversité dans votre public créent une meilleure atmosphère qui pourrait être plus productive. » Justin Nelson
Il est clair que la NBA a pris un nouveau tournant ces dernières années. Elle fait beaucoup de choses pour devenir plus inclusive et pour que le public et et les joueurs s’y sentent à l’aise. Cela passe par des démarches pédagogiques de fond et une campagne publicitaire orientée vers l’ouverture et la tolérance. Néanmoins, les résultats sont encore minces : aucun joueur LGBTQ ne s’est manifesté depuis 2013. Il est aussi difficile de mesurer l’efficacité des mesures prises par la NBA parce que certaines données sont difficilement accessibles (le nombre d’amendes pour propos homophobes, la part du public LGBTQ dans les gains financiers de la NBA). Enfin d’autres pistes pourraient être empruntées comme la prévention auprès des entraîneurs, présidents et propriétaires de franchise NBA.