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L’intrigante métamorphose de Malcolm Brogdon

La bonne saison des Indiana Pacers est l’occasion d’évaluer la saison de leur recrue phare, Malcolm Brogon. Par soucis de continuité l’article est construit de telle manière que le lecteur, même novice, n’a pas besoin de s’attarder sur chaque tableau dans son intégralité mais seulement sur les deux ou trois statistiques mises en avant pour faire avancer le propos. Disponible en PDF ici. Bonne lecture.

Guillaume (@GuillaumeBInfos)

 

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Introduction

Malcolm Brogdon a entamé une métamorphose cette saison. Celle-ci, néanmoins, n’était pas forcément programmée.

Fort d’un début de carrière éclatant à Milwaukee, l’arrière des Bucks s’est vu offrir quelques 85 millions de dollars l’été dernier à l’occasion de sa free agency. Argument massue des Pacers pour l’attirer vers l’Indiana : la promesse d’un revenu annuel au-delà des 20 millions de dollars. Pour un joueur qui malgré trois excellentes premières saisons et même un titre de rookie de l’année en 2017 se contentait d’un contrat rookie calibré choix de draft du second tour et une compensation pécuniaire misérable oscillant entre 900 000 et 1.5 millions de dollars par an à peine, inutile de dire que le contrat offert par les Pacers fut rapidement paraphé.

L’affaire n’était pas dans le sac néanmoins, puisqu’en tant qu’agent libre dit restrictif Milwaukee conservait la possibilité d’avoir le dernier mot. De pouvoir s’aligner sur l’offre, n’importe quelle offre, quitte à dépasser largement le salary cap. Il n’en fut rien. Non désireux de dépenser quelques centimes en luxury tax quand bien même ce move aurait cimenté leur place d’ultra favori pour le titre à venir, les dirigeants des Bucks ont préféré ne rien faire.

Ainsi donc, Malcolm Brogdon s’en est allé rejoindre les Indiana Pacers.

Bien qu’un salaire de 20 millions de dollars par saison pouvait paraître démesuré, il illustrait cependant le superbe niveau de jeu qu’avait atteint Malcolm Brogdon en juin 2019. Tout son attrait pouvait se résumer à cette simple notion : Brogdon est un joueur dont la valeur ajoutée n’est conditionnée d’aucun compromis.

D’abord, sa défense : Brogdon est un défenseur on ne peut plus compétent à la fois sur le ballon et en défense collective. Son impact est loin d’être négatif de ce côté-là du terrain (il est même positif), ce qui permet de le transposer d’une configuration à une autre sans craindre d’être handicapé par sa présence ni devoir combler des brèches qu’il aurait involontairement créé.

Ensuite, la polyvalence offensive : Brogdon peut être placé dans n’importe quelle configuration d’équipe et autour de n’importe quel joueur. Il peut jouer balle en main, s’il doit le faire, mais apporte aussi et surtout un tir à trois points très fiable, donc un spacing qui se marie à la perfection avec tout type de profils. De Damian Lillard à Joel Embiid en passant par LeBron James, Giannis Antetokounmpo ou James Harden, tout type de créateurs, de profils de jeu et d’archétypes de joueur est optimisé par un arrière qui peut étire une défense.

Aucun compromis défensif à faire pour profiter de son jeu d’attaque. Aucun compromis offensif à faire pour le faire coexister à côté des joueurs déjà en place.

Qu’importe l’équipe déjà en place, la valeur ajoutée de Malcolm Brogdon ne peut être que positive, sans aucune difficulté pour la transposer d’un contexte à l’autre. D’où sa cote sur le marché 2019 et le joli pactole de 20M/an mis sur la table pour remporter la mise. Brogdon n’est pas de la veine des superstars, mais après cette catégorie-là son profil de jeu est très nettement un des plus importants dans la construction d’une équipe. Pas la tête d’affiche, mais le role player de grand luxe. Ou si ce terme « role player » résonne trop péjorativement dans vos oreilles : le joueur de complément parfait.

Plus encore, Brogdon n’a pas seulement démontré avoir le profil idoine d’un lieutenant à Milwaukee : il a surtout prouvé en jouant ce rôle-là savoir le faire avec un niveau de jeu et une qualité de production d’un très grand acabit. Ce n’est pas juste une fit théorique, c’est aussi et surtout un des tout meilleurs de la ligue dans ce registre-là.

Une de ses qualités les plus appréciables depuis le début de sa carrière demeure sa splendide efficacité. Lors de sa quatrième et dernière année universitaire à Virginia, déjà, Brogdon affichait un bon 45% de réussite générale sublimée par un excellent combo 40% à 3pts + 90% au LF. Autrement dit, deux pourcentages d’élite dans les deux catégories. Une tendance qui s’est confirmé dans la grande ligue jusqu’à atteindre en 2018-19 pour sa troisième saison à Milwaukee le palier symbolique des 50% FG + 40% 3PTS + 90% LF, club restreint des Mr Propre (Nash, Nowitzki, Durant, Bird, Curry, Miller, Brogdon…et c’est tout).

On retrouve d’ailleurs évidemment cette efficacité dans ses Points par Tirs Tentés (PTT), statistique ayant pour bon goût de condenser toutes ces informations (tentatives à 2pts, 3pts, LF) pour l’exprimer sous une forme unique. En 2018-19, Brogdon postait ainsi un impressionnant 1.23 PTT, soit un score situé dans le 97e percentile (mieux que 97% des joueurs NBA à son poste). Tous postes confondus il était même le 12e joueur le plus efficace de NBA sur ce critère-là.

Par ailleurs et pour parfaire son profil de joueur très propre, Brogdon perdait peu de ballons à Milwaukee, postant un TOV% de seulement 10.3% (76%tile à son poste). En somme, donner le ballon à Malcolm Brogdon se transformait très peu souvent en déchet et très fréquemment en points supplémentaires pour les Bucks. Difficile de faire mieux pour un joueur de complément. Quand on rajoute à l’équation son niveau défensif de haut niveau, difficile de trouver un aspect du jeu sur lequel la présence de Brogdon sur le terrain pourrait ne pas entraîner un impact positif : pas de problème d’adaptabilité aux coéquipiers, pas de problème de production offensive, et pas de problème défensif à déplorer non plus pour profiter de son apport en attaque.

Pourtant, chez les Pacers l’édifice commence à se fissurer.

D’un splendide 1.23 Point par Tirs Tentés pour sa dernière saison à Milwaukee, Brogdon a chuté à 1.08 Pts/Tirs. À peine dans le 54e percentile par rapport à son poste alors que sous son ancienne tunique verte, il dominait de la tête et des épaules ses pairs sur ce critère (97e%tile).

(Note : le PSA ou Points per Shot Attempt aka Points par Tirs Tentés est présenté ici par 100 tirs, malgré son nom. Le PSA du tableau indiquant 123.4 pour 100 tirs équivaut à 1.23 point par tir, plus intuitif, une fois ramené à un tir plutôt que cent).

De même, son effective Field Goal (eFG%) dégringole de manière on ne peut plus conséquente depuis le 98%tile jusque vers le 40%tile à peine. Passant d’un étincelant 57.5% eFG à un très moyen 48.6% eFG.

Dans le détail, on remarque par ailleurs que sa réussite sur les tirs à deux points perd 5% entre l’an passé et cette saison (de 54% à 49%) tandis que la réussite à trois points s’écroule complètement de 10%. D’un fantastique 42% à longue distance, Brogdon ne réussit plus qu’un médiocre 31% de tentatives depuis cette zone.

C’est bien simple : Malcolm Brogdon ne rentre plus ses tirs. Plus autant qu’avant. Sa qualité première, une efficacité de très haute facture, semble être restée dans le Wisconsin.

Comment expliquer une telle dégringolade ?

Un tel différentiel d’efficacité aussi soudain survient la plupart du temps consécutivement à un déclin physique lié à l’âge ou une importante blessure. Le cas d’Isaiah Thomas reste par exemple l’illustration la plus marquante de ces dernières années : 1.26 Pts/Tirs en 2016-17 lors de sa spectaculaire saison aux Celtics, puis 0.95 Pts/Tirs dès l’année suivante à la suite d’une perte d’explosivité (blessure grave à la hanche). Sans aller jusque dans ces proportions-là, il est possible que Brogdon ait été embêté toute la saison par une ou plusieurs petites blessures qui auraient pu dérailler son rythme et sa réussite au tir.

Autre possibilité ? Un simple hasard. Un tir au basket comportant un important facteur aléatoire, il est théoriquement possible que Brogdon ait tout simplement connu une saison où la pièce est retombée du mauvais côté plus souvent que du bon. Que la réussite, au sens littéral de chance et fortune hasardeuse, l’ait tout simplement fui cette saison après lui avoir souri les années précédentes. Théoriquement, il est possible en lançant dix dés de tomber sur un score cumulé de seulement 10 points. C’est très peu probable, mais possible. Sans que la volonté ou les compétences ne rentrent en compte dans l’art de jeter une dizaine de petits cubes de manière imprévisible sur la table.

Aucune de ces possibilités ne semble être la raison du déclin d’efficacité de Malcolm Brogdon, néanmoins.

La raison principale qui semble au contraire ressortir de l’analyse des données à la fois statistiques et vidéo de la campagne 2019-20 de Malcolm Brogdon est la suivante : son rôle est diamétralement différent chez les Pacers qu’il ne pouvait l’être du côté des Bucks.

 

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PARTIE 1 : Profil de Tir

 

Jetons un œil à ses Shot Charts 2018-19 et 2019-20, pour commencer.

Saison 2018-19 vs Saison 2019-20

De toute évidence, les deux graphiques ne représentent pas du tout le même joueur.

Là où la première, à gauche, décrit une répartition de tir très Moreyball-esque (3pts et lay-up) typique d’un joueur évoluant dans le système des Bucks, la seconde, elle, est tout autant caractéristique du style de jeu des Pacers. Si Milwaukee prône un jeu le plus aéré possible en recherchant au maximum les tirs à la rentabilité maximale, Indiana est au contraire une des équipes les plus friandes de tirs à mi-distance. La politique de Mike Budenholzer prône un spacing optimal articulé autour de quelques créateurs afin de trouver ces opportunités faciles en catch & shoot ou sur cut/drive facile, tandis que le régime de Nate McMillan se montre bien plus permissif sur les tirs à mi-distance si ceux-ci sont disponibles.

Plus que la seule différence de philosophie collective, on semble également pouvoir lire sur ces deux Shot Charts une différence de rôle pour Brogdon au sein des deux attaques : clairement, la première ressemble fortement à une répartition de tir de role player/3&D là où la seconde indique au contraire une fonction de créateur balle en main. Plus que la simple présence de tirs à mi-distance, la zone où les joueurs aiment bien se créer leur propre tir en général, on peut remarquer une certaine asymétrie vers la droite (tête de raquette, et même sous le cercle). Brogdon, droitier, revient naturellement plus souvent sur sa main droite sur les longs deux comme pour partir sur drive et aller au lay-up (ce que semble montrer le graphique) plutôt que simplement prendre les tirs tout faits là où ils arrivent.

Les chiffres précis de la répartition des tirs de Malcolm Brogdon confirment ce changement total de registre de jeu.

Parmi les éléments pertinents que nous offrent ces statistiques de fréquence de tir selon la location sur le terrain, une en particulier saute aux yeux : le bond spectaculaire de ses longs tirs à mi-distance.

Une information supplémentaire non présente sur les Shot Chart apparaît ici : Brogdon ne prend pas seulement plus de longs 2s, il en prend surtout plus que la majorité des joueurs à son poste (95%). Si on recoupe même tous les postes, parmi les joueurs qui ont un volume d’utilisation conséquent Brogdon se classe même 6e de toute la ligue sur la fréquence de longs tirs à mi-distance tentés. Dans le même temps, sur sa période à Milwaukee et particulièrement sa dernière année là-bas, ses 4% de tirs dans cette zone se classaient dans le 14e percentile seulement.

Du reste, Brogdon tente un peu moins de tirs à trois points (28% de ses tirs contre 31% l’an passé) et encore un peu moins au cercle (39% contre 56%), mais rien de spectaculaire.

Se trouve ici sans doute un autre élément de réponse à pourquoi une telle chute d’efficacité générale : tout simplement, Brogdon a pris un peu moins de tirs rentables et beaucoup plus de tirs non rentables. Logiquement, les effective FG et Points par Tirs Tentés, qui tiennent compte de la nature des tirs et pondèrent la valeur de chacun, tendent donc à baisser et pénaliser Brogdon pour cette sélection de tir-là. Si Brogdon avait réussi le même nombre de tentatives à trois points qu’il l’avait fait à mi-distance, le point supplémentaire octroyé à chaque fois aurait grandement boosté son score au nombre total de Points par Tirs Tentés, comme c’était sans doute plus le cas à Milwaukee. À l’inverse, remplacer des tirs au cercle (qui valent deux points, mais sont faciles) par des tirs longs à mi-distance (qui valent deux points également, mais sont plus difficiles à rentrer) empêche d’accumuler autant de paniers réussis et de points sur un nombre de tentatives similaire.

Sans même parler de réussite, la seule donnée de ses tirs tentés permet de commencer à expliquer pourquoi dans un premier cas à Milwaukee son efficacité pouvait facilement décoller via des tirs très rentables, et comment dans un second cas à Indiana l’efficacité ne pouvait que péniblement croître, et plafonnerait même probablement.

La réussite au tir, justement, intéressions nous y. Qu’a fait Malcolm Brogdon de tous ses tirs tentés ?

Plusieurs choses capitales à relever ici.

D’abord, sur la saison 2018-19 à Milwaukee : Brogdon s’est montré particulièrement impressionnant pour rentrer ses tirs. Une tendance que nous avions déjà pu constater de manière plus générale en relevant sa stat de Points par Tirs Tentés un peu plus tôt, mais qui se confirme ici dans le détail. Mettons de côté sa faible réussite à mi-distance, très anecdotique étant donné son très faible total de tentative dans cette zone cette année-là. Du reste, Brogdon se classait dans le 71e percentile sur la réussite au cercle (61% de tirs rentrés) et même dans le 90e percentile pour ce qui est de la réussite à longue distance. Porté par une telle réussite, sur des tirs très rentables qui par nature influencent grandement le eFG et les Pts/Tir Tentés, pas étonnant que Brogdon s’en soit sorti avec des marques d’élite dans les deux catégories.

Ensuite, sa saison 2019-20 à Indiana. Deux éléments distincts sont à relever ici. Premièrement, la chute localisée de sa réussite au tir dans les deux zones les plus rentables : le cercle et le trois-points. Autour du panier, Brogdon ne réussit plus que 50% de ses tentatives, le plongeant jusque vers le 16e percentile à peine. Arrière arc, après trois saisons consécutives autour de la barre symbolique des 40% (synonyme de shooteur de très haut calibre), il se contente cette saison d’à peine 32% de réussite, à la limite du mauvais shooteur pour qui ce tir-là est alors non rentable. Du 90e percentile, le voilà seulement au 21e percentile. Seulement mieux que 21% des joueurs à son poste alors même qu’il fait mieux que la quasi-majorité d’entre eux sur la campagne précédente. En somme, les tirs de par nature rentables sur lesquels Brogdon faisait son beurre et les réussissant bien plus que la moyenne, aujourd’hui, ne rentrent plus aussi souvent dans l’arceau.

Deuxièmement, sa réussite à mi-distance saute aux yeux : Brogdon convertit un incroyable 50% de ses tentatives sur les longs deux points, soit le 89%tile à son poste. Mieux encore, si on étend la base de données à tous les postes confondus, parmi les joueurs qui tentent autant de tirs dans cette zone-là que lui (+20% de tirs sont des longs 2s), seuls trois joueurs NBA font un tout petit peu mieux que lui : Chris Paul, D’Angelo Russell et Khris Middleton. Un meneur historiquement ultra efficace, un shooteur d’élite placé dans l’environnement très favorable des Warriors (spacing + jeu en sortie d’écran) et un ailier qui réalise lui-même une saison historique sur la réussite au tir.

Recouper les informations de sa réussite au tir avec celles de sa répartition de ses tentatives de tirs vue juste avant devient alors intéressant. D’autant plus en regardant sous le prisme de l’évolution de son efficacité.

Après avoir analysé l’évolution de son profil de shooteur, notamment l’augmentation spectaculaire de ses tentatives à mi-distance, une première conclusion semblait se présenter à nous : Brogdon a en partie perdu en efficacité parce qu’il s’est mis à prendre un paquet de tirs très peu rentables, les longs 2s, plutôt que de continuer à insister au cercle et à trois points. Or, les données de sa réussite de tir selon les zones semblent, elle, nous indiquer tout l’inverse : non seulement Brogdon est légitime pour tenter tous ces longs 2s, mais il est en plus élite dans le domaine, quant au contraire ce sont ses réussites à au cercle et à trois-points qui ont dégringolé. Que penser de tout cela, au final ? Peut-on continuer de blâmer son jeu à mi-distance comme source de sa chute d’efficacité ?

En réalité, oui, probablement. L’exemple de Malcolm Brogdon permet même ici de confirmer une notion déjà évoquée plus haut sur la nature même des statistiques d’effective Field Goal et Points par Tirs Tentés : les tirs rentables (cercle et trois points) sont ceux qui apportent le plus de variance dans ces statistiques, qui influencent directement le plus, qui peuvent faire bouger dans un sens ou dans l’autre le plus rapidement en cas de variation importante dans l’une ou l’autre de ces zones. À l’inverse, les tirs à mi-distance auront plus de mal à peser dans de grandes proportions sur ces deux stats. Malgré une efficacité réellement d’élite à mi-distance, ridiculement grande même, Brogdon n’est tout de même pas capable de relever suffisamment son score à l’eFG% et aux PTT. Et/ou à l’inverse, des réussites au tir particulièrement mauvaises parviennent à entraîner dans leur chute un eFG% de presque 10 points (57% à 48%) ou faire passer un PTT d’élite (1.23) à un très moyen (1.08).

Le but ici n’est pas tant d’établir une critique des statistiques de eFG% et Pts/Tirs en elles-mêmes. Au contraire, il me semble que ces stats sont assez fiables et représentatives de la réalité : difficile d’être un scoreur prolifique et efficace en faisant son beurre uniquement sur du long tir à deux points et/ou sans performer sur les tirs les plus rentables du basket.

À noter également, surtout même, que les tirs combinés à trois points et au cercle représentent encore une bien plus grande portion des tentatives de tir de Brogdon (67% en tout en 2019-20). Aussi, une chute de réussite sur autant de tirs influence évidement bien plus la réussite générale qu’une réussite d’élite sur un plus petit échantillon.

Plusieurs éléments à retirer de tout cela.

En premier lieu : Malcolm Brogdon est en toute légitimité de tenter autant de tirs à mi-distance, et particulièrement des longs tirs à deux points. Ce tir reste non idéal et on pourrait souhaiter qu’il soit encouragé à réduire son volume dans cette zone ou simplement faire l’effort de prendre ces tirs-là un ou deux pas plus loin du panier, arrière arc. Mais s’il faut en prendre, Brogdon est suffisamment bon dans l’exercice pour qu’en tenter soit une opération rentable.

Cette réussite ne sort pas de nulle part, notez bien. Sans aller jusqu’à cet éblouissant 50% de réussite sur les longs 2s, Brogdon a déjà posté par le passé des chiffres d’un très bel acabit dans l’exercice. Par deux fois, en 2016-17 et 2018-19, il tournait à 40% de réussite sur ces longs 2s, une réussite déjà très bonne pour cette zone-là du terrain, et avait même posté en 2017-18 un déjà excellent 47% de réussite, même. Sur des volumes qui n’étaient pas forcément dérisoires par rapport au gros volume de cette année à Indiana (deux saisons à 12% de tirs dans cette zone, simplement la moitié de l’énorme total de 2019-20). Néanmoins, pour Brogdon, être parvenu à transposer son efficacité (et même largement l’améliorer) sur un nombre de tentatives plus gros reste impressionnant.

En second lieu : que diable s’est-il passé pour que Brogdon perde autant d’efficacité au cercle et à trois points ?

Brogdon a fait sa force, l’efficacité, et même sa carrière sur sa capacité à rentrer ces tirs-là bien plus souvent que la moyenne. Sa valeur ajoutée est de scorer très fréquemment sur ce genre de tentatives. L’importance de l’échantillon, 3 ans à tourner sur ces bases-là, permet de surcroit d’affirmer que cette réussite du début de carrière semble représenter de manière très fiable la valeur réelle de finisseur de Brogdon. Sur plus de 5000 tentatives de tirs sous la tunique des Bucks on est en droit de considérer l’influence du hasard et le simple facteur aléatoire suffisamment négligeable pour ne pas aboutir sur des statistiques d’efficacité non représentatives.

Brogdon ne met plus ses tirs. Brogdon ne met plus *ses* tirs. Ni les trois points, ni les lay-ups. Pourquoi ?

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PARTIE 2 : Volume & Utilisation

 

Revenons un instant sur le premier tableau et les statistiques générales de la carrière de Malcolm Brogdon. Mais cette fois, intéressons-nous à d’autres colonnes que la simple efficacité aux Pts/Tirs Tentés.

Faut-il chercher du côté d’une augmentation du volume de jeu pour expliquer une efficacité moins bonne ?

C’est une possibilité à ne pas exclure. Plus un joueur doit gérer de responsabilités, plus son efficacité et sa réussite sont en effet susceptibles de baisser. Réaliser une action est par définition énergivore, tant physiquement que mentalement. Aussi, plus un joueur a déjà disputé de possessions, moins il lui reste de jus pour les suivantes. Tous les joueurs n’ont pas le même capital physique ni l’endurance pour encaisser de gros volumes de jeu tout en gardant assez de lucidité pour faire les bons choix ni suffisamment d’énergie pour réitérer les bons gestes précis au 25e tir du match. James Harden, 2e de toute la NBA à la fois au volume d’utilisation et à la réussite au Pts/Tirs Tenté, et ce genre de phénomène sont bien plus l’exception que la norme.

Quid de Brogdon, à cet égard ?

D’un point de vue minutes passées sur le terrain, le néo Pacer n’a pas connu d’augmentation substantielle de son temps de jeu effectif qui aurait pu attaquer sérieusement son endurance, puisque pour la troisième saison consécutive il passe 30 minutes par match sur les parquets. Cette seule information ne suffit toutefois pas encore à écarter l’argument du facteur fatigue : Brogdon aurait très bien pu passer 30 minutes à se la couler douce, dans le corner, sans ballon, à Milwaukee puis d’un coup d’un seul se voir confier la gonfle à chacune des possessions disputées en 30 minutes de jeu à Indiana.

Par conséquent, regardons de plus près à présent son Usage percentage : après trois ans à stagner autour des 20% d’Usage, Brogdon a pris 10 points de plus en une saison pour atteindre quasiment les 30% d’Usage. La barre symbolique des joueurs à très grosse utilisation. Une augmentation de 50% d’un coup, lorsqu’on se trouve déjà à ses hauteurs là n’est pas commune. Ce n’est pas la même histoire de passer de 5% à 15% ou de 20% à 30% : dans le premier cas c’est simplement un joueur anecdotique qui gagne une petite place dans la rotation, dans le second cas c’est un joueur déjà installé qui passe le dernier palier de joueur de complément à tête d’affiche de son équipe. Afin de mieux contextualiser ce volume d’utilisation, notons que Brogdon est le 21e joueur avec le plus gros Usage percentage de toute la ligue sur la campagne 2019-20. Il y a ainsi 30 franchises NBA, donc intuitivement 30 leaders d’attaque à gros volume, mais il y a seulement 20 joueurs plus souvent utilisés que Malcolm Brogdon. L’ancien Buck est bel et bien passé dans une autre catégorie.

Clairement, voilà un premier indice qui commence à confirmer notre conjecture que les 30 minutes passées sur le terrain à Milwaukee ne ressemblaient pas aux 30 passées sur le paquet du côté de l’Indiana.

Néanmoins, l’argument de la fatigue n’est toujours pas définitivement validé pour autant. Du moins, le seul critère de l’Usage percentage n’est pas suffisant à lui seul pour affirmer avec certitude que le rôle de Brogdon a complètement changé entre Milwaukee et Indiana.

L’impossibilité d’affirmer cela vient tout simplement de la définition de l’Usage percentage. De la manière dont il est calculé et de ce que cette statistique exprime : l’Usage d’un joueur n’est autre que le nombre de possessions qui se termine par un tir, une passe ou une perte de balle de ce dernier par rapport au nombre total de possessions jouées par l’équipe lorsqu’il est sur le terrain. Par exemple, l’Usage percentage de Brogdon de 29.5% signifie que lorsqu’il se trouve sur le terrain, 29.5% des possessions jouées par Indiana se terminent par un tir, une passe ou un turnover de Brogdon. Rien de plus.

En somme ce que cette statistique capture n’est rien de plus que le bout de la chaîne. Par conséquent, ce qui lui échappe c’est l’utilisation même du joueur avant que la possession ne se conclue. Par exemple, que Brogdon garde la balle pendant 24 secondes pour jouer trois Pick & Rolls et dégainer un pull-up 3, ou qu’il se contente de rester dans le corner et ne touche le ballon qu’une demi-seconde pour prendre un tir ouvert, l’Usage percentage ne fait aucune distinction entre ces deux possessions-là. Les deux sont comptabilisées au même titre comme action où Brogdon est « utilisé » alors même que, de toute évidence, l’utilisation fondamentale de Brogdon ne pourrait être plus différente entre ces deux exemples.

Aussi, impossible avec ce seul critère de l’Usage percentage de déterminer le rôle de Malcolm Brogdon à proprement parlé pendant ces 30 minutes de jeu. Ni même, de ce fait, de pouvoir affirmer que la chute d’efficacité est conséquente à un changement de rôle radical, lui-même entraînant un différentiel de fatigue conséquent à l’origine de tous ces problèmes. Tout ce que l’on sait, c’est que plus d’actions se terminaient via Brogdon à Indiana qu’à Milwaukee. Mais dans ce cadre-là, il est par exemple possible que ces possessions supplémentaires passant par lui soient simplement des tirs ouverts, autant faciles que peu énergivores. Si c’était le cas, affirmer que l’utilisation de Brogdon est complètement différente chez les Pacers à la seule lecture de l’Usage percentage serait un non-sens total. Une assertion fausse.

On ne sait pas. Ce seul chiffre, en lui seul, ne suffit pas à affirmer quoi que ce soit.

En réalité néanmoins, l’intuition et le visionnage des matchs d’Indiana cette saison pourraient permettre de dire que Brogdon ne se retrouve pas seulement plus souvent qu’avant au bout de la chaîne, mais qu’il est bel et bien plus impliqué en début et milieu de chaîne. Que son rôle a changé, et que son utilisation est bien différente, plus proactive. Mais il va falloir mettre les mains dans le cambouis et se plonger dans des statistiques plus ciblées encore pour en avoir la confirmation factuelle.

Reprenons d’abord un des premiers tableaux utilisés.

Plutôt que d’observer les différents pourcentages à 2pts, 3pts et l’eFG% comme fait précédemment, regardons plutôt la partie droite du tableau : le pourcentage de paniers assistés.

Ici, les informations nous permettent de dire avec plus de certitudes que le rôle de Malcolm Brogdon a en effet changé du tout au tout entre ses périodes Bucks et Pacers. Attention ici à lire les chiffres dans le bon sens : les valeurs des percentiles vont croissant quand le nombre de paniers assistés décroit, dans l’idée que sont valorisé ou « plus méritants » les joueurs qui se créent eux-mêmes leurs tirs. Ainsi, un joueur avec un énorme nombre de paniers survenant suite à une passe décisive (tir entre 0 et 2 dribbles) se situe dans des percentiles très petits alors qu’un joueur dont une majorité de paniers ne sont pas consécutifs à une passe décisive (2 dribbles ou plus entre la réception du ballon et le tir), autrement dit dont la majorité des paniers sont créés par lui-même, se trouve au contraire dans les plus hauts percentiles.

De ce que l’on peut constater, l’image du joueur de complément qui semblait être la sienne à Milwaukee se confirme de ce point de vue là : plus de la moitié de ses paniers étaient consécutifs à une passe décisive, donc survenait immédiatement après une passe qu’avait créé un coéquipier. Avec 57% de ses paniers assistés, Brogdon se situait plutôt dans le bas de l’échelle (22e percentile, seulement 22% de joueurs à son poste étaient plus assistés que lui). Mais cette saison du côté des Pacers, c’est tout le contraire : à peine un quart de ses paniers sont assistés (24%). Autrement dit, plus des trois quarts de ses paniers, Brogdon se les est créé lui-même.

Le changement de rôle, radical avec ça, est on ne peut plus évident ici.

Dans le détail, on ne se rend compte que Brogdon avait le luxe d’être assisté sur presque la moitié de ses tirs au cercle alors qu’il doit cette année travailler lui-même sur plus de 80% de ses paniers inscrits sous l’arceau (passant du 70%tile au 16%tile à peine). Début de réponse quant à sa chute d’efficacité dans cette zone-là évoquée plus haut . Même phénomène sur les tirs à longue distance : une écrasante majorité de ses paniers marqués à trois points lui étaient « offerts » sur une passe décisive à Milwaukee (83% !). Du côté d’Indiana, l’arrière jouit de bien moins d’opportunités faciles créées par autrui, et doit même aller se chercher lui-même 60% de ses propres paniers primés. Le différentiel sonne même encore plus impressionnant en parlant en percentiles, puisque chez les Bucks, seuls 36% des joueurs à son poste étaient plus assistés que lui sur ces tirs longue distance, tandis que chez les Pacers, 97% des joueurs à son poste profitent de plus de paniers assistés. Autrement dit, Brogdon travaille plus dur que la quasi-totalité de ses pairs pour obtenir un panier à trois points. Là encore, la chute d’efficacité d’une année à l’autre (d’un fantastique 43% à un médiocre 31%) s’explique par conséquent assez facilement.

Brogdon prend sensiblement les mêmes tirs. Mais il ne prend plus les mêmes tirs.

Il tente encore pas mal de tirs sous l’arceau, et même un nombre identique de tentatives à trois points à Indiana qu’il ne pouvait le faire à Milwaukee. Mais ce ne sont pas les mêmes tirs : ceux tentés sous la tunique verte étaient plus souvent faciles, créés pour lui, offert par autrui et donc bien moins difficile à rentrer, tandis que ceux pris sous le blason jaune et bleu du rival de division sont plus souvent générés par lui-même, ne sont pas de même nature ni même tentés dans d’aussi bonnes conditions de réussite.

L’anomalie, finalement, aurait été que Malcolm Brogdon maintienne son efficacité absurde tout en changeant complètement de registre.

Continuons à creuser.

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PARTIE 3 : Registre

 

Peut-on encore trouver d’autres preuves pour soutenir notre conjecture qu’un changement marquant de rôle est la raison pour laquelle Malcolm Brogdon a perdu son efficacité ?

Les statistiques de paniers assistés sont d’excellentes indications, mais encore largement incomplètes : elles ne prennent en compte que les tirs réussis. Les fois où le ballon rentre dans l’arceau. Créant par conséquent un angle mort colossal : quid des situations où le tir ne rentre pas ? Où le tir ne devient pas un panier, qui transforme une passe (ou non) en une décisive ? Quand on s’intéresse justement à un joueur qui s’est mis à manquer un paquet de tirs, il nous faut supprimer cet angle mort pour enfin avoir une image suffisamment complète du rôle de Brogdon.

Une des manières que l’on peut utiliser pour essayer de définir son rôle et constater (ou non) un changement soudain en passant d’une franchise à l’autre est changer de fusil d’épaule : ne nous intéressons plus aux statistiques orientées sur le résultat d’une action, mais sur celles qui décrivent le déroulement de celle-ci et le processus pour arriver à un tir.

Pour ce faire, laissons de côté les statistiques qui compilent les informations des box-score et orientons-nous vers d’autres bases de données. Celles qui capturent les mouvements et actions qui se produisent pendant une possession, avant un tir, une passe ou un turnover : les « Tracking Data ». Des caméras permettent de suivre chaque joueur en temps réel et d’accumuler grâce à cette technologie de « tracking » de gigantesques bases de données sur le positionnement des joueurs. À partir de celles-ci peuvent être déduits les notions des spacing, les types d’actions pratiquées, les passes effectuées, les temps de possessions, les vitesses et distances de déplacement, et tout un tas d’autres informations utiles. En somme, ces caméras permettent de faire le travail d’un scout qui regarderait le match, le découperait en séquences et compterait combien de fois un joueur pratique tel ou tel type d’action…sauf que les caméras et la technologie de tracking le font de manière automatisée, en temps réel, et sur bien plus de joueurs et de matchs que ne pourrait le faire un scout humain sur une même période de temps.

Allons donc vers les Tracking Data pour continuer de confirmer ou d’infirmer notre conjecture selon laquelle le rôle offensif de Malcolm Brogdon a changé radicalement entre Milwaukee et Indiana.

Commençons très simplement, dans cette thématique porteur de balle/rôle proactif : Brogdon joue-t-il plus souvent l’isolation à Indiana ?

À première vue l’évolution ne semble pas si énorme que ça (de 1.2 à 2.6 ISO par match). Néanmoins, si on juge de ces chiffres-là relativement aux autres joueurs NBA, le différentiel apparaît tout de suite un peu plus marquant.

Avec seulement 1.2 isolations/m jouées l’an passé, Brogdon se situait 65e du classement des joueurs NBA jouant le plus souvent cet exercice en moyenne. Sur la campagne 2019-20 en revanche, ses 2.6 ISO/m le font bondir jusqu’à la 19e place. Devant lui ne se dressant que les monstres de Houston, les arrières de Portland, certains ailiers stars (Kawhi, LeBron, Tatum) ou autres stars créatrices de haut calibre (Luka, Giannis & co), principalement.

Brogdon jouait par exemple le même nombre d’ISO par match que des porteurs de balle reconnus comme Chris Paul, DeMar DeRozan, Devin Booker ou Bradley Beal. Il jouait même plus souvent l’ISO que Trae Young, Khris Middleton, Jimmy Butler, Paul George ou Kemba Walker.

De manière intéressante, sa réussite dans ce domaine ne semble pas tant fluctuer que ça puisque sa production est sensiblement la même malgré cette hausse de responsabilité. Elle augmente même un tout petit peu : de 0.95 à 0.99 Points Par Possessions et du 68%tile au 73%tile.

Continuons. L’autre exercice ou un joueur créé généralement balle en main : le Pick & Roll.

Ici en revanche, la différence est nettement plus marquée : Brogdon ne jouait que 2.7 P&R à Milwaukee, contre 7.8 par match à Indiana. Pour avoir une idée de l’importance de ce type d’action dans son répertoire global, les chiffres de fréquence d’utilisation nous indiquent même que Brogdon ne jouait le P&R qu’une fois sur cinq chez les Bucks (20% du temps) contre presque une fois sur deux aux Pacers (45%).

De toute évidence, se trouve ici un indice supplémentaire concret confirmant un rôle bien plus proactif et créateur pour Brogdon dans sa nouvelle franchise qu’il ne pouvait avoir dans son ancienne.

Par rapport au reste de la ligue, Brogdon est même devenu le 18e joueur de NBA à pratiquer autant le Pick & Roll en tant que porteur de balle (même 13e de NBA sur la fréquence, plutôt qu’en simple nombre total). En 2018-19, il n’était que le 89e joueur à utiliser autant cet exercice.

Notons par ailleurs que malgré un plus gros volume de P&R à devoir gérer, Brogdon s’est tout de même amélioré dans l’exercice : du 51e percentile, il évolue jusqu’au 66e. Son chiffre de Points Par Possessions passe de 0.83 PPP à 0.91 PPP (15e meilleur parmi les gros volumes). Il shoote avec plus d’efficacité (49% eFG contre seulement 43% eFG) et perd même moins de ballon (12% du temps contre 14%).

La chute d’efficacité globale de Brogdon n’est donc pas directement due à son efficacité spécifique sur ISOs et P&R puisque dans ces deux domaines précis il connait une réussite similaire, voire même plus grande que par le passé. Mais tous les chiffres que nous venons de voir renforcent notre conjecture : en devant jouer bien plus souvent de fois balle en main et créer sur ISO ou P&R, le rôle de Malcolm Brogdon est devenu bien plus difficile chez les Pacers. Un rôle énergivore qui ne l’a pas directement affecté sur ISO et P&R…mais a pu lui coûter du jus qu’il n’avait plus sur le reste de ses actions ?

Qu’en est-il des situations en spot-up ?

Une situation de spot-up se définit ainsi : lorsque le joueur attend dans le périmètre et attaque dès la réception du ballon. Ainsi dans cette catégorie globale du spot-up ne se trouvent pas seulement des tirs en réception de passe (les « spot-up 3s »), mais aussi des drives (appelée « spot-up drives ») où dès qu’il reçoit la balle le joueur attaque le cercle pour aller au lay-up, s’arrêter à mi-distance voire même réaliser une passe décisive. Bien que l’usage commun du terme « spot-up » désigne habituellement un trois-points en réception de passe, les actions en spot-up peuvent donc aboutir sur bien d’autres types d’évènements (jump-shot, lay-up, passe, tov).

En somme, la catégorie « spot-up » désigne donc les situations où le joueur évolue sans ballon, et peut profiter du décalage créé par autrui pour attaquer. Drive ou shoot.

Une fois établies ces notions, il semble alors plus qu’évident que les informations présentes ici terminent de nous confirmer le changement fondamental de rôle de Malcolm Brogdon entre Milwaukee et Indiana. Tomber sur ce tableau dans nos recherches équivaut pour un enquêteur investiguant un crime de découvrir dans la maison de la victime une chambre dans laquelle se trouve le meurtrier avec sur lui l’arme du crime et un enregistrement vidéo de l’assassinat.

La différence dans le jeu de Malcolm Brogdon, elle est là. Brogdon évoluait plus d’un quart du temps dans cette position de spot-up chez les Bucks (27.7% de ses possessions, soit 3.9 par match) alors que chez les Pacers, c’est moins d’une possession sur dix où il peut profiter de ce genre d’opportunités plus faciles (seulement 1.7 par rencontre). La raison pour laquelle, après seulement analyse des matchs et avant de s’être plongé dans les chiffres, nous décrivions Brogdon comme un joueur de complément devenu porteur de balle important est ici. Nos intuitions visuelles se confirment factuellement.

Plus encore que la seule fréquence d’opportunités en « spot-up » qui chute, Brogdon connait aussi et surtout une baisse on ne peut plus significative de son efficacité dans l’exercice. Du 95%tile tous postes confondus, l’élite de l’élite (13e meilleur joueur NBA dans cet exercice), il ne se retrouve cette saison que dans le 28%tile à peine. De 1.25 Points Par Possessions à Milwaukee (10e meilleur de NBA tous postes confondus), Brogdon n’en génère plus que 0.86 PPP à Indiana. Sa réussite globale dans ces situations suit le mouvement : 52% FG et 64% eFG dans ces situations, contre aujourd’hui des tout petits 33% FG et 43% eFG. 20% de moins, d’un coup, à la fois sur le Field Goal et l’effective Field Goal. Brutal.

Ce n’est pas seulement que Brogdon jouait plus rarement sur spot-up, des situations plus faciles que lorsqu’il doit tout se créer lui-même. C’est aussi et surtout que son efficacité dans cet exercice a elle aussi dégringolé de manière vertigineuse.

Comment expliquer ce déclin ?

Peut-on attribuer cette baisse, bien que très importante, à une simple fluctuation aléatoire ? Dans ce cas-là, son score sur la campagne 2019-20 ne serait pas inquiétant puisqu’amené à rapidement remonter avec le temps et un retour à la moyenne. Autre possibilité, à quel point doit-on accorder du crédit à l’environnement de Milwaukee dans le succès de Brogdon sur spot-up ? Les bonnes conditions chez les Bucks sont-elles responsables à quasi 100% de son efficacité d’alors ? À un solide 75% ? À seulement 20% ? Comment discerner la proportion du crédit à attribuer au collectif des Bucks de celui de Brogdon lui-même ? La question reste considérable dans l’optique de projeter les performances de Brogdon dans un autre contexte, chez les Pacers, au-delà de cette saison.

Par ailleurs, qu’est-ce qui a bien pu tirer vers le bas son efficacité sur spot-up ? Brogdon a-t-il perdu sa réussite sur spot-up 3s, ou bien celle au cercle lorsqu’il attaque sur spot-up drive ? Ou même les deux ?

Essayons de scinder encore un peu plus. Attardons-nous sur ses Catch & Shoots.

De manière assez logique, et dans la continuité des constatations faites sur la catégorie des spot-up, Brogdon bénéficie de bien moins d’opportunités en catch & shoot (des tirs simples) à Indiana qu’il n’en avait à Milwaukee. Chez les Bucks presque 3 tirs par match étaient de cette nature pour lui alors que chez les Pacers, c’est à peine un peu plus d’un seul en moyenne. Relativement à son nombre total de tirs tentés, les Catch & Shoots représentaient 24% de ses tentatives de tir en 2018-19, contre seulement 9% en 2019-20.

Autrement dit, Brogdon obtenait un catch & shoot une fois sur 4 en jouant dans le Wisconsin, contre à peine une fois sur dix sur les terres des Hoosiers. Quand on connaît la facilité de ces tirs-là, tout cuits et qui ne nécessite rien d’autre pour le joueur que de simplement d’attendre la balle et déclencher le tir, un tel différentiel de tirs aisés ne peut qu’affecter la production globale de Brogdon de manière non négligeable.

En y regardant de plus près, on se rend compte assez vite d’ailleurs que tous ces tirs étaient à trois points : les FG% et 3PTS% sont quasiment identiques, indiquant assez clairement que l’échantillon de tir n’est en effet quasiment à longue distance. Aussi, lorsque Brogdon passe de 47% de réussite sur catch & shoot à 31%, la différence de production brute de points n’en est que plus grande que si ces tirs étaient pris à deux points. Comme l’illustre l’eFG : de 71% eFG (!!) à seulement 46% eFG. Brogdon scorait quasiment 4 points par match (3*1.3) sur catch & shoots à Milwaukee, soit un quart de ses points dans cette position sans ballon, contre seulement 1.2 pts/m à Indiana sur des catch & shoots (7% de ses points à peine de sa production moyenne par match).

Moins d’opportunités donc, mais surtout, moins d’efficacité.

Or ici, les questions de rôle ou d’environnement autour de lui ne sont pas des facteurs qui rentrent en compte dans l’équation : sur les mêmes types de tirs, Brogdon en retrait tout simplement beaucoup moins à Indiana qu’à Milwaukee. Le différentiel d’efficacité est un différentiel pur et simple de réussite intrinsèque.

Les statistiques par rapport au positionnement du joueur adverse (merci les caméras de Tracking) mettent bien en exergue ce phénomène.

Brogdon obtient moins de tirs à trois points qualifiés de « grand ouvert » (le défenseur se tient à 6 pieds de distance ou plus) en passant de 1 sur 4 à 1 sur 5. Mais surtout : son efficacité est en berne. Or sur ce genre de tirs grands ouverts, l’influence du défenseur est par définition nulle : la résultante du tir découlait intégralement de la responsabilité de Brogdon lui-même. Et Brogdon ne rentrait tout simplement pas ses tirs faciles, grands ouverts, tout cuits, à trois-points comme il le faisait avant : 28% à peine contre 45%. Ici, c’est la réussite pure qui a fui Brogdon, indépendamment des interactions possibles avec adversaires/coéquipiers, de la qualité du tir ou des conditions dans lesquels il est tenté.

Cependant, une de nos hypothèses de base pourrait convenir ici, et expliquer cette chute importante (non anecdotique) : il est possible que l’énergie que doit investir Brogdon dans le fait de porter la balle, créer balle en main, prendre des décisions et être le centre de l’attention de la défense sur un grand nombre de possessions érode rapidement son niveau d’énergie. Et qu’au moment où il doit simplement se contenter de prendre son tir ouvert, le Brogdon d’Indiana a un niveau d’énergie et de lucidité bien moins grand que le Brogdon de Milwaukee.

En ce qui concerne l’évaluation des « spot-up drives », difficile de trouver une base de données précise pour juger spécifiquement de la réussite sur lay-up de Brogdon entre Milwaukee et Indiana.

Néanmoins, il est possible de recouper certaines autres informations pour tenter de formuler un début de réponse possible. La réussite générale de Brogdon au cercle (pas seulement sur spot-up drive, donc) a fortement baissé comme vu un peu plus tôt : de 61% de tirs rentrés dans cette zone (71%tile) à seulement 51% (16%tile à peine). Il semble cohérent, bien que non exact, de penser que les conditions de jeu qui ont pu affecter sa réussite sur lay-up dans d’autres situations ont aussi pu jouer sur les spot-up drive. Et ainsi supputer que la réussite au cercle, sur spot-up drives, de Brogdon a elle aussi chuté d’une année à l’autre.

Un des facteurs qui pourrait expliquer cela serait par exemple la différence de spacing entre Indiana et Milwaukee. Les Bucks cherchent bien plus que les Pacers à conserver et optimiser une occupation du terrain la plus aéré possible, que ce soit en jouant avec moins d’intérieurs à la fois, et/ou avec des intérieurs capable de s’écarter à trois points, ou tout simplement en évoluant avec de meilleurs spécialistes à trois-points sur le terrain. Par conséquent, Indiana possédant un degré de dangerosité bien moins grand dans le périmètre et/ou un espace intérieur pas tout le temps libre pour des drives, les défenseurs adverses peuvent plus facilement venir aider autour du cercle pour altérer les tirs.

Un autre indice qui semble confirmer cette hypothèse de l’influence très importante du système des Bucks sur la production de ses joueurs : les performances des Bucks actuels. Les deux meilleurs joueurs de toute la NBA en « spot-up » ? Khris Middleton et George Hill, remplaçant de Brogdon dans le rôle au sein du collectif. Les chiffres de Hill dans cette catégorie (1e de NBA avec 1.41 PPP en 2019-20 et 11e de NBA avec 1.31 PPP en 2018-19) ont d’ailleurs atteint des hauteurs vertigineuses qu’il n’avait jamais atteintes avant son arrivée dans le système de Mike Budenholzer.

Quid des autres types d’action ?

Voilà les chiffres de Brogdon sur les Hand-Offs.

Peu d’informations à tirer sur ses situations, pour deux raisons : d’abord, sa fréquence d’utilisation dans cet exercice varie très peu entre Milwaukee et Indiana (de 0.9 à 1.3 possession par match). Ensuite, dans les deux cas les Hand-Offs représentent une partie négligeable de la charge offensive totale de Brogdon en attaque. Tirer trop de conclusions à partir de ces situations-là dans lesquelles Brogdon évolue rarement pourrait être tout autant dangereux que non pertinent.

Néanmoins, on peut toutefois noter que son efficacité dans l’exercice dégringole elle aussi. Étant donné le petit échantillon que les Hand-Offs représentent (61 possessions sur toute la saison) il se peut que ce soit un simple phénomène aléatoire, mais ce n’est pas à exclure non plus que cette différence tire ses origines dans une différence de contexte Bucks/Pacers. Que ce soit le spacing, la pose d’écran, ou même le degré de dangerosité des intérieurs lui passant la balle (Giannis pour plonger au cercle, ou Lopez à 3pts).

Passons aux situations de jeux en sortie d’écran.

De même, on peut constater sur ces situations de Off Screen une légère baisse d’efficacité et de production, mais qui n’est peut-être pas pertinente à prendre en compte du fait de la petite taille de l’échantillon.

S’il ne fallait retenir qu’une chose, c’est le fait que Brogdon joue encore moins en sortie d’écran qu’auparavant, confirmant (très légèrement) son changement de rôle plus orienté création que jeu sans ballon. D’autant plus qu’Indiana est une équipe qui joue très fréquemment sur des shooteurs en sortie d’écran : Brogdon aurait pu ainsi voir son utilisation boostée dans le domaine, mais lui s’est contenté d’être le joueur portant la balle et la passant à ceux qui en effet jouaient en Off-Screen (McDermott, Holiday, Warren, Lamb, etc).

Nul besoin d’aller chercher les statistiques sur les situations de Cut ou de Post-Up, tout aussi peu pertinentes l’une comme l’autre pour évaluer l’efficacité globale de Brogdon.

En revanche, laissons de côté le jeu sur demi-terrain et jetons un coup d’œil à ses actions en transition.

Même constat ici sur les situations de contre-attaque que ce que l’on a pu faire sur les spot-up. Les deux pouvant d’ailleurs être considérés comme une source de points « faciles » par rapport aux autres tirs et situations du basket.

Dans une équipe des Bucks qui met l’accent sur le jeu de transition et la projection verticale très rapide, Brogdon évoluait une possession sur cinq dans ce contexte de contre-attaque propice à aller chercher des points. Dans une équipe des Pacers qui préfère poser son jeu sur demi-terrain (et se montre moins productive en défense pour créer des tov et des situations de contre-attaque), Brogdon n’évolue plus qu’une fois sur dix en transition. Deux fois moins souvent, donc.

Plus que la fréquence d’utilisation et le nombre brut d’opportunités, la différence entre une équipe d’élite en transition (Milwaukee) et une équipe bien plus banale (Indiana) ressort également dans les différents critères d’efficacité. De 1.23 PP et du 73%tile tous joueurs et postes confondus, Brogdon n’est plus qu’à un très petit 0.88 PPP et à peine le 10%tile. Non seulement de recevoir moins d’opportunités en contre-attaque que par le passé, Brogdon est également moins bon que 90% des joueurs NBA pour aller y chercher des points.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. La première, évidement, n’est autre que l’absence de Giannis Antetokounmpo, véritable aimant à défenseur capable d’attirer à lui deux, trois voire même quatre ou cinq défenseurs sur lui pour l’empêcher de scorer un dunk tout cuit. Inévitablement, ne plus avoir ce monstre dévastateur courant à ses côtés en transition libère bien moins d’espaces et de tirs faciles pour Brogdon. Une deuxième raison, très liée à la première, pourrait être plus généralement la différence de personnel et de mentalité entre Bucks et Pacers. Là où Milwaukee met un point d’honneur à percuter sur contre-attaque et possède les joueurs pour, les Pacers n’en font pas une priorité ni n’ont de joueurs au-dessus de la moyenne dans cet exercice. Aussi, lorsque la contre-attaque se déroule, les opportunités apparaissent plus facilement et plus souvent chez les Bucks que chez les Pacers.

Une troisième raison pourrait sans doute être le rôle de Brogdon pendant ces transitions : à Milwaukee, Giannis ou Bledsoe pouvait servir de rampe de lancement pendant que lui-même se contentait de courir à côté pour se rendre derrière la ligne à trois-points ou sous le cercle. Mais à Indiana, le porteur de balle tranchant, c’est lui. Celui qui attire les défenseurs en remontant le terrain pendant que les role players courent à côté, sans ballon, c’est généralement lui. Un indice qui va dans ce sens-là pourrait être le TOV% de Brogdon sur ces situations de transition : d’un tout petit 6% il bondit jusqu’à 19%. Brogdon perd désormais la balle près d’une fois sur cinq. Une hausse spectaculaire qui l’est beaucoup moins et/ou s’explique plus facilement si en effet Brogdon est passé d’un shooteur sans ballon qui remonte le ballon et prend son tir à porteur de balle qui doit percuter balle en main, résister à la pression des défenseurs et savoir faire le bon choix en mouvement.

Quoi qu’il en soit, ces chiffres sur transition continuent d’aller dans le sens qui semble se dessiner depuis le début : la chute d’efficacité globale de Malcolm Brogdon est la résultante d’un changement de rôle et/ou d’une qualité de tir largement moins bonne et/ou d’un nombre de tirs faciles plus petit.

 

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PARTIE 4 : (Sur)Charge

 

Laissons de côté les types d’actions pour le moment et essayons de creuser un peu plus sur le type de tirs que Brogdon obtenait à Milwaukee puis à Indiana.

Nous nous sommes déjà penchés un peu plus tôt sur les Catch & Shoots en particulier, mais ce tableau a le bon goût de présenter une photographie complète de son spectre de tirs. Et s’il est bien une chose qu’il accomplit, c’est de confirmer l’évolution du rôle de Brogdon que les types d’actions semblaient déjà nous indiquer.

À Milwaukee, Brogdon ne prenait que 16% de ses tirs en pull-up (jump-shot en sortie de dribble et/ou auto-créé). Un quart de ses tirs étaient de simple Catch & Shoots, et plus de la majorité restante se faisaient autour du cercle. Le tout en surperformant à la fois dans la réussite à trois-points et au cercle avec des eFG% spectaculaires (respectivement 71% et 57% !). À l’inverse Brogdon prend désormais la moitié de ses tirs en pull-up à Indiana. S’il était encore besoin de le prouver, son changement de joueur de complément à créateur balle en main ne pourrait être plus évident qu’ici.

Du reste, le tableau nous indique moins d’opportunités en Catch & Shoot et à trois-points (comme vu plus tôt), mais aussi autour du cercle (seulement 40% de ses tirs se font proche de l’arceau contre 60% auparavant).

Regardons de plus près ce fameux Pull-Up Shooting.

Dans le détail, on voit en effet que le nombre de tir sur pull-up de Brogdon a plus que triplé : de quasiment 2 tentatives par match à presque 7. De manière intéressante cependant, une fois n’est pas coutume, l’efficacité de Brogdon n’a pas baissé entre l’étape Milwaukee et celle d’Indiana. Elle a même augmenté de manière très significative.

D’un tout petit 36% eFG, le voilà désormais à un solide 49% eFG sous la tunique des Pacers. Une réussite d’autant plus solide, même, quand on prend en compte la nature de ses tirs là (difficile, donc intrinsèquement plus compliqué à rentrer fréquemment). 49% eFG n’est pas 49% eFG sur Catch & Shoot.

À noter d’ailleurs dans le lot, le nombre de pull-up 3s de Brogdon a lui aussi triplé (de 0.9 par match à 2.8). Même si, ici, l’efficacité n’a pas connu une réelle augmentation notable (il ne shoote toujours qu’à 31% sur ces tirs), le nombre de tentatives est tout de même pertinent et significatif : le trois-points en sortie de dribble est l’arme ultime qui permet de parfaire un arsenal offensif et de mettre à mal certains systèmes défensifs. Bien souvent, ce sont les stars qui prennent ces tirs-là. Le fait que Brogdon se soit mis à en tenter autant par match est un indicateur de choix : il est devenu un des, si ce n’est le, porteur de balle principal des Pacers.

Revenons à présent sur ses tentatives de tirs proches du panier. Et particulièrement, voyons ce que les chiffres nous disent sur les pénétrations balle en main de Brogdon.

Sur un temps de jeu quasiment identique, Brogdon attaque plus fréquemment le panier sur pénétration à Indiana qu’à Milwaukee : 10.1 drives par match en 2018-19 contre 14.4/m en 2019-20. Une fois arrivée au panier en revanche c’est une autre histoire : son efficacité, elle, descend de manière non négligeable (de 53% à 46% de réussite) et il n’arrive pas à provoquer plus de fautes sur ses pénétrations (seulement 1.5 LF tenté contre 1.0 auparavant). Au bout du compte, Brogdon produit même à peine plus de points sous sa tunique des Pacers qu’il ne le faisait pour les Bucks alors même qu’il attaque le cercle presque 5 fois de plus par match.

Cette perte d’efficacité sur les tirs obtenus sur drive est finalement peu surprenante et se recoupe avec la perte d’efficacité globale de Brogdon autour du panier sur tout type de tirs, drives ou non (-10%).

Si on regarde d’encore un peu plus près une autre statistique saute aux yeux : son nombre de tirs tentés sur drive n’augmente pas proportionnellement à son nombre de drives tentés par match. Alors que Brogdon tente presque 5 drives de plus par rencontre en moyenne (+42%), son nombre de tirs tentés sur drive lui change à peine (+0.6 par match, soit +12% à peine).

Pourquoi Malcolm Brogdon tente-t-il aussi peu de tirs supplémentaires alors même qu’il pénètre jusqu’au panier de manière bien plus importante que par le passé ?

Un élément de réponse pourrait se trouver ailleurs sur le tableau : sur ses drives Brogdon passe désormais le ballon presque 48% du temps contre seulement 36% l’année passée. Autrement dit, alors qu’il finissait une bonne majorité de ses drives par un tir l’an passé, cette année il ne le fait qu’à peine une fois sur deux. Comment expliquer cette différence ?

Ce phénomène pourrait ici être un indicateur supplémentaire du changement de rôle de Malcolm Brogdon entre sa période Bucks et celle des Pacers.

Plusieurs possibilités pour expliquer ce changement. La première, Brogdon a changé de mentalité et s’est décidé de passer la balle bien plus souvent que par le passé. Mais il paraît assez légitime d’écarter cette possibilité assez rapidement : les tendances et l’état d’esprit d’un joueur sont intrinsèques à ce dernier et souvent profondément inscrits. Si changement il y a, et ils sont assez rares, ils prennent souvent du temps, bien plus qu’entre la saison passée et celle-ci. Il est extrêmement peu probable que sur les mêmes situations et face aux mêmes opportunités le Brogdon de Milwaukee choisisse de tenter sa chance alors que celui d’Indiana préfère ressortir sur un coéquipier.

La deuxième possibilité, justement, est que Brogdon n’a pas été exactement dans les mêmes situations et face aux mêmes opportunités à Indiana qu’à Milwaukee. Les types de drives que Brogdon pouvait faire chez les Bucks ne sont peut-être pas les mêmes que chez les Pacers. Dans un rôle de joueur de complément à côté de stars et/ou porteur de balle important, les chemins de drives sont plus ouverts, le décalage est même parfois déjà fait et l’attention des défenses pas entièrement concentrée sur lui. Dans ce contexte-là, les bonnes occasions de lay-up sur drive se présentent sans doute plus fréquemment une fois arrivé au cercle. À l’inverse, dans un rôle de créateur balle en main où toute l’attention de la défense est focalisée sur lui et où il doit créer lui-même le décalage à partir de rien, les bons tirs à prendre se font plus rares : la défense se tient prête à venir aider au cercle sur lui, la première option, quitte à abandonner un autre joueur. Privant ainsi Brogdon d’un bon tir et ouvrant même une opportunité de passe sur drive.

Également lié à cette notion de situations différentes : le spacing. Le très fort degré de dangerosité des shooteurs des Bucks, et même leur positionnement très espacé sur le terrain, complique grandement la tâche des défenseurs qui ne veulent pas les abandonner pour aider sur le drive. Ou tout simplement ne peuvent tout simplement pas le faire à temps. À l’inverse, face à un spacing d’Indiana moins optimal, les défenseurs adverses peuvent peut-être plus facilement arriver à temps sous le cercle pour priver Brogdon de bons tirs.

En réalité, les deux hypothèses sont sans doute vraies en même temps : ce sont à la fois des situations assez différentes (type de drive et spacing) et un changement de mentalité de la part de Brogdon. Catapulté créateur attitré de l’équipe avec des responsabilités collective plus importante, il n’est pas impossible que Brogdon se sente responsabilisé par rapport à son nouveau rôle, son devoir ou son influence sur le jeu et ses coéquipiers. Que sur certaines situations Brogdon ait veillé à faire tourner la gonfle et à créer pour ses partenaires tandis que dans son costard de role player finisseur aux Bucks, sans ces responsabilités et en évoluant à côté d’autres joueurs majeurs, Brogdon ne se soit même pas posé la question et ait préféré tenter sa chance. Un peu des deux, donc…même si après pondération l’évolution du type de tirs et du contexte collectif semble bien plus importante pour expliquer ce changement.

Continuons de creuser à propos de ce rôle nouveau. Peut-on encore trouver des indices supplémentaires par rapport à la nouvelle façon de jouer de Brogdon et ses responsabilités ? À quel point son nouveau jeu est-il énergivore ?

Regardons du côté du nombre de Touches par match.

Sacrée différence entre Milwaukee et Indiana : sur le même temps de jeu, le nombre de fois où le ballon passe par mes mains de Malcolm Brogdon a bondi (+47%). Ses 77.4 touches par match sont même classées 19e plus haut total de toute la NBA, après avoir été seulement 88e l’avant avant cela. Son temps de possession total bondit même lui aussi jusqu’à 6.8 minutes par match en cumuler, soit le 10e plus gros total de la ligue ! (65e l’an passé).

Plus encore, à chaque fois qu’il touche la gonfle, il la garde pendant un temps considérablement plus long cette saison qu’il ne le faisait l’an passé. Ses 5.3 secondes de moyenne par touches le propulsent même 11e de toute la NBA. Ses 5.45 dribbles par touches, quant à eux, se classent 5e de la ligue, seulement devancés par des James Harden, Damian Lillard, Trae Young et Derrick Rose.

Son total de points inscrits à Indiana ne suggère pas forcément une production de superstar, mais les chiffres révèlent à n’en pas douter l’omniprésence dans le jeu d’une de cet acabit.

Essayons de rentrer encore plus dans le détail de ses Touches.

Évolution on ne peut plus marquante qui fait largement écho à la manière différente dont Malcolm Brogdon est désormais utilisé, comme vu plus tôt.

Plus de 40% du temps, le Brogdon ne Milwaukee ne gardait la balle dans les mains que 2 secondes tout au plus. Autrement dit, le temps de recevoir la gonfle et de la transmettre, de faire une extra-pass, ou tout simplement de prendre un jump-shot ou un lay-up. Évidemment, son efficacité sur ce genre de situations quand effectivement il prend le tir est assez spectaculaire : 67% eFG, grâce à un splendide 46% à longue distance et un étincelant 63% à deux points. Sur un autre 40% du temps, le Brogdon vêtu de vert gardait la balle entre 2 et 6 secondes. Pas plus de temps qu’il ne faut pour une pénétration directe, ou une action rapide dans le flow du jeu. Là encore : 54% à l’eFG.

Autrement dit, dans le Wisconsin, 80% des fois où Brogdon touchait la balle ce n’était que pour la conserver moins de 6 secondes. 80% du temps, il se contentait d’attaquer immédiatement ou de se montrer rapidement tranchant. Un registre rendu évidemment possible par le contexte de Milwaukee autour de lui, créant le jeu et lui obtenant de bons tirs pour qu’il puisse se contenter de n’être la majorité du temps qu’un simple finisseur. Finisseur d’élite, notez bien.

Du côté de l’Indiana, l’histoire est bien différente. Presque la moitié du temps où Brogdon touche le ballon, c’est pour le conserver au moins plus de 6 secondes. S’il manquait un indice pour finir de vous convaincre que Brogdon jouait littéralement en porteur de balle chez les Pacers, celui-ci fera l’affaire. À l’inverse, ses prises de balle rapides (2s ou moins) chutent de 40% à seulement 20% du temps, et même celles intermédiaires (2s à 6s) passent de 41% à 34% du temps.

De manière étonnante, son efficacité chez les Pacers continue de présenter la même dualité contre-intuitive. Sa réussite sur les situations facile baisse de manière assez importante : seulement 45% eFG sur les touches rapides contre 67% aux Bucks. Tandis que dans le même temps, son efficacité sur les situations difficiles augmente de manière non négligeable : lorsqu’il tient la balle plus de 6 secondes, Brogdon passe de 42% eFG sur à peine 2 tirs/m à 49% eFG sur 6.3 tirs/m.

Continuons à creuser en laissant le nombre de fois où Brogdon touche la balle pour s’attarder sur les passes.

Ici, on parle évidemment du nombre total de passes réalisées dans un match, et pas seulement des passes décisives.

Sur cet aspect-là également, le côté plaque tournante de Malcolm Brogdon dans l’attaque des Indiana Pacers se confirme : 56.7 passes réalisées par match (13e de NBA) et 67.6 passes reçues par match en moyenne (10e de NBA). L’omniprésence de Brogdon se précise.

Qu’en est-il à présent si on filtre les actions non pas à partir du nombre de fois où il touche la balle, mais du nombre de dribble qu’il doit réaliser avant de prendre son tir ?

En écho avec les statistiques du temps moyen d’une touche de balle, le nombre de dribbles avant de prendre un tir connait une dynamique très similaire : beaucoup moins de tirs immédiats à Indiana qu’à Milwaukee, et au contraire un nombre croissant de tirs consécutifs à des situations où Brogdon dribble un nombre important de fois.

Chez les Bucks, Brogdon avait le luxe on ne peut plus appréciable d’avoir un tir sur trois tenté sans avoir besoin de ne prendre aucun dribble (33% du temps). Plus encore, son efficacité sur ses situations est tout simplement 1e de NBA avec 71.8% eFG (grâce à un non moins splendide 48% à 3pts). Si on ajoute à cela les situations où il tire après un dribble, et après deux dribbles, le Brogdon de Milwaukee pouvait shooter en moins de deux dribbles (donc sans avoir besoin de trop travailler pour se créer son tir) pas moins de 57% du temps.

Le constat est évidemment à l’opposé en ce qui concerne sa saison à Indiana : seulement 13% de ses tirs surviennent sans avoir besoin de poser un seul dribble (avec une efficacité de seulement 51% eFG, 20 de moins donc). Si on regroupe toutes les tirs après 0, 1 et 2 dribbles, la proportion de tirs « faciles » et/ou immédiats de Brogdon n’atteint que les 27% du temps. Une différence assez incroyable, d’une année à l’autre.

Le gros de l’attaque pour Malcolm Brogdon survient lorsqu’il dribble plus de 7 fois avant de shooter. Presque la moitié du temps (45%) il est donc obligé de travailler lui-même, balle en main, pour se créer ses propres opportunités de tirs plutôt que d’attendre sagement de se voir offrir de bons tirs comme à Milwaukee. De manière intéressante, encore une fois, son efficacité sur ce genre de situations ne baisse pas avec un plus gros volume, mais il augmente même : 51% eFG sur 6.2 tirs de la sorte contre seulement 41% eFG sur 2.1 tirs/m auparavant. Mais de toute évidence, cette nouvelle utilisation est extraordinairement plus énergivore que son ancien rôle. Et si en l’occurrence elle ne déteint pas sur ces tirs-là elle affecte peut-être sa lucidité, son niveau d’énergie et sa réussite sur le reste du jeu.

Pour contextualiser, 45% de tirs tentés après plus de 7 dribbles n’est pas seulement un gros pourcentage en lui-même. C’est aussi et surtout le 4e plus gros total de toute la NBA. Brogdon n’est devancé dans cette catégorie que par les mastodontes James Harden, Luka Doncic et Damian Lillard. Pour rentrer dans le détail encore un peu plus, Brogdon est 8e de NBA avec 10.6% de trois-points tentés après 7 dribbles ou plus (contre seulement 45e sur 56 joueurs qualifiés, l’an passé) et même carrément 3e de toute la ligue en ce qui concerne les tirs à deux points (43e sur 56 l’an passé). Plus que certains spécialistes du panier non primé comme DeMar DeRozan ou Chris Paul, entre autres.

Plus on avance, plus les chiffres semblent désigner un profil de porteur de balle ultra dominant comme on en trouve peu en NBA, et autour duquel gravite une énorme portion de leur attaque NBA.

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Essayons de faire le point : qu’avons-nous appris de toutes ces statistiques sur les saisons à Milwaukee et Indiana de Malcolm Brogdon ? En particulier sous le prisme de notre interrogation quant à sa chute d’efficacité en à peine une saison (1.08 Pts/Tirs aux Pacers contre 1.23 chez les Bucks).

D’abord, Brogdon a complètement changé de rôle.

Dans le Wisconsin, Brogdon était un joueur de complément. Son registre était celui d’un finisseur, évoluant sans ballon et profitant des décalages créés par Giannis, Middleton et Bledsoe, les véritables porteurs de balle des Bucks. Dans le Wisconsin c’est tout le contraire : fini les longues séquences de jeu loin du ballon, Brogdon est désormais le dépositaire de l’attaque des Pacers. Et un omniprésent, qui plus es, véritable plaque tournante de l’équipe par qui la gonfle transite souvent entre ses mains, et pour y rester un long moment.

Ensuite, son profil de tir a changé de manière significative. En conséquence de ce changement de rôle.

En proportion, Brogdon obtient beaucoup moins de tirs et/ou de situations supposées faciles : des tirs tout cuits, des occasions où il peut tirer assez rapidement et sans trop dribbler, des types d’actions où le degré de difficulté est moindre, etc. Ces tirs-là constituaient une partie majoritaire de son jeu à Milwaukee, mais c’est tout l’inverse du côté d’Indiana : la majorité de ses tirs sont désormais issus de sa propre création. En tant que porteur de balle et en devant générer un tir à partir de rien plutôt que de profiter d’un décalage déjà existant.

Comme le résume ce tableau : à Indiana, 80% des paniers à deux points de Brogdon son non-assistés (!), 60% de ses tirs à trois points, et même ses points sur transition sont moins nombreux (à peine 7% de ses points). En tout, 76% de ses paniers inscrits sont créés par lui-même, alors que l’an passé un peu moins de 60% de ses paniers étaient assistés par un coéquipier.

Ainsi donc, notre conjecture de départ selon laquelle la chute d’efficacité de Brogdon est due à un rôle plus énergivore est donc largement incomplète.

Ce n’est pas seulement que Brogdon doit dépenser plus d’énergie durant les possessions, ce qui diminue son état de forme et donc sa réussite au moment de tenter un tir. C’est aussi que les types de tirs qu’il obtient sont bien plus difficiles. L’aspect énergivore est important, mais celui de la nature des tirs qu’il prend l’est tout autant.

Son nouveau rôle ne lui demande pas seulement d’être plus impliqué et de puiser plus rapidement dans ses réserves. Son rôle le fait aussi et surtout évoluer dans des situations différentes, qui le font aboutir sur des tirs de qualité bien moins bonne. Ce n’est pas juste que devoir se créer son tir sur ISO ou P&R demande plus de travail et d’énergie, mais bel et bien que le tir qu’il va arriver à se créer sur ISO ou P&R sera de moins bonne qualité (en mouvement, avec un défenseur proche, avec moins de temps de préparation, etc) que sur une situation de spot-up ou en catch & shoot par exemple. Les tirs qu’il prenait à Milwaukee avaient plus de chance d’être convertis et de rapporter des points, intrinsèquement, que ceux qu’il prend à Indiana : Brogdon ou un autre, un long 2 en step-back sur ISO est converti bien moins souvent et rapporte moins de points qu’un lay-up sur spot-u drive ou un catch & shoot grand ouvert, par exemple.

La question de l’efficacité de Malcolm Brogdon n’est cependant pas aussi simple.

Certes, ses responsabilités sont plus pesantes et ses tirs moins idéaux, mais le cas de sa perte d’efficacité est largement plus contre-intuitif que cette simple somme de facteurs.

Comme nous avons pu le remarquer tout au long de cette énumération de statistique en tout genre, une dualité presque paradoxale demeure : même s’il prend plus de tirs difficiles…sa perte d’efficacité générale n’est pas directement la conséquence d’une plus petite efficacité sur ces tirs-là. Au contraire, ce sont les tirs faciles qui semblent le pénaliser.

Brogdon joue bien plus souvent l’ISO et le Pick & Roll, mais son efficacité dans cet exercice augmente par rapport à l’an passé. Brogdon prend beaucoup plus souvent des tirs à mi-distance, les longs 2, mais son efficacité sur ces tirs difficiles et non rentables augmente par rapport à l’an passé (jusqu’à un niveau d’élite même). Brogdon prend bien plus souvent des tirs en pull-up, en sortie de dribble, mais son efficacité sur ces tirs augmente. Brogdon se retrouve bien plus souvent à devoir garder le ballon longtemps et/ou dribbler un nombre de fois important (donc travailler dur pour se créer son tir), mais son efficacité dans ces situations augmente.

Ce phénomène semble totalement contre-intuitif : généralement, en augmentant le nombre de tirs et de situations difficiles, une baisse d’efficacité est quasi automatique. Et pourtant, c’est tout l’inverse pour Malcolm Brogdon. Sa dégringolade d’efficacité générale est à chercher ailleurs : sur les tirs faciles.

Brogdon joue moins souvent sur spot-up, à attaquer dès la réception du ballon, et dans ces situations son efficacité baisse. Brogdon joue moins souvent en transition, et son efficacité baisse. Brogdon obtient bien moins souvent des tirs en Catch & Shoot, et sur ces tirs-là son efficacité baisse. Brogdon obtient bien moins de tirs qualifiés de grands ouverts, et sur ces tirs son efficacité baisse. Brogdon joue moins souvent dans des situations où il peut rapidement tirer sans avoir besoin de trop travailler pour ça, et dans ces situations-là son efficacité baisse.

Toutes les situations sur lesquelles Brogdon faisait son beurre et sa réputation de finisseur d’élite sont désormais les aspects du jeu sur lesquels il a le plus de mal.

Les raisons peuvent être diverses et variées. Dans certains cas, c’est le différentiel de spacing entre Milwaukee et Indiana qui peut jouer. Dans d’autres, la différence de qualité des coéquipiers et l’attention que leur portent les défenses. Dans d’autres cas encore, il se peut que ce soit le simple hasard. Un manque de chance, de réussite pure sur un exercice (le jump-shot) où le facteur aléatoire demeure capital. Sur les Catch & Shoot, par exemple, l’échantillon ne représente au total que 61 tentatives de tirs au total, sur toute la saison. Autrement dit, un échantillon très réduit et donc fortement sensible à de grandes variances purement hasardeuses.

Il est également possible que ce soit son rôle énergivore qui impacte de manière indirecte sa réussite dans ces situations. Que la fatigue accumulée en amont, à remonter la balle voire même à devoir jouer un premier P&R, lui fasse perdre en automatisme du geste et en lucidité au moment de tenter un simple catch & shoot.

Autre aspect évoqué plus tôt qui pourrait expliquer la chute d’efficacité aux Points par Tirs Tentés de Brogdon : un profil de tirs bien moins rentable. Même s’il convertit ses tirs à mi-distance avec une grande efficacité, ceux-ci ne peuvent pas tirer vers le haut les Pts/Tirs Tentés à la même hauteur que ses déficiences sur les tirs au cercle et à trois-points les font descendre.

 

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PARTIE 5 : Contexte

 

À la suite de ce constat, plusieurs grandes interrogations se posent.

D’abord, pourquoi Indiana a-t-il fait jouer Malcolm Brogdon de la sorte ? Pourquoi l’avoir placé dans un rôle à ce point diamétralement opposé à celui qu’il pouvait avoir à Milwaukee ? Toute la valeur de Brogdon au sortie de sa saison 2018-19 est d’être un joueur de complément parfait, un role player de luxe, joueur sans compromis et finisseur d’élite. Les Pacers ont même payé très cher pour avoir ce joueur là, quelques 20 millions de dollars par an afin de s’assurer de pouvoir compter dans leur rang ce Brogdon-là.

L’explication factuelle et sportive de ce nouveau rôle est assez simple : par nécessité. À l’aube de la saison 2019-20, Nate McMillan ne pouvait compter sur aucun des porteurs de balle principaux de la saison 2018-19. Outre la blessure de Victor Oladipo les Pacers ont aussi subi la retraite surprise et anticipée de Darren Collison durant l’été. En somme, les deux arrières titulaires et joueurs les plus omniprésents dans l’organisation du jeu ne pouvaient tenir leur rôle cette année. À ces deux noms-là on peut même rajouter celui de Bojan Bogdanovic, partit pour Utah, Tyreke Evans (28% d’Usage l’an passé !) suspendu par la ligue, et même Corey Joseph, le meneur back-up désormais aux Kings. La totalité du noyau dur de porteur de balle, les cinq joueurs capables de remonter la gonfle et créer en sortie de dribble étaient désormais absents.

Le recrutement de TJ McConnell, véritable général de terrain et excellent meneur (gestion du jeu + création) a fait du bien, tout comme celui de TJ Warren sur l’aile, lui aussi appelé à jouer fréquemment avec la gonfle dans les mains. Mais de facto, Brogdon a dû prendre des responsabilités qu’il n’avait pas l’habitude d’avoir aux Bucks par pure et simple nécessité.

L’explication plus stratégique des Pacers pourrait être celle-ci : Indiana savait parfaitement ce qu’ils faisaient en catapultant Brogdon dans ce rôle-là de créateur omniprésent. Par extension, l’autre question que l’on peut se poser est la suivante : Indiana a-t-il réellement payé 20 millions de dollars annuels pour le joueur qu’était Malcolm Brogdon, ou pour le joueur qu’ils pensaient faire devenir ?

Dans le premier cas, payer très cher un joueur de complément pour ensuite l’utiliser de manière totalement contraire et ainsi perdre une partie de sa valeur (l’efficacité) a très peu de sens. De la même manière que se payer une carte graphique dernier cri pour faire du traitement de texte aurait du sens. Non seulement Indiana perd financièrement à surpayer un role player comme un créateur de haut calibre, mais perd également de l’argent si le joueur ne peut pas non plus remplir sa fonction de base, être efficace.

En revanche dans le second cas la manœuvre se tient un peu plus. Il n’est pas à exclure que les Pacers aient offert tout cet argent en sachant, ou en espérant pouvoir faire de Malcolm Brogdon plus qu’un simple role player de la finition. C’est un sacré pari, mais s’il s’avère gagnant la situation devient tout de suite plus cohérente et rentable : avoir Malcolm Brogdon, créateur de jeu de bonne facture, payé comme tel.

Une possibilité d’explication d’autant plus plausible précisément du fait du contexte de cette saison 2019-20. Et si Indiana tentait en fait de passer Malcolm Brogdon au révélateur sans vraiment se soucier des résultats collectifs ?

En réalité les Pacers ne s’en fichent pas totalement des résultats collectifs, évidemment. Indiana reste d’ailleurs compétitif et en position pour les play-offs. Mais il est possible que sur cette saison, au-delà même de la nécessité de mettre la gonfle dans les mains de quelqu’un, ait été perçue par la franchise comme un splendide champ d’étude sur leur nouvelle recrue. Ce procédé n’est d’ailleurs pas si rare que cela. C’est même une manière de faire assez courante, particulièrement chez les équipes en reconstructions, qui n’hésitent pas à bombarder de jeunes joueurs dans des rôle à grandes responsabilités pour voir ce qui peut bien en ressortir. Donner pas mal de ballons à des joueurs dont on est pas forcément sûr qu’ils peuvent l’assumer afin de se rendre compte s’il y a quelque chose d’intéressant sur lequel construire ou pas du tout. C’est par exemple ce qu’avait fait Orlando avec son « tanking sournois » en donnant un maximum de ballons à Victor Oladipo, rookie, drafté pour ses qualités de joueur sans ballon.

Devoir assumer autant de grosses responsabilités est un révélateur produisant des résultats assez rapidement.

L’absence de Victor Oladipo cette saison et l’incertitude autour de la date de retour ou de l’état de forme que ce dernier pourra avoir à son retour produisit ainsi des conditions idéales pour tester Brogdon. Sans Oladipo, sa star, Indiana pouvait de toute façon écarter la possibilité d’être au paroxysme de leur niveau de jeu et de réaliser des exploits en playoffs Aussi, utiliser cette saison comme une opportunité de tester la capacité de création de Brogdon permet de ressortir de cette année de toute façon minée sportivement pas l’absence de sa star avec de précieuses informations sur son coéquipier.

Il semble par ailleurs évident que le plan des Pacers n’est pas, à terme, de continuer à utiliser Malcolm Brogdon de la sorte. Ce qui va plutôt dans le sens de cette théorie d’une année laboratoire le concernant.

À terme, la stratégie du Front Office est à n’en pas douter d’utiliser Brogdon de manière bien plus équilibrée. Dans un rôle bâtard à mi-chemin entre le joueur de Milwaukee qui regardait jouer Giannis, Middleton et Bledsoe et la version d’Indiana qui devait faire les courses, préparer le repas, dresser la table et s’occuper de la vaisselle après coup. Le but de ce recrutement n’était ni d’avoir un Brogdon role player comme au moment de sa Free Agency, ni un joueur complètement opposé à ce qu’il était lorsqu’il est entré sur le marché des agents libres non plus. L’opération est sans doute dès la saison prochaine de conserver Brogdon en créateur pour son équipe, mais dans des proportions bien moindres, tout en lui permettant également d’évoluer sans ballon, en finisseur profitant des coups d’éclat de Victor Oladipo pour se trouver des tirs faciles.

En retrouvant un rôle global bien moins énergivore et plus d’occasions de scorer facilement, la production et rentabilité du Malcolm Brogdon scoreur pourrait être très différente. Ce serait très improbable de le revoir flirter avec les 1.23 Point par Tirs Tentés comme à Milwaukee comme de le voir stagner à 1.08 Pts/Tirs Tentés comme cette année à Indiana si son rôle évolue en effet. Le plus probable pour la campagne 2020-21, et ce que les Pacers peuvent sans doute espérer s’ils arrivent à mieux équilibrer son utilisation comme décrite, est de le voir flotter entre les 1.15 et 1.18 Pts/Tirs Tentés.

L’autre grande question que l’on peut se poser, suite à ce constat statistique établi sur la saison 2019-20 est la suivante : que valait réellement Malcolm Brogdon dans ce rôle ?

Nous nous sommes attelés jusqu’ici à déterminer que son rôle avait incroyablement changé, mais à présent, comment évaluer Brogdon dans ce nouveau rôle ? Quelles conclusions peut tirer Indiana de cette année laboratoire et du grand révélateur ?

En premier lieu, il semble légitime de reprendre les conclusions que nous avons pu établir en début d’article à propos de son scoring. Si la chute d’efficacité semble on ne peut plus conséquente (de 1.23 Pts/Tirs, 97e percentile à 1.08 Pts/Tirs, 54e percentile), elle demeure toutefois à fortement relativiser du fait de son changement de rôle. Perdre autant de réussite en restant dans le même registre et en prenant les mêmes tirs aurait été inquiétant, mais comme nous l’avons prouvé, ce n’est pas le cas.

En tant que porteur de balle et créateur conséquent, cette marque de 1.08 Pts/Tirs semble bien moins mauvaise. Même si pas vraiment bonne non plus. La réussite moyenne pour n’importe quel joueur n’est évidemment pas la même sur un tir créé par lui-même que sur un tir ouvert, facile, créé pour lui. Par conséquent la réussite moyenne d’un joueur se créant autant de tirs est donc forcément plus basse qu’un celle attendue pour un joueur qui se contente de finir les actions sans les créer. De par la nature même des tirs qu’il était amené à prendre, son efficacité ne pouvait se maintenir à des hauteurs semblables. Tout en sachant par ailleurs que sa réussite sur ses tirs et situations difficiles se trouve plutôt vers le haut du panier ou dans la première moitié que vers le bas.

Sur les joueurs avec un volume d’utilisation conséquent (25% ou plus d’Usage), Brogdon se classe seulement 42e sur 45 joueurs qualifiés au niveau de l’efficacité aux Pts/Tirs Tentés. Mais la raison réelle de ce positionnement s’avère contre-intuitive : Brogdon a bien performé sur les situations de création balle en main, et aurait pu se trouver bien plus haut dans ce classement sur s’il avait rentré plus fréquemment ses catch & shoot faciles. S’il fallait résumer très grossièrement.

Au demeurant, il faut rester conscient néanmoins que sa capacité à scorer balle en main conserve un plafond plus ou moins bas. En somme, il ne faut pas s’attendre à terme, à force de répétition et de potentiel progrès, à le voir scorer à la manière des James Harden ou Damian Lillard (1.25 Pts/Tirs, 2e et 3e de NBA, malgré des profils de tirs très compliqués pour les deux). Son adresse pure sur jump-shot est bonne, mais pas d’élite. De même son toucher de balle autour du panier est bon, là non plus sans être d’un acabit très supérieur. Sa mécanique de tir est un tantinet plus lente et moins fluide que certains scoreurs d’élite capables de brusquement et immédiatement s’élever pour le jump-shot. Son profil physico-athlétique est lui aussi plutôt limité : avec sa taille et son envergure de bras correctes mais pas extraordinaires, il ne peut pas relâcher son jump-shot à volonté par-dessus n’importe qui et/ou peut être très gêné un bon défenseur. Pareillement, autour du cercle il ne peut par conséquent pas se créer de bons lay-ups dans le trafic (malgré des défenseurs autour) : il n’a pas les bras ni la taille pour tenir le ballon hors de portée des défenseurs et/ou relâcher le ballon à hauteur du cercle plutôt qu’en dessous.

Malcolm Brogdon a des limites dans le scoring. Un plafond de verre pas si élevé que ça. Le propos n’est donc pas de dire que son efficacité aux Pts/Tirs pourrait redécoller et qu’il pourrait se développer petit à petit en un scoreur d’élite. Simplement, qu’il ne faut pas juger trop sévèrement sa baisse d’efficacité entre Indiana et Milwaukee puisque dans la création balle en main, Brogdon s’en est plutôt pas mal tiré. Ni élite ni mauvais, une assez bonne valeur sûre.

Avant de clore le sujet du scoring, attardons-nous un rapide instant sur sa capacité à provoquer des fautes.

Cette caractéristique de pouvoir attirer les fautes et se rendre sur la ligne des lancers francs est un excellent indicateur du scoring d’un joueur : tous les scoreurs d’élite partagent cette même qualité. Là où ce critère est d’autant plus intéressant, réside dans le fait qu’il dépend assez peu du volume d’utilisation pour se montrer pertinent : les Giannis, Harden, Butler, Lillard et bien d’autres démontraient déjà cette capacité à provoquer les fautes même en étant très jeune et avec très peu de responsabilités.

Pour Brogdon, on ne peut remarquer sensiblement aucun changement entre son année à Milwaukee et celle à Indiana. Entre un rôle de finisseur et un de créateur balle en main. Et c’est problématique : en tant que porteur de balle, Brogdon a pourtant eu bien plus d’opportunités de jouer avec les défenseurs, de se montrer proactif pour provoquer des erreurs défensives et se rendre sur la ligne des lancers francs.

Son SFLD% (Shooting Foul Percentage, nombre de fois où il subit une faute sur une tentative de tir) reste assez bas, seulement dans le 41e percentile. Le FFLD% (Floor Fouled percentage, nombre de fautes subies en dehors de tirs tentés) remonte lui jusqu’à un 87e percentile, mais il faut bien se rendre compte de quelle réalité exprime cette statistique : un très haut FFLD% est très souvent synonyme d’un joueur qui porte souvent la balle, mais pas du tout de sa capacité à se rendre sur la ligne des lancers francs. Son FFLD% remonte d’ailleurs à des hauteurs qu’il a connu en tant que rookie…l’année avant l’arrivée de Bledsoe et sous le régime de Jason Kidd qui le faisait plus régulièrement jouer balle en main.

Du côté des fautes provoquées, donc, les chiffres semblent enfoncer le clou : difficile d’imaginer Brogdon devenir un scoreur d’élite au vu de sa dynamique de progression et de son passif.

En second lieu, dans notre tentative d’évaluer Brogdon dans ce nouveau rôle, il est un aspect que nos recherches statistiques scoring-oriented nous ont pour l’instant complètement échappé : la valeur de son passing.

 

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PARTIE 6 : Passing

 

Comme évoqué un peu plus tôt, avec ses nouvelles responsabilités et les situations bien différentes dans lesquelles il est positionné, Brogdon semble avoir évolué un peu dans sa mentalité. Plus créateur, dans le sens placé dans des actions de type création balle en main, donc plus créateur, dans le sens dévoué à créer y compris pour autrui.

Les statistiques très basiques semblent en effet indiquer cette tendance.

Sur le AST%, nombre de paniers marqués par son équipe assistés par Brogdon, il bondit depuis le 24e percentile jusqu’au 97e percentile. Tous postes confondus Brogdon est même 8e de NBA (juste derrière son coéquipier TJ McConnell) avec ce massif 35% AST%. En filtrant par rapport à l’utilisation, il est carrément 6e sur les joueurs avec un volume de jeu très conséquent.

Sur le AST/Usg, ratio entre son AST% et son Usage%, Brogdon s’élève également vers des hauteurs vertigineuses : 86%tile après seulement le 19%tile l’année d’avant. Tous postes confondus et en filtrant pour ne retenir que les gros volumes, Brogdon est même 2e de toute la ligue avec un ratio de 1.20, seulement derrière LeBron James (1.32) et devant des Nikola Jokic, Luka Doncic et tous les autres.

Ces statistiques ont pour vertu de donner une assez bonne idée de l’emprise de Brogdon sur le jeu des Pacers, mais ne doivent pas être surinterprétées ou prises pour ce qu’elles ne sont pas. Le gros défaut du AST% est sa nature même : il est bien trop proportionnel à l’Usage d’un joueur. Plus un joueur à un gros Usage, moins ses coéquipiers ont la balle et donc plus une assist, lorsqu’elle survient, a de chance d’être de lui. Des joueurs à gros Usage et pas forcément élite dans le passing ont régulièrement des scores extrêmement élevés au AST% de par leur monopole du jeu.

Ne prenons pas cette statistique pour autre chose que ce qu’elle est, et continuons donc de creuser pour tenter de trouver des données plus pertinentes.

Sur un temps de jeu quasi identique Brogdon poste des chiffres bien plus orientés distribution à Indiana qu’à Milwaukee. Il n’est pas seulement devenu le porteur de balle principal de l’équipe, mais également son créateur premier.

Sa production au niveau de l’Assist Ratio, nombre de passes décisives distribuées pour 100 possessions disputées, bondit depuis un bon 18.5 à un excellent 29.0 ast/100 poss. Le 21e meilleur total de NBA contre le 120e meilleur à peine l’année précédente. Plus encore, si on se limite aux joueurs avec un volume d’utilisation et un temps de jeu conséquent (pour filtrer les meneur back-up pass-first et l’évaluer par rapport aux autres gros créateurs) Brogdon se classe même 11e de toute la NBA.

Pour vous aider à contextualiser et véritablement se rendre compte de ce que représente le score de Malcolm Brogdon au niveau de l’Assist Ratio : son 29.0 se trouve pris en sandwich entre les 28.8 de Chris Paul et les 29.1 de LeBron James. Deux passeurs d’élite dont on ne finit plus de louer les prouesses dans la distribution du jeu en grande quantité.

Son emprise sur le jeu détaillé plus tôt (temps de possession avec la balle dans les mains, nombre de fois où il touche le ballon, etc) semble ne pas être vaine. Il se traduit même par une hausse de production conséquente dans la création du jeu pour autrui.

Notez d’ailleurs la différence entre le AST% et le AST Ratio : le premier est le pourcentage de paniers assistés par Brogdon quand il est sur le terrain, alors que le second est le nombre d’assisté pour 100 possessions où le joueur est utilisé. Ainsi, la première statistique du AST% est fortement influencée voire déréglée par un fort Usage (le problème que nous voulions éviter) alors que la seconde statistique du AST Ratio ne prend en compte que les possessions où Brogdon est utilisé directement dans l’action. Elle décrit donc plus fidèlement ses performances, a priori.

Un autre souci non négligeable se dresse sur notre route d’évaluation de sa création. Le problème de ne comptabiliser que les passes décisives est évident : seules les situations de jeu où le coéquipier rentre le tir sont répertoriées. Mais pas les fois où, même si le tir ne rentre pas, Brogdon était tout de même parvenu à créer du jeu et de bonnes opportunités pour ses partenaires.

Entrent alors en scène les Potential Assist, ou passe décisives potentielles, regroupant tous les tirs consécutifs à une passe de Brogdon que le tir soit converti ou non ensuite.

Sur ce critère-là, le fossé entre la version Bucks et celle des Pacers se creuse encore plus. Alors que sur le nombre de passes décisives par 100 possessions le ratio entre Milwaukee et Indiana n’était que de 1.2 (ou +60%), ici le ratio est carrément de 2 (+100%). Brogdon double carrément son total de potentielles assisté par match de 6.2 à 12.7 : le 16e meilleur total de NBA, contre le 78e l’année passée.

Au niveau des Assisted Points Created (nombre de points créés par ses assists) le total de Brogdon est également multiplié par deux pour atteindre 17.8 (15e meilleur de NBA). Plus intéressant encore, le Assists Adjusted, statistique qui a bon gout de prendre en compte le nombre total d’assisté, mais aussi les lancers francs consécutifs à passe de Brogdon (si le joueur reçoit une offrande de Brogdon, mais subit une faute pendant le tir) ainsi que les secondary assist (la passe juste avant une passe décisive). Sur ce critère-là Malcolm Brogdon est carrément 10e de NBA avec 8.8 « passes décisives ajustées » par match.

La question qu’il faut se poser à présent au vu de cette production massive est la suivante : comment Malcolm Brogdon arrive-t-il autant à délivrer des passes décisives et à créer du jeu pour autrui ?

Son changement de rôle a largement été décrit jusqu’ici. Mais l’évolution de Brogdon va même au-delà d’avoir été simplement plus responsabilisé et d’avoir hérité de plus d’occasions balle en main. En réalité, l’ancien arrière des Bucks s’est carrément réincarné en le meneur de jeu titulaire des Pacers.

Un an après avoir passé une écrasante majorité de ses minutes sur le poste 2 à Milwaukee (84%), Brogdon n’y était que de manière épisodique à Indiana : à peine 34% du temps. Une fois sur trois. Son nouveau poste chez les Pacers : celui du meneur de jeu attitré (66% de ses minutes en tant que Point Guard).

Ce n’est pas seulement son rôle qui a changé, c’est carrément son poste sur le terrain.

Brogdon n’est pas juste devenu un extérieur que l’on fait jouer plus régulièrement balle en main, comme on peut en voir souvent en NBA : Jimmy Butler, CJ McCollum, Paul George, Bradley Beal, Donovan Mitchell, DeMar DeRozan, ou Dwyane Wade en son temps, et bien d’autres. Brogdon s’est carrément vu confier les rênes de l’équipe, les clé du camion. Autrement dit : toute la gestion du jeu dont un arrière ou ailier simplement créateur/playmaker n’a pas à se préoccuper de par la présence d’un vrai meneur de métier à côté pour faire tourner la boutique.

Brogdon, lui, n’a pas eu ce privilège : il a été poussé dans l’arène avec toutes ces responsabilités-là à endosser. La gestion du jeu regroupe par exemple le fait de remonter la balle sur chaque possession (donc savoir parfois résister à la pression de défenseurs agressifs), appeler et mettre en place les systèmes, communiquer, voir même orienter ses coéquipiers, gérer le tempo du match, savoir quand accélérer et quand ralentir, savoir quand ignorer le play-call quand une opportunité différente se présente, veiller à faire tourner la balle pour satisfaire tout le monde, et même appeler certains système dans cette optique-là, savoir alimenter le joueur au poste bas sur des « Post-entry pass » (bien plus difficiles que ça ne peut paraître), rester vigilant et toujours proche du ballon pour le reprendre si une action échoue, et bien d’autres subtilités du jeu qu’un simple playmaker n’a pas à gérer.

De ce point de vue là, la métamorphose de Malcolm Brogdon est d’autant plus impressionnante. D’arrière sans ballon, très peu créateur et très peu responsabilisé dans l’attaque des Bucks en le meneur titulaire des Pacers qui doit gérer le jeu et créer pour autrui est une évolution loin d’être évidente. Même pour quelqu’un comme Brogdon qui avait démontré quelques signes encourageants en NCAA et en début de carrière NBA, et dont l’intelligence de jeu était grandement louée. Savoir le faire occasionnellement à Milwaukee, ou le faire à l’université est une chose. Être bombardé meneur de jeu à plein temps d’une franchise NBA compétitive en est une autre.

La conséquence sur ce qui nous intéresse, le passing, est donc non négligeable : en tant que meneur de jeu ses chiffres de passes décisives sont quelque peu sublimés par le fait qu’il soit le passeur attitré de l’équipe. Celui qui tient la balle dès le début de la possession et a donc forcément plus d’opportunités, parfois assez simples et sans avoir besoin de créer énormément, de réaliser des passes qui résultent sur des tirs.

Un aspect d’autant plus important au sein de l’attaque des Pacers : Indiana est une équipe dont l’identité offensive tourne beaucoup autour de jeu en sortie d’écran et de jeu au poste, notamment. Des situations où le simple fait de remonter la balle permet à Brogdon d’être, sans rien faire, en position de passer. Des situations où c’est son coéquipier qui doit travailler pour créer l’opportunité de tir, que ce soit TJ Warren, Jeremy Lamb, Justin Holiday ou Doug McDermott en sortie d’écran ou Domantas Sabonis, Myles Turner et Goga Bitadze pour se démarquer sous le cercle. À l’inverse, ça ne veut pas dire non plus qu’il faut retirer tout crédit à Brogdon sur ce genre de passes : savoir réaliser la bonne passe précise dans le bon timing est capital dans ces situations. Il faut simplement faire attention à ce pas assimiler toutes ses passes décisives à de la création pure et penser qu’à la seule force de son dribble Brogdon a créé par lui-même près de 29 assisté par 100 possessions.

Au contraire, sa haute production de passes décisives est une belle illustration de son profil équilibré entre création pure (sur P&R et pénétration) et distribution plus maîtrisée. Autrement dit, le profil de passeur voulu pour un vrai meneur de jeu. Certains pur playmaker sont à l’inverse peu performant pour jouer au passeur de fond, laisser une action se développer et trouver le shooteur en sortie d’écran, bien alimenter le poste bas, savoir quand s’effacer et quand reprendre la gonfle, et ainsi de suite.

Brogdon nage peut être selon certains critères statistiques au voisinage de LeBron James, Luka Doncic ou Chris Paul, mais il est impératif de ne pas faire de raccourci d’interprétation et confondre la réalité globale de son cas et celle très partielle exprimée par ces statistiques précises.

En l’occurrence, l’inévitable tâche qui découle de l’énumération toutes ses statistiques flatteuses est de nuancer la part de création pure de son répertoire, non proportionnelle aux chiffres. L’analyse vidéo des match et son scouting report sont en effet bien moins élogieux que certains chiffres bruts relevés ici.

Ce n’est pas que Brogdon soit un mauvais créateur en sortie de dribble, bien au contraire. C’est simplement qu’il n’est pas excellent, et qu’il est même assez loin de l’élite NBA malgré sa production chiffrée.

Son éventail de passes et la diversité de ballons différents qu’il peut délivrer demeure assez basiques comparé aux tout meilleurs de NBA. Brogdon est quelque peu limité par ses mensurations physiques, et son manque de taille + envergure de bras pour passer par-dessus les défenseurs à volonté. Il peut le faire, mais seulement si l’adversaire décide de ne pas le presser fort ni de le faire défendre par un ailier aux énormes mensurations capables de le gêner. Et certainement, il ne peut pas passer par-dessus toute une défense pour aller trouver un joueur ouvert à l’autre bout du terrain. Là où les passeurs d’élite peuvent passer dans tous les angles possibles et imaginables du fait de leurs mensurations physiques, Brogdon reste limité sur cet aspect-là. Son toucher de balle au moment de réaliser des passes, et même plus généralement sa créativité pure sont également bonnes, mais pas excellentes (notamment sur Pick & Roll).

Par ailleurs, Brogdon n’a pas non plus le cerveau d’un grand maître échiquier tel les meilleurs passeurs de NBA. C’est un joueur intelligent, plus que la moyenne même, capable de lire le jeu, de prendre de bonnes décisions et de cibler certains match-ups. Mais sur tout ce qui est manipulation balle en main et approche ultra cérébrale du jeu qui lui permettrait d’anticiper et d’avoir toujours un coup d’avance à la manière de LeBron, Doncic ou Chris Paul, Brogdon est un peu en dessous. Pas mauvais, loin de là, mais pas élite.

Il n’a pas l’anticipation d’élite couplée à une imprévisibilité déroutante et un decision making à la fois toujours juste et très rapide. Parmi ses meilleurs atouts pour créer le décalage et donc du jeu pour autrui, on retrouve son explosivité horizontale et son impact en pénétration, bien complété par une excellente lucidité. Même en fin de drive, Brogdon est souvent sous contrôle et se montre capable de réaliser la passe qui s’impose dès qu’il perçoit l’ouverture. Mais il n’est pas de l’acabit des passeurs qui anticipent les mouvements de la défense et la punit avant même qu’elle n’ait pu comprendre qu’elle est en train de se faire avoir.

Reste un dernier aspect à aborder en relation avec son passing et son nouveau rôle : les pertes de balle.

En reprenant le tableau initial, on peut se rendre compte d’une prouesse très loin d’être négligeable : être resté un joueur propre tout en assumant bien plus de responsabilités.

Alors même que son Usage considérablement augmenté (de 20 à presque 30% d’utilisation) son TOV% est, lui, presque inchangé : de 10.3% à 11.7%, soit du 76e percentile au 60e percentile. L’augmentation de ses turnovers n’est clairement pas proportionnelle à celle de son utilisation, et c’est assez rare. Empiriquement, un joueur devant gérer plus de possessions est quasi toujours amené à avoir plus de déchets dans son jeu de la même manière qu’en prenant bien plus de tirs il lui serait difficile de conserver une très bonne efficacité générale.

Pourtant, ce n’est pas le cas de Malcolm Brogdon.

Malgré une hausse conséquente de son utilisation et de son temps passé la gonfle entre les mains, la proportion de Brogdon à perdre des ballons est restée stable malgré tout. Qui plus est sur un palier très bas et donc on ne peut plus précieux. Perdre 11% de ballons en tant que role player est intéressant, mais perdre 11% de ballon en tant que plaque tournante de l’équipe l’est évidemment bien plus : avoir beaucoup de ballons qui transite par un joueur très propre permet de limiter les déchets de l’équipe d’un point de vue collectif.

Essayons de contextualiser ce TOV% encore plus. Par rapport à son poste Brogdon n’est que dans le 60e percentile avec son 11.7% (seulement mieux que 60% des joueurs à son poste). Assez peu impressionnant de prime abord. Mais si on prend en compte tous les joueurs NBA, tous postes confondus, et qu’on filtre à présent par rapport à l’utilisation, Malcolm Brogdon est carrément le 7e joueur le plus propre de toute la ligue parmi les joueurs à très gros Usage, seulement devancé par Dinwiddie, Beal, Mitchell, Kawhi, Lillard et en tête du classement, Kyrie Irving. Parmi ceux-là, seul Lillard passe plus de temps par match avec la gonfle entre les mains.

Plutôt très impressionnant. Continuons de creuser.

Les statistiques que l’on peut déterrer ici continuent d’enfoncer le clou.

Au niveau du TOV Ratio (nombre de turnovers par 100 possessions) Brogdon garde des performances assez stables là aussi (de 8.2 à 9.7).

En comparaison, le rapport entre son nouveau chiffre de Potentiel Assist (12.7/m) et son ancien (6.2/m) est de 2.04 alors celui entre l’ancien et le nouveau TOV Ratio est de 1.18 seulement. Brogdon a réussi à augmenter considérablement sa production de bonnes passes sans faire exploser ses pertes de balle proportionnellement.

Un fait qui semble d’ailleurs aller dans le sens de la nuance présentée plus tôt : le total de passes décisives supplémentaires que Brogdon a créé à Indiana n’est pas exclusivement composé de passe totalement « créée » par lui-même à la force de son dribble. Des passes difficiles et à fort potentiel de se transformer en tov. Sur les nombreuses passes où Brogdon devait simplement trouver le décalage plutôt que le créer, le risque intrinsèque de perdre le ballon est évidemment plus faible, expliquant ainsi en partie cette différence entre le bond de ses passes décisives et la hausse presque négligeable de ses pertes de balle. Pour autant, n’allons pas jusqu’à dire que trouver un shooteur en sortie d’écran ou donner la balle à un joueur au poste est totalement sans risque : Brogdon l’a fait très proprement et mérite amplement d’être accrédité pour cela.

Plus encore que le TOV Ratio (sensiblement identique au TOV% vu juste au-dessus, à quelques détails de calcul près), c’est surtout le Ratio Assist/TOV qui nous intéresse dans ce tableau.

Et ce critère confirme également la tendance : malgré plus de responsabilités et en devant créer plus de jeu pour autrui cette année à Indiana, Brogdon a réussi à devenir malgré tout un joueur plus propre ce faisant. D’habitude, c’est tout l’inverse. Dans cette thématique d’ailleurs, un autre statistique assez intéressante vu un peu plus tôt mérite d’être évoquée : à la fois sur ISO et sur P&R Brogdon a diminué sa fréquence de pertes de balle malgré une bien plus grosse utilisation dans les deux domaines (de 13.2% à 9.7% sur ISO, de 14% à 12% sur P&R). Même dans les situations les plus difficiles de manière bien plus fréquente, Brogdon est parvenu à limiter et même diminuer son déchet sur ces types d’actions.

Pour essayer de situer un peu mieux sa performance générale cette saison, notez qu’avec un ratio de 2.98 (nombre d’Assist divisé par nombre de TOV) Brogdon signe tout simplement la 3e meilleure marque de toute la NBA parmi les joueurs à gros volume d’utilisation balle en main. Devant lui ? Ricky Rubio et Chris Paul. Et c’est tout. En termes de propreté par rapport à un certain niveau de distribution, Malcolm Brogdon se situe au niveau de deux des tout meilleurs meneurs passeurs de ces vingt années. Après avoir été 112e de NBA l’année passée.

Impressionnant.

D’autant plus que, faut-il seulement le rappeler, Malcolm Brogdon n’avait jamais vraiment joué meneur de jeu par le passé jusqu’ici (NCAA ou NBA) et encore moins sur un tel volume et de telles responsabilités.

La question que l’on pourrait se poser, vis-à-vis de ces pertes de balles est la suivante : de quelles natures sont-elles ? Jetons un coup d’œil à ces quelques éléments de réponse.

Dans ce tableau sont répertoriés et classés tous les turnovers de Malcolm Brogdon en deux catégories : les pertes de balles et les ballons perdus (sur dribble ou sur faute offensive par exemple). Évidemment, la catégorie qui nous intéresse le plus ici sous le prisme de l’évaluation de son passing est celle des mauvaises passes. Plus précisément, dans quelles proportions les pertes de balles de Brogdon sont elles dues à des tentatives de passes échouées comparées aux autres types de turnovers à priori moins liés à la distribution du jeu.

Néanmoins ces totaux bruts ne semblent pas si parlants que ça, d’autant plus étant donné le différentiel de matchs disputés entre la saison 2018-19 et 2019-20. Ramenons-les à une moyenne par match.

Brogdon effectuait 0.78 mauvaise passe par match et perdait par ailleurs 0.34 ballon par rencontre à Milwaukee. À Indiana en revanche, Brogdon effectuait 1.3 mauvaise passe par match et perdait 0.71 ballon par ailleurs. Là encore, ces chiffres sont assez peu parlants, intuitifs ou même pertinents étant donné la différence de rôle : il semble logique qu’un joueur passant plus de temps avec la balle entre les mains et devant faire bien plus de passes ait un plus gros déchet.

Si on fait à présent le ratio entre le nombre de passes décisives potentielles et le nombre de mauvaises passes effectuées, Brogdon affiche un rapport de 6.2/0.78 = 8.7 à Milwaukee, contre seulement 9.8 à Indiana. En le formulant autrement : Brogdon distribuait 8.7 assisté potentielles pour une mauvaise passe sous la tunique des Bucks, mais 9.8 potentielles offrandes pour une mauvaise passe en tant que joueur des Pacers.

Plus propre sur une plus grosse utilisation.

D’ailleurs, si on calcule le taux d’augmentation des deux catégories entre Milwaukee et Indiana, ses pertes de balle « autres » augmentent de 108% alors que ses mauvaises passes n’augmentent elles que de 66% malgré bien plus de passes, notamment risquées, à devoir effectuer.

 

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BILAN

 

Au final, quel bilan tirer de cette saison de Malcolm Brogdon ?

L’analyse détaillée de son jeu permet de pouvoir affirmer que le constat initial est sans doute trop sévère, si ce n’est même injuste envers Brogdon : bien que conséquente, sa chute d’efficacité générale n’est qu’une partie tronquée de l’image complète que représente la saison de Brogdon et son niveau de performance sous sa nouvelle tunique bleu et jaune.

Toute la difficulté d’évaluer Brogdon dans son nouvel environnement provient de deux aspects primordiaux : la différence de niveau et de contexte d’équipe entre Milwaukee et Indiana, mais aussi et surtout la différence de rôle. Non seulement l’arrière n’a plus le luxe d’évoluer aux côtés d’excellents joueurs et dans un système bâti pour l’optimisation offensive, mais en plus on ne lui demande pas de faire les mêmes choses une fois sur le terrain. Se contenter d’établir un comparatif chiffré avant/après perd alors tout son sens si on ne prend pas le temps de regarder ses nouvelles statistiques par le prisme de son rôle nouveau.

Malcolm Brogdon a entamé une véritable métamorphose en à peine un an. De joueur de complément idoine aux côtés de créateurs balle en main, il est lui-même devenu porteur de balle dominant chargé de créer quantitativement pour lui-même et pour autrui. Or il ne viendrait pas à l’idée de comparer les performances et statistiques de Seth Curry et Luka Doncic au pied de la lettre ni celles de Patrick Beverley et Chris Paul ou bien de Nikola Jokic et Rudy Gobert. Ca ne nous viendrait pas forcément à l’idée de réaliser de comparaisons statistiques strictes tant leur role respectif empêche de mettre sur le même plan leur performance. Pour Brogdon, la difficulté est de réaliser que même si c’est le même joueur, ce n’est pas le même joueur, justement.

S’il fallait résumer les quelques conclusions de l’analyse de sa saison, voici la manière la plus concise de le formuler.

Malcolm Brogdon a démontré être un bon créateur offensif, bien meilleur qu’on aurait pu le penser sur certains critères en particulier même, mais qui conserve un plafond et des limites plus ou moins hauts qui devrait l’empêcher d’atteindre un niveau d’élite dans ce registre-là. Vous auriez tort de dire que Brogdon n’est pas une bonne première option d’équipe, mais vous seriez également dans le faux en affirmant qu’il va s’améliorer et peut devenir la tête d’affiche d’une franchise qui joue le titre.

À la fois pour le scoring ou pour la distribution du jeu, Brogdon n’a pas des qualités basket d’un niveau d’élite (toucher de balle, créativité, shot-making, dribble et technique) pour rattraper des mensurations physiques bonnes, mais pas splendide. Ou bien : Brogdon n’a pas la chance d’avoir une taille et des bras d’extra-terrestre pour compenser des qualités basket bonnes, mais pas élite. Prenez-le dans le sens qui vous sied le plus. Au demeurant le fait que Brogdon ne puisse probablement jamais éclore en un joueur du top 10 ou 15 NBA ne l’empêche pas d’avoir une très belle valeur. Même en tant que porteur de balle et créateur. L’imaginer en deuxième ou troisième option et meneur/porteur de balle principal d’une équipe qui jouerait le titre est loin d’être impensable.

La question centrale à présent est la suivante : quid de son utilisation et de sa production future chez les Pacers ?

Il semble plus que légitime selon la grille des salaires de présumer qu’Indiana souhaite bâtir son équipe autour de son duo Malcolm Brogdon & Victor Oladipo. Dans les faits cette association n’a toutefois encore jamais été réellement observée suite aux blessures d’Oladipo. À quoi peut-on s’attendre très concrètement dès lors qu’Indiana pourra utiliser son nouveau duo en toute liberté.

C’est ici que le fait d’avoir autant expérimenté avec Brogdon cette saison prend toute sa valeur. L’un dans l’autre, cette année laboratoire où les Pacers ont pu tester les limites de Brogdon dans un rôle très différent ressemble à une réussite. Pas seulement dans le fait qu’elle apporte des réponses pour le futur, mais aussi, et surtout que ces réponses sont positives. Les indices laissent à penser qu’en effet Brogdon peut réussir dans ce rôle-là, très complémentaire de Victor Oladipo.

Sur son scoring, Brogdon s’est bien débrouillé pour ressortir des situations balles en main avec un niveau de production et d’efficacité suffisant. Sur le passing, Brogdon s’en est très bien sorti là aussi, assumant un rôle bien plus créateur et omniprésent tout en assurant un niveau de déchet assez bas et une plus-value à la création très intéressante.

Autrement dit, envisager d’installer définitivement Malcolm Brogdon en meneur de jeu est largement envisageable pour les Pacers. Par chance cette possibilité permet à Victor Oladipo de se retrouver sur son poste attitré, à l’arrière, et à Indiana de pouvoir compléter ce back-court par un ailier plus grand et imposant (plus polyvalent défensivement que Brogdon et Oldipo) pour consolider l’aspect défensif. En cas d’échec de l’expérimentation Brogdon meneur de jeu cette année, Indiana aurait sans doute été forcé de faire cohabiter ses deux arrières entre les postes 2 et 3 et de recruter un meneur de métier. Une configuration bien moins idéale sur l’aspect défensif et plus onéreuse : débaucher un meneur de qualité suffisante ne peut pas se faire en un claquement de doigts ni pour une simple poignée de dollars.

En ce qui concerne la répartition de rôle, la capacité démontrée par Brogdon à savoir s’occuper de la gestion du jeu complète parfaitement le profil d’Oladipo, bien plus playmaker d’impact chargé de créer des actions sans forcément savoir gérer une équipe ou un match avec l’habileté d’un gestionnaire expérimenté.

Plus encore, placer un créateur balle en main comme Oladipo aux côtés de Brogdon peut même l’aider a retrouver son efficacité. Le refaire évoluer sans ballon permettrait à la fois de lui offrir de nouveau plus d’opportunités de tirs faciles, et également de diminuer la nature très énergivore de son rôle actuel (potentiel facteur important pour expliquer en partie sa chute d’efficacité au tir). Oladipo est un joueur dont la valeur est principalement sur des situations où la gonfle est entre ses mains, qui historiquement est d’ailleurs un bien moins bon shooteur à longue distance que ne l’est Brogdon. Autrement dit, une combinaison Oldipo On-Ball + Brogdon Off-Ball semble bien plus rentable que l’inverse. Donner le ballon à Oladipo permet d’optimiser leur duo et d’obtenir des tirs faciles à Brogdon, qui en retour pourrait évoluer plus souvent avec la gonfle dès lors qu’Oladipo prend place sur le banc. Et ainsi garantir aux Pacers une majorité de minutes du match avec aux commandes un très bon porteur de balle, Oladipo ou Brogdon.

Tout cela néanmoins reste conditionné à un facteur primordial : Victor Oladipo.

Quid de son état de forme suite à la grave blessure au genou…mais également : quid de son niveau de performance ? Avant même sa blessure en Janvier 2019, sa campagne 2018-19 ne partait pas du tout sur les mêmes bases que la précédente, 2017-18, véritable saison de la révélation pour l’arrière qui semblait s’affirmer comme un attaquant de premier plan : 1.16 Pts/Tirs (84%tile) et 54% eFG (77%tile) sur un énorme volume de 31% d’Usage contre seulement 1.04 Pts/Tirs (36%tile) et 48% eFG (33%tile) sur un usage similaire et dans un rôle identique l’année suivante. Avant même sa blessure, donc. Son éblouissante saison 2017-18 est-elle une simple anomalie en carrière, ou est-ce le début de saison 2018-19 assez raté qu’il faut ignorer ? Historiquement, son efficacité en carrière ressemble bien plus à ce début de saison passée (entre 1.02 et 1.07 Pts/Tirs) qu’à sa campagne de MIP 2018, mais Oladipo semblait réellement avoir passé un palier dans sa capacité à créer du jeu et évoluer en point focal offensif.

Il est possible que la métamorphose de Malcolm Brogdon ne soit pas encore totalement terminée, malgré la réussite de cette saison. Que Victor Oladipo ne redevienne jamais le fer de lance qu’il fut en 2017-18, ou à l’inverse parvienne à retrouver de sa superbe et même à passer un cap supplémentaire. Que Domantas Sabonis finisse par être échangé si la direction préfère trancher pour Myles Turner, ou au contraire qu’il poursuive son ascension offensive fulgurante et soit appelé à devenir encore plus un point focal de l’attaque des Pacers. Il est également possible qu’Indiana récupère un nouveau scoreur à l’aile, ou un meneur très à l’aise à la création via un choix de Draft avisé ou par la free agency, ou qu’au contraire la qualité de l’effectif stagne et décline.

Il est même possible que plusieurs de ces scénarios optimistes arrivent en même temps, ou au contraire que plusieurs de ces cas de figure pessimistes se passent en même temps. En conséquence, il est possible que Brogdon soit cantonné à un rôle de meneur gestionnaire peu mis en avant, ou au contraire placé dans un rôle de première option offensive. Qu’il soit appelé à jouer régulièrement en finisseur dans une équipe des Pacers bien fournie, ou à l’inverse créateur balle en main dominant. Ou même encore puisse se contenter d’un rôle hybride, bien équilibré entre ces deux aspects.

S’il est bien une chose qu’on peut retirer de ses deux dernières saisons à Milwaukee et Indiana c’est bien le fait que, quel que soit le costume et quelle que soit la mission, Malcolm Brogdon sera capable de se muer en le joueur nécessaire au bon fonctionnement des Pacers tout en gardant une valeur très positive.

Métamorphoses constantes.

 

Guillaume (@GuillaumeBInfos)

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