Ma NBA avec Rudy Gobert : « Ici, tu n’as pas le temps de pleurer pendant une semaine ! »
Tous les 15 jours, une personnalité nous raconte la NBA de l’intérieur. Une interview à contre-emploi pour le meilleur pivot de l’Association (c’est lui qui le dit), puisque cette fois, il ne bloque rien…
Rudy, quel est ton meilleur souvenir en NBA ?
Déjà, la Draft. C’est le moment où tu arrives en NBA et c’est vraiment unique. Ça, tu sais que ça n’arrive qu’une seule fois. Sinon, en match, je dirai le game winner à Sacramento. Je mets le panier de la victoire… Ça aussi c’est particulier : tu as tous te coéquipiers qui te sautent dessus ! On était à moins un en plus. Donc en un instant tu passes de perdre à gagner. J’avais mis plusieurs game winners avant, mais jamais au buzzer. Même cette année, j’ai mis le panier contre Portland et le contre pour égaliser. Mais mettre le panier de la victoire, à la sirène, c’est différent…
Et le pire ?
Quand je me suis blessé en playoffs. Même si au final ce n’était pas si grave, quand c’est arrivé je pensais vraiment que les playoffs c’était fini pour moi. Puis en plus je me disais : « argh, ça a été tellement dur pour y arriver », et là première action, boum. Première action des playoffs ! Ça fait quatre ans que je rêve de les faire et là… En plus ça avait l’air d’être assez grave. Après, on a fait l’IRM et ça allait un peu mieux, c’était un peu plus rassurant.
Quel est le joueur qui t’a le plus inspiré ?
Il y en a beaucoup. Je n’en ai pas un vraiment. Je me rappelle de LeBron (James) à l’époque, parce que je regardais beaucoup les highlights. Et athlétiquement, ça l’est toujours, mais c’était encore plus un monstre. Quand tu es très jeune, tu regardes d’abord les actions spectaculaires. Après, quand tu commences à comprendre un peu le basket, tu commences à regarder un peu plus loin. Tu regardes un petit peu comment il s’entraîne, son éthique de travail, et ça c’est quelque chose que j’ai pris, que j’ai appris. Ceci dit, je me suis inspiré de plusieurs joueurs dans mon jeu. C’est vrai aussi que j’ai commencé ailier. A 16-17 ans, je suis passé au poste 4 et ensuite poste 5. Déjà, je ne faisais pas 2m10 à l’époque (2m16 maintenant). Je savais que j’allais grandir, mais sur le moment, je faisais tout avec les ailiers. Et au final cela m’a aidé, car j’ai une meilleure vision de jeu par rapport à d’autres intérieurs. J’ai un côté ailier qui m’aide dans mon jeu. J’ai une certaine dextérité. Pour un grand, je peux dribbler, passer le ballon… et je connais un peu leurs systèmes. Je sais où ils doivent être, les coupes, tout ça. Je pense que c’est bien de former les joueurs en tant qu’ailier et ensuite leur apprendre le métier d’intérieur, qui est assez différent. Ça ne t’empêche pas quand tu es ailier de travailler tes moves ou les finitions près du panier.
« L’équipe la plus sous-cotée, c’est nous »
Quel est l’attaquant le plus difficile à jouer selon toi ?
Je vais te parler en tant qu’équipe, pas juste individuellement. Puisqu’au final on défend en équipe. Et du coup c’est James Harden. Parce qu’il est vraiment intelligent. Il y a beaucoup de joueurs, tu sais qu’ils vont tout le temps driver, tu sais qu’ils vont faire ci ou ça… LeBron est très intelligent aussi ! Mais James est capable de te planter des shoots qui te font mal, en plus de rendre ses coéquipiers meilleurs. Et sans vraiment forcer. Il force rarement, il prend souvent la bonne décision. A part quand il n’y a plus de temps et là il fait son step-back. Mais il a vraiment une prise de décision qui est assez impressionnante.
A l’inverse, le joueur qui défend le plus dur sur toi ?
C’est un peu différent pour moi. En tant qu’intérieur, c’est plus les schémas d’équipe qui vont me poser problème. Si à chaque fois que je roll, j’ai trois mecs sur moi, ça ouvre pour mes coéquipiers, mais c’est plus chiant que quand je n’ai personne sur moi. Après, individuellement, il y a des mecs qui sont plus physiques, d’autres plus athlétiques, mais il n’y a personne de vraiment… tu vois ? Steven Adams, il est plus chiant au rebond en fait. En défense, pas vraiment, car quand je roule, il est très agressif sur le pick-n-roll donc c’est plutôt les autres ailiers qui vont me « bump ». Après, le plus chiant à jouer, c’est difficile. Parce qu’il y a vraiment beaucoup de profils différents…
Mais si tu devais nommer le meilleur défenseur en NBA, à part toi même ?
Il y a différents types de défenseurs, il y en a plein qui sont… Il y a différents styles. Ils ont tous des faiblesses, mais il y a pas mal de mecs que j’aime beaucoup comme Avery Bradley, Kawhi (Leonard)… Bon là il est blessé et c’est vrai que l’année dernière il était un peu en-dessous, parce qu’il s’impliquait plus en attaque, ce qui lui prenait pas mal d’énergie. Mais Kawhi, quand même ! Patrick Beverley, il est chiant quand il s’y met. Bon, Draymond, ça reste aussi un très bon défenseur. A leur manière, ils sont tous chiants. (On lui signale que ce sont surtout des joueurs extérieurs) Bah, je ne te dis pas trop d’intérieurs parce que pour moi, il n’y en a aucun qui est à mon niveau défensivement. Après il y en a qui sont bons, mais pour moi, des mecs qui défensivement sont là… (Pause) Draymond, c’est le meilleur ailier-fort en défense. Mais après, c’est plutôt à l’extérieur. J’aime bien (Robert) Covington aussi (l’ailier des Sixers a d’ailleurs fini 4ème aux NBA Awards, devant Lebron, Hassan Whiteside ou encore Patrick Beverley). Il m’a fait une bonne impression, il est bon.
Quelle est l’équipe la plus sous-cotée selon toi ?
C’est marrant, parce que je dirais nous (c’était d’ailleurs aussi la réponse de Nicolas Batum). C’est vrai qu’on a un petit marché, donc les gens ont tendance à nous oublier, et en plus on a un profil défensif. Detroit, on ne les a pas encore joué cette année, mais c’est vrai qu’ils font partie de ces équipes-là et qu’ils ont progressé cette saison. Indiana, pareil, personne ne les attendait, ils sont assez sous-cotés et ils font un bon début de saison. Les Sixers aussi ! Cette année, maintenant, un peu moins, mais en début de saison les gens les ont sous-estimé et ils ont fait des exploits quand même, comme gagner à Houston. Ils nous ont battu aussi… Memphis, Portland, ces équipes-là sont toujours très chiantes à jouer. Elles peuvent battre tout le monde.
L’équipe la plus dangereuse ?
Déjà, je n’ai aucune équipe qui me fait peur. Maintenant, je sais que les Warriors, même quand tu es à +20, il y a une chance qu’ils fassent un run et qu’ils reviennent. Tu sais qu’à n’importe quel moment, même si tu es au début du quatrième quart-temps à +20, ils peuvent faire une pluie de trois points, surtout si tu te relâches un peu, et là ils peuvent revenir dans le match. On a vu ce qu’ils ont fait aux Sixers il n’y a pas longtemps. C’est vraiment ça le truc : à n’importe quel moment ils peuvent faire un run. Et ils savent bien le faire ! Ils savent comment finir les matchs surtout, comment les gagner. Quand ils se rendent compte qu’ils ont un peu déconné pendant le match, ils savent se dire « allez, focus, on va essayer de le gagner maintenant ». Bon, des fois ils perdent quand même, mais souvent ils sont capables de revenir dans le match et le gagner.
« C’est plus qu’un boulot, c’est une vie »
La salle où tu préfères jouer (en dehors de la tienne) ?
J’aime bien le Madison. C’est toujours assez fun. Dommage que je l’ai raté cette année (il était blessé lorsque le Jazz est venu le 15 novembre). J’aime bien L.A., pour les Lakers. C’est sympa aussi. Il y a de bonnes « vibes », avec un bon public. Il y a d’autres salles qui ont un gros public comme Oklahoma ou Portland, où c’est assez bruyant. Au final, quand tu es concentré dans le match, tu t’en fous un peu. Mais c’est vrai que c’est marrant quand tu sens que tout le public est un peu hargneux, cela te motive un peu plus. Après, faire une grosse perf’ dans une salle ou dans une autre, pour moi c’est la même chose. Mais bon, dans certaines salles tu sens qu’il y a un peu plus d’énergie, l’atmosphère est différente. New York, voilà, c’est une grande ville, tu sais qu’il y a beaucoup de fans, même à l’étranger, donc toi tu sais aussi qu’il y a du monde qui te regarde.…
Quel est ton plus gros « kiff » en NBA ?
Ce que j’aime bien moi c’est qu’il y a beaucoup de matchs. Bon, c’est vrai que c’est fatigant aussi, donc il y a les deux côtés, c’est à double tranchant. Mais quand tu fais un mauvais match ou que tu perds, tu as l’occasion de te racheter quelques jours après, ou même le lendemain. Donc ça j’aime bien ! En tant que compétiteur, je trouve que c’est bien d’avoir tout le temps des occasions de te reprendre. Tu te relances tout de suite, tu n’as pas le temps de pleurer pendant une semaine ! Voilà, c’est juste du basket. Bien sûr, il faut être structuré, il faut travailler ensemble. Mais au final, quand tu réfléchis trop, c’est pire. Donc boum, là ça vient deux jours après, tu joues quoi !
Inversement, le truc le plus « relou » en NBA ?
Je ne sais pas si c’est le plus relou, mais ce qui est sûr c’est que le truc le plus dur en NBA c’est le travail. Le commun des mortels a tendance à penser que c’est surtout fun, mais le plus dur c’est ce que l’on ne voit pas. C’est te lever tôt le matin, c’est aller à la salle… Moi j’aime bien. Ici on dit « enjoy the process », je ne sais pas trop comment on dit en français. J’aime bien la routine, essayer d’être le meilleur possible, travailler dur, tu vois ? Pour essayer d’être bon. Mais c’est dur. Et c’est pour cela que ce n’est pas tout le monde qui est capable de le faire. C’est ce qui fait la différence entre un bon joueur et un très bon joueur aussi. C’est plus qu’un boulot. (Il répète) C’est plus qu’un boulot, c’est une vie. On ne va pas juste au travail de 17h à 22h, pour le match quoi. C’est un mode de vie. Tu dois prendre la mesure de cela aussi, sinon tu ne peux pas être bon, ce n’est pas possible. C’est sûr que ce sont des sacrifices, depuis que j’ai 12-13 ans. J’étais en internat, j’avais deux entraînements par jour à l’âge de 13-14 ans, ensuite je rentrais chez moi les weekends. Après, comme je dis, dans la vie, quand tu as une opportunité il faut être prêt à la saisir. Plus tu te sacrifies et plus tu auras un retour.
« Quand j’avais annoncé la NBA comme objectif, mon entraîneur au pôle espoirs m’a dit qu’ils avaient rigolé »
Quel est ton cinq idéal de tous les temps ?
Si je dois gagner un match ou juste mes joueurs préférés ? Je vais dire si je veux gagner le titre, vraiment l’équipe la plus dure à battre. Du coup je vais faire une équipe assez défensive. Mais bon j’ai aussi envie de mettre Steph (Curry), pour avoir du danger à trois points… Mais sinon ce serait John Stockton. Ça va dépendre de l’équipe, donc attend : poste 2 je mets Michael (Jordan), en 3 LeBron, en 4 Dirk (Nowitzki)… Poste 5 j’hésite entre Shaq (O’Neal) et Hakeem (Olajuwon). Allez, Shaq ! Ça dépendrait vraiment de l’équipe, mais là j’ai LeBron qui peut le plus passer, ensuite j’ai Dirk qui « spread the floor », ça te fait une équipe de shooteurs autour de Shaq en plus, ce qui est relou à défendre. Du coup c’est pour ça que je mets Steph, vu qu’en plus derrière on a LeBron et Michael qui vont défendre à l’extérieur. Et derrière on a Shaq aussi.
Et ton cinq idéal actuel ? Tu ne peux pas te nommer !
Bah sinon tu veux que je mette qui (rires) ? Donc forcément Steph encore, en 1. En 3 LeBron aussi donc. Moi en 5… (il hésite longuement) Poste 4 ce serait une bonne question. Peut-être Giannis (Antetokounmpo). Mais mets-moi Anthony Davis en 4. Je préfère l’avoir par rapport à Giannis, parce qu’il peut shooter à 3 points pendant que je m’occupe de la raquette. Je voudrais Kawhi aussi, donc en 2. J’ai LeBron, Kawhi et Steph qui shootent en plus d’Anthony Davis. On a une bonne équipe là. Des deux côtés, on est bien là. (On note l’absence de KD, souvent nommé) C’est vrai que je laisse de côté de Kevin Durant. Il aurait pu être en 3 aussi… Mais bon, LeBron peut passer. Et puis avec moi et Anthony Davis, on n’a pas vraiment besoin de quelqu’un qui est long comme ça. Mais bon, ça pourrait être lui aussi en 4. Ou en 3 mais après LeBron… Non, il faudrait choisir entre KD et Anthony Davis en 4. L’un des deux me va.
Pour finir, y a-t-il un moment où tu t’es dit : « C’est sûr, je serai en NBA un jour » ?
Je ne me rappelle pas particulièrement d’un moment, mais assez tôt j’étais sûr que j’allais y aller. Je savais que j’avais du travail à faire, mais je ne me suis jamais dit que je n’irai pas. Jamais je ne me suis dit : « ah, mais peut-être que je ne vais pas y aller… ». Non. Non, je savais que j’irai. Quand j’ai commencé le basket, je ne me projetais pas autant. Je ne connaissais rien de la NBA d’ailleurs ! Mais après, quand j’ai commencé avec le Pôle espoirs, ils m’avaient demandé à 13 ans « c’est quoi ton objectif » et moi j’avais dit « la NBA ». D’ailleurs j’ai revu mon entraineur il n’y a pas longtemps, Julien Egloff, et il m’a dit qu’ils sont étonnés. Parce qu’à l’époque, ils avaient un peu rigolé quand j’avais dit ça !
Retrouvez Ma NBA avec :
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York