Steven Adams, d’un gang de rue à pivot respecté du Thunder
A l’occasion des 27 ans de Steven Adams on vous propose de lire ou relire ce portrait signé Sébastien Ferreira publié en octobre dernier.
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Six heures du matin. Le soleil se lève sur la Baie de l’Abondance. Au nord de la Nouvelle-Zélande, Steven Adams se réveille pour une partie de pêche entre amis. Cet été 2015, qui vient après deux saisons en NBA, lui permet d’effectuer un retour aux sources. Attraper des homards ou s’adonner au tir aux pigeons d’argile, tels sont les loisirs du grand gaillard né à Rotorua, une petite ville pittoresque et touristique pour ses beaux paysages et ses geysers. En revanche, il faut se boucher le nez dans cette région. «Ça sent comme si quelqu’un t’avait pété au visage, mais tu t’y habitues», décrit Steven Adams pour ESPN. C’est ici que la vie du numéro 12 d’OKC a commencé, le lançant sur un chemin des plus tortueux.
«Ça a été un gros coup dur pour moi, je manquais de repère parental.» Le souvenir du décès de son père reste douloureux. Steven n’a que 13 ans lorsqu’un cancer de l’estomac emporte Sid, cet homme de 2m13 qui a servi dans les Forces maritimes britanniques. «Mes frères me menaient la vie dure, donc je pleurais souvent, raconte le fils. C’était mon seul moyen de défense, ça ne servait à rien de leur demander d’arrêter. Si je pleurais, mon père intervenait. C’était ma cavalerie.» Dans sa biographie relayée par The Spin Off, le Néo-Z y voit un lien fort avec le basket : «Je ne comprenais pas pourquoi tous ces joueurs réagissaient de manière si agressive avec moi tout le temps. Je me suis dit qu’ils devaient être fils uniques. Quiconque a grandi avec des frères et sœurs sait que les parents sont comme des arbitres pendant les dix premières années de ta vie. Le truc, c’est de les embêter autant que possible sans se faire attraper par l’arbitre de la maison.»
Already larger than life, Steven Adams gets even larger as NZ artist Graham Hoete (MrG) completes his mural in OKC! pic.twitter.com/oMs8wa8sYw
— OKC THUNDER (@okcthunder) June 16, 2016
Oui, mais voilà, la mort de Sid Adams a laissé des traces. Malgré la surveillance de ses 17 (!) grands frères et sœurs*, Steven réussit à sécher l’école et se met à fréquenter un des gangs les plus dangereux du pays : le Mongrel Mob. «L’initiation était brutale, confesse-t-il. En fait, ils te tabassaient. Ça ne m’intéressait pas.» Le futur pivot évite de justesse cette sombre route au milieu de motards aux corps recouverts de tatouages morbides. Il doit une fière chandelle à Warren, son frangin basketteur et ex-international, qui le met en contact avec une légende du basket néo-zélandais et coach réputé dans le monde : Kenny McFadden. Grâce à lui, Steven intègre un lycée huppé dans la capitale de Wellington, à 370 kilomètres de sa ville natale.
Rugueux. Ou «rough» en anglais. Voilà le mot qui revient régulièrement dans la bouche de ses enseignants. Cheveux longs aux épaules, Steven n’est pas à l’aise dans cet uniforme trop petit et ne dispose d’aucun matériel. Pourtant, l’intéressé affirme que le lycée a «allumé l’étincelle» chez lui. «Ils m’ont ouvert les yeux. À partir de là, je me suis intéressé à tout.» Ne soyez donc pas surpris de le voir discuter de la culture égyptienne avec Abdel Nader ou de l’économie allemande avec Dennis Schröder dans le vestiaire d’OKC, entre deux parties de Fortnite, un jeu vidéo dont il raffole. Pourtant, Steven Adams est un homme terre-à-terre qui rêvait d’être fermier. Un milieu qu’il a côtoyé dans son enfance. «J’adorais le travail physique que ça demandait, construire des clôtures, mettre à bas les animaux ou les nourrir, développe-t-il pour Oklabeef. Tu te sens utile. Et les animaux, ils s’en fichent que tu sois malade ou que te sentes moins bien, tu dois quand même t’occuper d’eux. C’est pareil au basket, tu as des devoirs envers ton équipe, tes coéquipiers et les fans.»
Steven Adams wasn't impressed by being named the "toughest player" by NBA GMs. 😂 (via @ErikHorneOK) pic.twitter.com/QVmQosrRre
— SportsCenter (@SportsCenter) October 3, 2018
La dévotion du Big Kiwi laisse bouche bée. Mais ce n’est rien comparé à sa maturité. Dès sa saison rookie en NBA (12e choix à la draft 2013), Steven Adams rend fou des vétérans comme Vince Carter, Zach Randolph ou Nick Young. Il n’a que 20 ans, mais le Néo-Z sait la jouer fourbe sans se faire choper par les arbitres et ne rend jamais les coups de coude qu’il reçoit. Aujourd’hui, s’il ne les rend toujours pas, c’est parce que… plus personne n’ose le confronter. Le visage livide de Jaren Jackson Jr en dit long lorsqu’il répond le nom d’Adams à la question : «Quel est le joueur le plus physique ?» Également présents sur le plateau de NBA TV en ce mois de février, DeAndre Ayton et Marvin Bagley se marrent. Mais c’est un rire jaune, tant les rookies ont souffert face au bestiau. «Quand il m’a posé un écran, j’ai cru que ma vie était terminée, concédait Jimmy Butler en janvier. Il doit venir de Krypton ou un truc comme ça.» Ce mois-ci, pour la troisième année consécutive, le pivot a été élu «joueur le plus dur de la Ligue» par les General Managers dans un sondage annuel.
Sa force physique et son équilibre sous le cercle font de lui une entité inamovible. «C’est le joueur le plus puissant et physique de la ligue», indique le coach des Wizards Scott Brooks, qui l’a connu deux ans durant à OKC. Même son de cloche pour son ancien coéquipier, Jerami Grant : «C’est sans aucun doute le mec le plus fort en NBA.» Effrayant, Steven Adams n’en reste pas moins d’une grande humanité. Le monde du basket l’a applaudi le 15 décembre 2018, lorsqu’il a refusé un double-pas pour retenir Mason Plumlee, monté au contre, qui aurait pu se briser la nuque dans une mauvaise chute. Voilà pourquoi LaMarcus Aldridge n’a «que du respect pour lui». Jouer dur, mais pas méchant. Un peu comme il l’a appris en compagnie de son «frère de moustache», Enes Kanter. Entre 2015 et 2017, les deux intérieurs ne demandaient jamais de faute l’un contre l’autre aux entraînements. Une question de confiance qui les contraignait à repousser leurs limites.
Steven Adams est un grand homme, au sens propre et littéral. C’est pourquoi le graffeur et compatriote Graham Hoete lui a consacré un portrait dans les rues d’Oklahoma City. «J’ai vu qu’il avait été proche d’être recruté par le Mongrel Mob, détaille-t-il. Son histoire est un exemple positif pour la jeunesse. C’est cliché à dire, mais c’est la vérité. Ça peut changer la vie de ces jeunes au pays.» Et l’ancien joueur des Wellington Saints ne manque pas d’y retourner chaque été. Pour eux. «C’est la Kiwi Way, conclut le Néo-Z. Aider les gens et ne pas oublier d’où tu viens.»