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Le retour de Derrick Rose, un tournant dans l’histoire de la ligue

La blessure est partie intégrante du jeu. Révélatrice de la fragilité du statut de superstar de certains, de la quasi perfection physique nécessaire à la pratique d’un jeu à un niveau aussi élevé que celui de la NBA, elle fait office de malédiction lorsqu’elle s’acharne sur les pauvres Blazers, de juge inattendu de la qualité d’un staff médical lorsqu’elle permet à Steve Nash et Grant Hill d’évoluer plusieurs années à un niveau hallucinant pour des joueurs de plus de 35 ans, de point final lorsqu’elle vient rattraper Yao Ming et qu’elle finit par le convaincre d’arrêter là sa carrière. La blessure est aussi un moyen de comprendre la personnalité profonde d’un joueur. Le fait que Kobe ait si souvent joué blessé, qu’il ait tenté de « remettre » son tendon d’Achille sur le terrain au moment de sa rupture, qu’il ait serré les dents pour aller tirer ses derniers lancers francs met en lumière, en quelques secondes, toute une facette du caractère de Bryant, de façon totalement épurée. Loin de tous les artifices auxquels se livrent les NBAers devant les journalistes, langue de bois pour la solidarité collective, tentative d’impressionner l’adversaire sans pour autant entrer dans une provocation de toute façon prohibée par la ligue, le joueur blessé prend conscience, en quelques instants, que plusieurs mois de travail viennent d’être anéantis par une simple action, et que de nombreuses semaines de galère sont à venir. Plus que l’incapacité à jouer et à défendre ses chances d’aller au bout du rêve, le joueur blessé est affecté par la promesse de longs mois sans ballon, et la perspective de voir les autres devenir meilleurs tandis qu’il devra cravacher pour récupérer simplement un niveau pré-blessure devenu objectif majeur. La blessure doit alors être savamment gérée, entre honnêteté du joueur envers lui-même, intelligence du staff et pression du public.

Car si le blessé a évidemment très envie de retrouver les parquets au plus vite, cette considération est loin d’être la seule à s’appliquer lorsque la date de retour au jeu est décidée. Les joueurs se trouvant dans une « contract-year » éviteront par exemple de se faire opérer durant la saison, et les joueurs capables de poursuivre blessés n’hésiteront pas à rejouer, quitte à repousser l’opération pourtant nécessaire à l’été suivant, parfois des mois plus tard. Les franchises, et particulièrement celles dont le palmarès et le passé proche est peu reluisant, encouragent les joueurs à revenir au plus vite, afin de satisfaire les attentes d’un public exigeant et peu compréhensif. Brandon Roy a ainsi payé très cher les espoirs des fans après l’accession aux playoffs en 2010. Trop pressées, trop loin du terrain pour réellement comprendre l’impact d’une blessure, les équipes dirigeantes sont bien loin de gérer le phénomène avec autant d’intellect qu’il le nécessite. Et le public, qui s’impatiente vite, n’hésite pas, à l’heure des réseaux sociaux, à invectiver directement les joueurs pour les piquer dans leur orgueil, et les pousser à un retour au jeu.

Brandon roy portland

En s’écrasant au sol un soir d’Avril 2011 sur le parquet du United Center, devant des milliers de fans sonnés par la gravité de l’événement, Derrick Rose ne se doutait sûrement pas qu’il allait écrire une nouvelle page de l’histoire de la NBA grâce à sa blessure. Pourtant, quelques jours après son retour sur les parquets en match de pré-saison, 18 mois après sa rupture des ligaments croisés, et à quelques heures d’un début de saison alléchant face au Heat, nul doute que le retour du Rookie of the Year 2009 a déjà non seulement ravi les fans du monde entier, mais également marqué un pas en avant dans la façon dont les franchises s’occuperont de leurs joueurs blessés à l’avenir.

Les objections sont bien sûr nombreuses. Derrick Rose n’a pas encore rejoué en match officiel. Son genou peut rechuter d’ici quelques mois, son corps peut lâcher, ou il peut ne pas parvenir à atteindre son ancien niveau de jeu. Pourtant, les quelques matchs déjà disputés sont intéressants, voire plus. Scruté, D-Rose a répondu présent. En associant les drives assassins auxquels il avait habitué la ligue il y a deux ans, à un shoot extérieur tout neuf et (au vu des premiers matchs) plus performant, le MVP 2011 a surpris ceux qui s’attendaient à un retour en douceur. Le joueur joue sans aucune appréhension, allant défier les grands à l’intérieur comme à ses plus belles heures, lançant le jeu en coast-to-coast comme il en avait l’habitude, le tout en semblant un peu plus collectif et gestionnaire que par le passé. Il avait d’ailleurs confié avoir réalisé la saison dernière de nombreux exercices tactiques avec coach Thibodeau (ce qu’il appelle lui-même ses « devoirs »), à base de séquence vidéos et d’analyses poussées de situations de jeu, afin de progresser dans son approche de l’équipe et des matchs en général. Du coup, une question, certes complètement prématurée mais néanmoins révélatrice, surgit: Derrick Rose est-il plus fort que dans sa version 2011 ou 2012, lorsqu’il surfait sur la ligue et luttait officieusement avec Chris Paul pour le titre de meilleur meneur NBA?

Peu importe. Rose est sans doute un peu moins bon en général, car il lui faudra du temps pour retrouver l’intégralité de ses sensations, un peu meilleur sur certains aspects de son jeu comme le tir extérieur, mais la réponse à la question posée n’a finalement aucune importance. Ce qui compte, c’est que l’on puisse aujourd’hui poser cette question sans passer pour un illuminé croyant aux news de Basket Désinfos. On est quand même en train de se demander si un joueur sortant d’une rupture des ligaments croisés est MEILLEUR qu’avant sa blessure. Et quand on voit les carrières de Shaun Livingston (y’a du mieux mais à l’époque… voir la vidéo ci-dessous) ou Greg Oden (plus touché par des micros-fracture, mais on reste sur le même type de problème), on se dit que le fait de pouvoir se poser une telle question relève du miracle.

Du coup, si nous, lointains observateurs d’une ligue dont nous ne connaissons pas vraiment les coulisses, en arrivons à cette conclusion, imaginons un instant comment les staffs réagissent! Pour la première fois, une équipe a fait le choix de prendre vraiment le temps, de ne mettre aucune pression (ou en tout cas pas assez pour le faire revenir) sur le joueur blessé, de le laisser gérer sa blessure et d’assumer toutes les conséquences d’une décision difficile à faire avaler à des fans dépensant des centaines de dollars pour venir garnir les tribunes chaque soir. Et le résultat est pour le moment au rendez-vous. A partir de là, devons-nous nous attendre à un changement d’attitude des franchises face à la blessure? Oui et non, car comme souvent en NBA, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.

Oui, car la stratégie des Bulls avec Derrick Rose semble tout à fait réplicable dans certaines franchises et avec certains joueurs. Mais une telle gestion requiert quand même un certain nombre de garanties. D’abord, d’un point de vue contractuel, il vaut mieux pour le joueur se trouver au milieu de son contrat, et pas en dernière année afin d’éviter d’avoir à prouver quoi que ce soit et de vouloir précipiter son retour. John Wall, s’il avait été blessé plus gravement, aurait-il eu la patience d’attendre le temps nécessaire sachant que les Wizards pouvaient potentiellement lui offrir un contrat max? Non, clairement. Ensuite, la franchise doit posséder des garanties solides, et doit notamment être certaine de pouvoir être compétitive à la fois sans le joueur blessé et à son retour. Les dirigeants des Hornets auraient-ils eu la patience d’attendre un an Anthony Davis en cas de blessure? Pas sûr, après avoir tant fait miroiter à leurs fans le début d’une nouvelle ère post-CP3. Les franchises en reconstruction peuvent se permettre ce genre de stratégie, d’autant que cela crée aussi une occasion pour les jeunes de prendre de nouvelles responsabilités. Jimmy Butler a ainsi explosé la saison dernière, notamment défensivement en l’absence du chien de garde Luol Deng. Si Kyrie Irving venait à se blesser gravement dans la semaine, nul doute que les Cavs auraient la patience d’attendre un an ou plus, ce qui laisserait le temps aux jeunes Bennett, Waiters, Thompson ou à Jarrett Jack de se responsabiliser.

Non, car il est clair que les franchises ne prendront pas de tels risques pour des joueurs en fin de contrat ou jouant un rôle plus mesuré. Cela tient aussi tout simplement au fait qu’une équipe privée de son troisième joueur majeur est évidemment plus forte (sur le papier en tout cas) que la même équipe privée de son leader. Si Carlos Boozer avait été à la place de Derrick Rose, lui qui possède le contrat qui fait hurler les fans après chaque contre-performance, la donne aurait évidemment été différente, et l’ailier fort aurait sans doute subi des pressions énormes à l’approche des playoffs. Le problème est le même pour énormément de joueurs majeurs dont l’impact n’est pas suffisant pour qu’une éventuelle absence précipite l’équipe dans les bas-fonds. La situation contractuelle générale de l’effectif est d’ailleurs un autre paramètre très important. Les Bulls savaient qu’ils disposaient d’une ossature solide pour plusieurs années, et pouvait donc se permettre de lâcher une saison afin de préparer les suivantes. Les Knicks aujourd’hui, avec les velléités de départ affichées par Carmelo Anthony, ne pourraient pas vraiment s’offrir un tel luxe. Si Amar’e Stoudemire, après un début de saison probant, se blessait une énième fois, nul doute que son retour serait précipité s’il lui permettait de jouer les playoffs en lieutenant de Melo (jusqu’à ce qu’il casse un extincteur).

Une dernière preuve, pour finir, du potentiel changement de mentalité dans les franchises. Nerlens Noel pourrait ne pas jouer de la saison. Alors que leur équipe est déjà fin prête pour un tanking de très haut niveau, Philly ne veut prendre aucun risque avec son futur pivot. Et le staff des Sixers est peut-être désormais conscient que, avec un encadrement strict et un travail tactique et technique poussé, son rookie pourrait bien progresser presque aussi vite que lors d’une saison pleine, les séquelles physiques en moins. Oui, Derrick Rose vient sans doute de faire avancer les mentalités dans la ligue. Et s’il peut marquer la ligue blessé, attendons une petite semaine de plus, car le voir enchaîner les drives assassins et les punitions extérieurs pourraient bien être une façon d’observer l’histoire en marche de façon bien plus excitante. La stratégie des Bulls concernant la blessure de Rose, si elle apparaît réellement intelligente, doit encore être validée. Une finale de conférence Est contre le Heat constituerait un excellent examen de passage, mais seul le titre fera entrer la franchise dans l’histoire, et lui permettra de concrétiser tous les efforts fournis jusque là. Rendez-vous le 29 Octobre.

5 réflexions sur “Le retour de Derrick Rose, un tournant dans l’histoire de la ligue

  • JoachimCelts

    Quel article, quelle plume!!! Au passage, dans les équipes décimées par les blessures, en plus de Portland, on aurait pu citer Minnesota :(

  • basketmann12

    Très très bon article. Une analyse constructive et pourtant tout aussi neutre. Comme le dit JoachimCelts, "quelle plume" !
    Des articles de cette qualité on en veut bien tous les jours..! ;)

  • nuvaring_hum

    Superbe article, effectivement, très belle analyse.
    On pourrait citer aussi Blake Griffin qui n'a pas joué de sa saison rookie, décrochant le ROY une saison plus tard. Cette année sans lui a certainement permis de mieux appréhender le jeu, et surtout le fonctionnement NBA, le rythme, l'intensité, tout ça tout ça, d’où sa magnifique première saison (même si il stagne pas mal depuis). On avait pas vu rookie de tel niveau depuis trèèès longtemps (20 points à +50%, 10 rebonds, 3 caviars … !).

  • misijode1978

    Très belle article complet, l'équilibre psycholoique joue beaucoup dans la géurisson et je pense que Rose avait le mentale pour survivre à çà et le débat qui a agité son éventuel retour ne l'a pas perturbé, il a surtout bénéficié du son statut de MVP obtenu très tôt, ce qui a obligé les Bulls a attendre et à le soutenir, mais il faut surtout mettre en avant les efforts de Rose qui a travaillé dans son son coin. Ses coéquipiers l'ont protégé de toute cette agitation médiatique, des propos des uns et des autres, çà appelle les franchises a être plus responsables.

    Stephen Curry dont on encense finalement le talent aujourd'hui a longtemps été dérangé par les blessures, en pleine possession de ces moyens il fait parti des meilleurs joueurs actuel de la ligue, le talent il l'avait déjà, aujourd'hui il essaye de rattraper le temps perdu à cause des blessures. Le business de la NBA et la course aux titres a fait oublier à certes franchises les réalités du terrain, aujourd'hui en grande partie les blessés sont coupés à moins d'être comme Rose, Rondo, Bryant, Westbrook des valeurs sûr de la ligue, où d'avoir un peu de chance.

    Votre article pose des bonnes questions et apporte des réponses, mais c'est en observant le retour de joueur comme Rose qu'on pourrait tirer plus de conclusion. La valse des joueurs est également un problème pour la NBA.

  • ArmandBI

    Merci. Tu as tout à fait raison sur certains points, notamment sur l'importance de la gestion mentale par l'athlète. Plusieurs personnes prétendent ainsi que l'engrenage de blessure dans lequel est pris Greg Oden est en partie du à l'acharnement dont il fait preuve lorsqu'il revient et qu'il tente, sans aucune considération pour sa condition physique précaire, de jouer comme s'il n'avait jamais été blessé. Il force ainsi énormément et plus il est blessé, plus il s'acharne pour prouver qu'il peut revenir et qu'il est encore le joueur dominant qu'il aurait du être, quitte à… se blesser à nouveau.

    Curry est sans doute un autre exemple de joueur qui, malgré ses blessures, à continuer à travailler notamment sur sa gestuelle afin de parvenir au résultat encore plus propre qu'à son arrivée dans la ligue.

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