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[Interview] Tony Parker : « T.J. sera jugé sur six mois »

Après le premier match de son frère, qu’il a nommé comme entraineur de l’ASVEL, « TP » a enfilé sa casquette de président pour parler longuement du sujet, ainsi que sa propre reconversion post-joueur, depuis le vestiaire des Brooklyn Nets.

Tony, pourquoi as-tu pris la décision de limoger l’entraineur JD Jackson pour nommer ton frère T.J. ?

Pour moi, par rapport à ce qu’il se passe à l’ASVEL, j’ai l’impression qu’il y avait besoin d’un électrochoc. J’ai eu une très, très bonne conversation avec JD. Ça s’est très, très bien passé. Et on était un peu d’accord. Et j’ai décidé de faire le changement pour le bien de l’équipe. Ce n’était pas facile, ce n’est jamais facile de toute façon. Cela m’a fait un peu mal au cœur, parce que l’on a vécu des bons moments avec JD. On a gagné un titre ensemble, le premier titre de ma carrière de proprio. J’ai vraiment une très grande affection pour lui, je suis vraiment proche de lui, on s’appelait toutes les semaines et ce n’était vraiment pas facile comme décision. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, que je respecte beaucoup, et je serai toujours reconnaissant de ce qu’il a fait pour mon club. Maintenant on a décidé de tourner une page. Le message ne passait plus par rapport à l’équipe. Parfois c’était aussi simple que cela. Il y a des joueurs qui étaient là depuis longtemps, qui avait eu JD comme coach depuis longtemps. Et c’est comme ça, c’est la vie. Cela s’est bien passé pour le premier match de T.J., donc maintenant j’ai vu de l’envie, j’ai vu des joueurs qui j’ai l’impression revivent, comme DeMarcus Nelson, des joueurs comme ça. Des fois, un changement de coaching ça peut être une étincelle. Maintenant, j’ai envie de dire, il faut rester humble. Et pourvu que ça dure. Je pense que c’est la clé maintenant pour notre club. Le talent est là. Les joueurs sont là. Maintenant j’espère que mon frère va réussir à trouver l’alchimie et les faire jouer comme il faut.

Tu avais donc échangé avec les joueurs ?

Moi, je suis proche des joueurs. Je parle avec tout le monde. Jamais je n’interviens au niveau du coaching, je reste à ma place. Mais après, voilà, j’ai senti un certain malaise on va dire, et c’est pour cela que j’ai décidé de faire le changement. On a eu de longues discussions avec Nicolas (Batum, actionnaire et Directeur des opérations basket) et Gaëtan (Müller, président délégué) et voilà.

Forcément, les gens disent « ah il a nommé son frère »…

Après, les gens vont dire ce qu’ils veulent ! Pour moi, il a les compétences. Moi je ne lui donne pas le job pour lui faire plaisir. Ça c’est mal me connaître. Et je n’aurai pas d’état d’âme. TJ connaît les règles du jeu. Il veut être head coach, donc il sait que s’il n’y a pas de résultats, il faudra que je fasse des changements aussi. Il le sait très bien. Moi je vais gérer le club du mieux possible. C’est un business, c’est vrai, mais l’une des raisons pour lesquelles je l’ai fait, ce que j’avais envie de vivre des aventures humaines et familiales. Et donc j’avais envie de lui donner sa chance. Mais je ne lui donne pas sa chance pour lui faire plaisir. Ca c’est mal me connaître. Il a les compétences, ça fait cinq ans qu’il est derrière de bons coaches, que moi j’ai connu. Pierre Vincent c’est un très, très bon coach. JD Jackson a fait du très bon boulot avec nous : on a gagné un titre, on a fait une finale de Coupe de France, finale de Leaders Cup. Donc il a beaucoup appris et il connaît les joueurs. Il était là avec (Darryl) Watkins, avec (David) Lighty, avec Charles Kahudi, avec Nicolas Lang. Donc pour moi c’était cohérent, quand on en parlait avec Nico, de lui donner sa chance. Et moi c’est clair qu’en tant que grand-frère ça fait plaisir de pouvoir lui donner. Parce que dans la vie, ce n’est qu’une question d’opportunité. Si tu as une bonne opportunité, que tu es bien entouré – ce qui est le cas : moi je suis là, il y a Nicolas Batum, il y a Gaëtan, on connaît tous le basket, on a tous gagné des titres… Donc on est tous là pour l’aider. En un coup de fil, mon frère peut parler à (Gregg) Popovich ou (Sergio) Scariolo, donc il est très, très bien entouré, donc moi je ne m’inquiète pas pour lui. Maintenant, c’est dans la durée de toute façon qu’on le jugera. Il ne faut pas s’enflammer sur un match, ça c’est sûr et certain. Il a sa chance pendant six mois, et après on fera un bilan, avec Nico et Gaëtan, sur les performances du club, et il sait très bien les objectifs, qui sont élevés. Car nos objectifs ne changent pas.

« Pour Nicolas Batum et moi, il n’y a pas d’autre objectif que le titre à l’ASVEL »

 

C’est à dire le titre ?

Il n’y a pas d’autre objectif dans notre équipe. Ça c’est sûr. Et il le sait très bien ! On a investit, avec Nico, ce n’est pas pour jouer la deuxième place. Ça c’est sûr.

Tu voulais voir le match avant de t’exprimer, qu’en as-tu noté ?

Moi, ce que j’ai vu, c’est ce à quoi je m’attendais. Il a le contrôle de l’équipe, il parle à ses joueurs, il n’a pas peur de parler aux joueurs, parce qu’il les connaît depuis 3-4 ans. Et mon frère ne va pas être ami avec eux. Parce qu’il veut gagner. Il veut gagner. Et mon frère il a un sale caractère ! C’est le pire de la famille ! Donc je sais qu’il ne va pas se laisser faire, et c’est ce dont on avait besoin. On avait besoin de quelqu’un qui est tough (dur, en français). Qui va être dur avec les joueurs, qui va demander des choses bien précises, et c’est ce que l’on a vu sur ce premier match. Sur les temps-morts, il sait ce qu’il veut faire, il a des idées bien précises, et donc c’est ce qui nous a plu avec Nico. Et c’est pour ça qu’on lui donne sa chance.

Forcément, tu dois aussi être touché…

Bien sûr, bien sûr ! C’est beaucoup d’émotion, je ne vais pas dire le contraire. Voir mon frère dans un rôle comme ça… Ce n’est pas n’importe quel club ! L’ASVEL c’est le club le plus historique de France, et ce n’est pas n’importe quel job. Il en est très conscient et il le sait. Mon frère, depuis qu’il est arrivé, c’est le premier à l’entraînement et c’est le dernier à partir. Il a travaillé très, très dur pour être à ce poste-là. Et ça les gens ne le savent pas, mais nous on le voit. On l’a vu travailler, et donc maintenant j’espère qu’il amènera le club le plus haut possible. Et comme je l’ai dit depuis le début, il sait la règle du jeu. Être coach, il le sait, maintenant il est exposé. Mais il a confiance en lui, et ça, ça fait partie de la famille. Il a beaucoup confiance en lui et j’espère qu’il trouvera les mots justes et la motivation qu’il faut pour motiver les joueurs tous les matchs et être sûr qu’ils jouent de la bonne façon.

« Mon frère parle comme un coach, et il a le pire caractère de la famille ! »

Quelle est sa principale qualité d’après toi ?

La confiance en lui. Il sait ce qu’il veut. Il a bien ses principes de jeu, il sait ce qu’il veut mettre en place, donc voilà. Il va imposer ses trucs de coach. Tu sais, mon frère, quand je parle avec lui, ce n’est pas un joueur hein ! Il y a une façon de parler quand tu parles entre coaches ou avec un coach. La façon dont je parle avec mon frère la première année et maintenant, cela n’a plus rien à voir. Il parle comme les coaches maintenant. Tu sais, ils sont bizarres les coaches avec leur discours, tout ça (sourire). Et mon frère il a grandit dedans. Il a grandit dedans, il a appris, il a regardé beaucoup de vidéos, de meetings, de clinics d’Ettore Messina (le coach italien est désormais assistant aux Spurs, après un beau palmarès européen dont 4 Euroligues), tout ça. Il a fait ses devoirs. Il faut laisser le temps au temps, il faut le laisser grandir. Bien sûr il fera des erreurs, il y aura des hauts et des bas. Mais c’est sur du long terme qu’il faudra le juger. Et donc là on a décidé que ce sera sur six mois.

As-tu quand même un peu peur d’éventuellement devoir le licencier à un moment ?

Non. Là ce serait mal nous connaître. Et mal connaître la famille Parker si on pense que ça, ça va nous séparer. Il sait très bien les règles du jeu, et il sait très bien que j’ai investit dans ce club-là. Et si un jour ça ne marche pas, je l’aimerai toujours et il m’aimera toujours. Et au moins il sera fier et content que je lui ai donné sa chance. Parce qu’à la fin de la journée c’est ça : lui donner une opportunité. Il sait qu’il ne va pas rester vingt ans à l’ASVEL. Il fera sa carrière de Head Coach, et il fera sa vie. Au moins il aura commencé avec nous et je lui aurais donné sa chance. Ça me fait rigoler ceux qui pensent que cela va changer le lien de notre famille. On est très, très proches et ce n’est pas ça qui va le changer.

« Je m’inspire des Spurs pour l’ASVEL »

 

Quelle victoire est la plus importante ce soir, celle des Spurs (100-95 face aux Nets), ou celle de ton frère ?

Ah, bah la victoire de mon frère ! Largement ! Parce que c’était le premier match, et le premier c’est toujours particulier. Et j’ai apprécié que cela a été fait avec la manière, c’était propre. On gagne de 14 points, on en met 92, on joue bien au basket, ils se passent la balle, on a vu que l’équipe voulait jouer ensemble. Donc cela ne peut qu’être de bon augure pour la suite. Mais il faut rester humble et ne pas s’enflammer, parce que l’on sait très bien que le coaching c’est sur le temps, il ne faut pas s’enflammer. On va voir s’il va vraiment mettre sa patte sur l’équipe. Et je sais qu’il peut le faire, mais maintenant il faut le faire.

Comment anticipais-tu ce match ?

J’étais serein. Parce que j’ai confiance en lui. J’ai parlé avec les joueurs aussi, les joueurs ont envie de jouer pour lui, donc ça c’est très rassurant. De toute façon on a une bonne équipe, mais il faut que la mayonnaise prenne. Je pense que ça n’est que mental ce qu’il se passe. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas jouer tous les matchs comme ça. Ce n’est qu’une question d’envie, d’intensité, de défendre, de jouer, de ne pas se prendre la tête en attaque. Quand Justin Harper et DeMarcus Nelson jouent comme ça, on va être durs à battre ! Parce que cela fait un peu de temps que l’on avait zéro banc, et c’est dur de gagner quand tu n’as pas de banc !

Tu savais donc et tu as confirmé en voyant ce match que les joueurs veulent jouer, et gagner, pour lui ?

Ah, bien sûr, bien sûr ! Ils avaient envie de jouer pour lui, et cela c’est très, très rassurant. Les joueurs, c’est eux qui doivent être performants.

On parle de Spurs Tree en NBA pour désigner tout le personnel (GMs, coaches) passé par San Antonio qui travaille dans d’autres franchises maintenant. Toi aussi tu veux amener la culture Spurs à l’ASVEL ?

Bah, moi je pense que tout ce que j’ai fait à l’ASVEL, cela a beaucoup été inspiré par les Spurs, ça c’est sûr. C’est la meilleur franchise, pour moi, une des meilleures franchises de l’histoire, Pop un des meilleurs coaches de l’histoire, RC (Buford) un des meilleurs GM… Moi j’ai appris avec ça. Cela fait dix-sept ans que je suis avec eux, et j’ai vu. On a beaucoup gagné, ce n’est pas facile de gagner pendant dix-sept ans. De se remotiver, les changements, tout ça. Donc c’est vrai que je m’inspire de cela pour l’ASVEL, et de recréer ce que moi j’ai vécu, ça c’est sûr. On essaie d’intégrer cet esprit de famille, même si dans le basket européen, c’est un peu plus difficile de garder les joueurs, car ils veulent gagner plus d’argent, ce qui est normal, mais on essaie justement de créer cet esprit de famille. Et je pense que petit à petit on arrive à le mettre en place et je pense que l’on arrive à créer des liens forts. Si tu viens chez nous, au siège, et tous ceux qui travaillent – après c’est à vous de leur demander –mais je pense qu’ils sentent que l’on vit une aventure humaine ensemble, que l’on est tous ensemble et qu’on travaille dur pour le même objectif.

« Mon rôle à l’ASVEL me prépare pour rejoindre un front-office NBA »

C’est aussi pour ton après-carrière de joueur, pas qu’en France mais même en NBA ?

Par rapport à la NBA, ce n’est pas un secret, un jour j’aimerai aller dans le front-office. Ça c’est sûr. C’est pour cela que j’ai pris l’ASVEL, pour apprendre, pour faire mes marques, comment gérer un club, comment gérer le marketing, comment remplir une salle, l’académie, tous ces projets-là. Donc j’aimerai un jour utiliser tout ce que j’ai appris. Et toutes les relations que je crée avec tous les agents, les joueurs que l’on a pris, draftés, que l’on vend aussi… Tout cela m’a préparé à un jour être dans le front-office, ça c’est sûr. Je pense que c’est la suite logique pour moi, pour ma carrière. Tout le monde sait que je veux jouer trois ans de plus, faire vingt ans. Mais mon objectif ensuite, c’est d’un jour intégrer un front-office. Après, je ne sais pas encore lequel, on verra. Mais c’est clair qu’en plus je peux faire les deux. Le front-office et garder mon club.

Ça vient de loin d’ailleurs, gamin tu jouais à Football Manager…

C’est vrai, c’est vrai. Je jouais beaucoup à ça, avec Ronny (Turiaf). On passait des heures et des heures et des heures à ça. Et c’est vrai que j’ai toujours eu un peu ce truc. Et même quand j’ai commencé ma carrière, je savais que je voulais faire cela après. C’est pour cela qu’en 2009 j’ai investit et intégré petit à petit : 10%, 20%, et en 2014 la majorité. Et je me suis toujours préparé, parce que je sais que le basket ce ne sera pas éternel (en tant que joueur). Et moi je n’ai pas du tout peur de la retraite ! J’ai accompli tout ce que j’ai voulu accomplir en tant que joueur. J’ai tout gagné, été All-Star, MVP des finales, donc moi je n’ai pas peur en fait de la retraite. Et je suis même excité pour après, parce que c’est génial. C’est une autre adrénaline, c’est autre chose. Parce que je sais très bien que je ne pourrai pas jouer toute ma vie. Et donc c’est important de se préparer quoi. Après, je ne veux pas brûler les étapes et je n’ai aucune envie de prendre ma retraite tout de suite. Je sais faire la part des choses. Cela fait depuis 2009 que je gère tout en même temps, et cela ne m’a pas empêché d’être All-Star, de gagner des titres… Parce que je sais faire la part des choses. Quand c’est le moment de jouer, je joue, et quand c’est le moment de gérer d’autres trucs, je les gère. Et j’espère qu’une fois que j’aurai terminé ma carrière je serai impliqué, encore plus. Même si je suis déjà énormément impliqué.

As-tu proposé le poste à Pop ?!

A Pop ? (Rires) Il est trop cher pour moi ! Messina m’a dit en rigolant : « mais pourquoi tu n’as pas pensé à moi ?! », et je lui ai répondu pareil : « trop cher pour moi, trop cher ». D’ailleurs je ne parle jamais de l’ASVEL avec Pop. La seule personne avec qui j’en parle c’est Etorre Messina. On parle tout le temps, tout ça, il me demande toujours… « J’ai vu les scores, j’ai vu que vous avez gagné », il regarde même les matches. Donc c’est pour cela qu’il m’a blagué, mais moi je lui ai dit, on est un tout petit club pour toi.

Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York

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