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Pep Guardiola est un génie (réflexion sur les Analytics)

Pep Guardiola est un génie.

Qu’importe les avis divergents qui prolifèrent dans ce monde de l’opinionisme où parler du jeu laisse place au tranchant fade et illusoire du talkshow sportif. De fait, Pep Guardiola est un génie. Ou si le mot vous fait peur, un des plus grands entraîneurs de l’histoire à n’en pas douter.

Ne vous trompez pas pour autant, rien ne vous interdit de ne pas l’aimer. La description faite de l’homme à travers divers articles, biographies et récits à son sujet va de « très rigoureux » jusqu’à « exécrable » en passant par un « difficile à vivre » siégeant au milieu des extrêmes. Le sport reste un spectacle, qui existe en tant que tel. Les revenus qui font vivre cette économie sont quasiment intégralement issus de ce que le consommateur est prêt à débourser via des abonnements TV où autre. A ce titre de spectacle pour le peuple, il n’y a rien de choquant à éprouver une antipathie pour une équipe ou une personne, de la même manière que les fans d’un feuilleton à l’eau de rose ou d’une série pour ado peuvent avoir des avis très divergents à propos de tel ou tel personnage.

Ne pas l’aimer est votre droit, mais ne pas lui reconnaître son mérite est déjà plus contestable.

Guardiola prend les rênes du Barça en 2008, et depuis ce jour-là il y a dix ans, le monde du football n’a plus été vraiment le même. Plus encore : sur ces dix dernières années l’univers du foot s’est toujours articulé autour des faits et gestes de Guardiola ainsi que de ses équipes. L’avènement de Leo Messi, c’est lui en partie. L’Espagne impériale sur le début de la décennie avec ce style là et ces joueurs-là, c’est lui en partie. Le grand Barça, sans doute une des meilleures équipes de tous les temps, c’est lui encore. Les innovations tactiques d’un grand Bayern Munich d’une malléabilité tactique incroyable, c’est lui aussi. Manchester City qui domine une Premier League rugueuse dans lequel il est difficile d’instaurer ce genre de jeu de passe, c’est lui toujours. Pour ne citer très rapidement que quelques exemples parmi tant d’autres.

Sans oublier évidement l’influence la plus importante de toutes : cette folie qui s’est abattue sur le monde du foot au début de la décennie, cette lubie de vouloir jouer le fameux « tiki-taka ». Cette obsession d’avoir le ballon, et d’associer l’idée de victoire avec celle de possession et de passes courtes répétées. Ça, c’est lui aussi.

L’idée qui s’est alors imprégnée dans l’imaginaire collectif, pour ne sans doute plus jamais y être chassée, a en toute logique été la suivante : Pep Guardiola aime que ses équipes pratiquent un jeu de passe élaboré, c’est donc un romantique du football. Rien de spécifique à Guardiola, cette réflexion s’inscrit dans une démarche tout ce qu’il y a de de plus commun dans le monde du sport, à savoir associer la défense au pragmatisme, et le romantisme, l’amour du jeu à un style de de jeu offensif léché. La dérive de ce mode de pensée, déjà bien erroné à la base, est la suivante : le pragmatique donne la priorité au résultat quitte à délaisser la manière de faire alors que le romantique donne la priorité au style de jeu au détriment même du résultat. C’est l’arrivisme de George Duroy contre l’idéalisme de Lorenzaccio, l’opportunisme des Rougon-Macquart contre la naïveté de Roméo et Juliette.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce genre de qualificatif ou de classification n’ont lieu d’être et n’ont de sens strictement qu’au sens de la narration du sport. Le football raconté, le récit, l’histoire faite du foot à travers les médias, les récits, les souvenirs, les livres. C’est normal, et c’est bien que le sport soit romancé, narré d’une certaine manière puisque le sport existe en tant que spectacle.

Sauf que tout ceci n’est que l’habillage, la manière de conter. On voit les faits, on les décrit, on les raconte. Les acteurs, eux, sont au contraire ceux qui décident une fois sur scène de ce qui va se produire. La différence est fondamentale. L’acteur est proactif, et sait dans un coin de la tête que même s’il a pris telle décision, il a failli ou aurait pu prendre la décision inverse. Le spectateur ne peut que constater l’implacable fait survenu sous ses yeux et de ce fait, la notion de fatalité est imprégnée dans son esprit. Alors que pour l’acteur, conscient qu’il aurait pu faire les choses tout à fait autrement, conscient que c’est lui qui tient dans sa main la plume qui va noircir les livres d’Histoire des lignes du récit cette idée même de fatalité, de destin ou d’histoire déjà écrite est tout à fait délirante. Le fossé qui existe parfois entre médias/personnes extérieures et les acteurs du sport est loin d’être infondé.

Le romantisme, c’est pour les livres.

Pep Guardiola est un génie. Mais de manière surprenante, je pense que ce ne sont pas ses aptitudes tactiques qui sont sa plus grande force. En l’occurrence, il n’existe pas d’entraîneur plus pragmatique au monde que Pep Guardiola.

Guardiola pratique le beau jeu non pas pour la beauté même du jeu, mais pour ce qu’il peut lui apporter : la victoire. La certitude n’existe pas dans le monde du sport, donc tout est question de probabilités. La question est donc la suivante : quelle est la manière de faire qui apporte le plus de chance de me faire gagner un match ? La réponse à cette question devient alors façon d’opérer. Si le kick & rush avait été la manière de faire la plus probable de faire gagner un match de football, Guardiola aurait été connu comme le grand gourou du kick & rush. Si bétonner derrière et jouer de rapides contre-attaques avait été pour Guardiola la manière de faire la plus probable de faire gagner un match de football, c’est de cette façon qu’aurait fait jouer le Barça, le Bayern, ou Manchester City.

Le postulat de Guardiola est simple : pour gagner un match de football, il faut marquer, et pour marquer il faut avoir le ballon. A l’instant t, si je veux marquer, il me faut le ballon dans les pieds, sans vouloir enfoncer de portes ouvertes. Donc, à une échelle de tout un match et non plus simplement au moment t, en ayant une très grande possession de balle, j’augmente mes chances de marquer. Dans le même temps je réduis également les chances de l’adversaire de marquer puisque lui-même, pour marquer, devra avoir le ballon. L’analyse et la démarche ne prenne nullement en compte le style de jeu, la beauté ou la qualité du spectacle à offrir aux observateurs. Le but du jeu est de gagner, et c’est strictement cela qui motive la manière de jouer, rien de plus. La manière de faire n’est qu’un moyen. Le style n’est que le « comment », pas le « pourquoi ».

Les innovations tactiques de Guardiola sont tout autant brillantes que pragmatiques. Il n’y a pas de progrès pour le progrès, de recherche d’innovation pour l’innovation ou de quelconque désir d’incarner le Julien Sorel de la dernière décennie football. La manière de faire n’est que la conséquence, la motivation reste le désir d’optimiser ses chances de gagner.

Lorsque sur la pelouse du Santiago Bernabeu, l’antre du Real Madrid, le 2 Mai 2009, Guardiola décide de positionner Leo Messi en faux numéro 9 plutôt que sur un côté, ce n’est pas pour le pur plaisir de faire revivre cet ancien concept footballistique. C’est pour que Messi, dans une zone moins avancée qu’un buteur classique, attire à lui un des deux défenseurs centraux pour ainsi ouvrir de l’espace derrière ce dernier. Espace dans lesquels les ailiers Thierry Henry et Samuel Eto’o peuvent s’engouffrer en repiquant à l’intérieur sur des ballons en profondeur. Verdict : un 6-2 sanglant, premier coup d’éclat génial de ce grand Barça.

Vient ensuite l’accumulation, inédite et parfois à outrance, des milieux de terrains centraux. Xavi, Iniesta, Busquets, Fabregas, Thiago Alcantara, auquel on peut rajouter la magie d’un Leo Messi qui s’invitait dans le cœur du jeu. Guardiola pousse alors jusqu’à son paroxysme son idée de contrôler le jeu, le milieu de terrain, et surtout le ballon, pour ensuite mieux attaquer les half-spaces opposés, trouver le fameux troisième homme, faire coller les ailiers lignes de touche, marquer sur un sacrosaint centre en retrait, ou laisser la magie de Messi créer le décalage dans ces défenses perturbées.

Au Bayern, Guardiola s’est ensuite plu à faire se déplacer ses deux arrières latéraux au milieu de terrain, au cœur du jeu, sur les phases offensives. Le but ? Venir densifier cette zone du terrain et d’offrir des solutions de passe supplémentaires pour aider à la progression du ballon vers l’avant. Le fait que ces deux arrières latéraux se nomment David Alaba et Philipp Lahm, deux parmi les plus polyvalents joueurs qui soient, a forcément un peu aidé.

Egalement au Bayern, le fameux « renversement sur l’ailier ». L’idée est de conserver une densité de joueur et un jeu court dans une zone restreinte, avant de que soudainement la patte magique de Xabi Alonso, Thiago Alcantara ou d’un autre envoie un long ballon vers l’ailier, seul de l’autre côté du terrain. Plutôt que, comme sur un jeu placé classique, se retrouver à 1vs2 avec un milieu pouvant aider sur lui, l’ailier du Bayern se retrouve du coup en 1vs1 avec plus d’espace, soit une probabilité bien plus grande de réussir à faire la différence pour marquer ou faire marquer.

A Manchester City, l’innovation la plus notable pour le moment reste le repositionnement de Fabian Delph, milieu de terrain de formation, en arrière gauche. Un ajustement également motivée d’abord et avant tout par une nécessité. Tout commence contre Naples en ligue des champions : Guardiola est privé de ses arrières gauches, blessés, et doit faire face à des Napolitains au pressing très haut, très quadrillé et très agressif. Sa réponse : titulariser Delph. L’anglais ne joue arrière gauche qu’en phase défensive, mais dès que son équipe a le ballon il vient se positionner en véritable milieu de terrain. Sur les remontées de balle par l’arrière et via des passes courtes notamment, City disposait alors d’une option de passe supplémentaire que le pressing Napolitain n’avait pas prévu de couvrir. Toujours s’adapter à ce que fait l’adversaire, mais toujours le même but : maîtriser le ballon, maîtriser le milieu de terrain pour emmener la balle vers les cages adverses, maîtriser le jeu.

Il existe un monde entre Fabian Delph qui dézone et un Daniel Alves qui monte et déborde inlassablement sur son côté. Il existe un monde entre les grands gabarits que sont Robert Lewandowski et Thomas Muller qui réclament des centres, Sergio Aguero et Gabriel Jesus qui jouent en pivot et/ou balle aux pieds, et Pedro ou David Villa toujours prêts à bouffer les espaces depuis les côtés et plonger dans la profondeur. Il y a un monde entre Carles Puyol et Jérôme Boateng ou John Stones. Il y a un monde entre le jeu ultra concentré du grand Barça des milieux centraux, les longues transversales vers Douglas Costa au Bayern, ou les projections rapides et verticales de Kevin De Bruyne & cie à Manchester City.

Guardiola est la définition même du pragmatisme, pour deux raisons essentielles.

Premièrement, pragmatique sur son idée de jeu générale, toujours la même : pour marquer au football il faut avoir le ballon, donc plus j’ai le ballon plus j’ai de chances de marquer. L’idée est de multiplier ses chances : admettons que j’arrive à convertir 5% de mes actions en buts, si je peux obtenir 20, 30, 40 possessions dans le match j’ai plus de chances d’en convertir une en but que si je n’ai que 5 ou 10 possessions à disputer. Pragmatisme.

Deuxièmement, pragmatique dans sa capacité d’adaptation. On ne demande pas à Arjen Robben de jouer comme un ailier du Barça ou du Manchester City actuel. On ne demande pas à Kevin De Bruyne et David Silva de reproduire le tiki-taka de Xavi et Iniesta. On ne demande pas à Robert Lewandowski de quitter la surface de réparation pour jouer faux numéro 9, ou au contraire, on ne multiplie pas les centres tout le match en espérant que Sergio Aguero et son mètre soixante-treize marque aussi souvent que le polonais de la tête. On peut, mais ce n’est pas une optimisation maximale de ses atouts, et le niveau de compétition ultra élevé d’une Ligue des Champions ne laisse pas beaucoup de marge d’erreur. Même à son meilleur niveau, on est pas certain de gagner, alors ne pas être à son meilleur niveau c’est faire encore chuter les chances de l’emporter. Là encore, question de probabilités. Pragmatisme.

Pour autant, tous les pragmatiques ne partagent pas la même idée de jeu que Guardiola.

Antonio Conte, entraineur de Chelsea (ex Juventus et ex sélection Italienne) est un brillant tacticien lui-même, et tout autant pragmatique que ne peut l’être Guardiola.

Conte part du même constat que Guardiola mais ne développe pas les mêmes réflexions ensuite. Il ne prend le problème par le même bout, et donc ne pratique pas le même jeu du tout que son confrère Barcelonais. Ce constat commun, déjà évoqué, est le suivant : « pour marquer, il faut le ballon ». A partir de ce premier axiome, Guardiola pose sa réflexion sur la quantité : « plus j’ai le ballon, plus j’aurai de chances de marquer » et défensivement « moins l’adversaire a le ballon, moins il a de chances de marquer ».

Mais Conte part dans l’autre direction, sur un aspect non pas quantitatif mais bien qualitatif. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas d’avoir pleins de chances de marquer mais plutôt d’être en très bonne position pour marquer, d’avoir des occasions à haute probabilité de marquer. L’idéologie de Guardiola est d’arriver à créer 20 ou 30 occasions dans le match, même si ces occasions n’ont que 5% de chance de finir en but. L’idéologie de Conte est de créer des possessions avec 50%, 60% ou même 70% de chances de marquer, même s’il n’en obtient que 5 dans le match.

Tout cela est lié au positionnement des deux blocs équipe. Guardiola construit tout en maîtrise, lentement, et doit donc faire face à un bloc adverse positionné plus bas, plus proche de ses cages : il y a donc moins d’espace disponible pour Guardiola d’attaquer, moins d’espace pour créer, moins de chance de créer un décalage et donc moins de chances de marquer.

Conte fait l’inverse, il veut d’abord défendre bas avec un bloc médian/bas, laisser venir l’adversaire pour que le bloc adverse soit très haut. Aussi, lorsque son équipe récupère la balle et part en contre-attaque l’équipe adverse est mal positionnée, très haut sur le terrain, et doit défendre énormément d’espace dans son dos. Les chances de marquer sur contre-attaque sont évidemment bien plus élevées que sur jeu posé.

Les deux partent du même constat : je ne peux marquer que lorsque j’ai le ballon dans les pieds. Mais là où Guardiola clame « plus j’ai le ballon, plus j’aurai de chances de marquer », Conte répond « plus les situations sont bonnes, plus j’ai de chances de marquer ». Là où Guardiola dit « moins l’adversaire a le ballon, moins il pourra marquer », Conte répond « moins la situation sera bonne pour l’adversaire, moins il aura de chances de marquer ». Guardiola prive l’adversaire du ballon, Conte prive l’adversaire de l’espace.

Par ailleurs, chacune des deux idéologies a son angle mort. Guardiola n’a pas tort : moins l’adversaire a le ballon moins il a de chances de marquer, mais au fond il ne suffit à l’adversaire que d’une occasion pour marquer. Et vu que ses équipes sont positionnées haut sur le terrain, les occasions concédées à l’adversaire seront très dangereuses. Conte accepte de subir, parce qu’en étant très bien organisé défensivement, et en ne laissant pas beaucoup d’espace, il réduit les chances de marquer pour l’adversaire. Mais il va devoir repousser un grand nombre d’assauts de son adversaire, et sur le lot, il suffit qu’une finisse au fond pour faire s’écrouler toute la bâtisse.

D’ailleurs, les résultats récents ont parfaitement mis en lumière les dilemmes idéologiques de chaque tactique. Au 5e tour de la Coupe d’Angleterre, Guardiola et son Manchester City se sont fait surprendre par Wigan, équipe de troisième division. Sur une erreur du défenseur Kyle Walker au niveau de la ligne médiane, le désormais plus du tout anonyme Will Grigg s’en est allé parcourir la moitié de terrain des Citizens balle au pied avant d’aller inscrire l’unique but du match. Par ailleurs, alors que Conte et Chelsea pensaient tenir un très bon résultat et avait bien muselé le Barça lors du huitième de finale de Ligue des Champions aller, à force de devoir repousser les assauts espagnols, Christensen a fini par commettre une erreur de relance au niveau de la surface de réparation qui a permis à Iniesta de servir Messi pour un but tout fait.

Conte fait le choix de la qualité en attaque, mais pour y arriver, il est forcé en défense de concéder la quantité à son adversaire. Guardiola fait le choix de la quantité en attaque, mais pour y arriver, il est forcé en défense de concéder la qualité à son adversaire.

Ce serait évidemment réducteur de les caricaturer et de les réduire complètement à leur idéologie première. Les équipes de Guardiola ont toujours eu les attaquants de talents et/ou explosifs pour aller chercher des buts en transition. Et les équipes de Conte sont loin d’être incompétente sur du jeu placé plus haut sur le terrain, développant des circuits rapides à une touche de balle, utilisant des points d’appuis et des permutations nombreuses pour un jeu placé fluide. Le haut niveau ne pardonne pas de ne savoir jouer que d’une main, il faut parfois être capable de placer de bons revers pour que les coups droits redeviennent menaçants.

Les deux modes de pensée sont incroyablement réfléchis, jouent sur les probabilités et plus que tout, ce sont deux véritables partis prit avec leurs avantages recherchés et leur prise de risque assumé. Conte n’est pas plus pragmatique que Guardiola parce que son équipe défend et contre-attaque. Pas plus que Guardiola n’est plus romantique ou passionné de football parce que son équipe aime jouer court et multiplier les passes.

Le romantisme, c’est pour les livres.

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Un constat similaire peut être réalisé entre deux des meilleurs entraîneurs de NBA actuellement, à la tête des deux meilleures équipes de la ligue : Steve Kerr et Mike D’Antoni.

Si le socle de ces deux équipes est évidement défensif, l’aspect qui sépare Warriors et Rockets du reste de la ligue demeure bien évidement l’attaque. Certaines autres équipes de NBA possèdent un socle défensif d’élite, d’une solidité incroyable, de Boston à Oklahoma City en passant par Utah ou San Antonio voire Toronto, mais difficile de projeter ces équipes au niveau de Houston ou Golden State. Parce que marquer des points, créer quelque chose à partir de rien, reste la tâche la plus difficile et la plus importante au basket, donc les meilleurs sont ceux qui savent le faire bien et souvent. Peut-on imaginer un Thunder ou des Celtics renverser Houston ou Golden State sur une série de playoffs ? Bien évidemment, mais cette probabilité-là demeure bien inférieure à la probabilité inverse.

Rockets et Warriors sont respectivement la 1e et 2e attaque de NBA, à la fois en transition, mais aussi et surtout sur jeu placé. Cependant, c’est remarquable de voir que Kerr et D’Antoni le font dans des styles tout à fait différents.

Steve Kerr et Mike D’Antoni sont d’accord sur le même axiome de base : « plus je prends des tirs rentables, plus j’ai des chances de marquer des points ». Tout comme Conte et Guardiola sont d’accord pour dire qu’il faut le ballon pour marquer un but. Mais ils ne le font pas de la même manière. Ici, comprendre rentable au sens littéral (n’importe quel tir qui vaut le coup) et pas au sens classique préformaté (lay-up et 3pts).

Afin d’obtenir les tirs qu’il souhaite, Steve Kerr base tout sur un équilibre des forces. Le mouvement du ballon, et surtout le mouvement de joueur est primordial. La spécificité de Kerr tactiquement est de ne pas pratiquer un fond de jeu mono-thématique : il n’est pas question de mettre en place la Princeton Offense, l’attaque en triangle, la motion offense, la High Post offense, ou d’autres attaques spécifiques. Au contraire, Kerr a constitué son playbook en piquant ce qu’il juge être les meilleurs systèmes de jeu de chaque attaque. Un peu de Post-up Split par ci, un peu de Horns par-là, des touches d’attaque en triangle, une pincée de motion offense spursienne, etc.

Le but pour Kerr est que la défense adverse soit en alerte constante, car c’est dans cet équilibre des forces que vont apparaître les tirs qu’il souhaite. Et la très grande variété des systèmes tactiques participe également à tout le temps garder la défense sur le qui-vive et à la prendre par surprise. Pour les Warriors, le jeu sans ballon est quasiment aussi important que les moments où le joueur a le ballon.

En multipliant les jeux en sortie d’écran, les changements de direction, les actions côté faible, les coupes vers le panier, les écrans loin de l’action, les déplacements le long du périmètre, et autres outils dans son arsenal, Kerr arrive à occuper l’attention de chacun des 5 défenseurs à tout instant. Devoir surveiller et suivre un joueur tout le temps en mouvement requiert un niveau d’attention, d’effort et même d’intelligence de jeu très élevé dont ne sont pas capable tous les joueurs NBA. Si un défenseur fait une erreur, un Warrior se retrouve libre d’aller au panier ou de prendre un tir ouvert. Si les défenseurs sont attentifs, concentrés et trop focalisé sur leur propre homme, alors ils ne pourront pas aider ailleurs.

Ce fonds de commerce permet un déséquilibre léger mais omniprésent de la défense adverse. Plus encore, il aide également beaucoup son attaque : c’est bien plus difficile pour un joueur de devoir se créer une opportunité tout seul plutôt que de se contenter de prendre un tir. Donc, avec son jeu d’écran et ses mouvements perpétuels, Kerr permet à ses joueurs de ne pas avoir à trop travailler pour leur tir. C’est profitable pour tout le monde. Pour les stars, c’est idéal : Curry, Durant et Thompson sont de fantastiques finisseurs. A fortiori quand ils n’ont pas à se fatiguer pendant dix secondes avant de prendre leur tir, celui-ci a plus de chances de rentrer. Pour les autres joueurs de l’effectif, c’est également idéal en ce sens que le système arrive à leur obtenir de bons tirs qu’ils ne seraient pas capables d’aller se chercher eux même balle en main.

A l’axiome de base « plus je prends des tirs rentables, plus j’ai des chances de marquer des points », Kerr répond par « plus je possède une attaque équilibrée, moins l’adversaire peut me contrer ».

Une réflexion à qui Popovich donne ses lettres de noblesses depuis des années, mais Kerr a la chance d’avoir un truc en plus en ce moment : Stephen Curry et Kevin Durant. Posséder deux des quatre meilleurs scoreurs de toute la ligue aide évidement de manière incroyable à entretenir cet équilibre. Impossible pour une défense de surcharger une partie de terrain plutôt qu’une autre, d’aider plus d’un côté quitte à délaisser l’autre : trop se concentrer sur l’un c’est laisser trop d’espace à l’autre, et en général, ça finit mal.

De son côté, Mike D’Antoni apporte une toute autre réponse à cette problématique du jeu. D’Antoni part dans la direction opposée, il propose la réflexion inverse :  au diable l’équilibre, vive le déséquilibre.

Au contraire de Kerr, le playbook de Mike D’Antoni n’est pas un trésor d’archives tactiques en tout genre. La simplicité est sans doute un des qualificatifs qui caractérise le mieux sa philosophie offensive. L’important reste le choix des joueurs, les combinaisons à mettre sur le parquet, et l’optimisation de l’espace le plus possible. Mais une fois cela accompli, les systèmes tactiques mis en place son assez simples. Une sortie d’écran, un Pick & Roll, une variante de temps en temps, et le travail est fait.

Là où Kerr veut créer de petits déséquilibres partout et tout le temps, D’Antoni ne se suffit que d’un seul déséquilibre, mais un énorme qui permet de créer des ouvertures partout. Là où Kerr attend que l’adversaire se trompe et lui dise où aller, D’Antoni, lui, veut forcer la décision assez vite. L’équation qu’il pose est très simple, mais elle est difficile à résoudre puisque, pour chaque coup de l’adversaire, il possède une parade.

Harden à la baguette, un simple écran pour un P&R, et la machine est enclenchée. Si la défense ne monte pas sur le porteur de balle, alors Harden dégaine à trois points. Si la défense est trop agressive et monte trop haut, Harden s’en va conclure au cercle. Si les deux défenseurs du P&R vont sur Harden, alors Harden passe à Capela pour un dunk sous le cercle. Si l’adversaire effectue une rotation pour couvrir Capela, Harden passe alors au shooteur libéré par la rotation. Si la défense effectue une autre rotation vers ce shooteur, celui-ci passe la balle au joueur ouvert, et ainsi de suite. Si la défense switch sur le P&R, Harden joue l’isolation et score. Et ce qui rend cette équipe encore plus spéciale cette année, c’est la possibilité de faire ça pendant 48 minutes avec Chris Paul dans ce même rôle.

A partir d’une seule action, un P&R, tout un tas de tirs différents peuvent se libérer. Une seule action. L’équation est simple. D’Antoni créé un premier gros déséquilibre et prend le tir qui se présente. Le déséquilibre est assumé, et même recherché.

L’approche est totalement différente. Steve Kerr prend ce que la défense lui donne. En multipliant les menaces sur le terrain, il multiplie donc le nombre de possibles erreurs de l’adversaire, et donc le nombre de possibles opportunités pour lui. Mike D’Antoni, lui, attaque l’adversaire beaucoup plus frontalement. C’est pour ça qu’il n’a pas besoin de complexité. Il s’arrange pour avoir de l’espace, propose une action, force l’adversaire à y réagir, et ensuite agit en fonction. Steve Kerr attend savamment l’erreur, Mike D’Antoni se rue tête baissée pour la provoquer.

Kerr recherche l’équilibre pour maintenir un danger constant, D’Antoni veut au contraire forcer une situation tellement dangereuse que l’adversaire est obligé de faire un choix. Kerr propose une équation du premier degré à 5 inconnues, D’Antoni arrive avec une équation du 5e degré à une inconnue.

Kerr mise sur la quantité, D’Antoni sur la qualité.

Kerr ne demande pas beaucoup à ses stars de créer balle en main, sur isolation ou Pick & Roll. Au contraire il cherche à empiler au cours de la possession les mouvements de balle et de joueurs pour qu’au bout d’un moment, à la 3e, 4e, 5e ou 6e rotation à devoir effectuer, la défense craque. Tout comme Guardiola recherche à avoir le plus de temps possible le ballon pour avoir le plus d’opportunités possibles de trouver la solution.

D’Antoni ne veut pas que le ballon transite entre tous les joueurs : il n’en a pas beaucoup qui sont capables de bien jouer balle en main. Au contraire, il cherche à s’offrir la meilleure situation possible, le meilleur décalage possible, en demandant donc à son meilleur joueur, le plus apte à le faire d’essayer de le faire dans la situation la plus probable de lui apporter de suite un décalage. Tout comme Conte cherche à obtenir des situations de buts avec le plus de chance possible de marquer.

Quantité, qualité.

La différence entre ces deux équipes, ces deux philosophies de jeu est énorme, et elle se reflète parfaitement dans les chiffres. Golden State est une des équipes qui fait le plus de passes par match, les Rockets sont quasiment celle qui en fait le moins. En effet, les Warriors exécutent leurs systèmes aux multiples mouvements et font tourner la balle de manière répétée en attendant l’ouverture. Les Rockets, eux, n’ont parfois besoin que d’une passe dans la possession pour faire la différence (Harden ou Paul remonte la balle, joue un P&R et trouve un shooteur : une passe).

Golden State est également l’équipe qui réalise le plus de passes décisives en NBA, Houston est une de celles qui en fait le moins. Puisque les Warriors exploitent les ouvertures créées, le joueur qui prend le tir est donc généralement ouvert ou avec le décalage fait. Idéalement, chaque tir doit être un catch & shoot, et concrètement, une grande partie l’est en effet. Le grand total de passes décisives reflète cela : le système travaille pour le joueur, ce n’est pas le joueur qui dribble et travaille pour son propre tir. Les Rockets opère bien différemment. Une situation de 1vs1 (donc une série de dribbles et pas de passe décisive à la clé) est une option majeure de leur équation offensive. Lorsque la défense n’est pas assez agressive sur Harden/Paul, le un contre un est déclenché, et aucune passe décisive ne sera à la clé.

La manière diffère, mais tout autant le but recherché que les résultats obtenus sont les mêmes pour Steve Kerr et Mike D’Antoni. La démarche, la réflexion, la chaîne d’implications logiques est souvent mal comprise. D’abord « pourquoi », ensuite « comment », et seulement enfin « quoi ». Et pas l’inverse.

Le « pourquoi » c’est le postulat de départ, le but recherché. Dans ce cas de figure, c’est « plus je prends des tirs rentables, plus j’ai des chances de marquer des points ». C’est la philosophie de base, ce qu’on recherche à faire dans le jeu.

Le « comment » c’est la manière de faire, le style. C’est ici, et seulement ici que les réflexions de Kerr et D’Antoni diffèrent. Kerr répond « plus je multiplie les menaces, plus l’adversaire a une chance de faire une erreur ». De son côté, D’Antoni préfère « plus le déséquilibre que je créé est grand, plus j’ai de chance de forcer l’adversaire à y réagir ».

Le « quoi » c’est simplement le bout du circuit, la concrétisation de la philosophie de jeu par le style pratiqué : en basket, c’est un tir ouvert. Si le but est d’obtenir certains tirs (« pourquoi ») en manipulant l’adversaire via des systèmes de jeu (« comment ») pour qu’il soit obligé de libérer ces tirs, le « quoi », le résultat final c’est un tir ouvert. En effet, il n’y a pas que la distance au panier qui affecte la probabilité de réussite d’un tir. L’espace entre le tireur et le défenseur est capital également. Si le défenseur est parfaitement placé pour gêner et contester le tir, alors ce tir-là aura une probabilité de rentrer bien plus faible qu’un tir totalement ouvert où le tireur aura tout le temps et l’espace de se concentrer.

Si on reprend l’analogie initiale entre Conte et Guardiola, on peut aisément retrouver ce même raisonnement. D’abord le « pourquoi » : il me faut le ballon pour marquer. Ensuite le « comment » : Guardiola préfère avoir le ballon souvent pour avoir pleins d’opportunités, Conte préfère avoir le ballon dans de très bonnes situations. Et enfin, le « quoi » : un tir à haute probabilité de réussite, et en foot ça correspond à un tir le plus proche possible du but et suffisamment ouvert (sans un ou deux défenseurs devant pour contrer la frappe).

Pourquoi. Comment. Quoi.

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Kerr et D’Antoni n’ont pas bâti les deux attaques les plus redoutables de la grande ligue par hasard. Ils appliquent parfaitement les précieuses leçons livrées par les Analytics : les tirs les plus rentables sont les tirs à trois points et les tirs au cercle.

Le but de basketball est de lancer un ballon dans un cercle. Or la probabilité de réussite est évidement plus grande si l’on se trouve très proche de la cible. Plus un tir a de chance de rentrer, plus il est rentable, logiquement.

En plus de cette notion de distance horizontale au panier se rajoute aussi la distance verticale : le panier ne se situe pas au sol mais à une certaine hauteur du sol, une hauteur plus grande que la taille humaine. Pour cette distance verticale, le même raisonnement s’applique : j’ai plus de chance de marquer si je dépose le ballon à hauteur du cercle plutôt que si je me trouve à 1m50 en dessous du cercle. Moins la distance à parcourir est grande, moins l’imprécision est grande. La domination des pivots pendant des décennies s’inscrit dans cette logique-là : un grand pivot au poste bas ou plus généralement dans la raquette est l’alliance parfaite de la plus petite distance possible à la fois horizontalement et verticalement. L’optimisation du tir est donc double, et la rentabilité du tir extraordinaire.

Pour comprendre la rentabilité du tir à trois-points, la distance n’est plus le seul facteur qui rentre en compte : la valeur de la récompense s’ajoute à l’équation. Certes, un tir à trois-points est lointain, et donc plus difficile avec une probabilité de réussite plus petite, mais un tir à trois-points réussit vaut 1.5 fois un tir à deux points réussi. 50% de points en plus par tir, pour chaque tir, c’est colossal. Ce différentiel de rentabilité prend toute son ampleur lorsqu’on commence à parler de pluralité de tirs, et non plus d’un tir unique. Entre prendre un tir à trois-points ou à mi-distance il peut y avoir débat. Mais si on agrandit l’échantillon et la décision à 20 ou 30 tirs, c’est clairement plus rentable de les prendre à 3pts qu’à mi-distance. Il a fallu à peu près 30 ans à la ligue pour comprendre que c’est dans un gros volume que s’exprimaient tous les avantages du tir lointain. Ou plutôt 30 ans pour oser le mettre en pratique à fond les ballons.

Golden State et Houston sont les deux meilleures attaques de NBA, et deux parmi celles qui légitiment et s’appuient le plus sur les leçons des Analytics. Et pourtant, Steve Kerr comme Mike D’Antoni s’aventurent souvent en dehors du cadre de ces Analytics, ou plutôt : de ce que l’on pense être les Analytics.

Pourquoi Guardiola a-t-il utilisé Lionel Messi en faux numéro 9, ou plus généralement, pourquoi l’a-t-il faire jouer en pointe plutôt que sur un côté ? Parce que le génie de Messi créait plus de danger dans le cœur du jeu et libérait des espaces partout autour. Pourquoi Guardiola a-t-il commencé à accumuler les milieux de terrains centraux ? Parce qu’il avait sous la main une génération extraordinaire, et que cette manière de faire était la plus probable de le faire gagner. Pourquoi Guardiola a-t-il commencer à utiliser des longues transversales sur les ailiers ? Parce qu’il possédait de fabuleux ailiers de 1vs1 capable de faire la différence et que ces transversales les mettaient dans la meilleure situation possible. Pourquoi Guardiola a-t-il commencé à multiplier les centres dans la surface de réparation alors qu’il ne l’avait jamais fait avant ? Parce que des Thomas Muller et Robert Lewandowski sont très forts pour convertir ces centres. Contextualisation. Adaptabilité. Pragmatisme.

Certes, toutes les études s’accordent à dire que le tir à mi-distance est en théorie le tir le moins rentable du basket, puisque qu’il rassemble la difficulté d’un tir lointain mais sans le bonus de points relatif à un tir à trois points. Et pourtant, Steve Kerr et les Warriors sont une des équipes qui prend le plus de tirs à mi-distance en NBA, tout en étant la deuxième meilleure attaque d’une ligue résolument tournée vers le trois-points/lay-up.

Certes, l’isolation est en théorie l’action de jeu la moins rentable du basket, du fait de la difficulté particulière de devoir se créer soi-même son tir. Le joueur doit d’abord parvenir à générer une séparation avec son défenseur (quelque chose que peu de joueurs savent bien faire), et une fois fait le joueur doit encore être capable de rentrer le tir depuis une position non idéale et après un dribble, des conditions bien plus difficile qu’un catch & shoot (plus de mouvements à devoir coordonner en moins de temps). Et pourtant, Mike D’Antoni et les Rockets sont l’équipe qui joue le plus d’isolations de toute la NBA tout en étant meilleure attaque du pays. Dans une ligue où, qui plus est, pour faire face aux défenses et aux schémas défensifs toujours plus dynamiques et intelligents, le mouvement de balle est censé être roi.

Pourquoi ?

Pourquoi Mike D’Antoni utilise-t-il aussi souvent des isolations ? La réponse est simple : en théorie une isolation n’est pas rentable, mais pour Houston, elle l’est. Pour trois raisons.

Premièrement, le talent pur de James Harden et Chris Paul. Intrinsèquement, ce sont deux des tous meilleurs joueurs au monde pour se créer de l’espace et pour rentrer le tir par la suite. Donc, par rapport à la théorie, par rapport au cas général, la probabilité de réussite d’une Iso de Harden ou Paul est plus élevée que la moyenne, voire même beaucoup plus élevée que la moyenne. D’Antoni n’insisterait sans doute pas autant sur du un contre un si ses figures de proues avaient été des joueurs plus lambda et moins performants dans l’exercice.

Deuxièmement, le type d’isolation que Houston obtient. Généralement, les isolations des Rockets arrivent en conséquence d’un switch défensif (forcé par les Rockets eux même). Harden ou Paul se retrouvent donc défendus par un joueur qui n’est pas apte à défendre correctement sur eux (généralement, c’est un intérieur qui se retrouve au marquage). Le mismatch est alors en faveur de Houston : le défenseur n’est pas aussi bon pour contenir et gêner l’isolation, et donc la probabilité de réussite du tir augmente.

Troisièmement, le système et l’organisation de Mike D’Antoni. Sur le terrain, les Rockets veillent à tout le temps avoir un spacing parfait, c’est-à-dire un maximum de shooteurs derrière la ligne à trois points, et bien espacés entre eux. En conséquence, lorsque Harden (ou Paul) part sur une isolation, les défenseurs qui peuvent potentiellement aider sont positionnés loin de Harden (ou Paul). Le temps qu’il leur faudra pour parcourir cette distance est largement suffisant pour que Harden (ou Paul) arrive à voir la rotation arriver et la punisse en ressortant sur le shooteur. Plus encore, la présence même de shooteurs autour de cette isolation dissuade d’entrée de jeu les défenseurs de venir aider.

Au moment de faire le bilan, il est facile de se rendre compte pourquoi les isolations de Houston sont à ce point beaucoup plus rentables que la moyenne : les joueurs sont au départ bien meilleurs que la moyenne, ils font face à des défenseurs moins bons et ils sont dans un système construit pour les aider. Trois petits coups de pouces pour une optimisation maximale, qui aident à booster la probabilité de réussite de ces isolations.

Pourquoi Steve Kerr utilise-t-il autant le tir à mi-distance ? Parce que pour les Warriors, le tir à mi-distance est un tir efficace. Pour exactement les mêmes trois raisons.

Premièrement, le talent, la valeur intrinsèque. Stephen Curry, Kevin Durant et Klay Thompson sont des shooteurs d’élite, sans doute parmi les toutes meilleures gâchettes de la ligue en termes d’efficacité et de volume. La probabilité de voir un de ces trois-là rentrer le tir est bien plus élevée que si c’était un autre joueur.

Deuxièmement, le type de tirs à mi-distance que Golden State obtient. Les Warriors sont sans doute l’équipe la plus crainte de toute la NBA sur le tir à trois points. En conséquence, les défenses sont souvent très agressives au niveau de la ligne à 3pts, essayant de surcharger la zone ou créant même des prises à deux dans le but de dissuader ou de gêner le tir. Sauf qu’en faisant ça, les équipes se découvrent derrière, elles deviennent vulnérables. Lorsque la défense se jette pour contester un possible tir à longue distance, Curry, Thompson ou Durant n’ont qu’à poser un dribble et avancer d’un pas pour trouver un tir ouvert à mi-distance (si le tir est ouvert, la probabilité qu’il rentre augment très fortement). Egalement, si la défense est trop agressive sur le porteur de balle d’un un P&R ou sur une sortie d’écran, un coéquipier se retrouve alors libéré de tout marquage et peut là encore déclencher un tir ouvert une fois la balle reçue.

Troisièmement, le système. La mi-distance n’est pas seulement une arme utilisée en réaction à une défense, Kerr veille à ce que certains systèmes débouchent sur des tirs à mi-distance. Tout cela s’inscrit dans sa logique d’équilibre offensif, de menace constante partout et tout le temps : occuper toutes les zones, placer des pions partout pour forcer l’adversaire à prendre un maximum de décisions en défense. La mi-distance n’est pas seulement un plan B en cas de bonne défense ailleurs, Kerr l’utilise aussi via ses systèmes pour se montrer proactif dans la production du jeu : si un système aboutit sur un shooteur ouvert à mi-distance, la défense fait face à un dilemme. Soit le laisser ouvert, mais pour Golden State c’est un bon tir, soit aider, et à ce moment-là un autre joueur (possiblement à trois points, ou sous le panier) se retrouve seul pour un tir ouvert.

Au moment de faire le bilan, il est facile de se rendre compte pourquoi les tirs à mi-distance de Golden State sont à ce point beaucoup plus rentables que la moyenne : les joueurs sont au départ bien meilleurs que la moyenne, ils font face à des défenseurs en retard et/ou pas dans des bonnes conditions pour contester le tir, et ils sont dans un système construit pour les aider. Là encore, trois petits coups de pouces pour une optimisation maximale, la probabilité qu’un tir à mi-distance soit réussi dans ces conditions-là est boosté.

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En conséquence, à la fois les tirs à mi-distance de Kerr et les isolations de D’Antoni sont donc rentables, et donc s’inscrivent dans le raisonnement établi tout à l’heure. Pourquoi (des tirs rentables), comment (équilibre, ou déséquilibre), quoi (des tirs ouverts).

Steve Kerr et Mike D’Antoni ont ainsi réfléchi leur système de jeu respectif, en se basant sur les probabilités. Et pour l’instant, l’efficacité affichée par Rockets et Warriors légitime totalement la décision basée sur les probabilités. L’efficacité n’est pas juste bonne, elle est splendide.

James Harden et Chris Paul sont sur des bases historiques et jamais vues en isolation, le tout sur un volume énorme : 1.25 points par possession sur presque 10 tentatives par match pour Harden, et 1.20 ppp sur plus de 5 tentatives par match pour Paul. C’est tout simplement incroyable. Pour donner un ordre d’idée, Kevin Durant est en 3e position à 1.10, Kyrie Irving était premier l’an passé à 1.16 (un score déjà exceptionnel) et l’année d’avant c’était Stephen Curry le leader avec seulement 1.01 ppp, sur seulement 2 possessions par match.

Les Warriors sont 11e au nombre de tirs à mi-distance tentés, ce qui est au-dessus de la moyenne mais surtout très loin de leurs standards habituels : sous Steve Kerr, l’équipe a toujours été dans les 5 équipes qui en tentaient le moins jusqu’à cette année. En revanche, en termes d’efficacité à mi-distance Golden State est la meilleure équipe de NBA de très loin : presque 48% de réussite, 4% de plus que le second.

Les Warriors possèdent 9 joueurs qui se situent au-dessus des 90%tile (c’est-à-dire plus fort que 90% de tous les joueurs NBA) dans l’efficacité à mi-distance, dont évidement leurs trois stars. Ils shootent à 50% ou plus dans les différentes zones de la mi-distance, ce qui est très au-dessus de la moyenne. Sur les longs deux points, Stephen Curry est plus de 60% de réussite, ce qui est équivalent d’un point de vue rentabilité à tourner à 40% de réussite à trois points, la marque d’excellence. Vous avez dit « pas rentables », les tirs à mi-distance ?

L’Analytics n’est rien de plus, par définition, que de l’analyse de donnée, l’étude d’une quantité d’information visant à aider à la prise de décision. Et comme tout dans ce bas monde : tout bouge, tout change. L’absolutisme n’existe pas. Daryl Morey ou Sam Hinkie n’ont pas trouvé, sur les étagères d’une bibliothèque mystique cachée dans les sous-sols d’un temple sacré de l’Atlantide, un vieux manuscrit poussiéreux sur lequel était écrit en lettre d’or « les tirs rentables sont les trois points et les tirs au cercle, le mouvement de balle tu pratiqueras, le mi-distance et l’isolation tu refuseras ». Non. Ou si c’est le cas on est passé à côté d’un documentaire télé-réalité qui aurait valu son pesant de cacahuètes.

L’information est contextuelle, circonstancielle, temporelle. Le même département d’Analytics qui préconise en général « prenez du trois-points et du lay-up » n’aura aucun problème à dire « prenez de la mi-distance ou jouez l’iso, chez vous c’est rentable ». Le même département d’ailleurs qui, après quelques mois de compétition, dirait « 1.25 ppp en isolation ? 60% à mi-distance ? Voyez bien que ça marche, vous seriez fous de ne pas continuer là-dessus ».

Les Analytics de la cour de récréation vous conseillaient d’y aller à donf sur les blagues de Toto, y’a rien de plus rentable à cet âge-là pour faire marrer les autres. Mais ils vous déconseillent d’y avoir recours quelques années plus tard lors d’une réunion importante avec votre patron au boulot. Les Analytics encouragent les blagues graveleuses et un peu lourdes avec des potes, au bar, ou devant un match. Mais ils vous conseilleront sans doute un tout autre registre de plaisanterie lorsque vous rencontrez vos beaux-parents pour la première fois. Les choses changent, les contextes sont différents, il faut s’adapter.

Il n’y a pas d’absolutisme, jamais. Il ne faut pas refuser à tout prix une isolation ou un tir à mi-distance parce que les Analytics les déconseillent dans le cas général…tout comme il ne faut pas suivre aveuglement les Analytics à tout prix. L’exemple du Liverpool du début des années 2010s, raconté par Simon Kuper et Stefan Szymanski dans l’incontournable « Soccercomics » le montre bien.

Directeur sportif de Liverpool, Damien Comolli est un grand fan d’Analytics, d’études de données, et des informations qui se cachent derrière les statistiques. En 2011, il recrute l’ailier Stewart Downing et le milieu de terrain Jordan Henderson, deux joueurs évoluant dans les modestes clubs d’Aston Villa et Sunderland mais dont les études statistiques les plaçaient dans les meilleurs créateurs d’occasions de Premier League. Comolli enrôle également Andy Carroll, prometteur attaquant de Newcastle, pour une somme colossale à l’époque. Le plan de jeu : multiplier les centres de Downing (ou Henderson) pour que le très grand Carroll (1m93) conclut de la tête. La stratégie se défend : plus un tir est proche des buts, plus il a de chance de rentrer, donc miser sur des têtes dans la surface de réparation est à priori rentable.

Sauf que dans les faits, ça n’a pas marché. Parce qu’au contraire d’un corner ou d’un coup franc, sur un débordement le centreur n’a pas le temps de bien ajuster sa passe, et il n’y a pas un surnombre d’attaquants dans la surface adverse pour augmenter les chances que ce soit un joueur de Liverpool qui puisse faire une tête. Pour Liverpool, le ratio de rapporté par Kuper et Szymanski dans leur livre (421 centres pour 1 but) a été le pire de toute la Premier League. Comolli avait occulté des facteurs cruciaux dans son analyse (la qualité de la passe, l’espace dont dispose le buteur, le nombre de cibles potentielles) qui annihilait complètement la rentabilité des têtes dans la surface.

Pourtant, Pep Guardiola a mis la gomme sur les centres dans la surface au Bayern…avec un énorme succès. Pourquoi ? Parce qu’au-delà du « quoi », de la chose en question (une tête dans la surface de but), Guardiola a surtout veillé au « comment », à la manière de faire (le centre : quel type de centre, dans quelles conditions, etc.).

Plutôt que de compter sur un débordement de l’ailier, où le joueur est en bout de course, avec un défenseur pas loin (donc dans de très mauvaises conditions pour adresser un bon centre), le Bayern de Guardiola déroulait son jeu de position pour occuper le terrain, bouger les défenseurs, et trouver le joueur libre qui pouvait alors centrer bien plus sereinement. De plus, le Bayern de Guardiola veillait à constamment apporter un surnombre dans la surface de réparation adverse, et donc augmentait ses chances que ce soit un des leurs qui reçoive le ballon. Egalement, les centres n’étaient pas seulement destinés à être conclut de la tête (la qualité première d’Andy Carroll). Mario Mandzukic, Thomas Muller et évidement Robert Lewandowski sont des attaquants au volume de finition énormément plus grand qui n’ont pas besoin que le ballon se trouve à une certaine hauteur pour être dangereux. Les centres étaient donc bien meilleurs, et les attaquants savaient finir dans plus de positions, ils savaient manufacturer beaucoup plus de ballons. Et là, ça marchait.

Appliquons cela au basket. Ce n’est pas l’isolation qui est peu rentable, c’est le genre de tir qu’on obtient en isolation qui généralement ne l’est pas. Là encore, l’iso n’est qu’un moyen, c’est le « comment » de l’histoire, mais pas le « quoi ». La mauvaise publicité de l’isolation provient de sa mauvaise mise en place. Une isolation sans aucun mouvement autour (possiblement des aides qui peuvent arriver) en attaquant frontalement le vis-à-vis (non pas un mismatch, mais un défenseur apte à gêner le tir), en effet, ça peut aboutir sur des longs tirs à mi-distance bien contestés et en déséquilibre. Mais une isolation de James Harden, avec plein d’espace, face à un intérieur pas assez mobile, ça se termine en lay-up ouvert lorsque Harden met dans le vent l’intérieur, ou bien en trois-points ouvert sur step-back si l’intérieur se tenait trop à distance. Et ça, c’est rentable.

Outre le tir à mi-distance, l’autre « ennemi » des Analytics est le jeu au poste bas. Mais le raisonnement est le même : le poste bas n’est qu’un moyen, ce sont les tirs obtenus qu’il faut juger. Effectivement, si l’on joue de manière simpliste au poste bas en attaquant un défenseur bien en place et capable de bien défendre, avec aucun mouvement autour et donc des défenseurs qui peuvent facilement venir aider, les tirs obtenus seront difficiles (un hook shot face à un défenseur bien placé par exemple). Mais si, d’une manière ou d’une autre, un pivot est capable au poste bas d’obtenir des lay-ups proche du cercle, l’opération devient alors très rentable.

Si les équipes continuent de rechercher la polyvalence défensive à tout prix, elles arriveront bientôt à des line-ups de 5 ailiers de taille moyenne totalement interchangeables. Dans ce paysage-là, s’il arrivait un pivot monstrueux au poste bas, bien plus grand et costaud que ces fameux ailiers polyvalents, il pourrait obtenir des tirs beaucoup plus faciles, plus proches du cercle, moins bien défendus, en utilisant sa force ou en shootant par-dessus.

Cette description reste très caricaturale, et la NBA n’en est pas encore à ce point-là. Mais déjà à l’heure actuelle Joel Embiid ou Karl-Antony Towns ont par exemple une efficacité supérieure à 1 point par possession au poste bas. Sur P&R, l’exercice « à la mode » seul 6 joueurs en NBA sont au-dessus de cette barre de 1 ppp (pour les gros volumes de tirs) dans le rôle du porteur de balle qui prend un tir. De quoi mettre les choses en perspective. L’évolution du jeu au poste de Joel Embiid est d’ailleurs marquante : lui qui enchaînait les hook shots main droite ou main gauche en NCAA (des tirs difficiles et peu rentables) n’en prend quasiment plus aujourd’hui, et préfère aller chercher un lay-up, prendre un face-up jumper ou provoquer une faute.

Une isolation, un jeu au poste bas, un Pick & Roll, ce ne sont que des situations initiales, les conditions dans lesquelles le joueur va démarrer l’action. Or, l’important n’est pas la manière de commencer l’action, mais bien sa finalité, c’est-à-dire le type de tir qu’on obtient à la fin de l’action. A partir d’une isolation, d’un Pick & Roll, d’un jeu au poste bas, il est possible d’obtenir des lay-ups très rentables au panier comme des tirs difficiles dans l’entre-jeu.

Une isolation simpliste d’un joueur lambda, avec une attaque statique autour, en attaquant frontalement un bon défenseur, c’est complètement différent d’une isolation par un joueur d’élite, attaquant un mismatch défensif et un spacing bien organisé autour. De la même manière qu’un centre de Liverpool pour Andy Carroll, ce n’est pas la même chose du tout qu’un centre du Bayern pour Robert Lewandowski.

L’important ce n’est pas ce qu’on fait, mais pourquoi et comment on le fait.

Mike D’Antoni et Steve Kerr sont pragmatiques.

Jouer dans la mi-distance et multiplier les isolations, ce n’est pas ce qu’ils souhaitent faire à la base, ce n’est pas dans leur ADN. Mais l’un et l’autre ont su verser un peu d’eau dans leur vin.

Les Suns de D’Antoni ont changé le visage de la ligue au milieu des années 2000s. Ils ont impulsé cette révolution grâce à leur jeu léché et leur force de frappe offensive tout en finesse, avec style. On était ravi de retrouver ça chez les Rockets d’un James Harden tout autant fait pour s’épanouir dans ce système que pour le sublimer. Mike D’Antoni aurait pu être qualifié de romantique du jeu, il l’a été d’ailleurs. Un vrai héros romantique, qui en rassemble toutes les caractéristiques : tourné sur lui-même, sur sa philosophie de jeu, exclu de la société, et en permanence déçu de la réalité.

Mais non, Mike D’Antoni n’est pas romantique, Mike D’Antoni est un grand coach qui garde la tête froide, évalue les forces et les faiblesses de son effectif, et qui positionne son envie de gagner au-dessus de sa volonté de le faire d’une certaine manière. La même non-narration pourrait être faite pour Steve Kerr et ses soudains Golden State « Mid-Range » Warriors, après trois années à dominer la ligue à coup de tirs primés.

Mike D’Antoni et Steve Kerr sont pragmatiques. Comme Pep Guardiola.

Le romantisme, c’est pour les livres.

Guillaume (@GuillaumeBInfos)

 

Note : Toutes les statistiques datent de début Mars (date de recherche & d’écriture de l’article) avant la baisse de forme & les blessures des Warriors. Des changements minimes ont pu arriver depuis sans changer pour autant la teneur du propos.

Pour aller plus loin :

  • L’incontournable interview de Samuel Eto’o sur BeIn Sports, pour aider à mieux cerner le personnage un peu plus contesté que le tacticien.

  • L’application on ne peut plus importante de la règle du « Pourquoi, comment, quoi » en marketing :

Une réflexion sur “Pep Guardiola est un génie (réflexion sur les Analytics)

  • WarriorsBucksKid #A

    Quel article, il faut vraiment faire en sorte qu'il ait plus de visibilité !

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