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Jack Twyman et Maurice Stokes, l’amitié qui a bouleversé la NBA​

Coéquipier de Jack Twyman aux Cincinnati Royals, Maurice Stokes s’est retrouvé paralysé suite à une grave blessure en 1958. Le premier est alors devenu le tuteur légal du second, l’accompagnant jusqu’à la fin de sa vie. Leur histoire, émouvante, a inspiré un film mais aussi un trophée, celui du meilleur coéquipier en NBA.​

«Il y a des choses plus importantes que le basket.» Brad Stevens ne s’y trompait pas après la qualification de ses Boston Celtics face aux Chicago Bulls pour les demi-finales de conférence Est, en avril 2017. Le coach faisait référence au tragique décès de Chyna, la sœur d’Isaiah Thomas âgée de 22 ans, dans un accident de la route. La planète basket, submergée par l’émotion, lançait des messages d’amour au meneur endeuillé, démontrant les liens que crée le sport entre les gens. Le plus bel exemple dans l’histoire de la NBA reste certainement l’amitié entre Jack Twyman et Maurice Stokes. Plus que des amis : une famille. Au sens propre du terme.​

Pour Bob Cousy, Maurice Stokes «venait du futur»​

Les Royals (devenus les Kings en 1972) ont le nez fin en sélectionnant Maurice Stokes, surnommé Big Mo’, avec le 2eme choix à la draft 1955. L’intérieur mesure à peine 2 mètres «mais il prenait des rebonds comme s’il faisait 2 mètres 40», s’émerveille le journaliste George Beahon dans un documentaire d’ESPN Classic. Ses performances quatre ans durant à l’université de Saint-Francis parlent pour lui. Bien que noir dans une école très majoritairement blanche et catholique, à une époque où la ségrégation régnait aux Etats-Unis, Stokes a trouvé sa place. Au point de faire exploser la demande de places pour assister aux matches des Red Flash, qui furent contraints de déménager vers une plus grande salle. Le phénomène est en marche.​

La domination de Stokes dans les raquettes NBA est immédiate : 17 points, 16 rebonds et 5 passes décisives de moyenne dès sa première saison. Logiquement élu rookie de l’année et All-Star, Big Mo’ se dirige vers une carrière de légende. Sur ses trois premières saisons, il est le meilleur rebondeur de la ligue devant Bob Pettit, et le… deuxième meilleur passeur, derrière Bob Cousy. «Physiquement, il faisait des choses inédites, témoigne le meneur des Celtics pour ESPN. C’était un ailier fort rapide et athlétique. Il venait du futur.» Une sorte de LeBron James avant l’heure. Malheureusement pour lui, ces trois saisons furent les seules. De retour en playoffs en 1958, les Cincinnati Royals nourrissent de grands espoirs avec le pivot scoreur Clyde Lovellette, le shooteur Jack Twyman et la montagne Maurice Stokes. Jusqu’à ce soir du mercredi 12 mars.​

Maurice Stokes, ailier fort des Cincinnati Royals

«Il essayait de parler, mais il n’y arrivait pas.»​

Les vacances sont à une poignée de minutes des Minneapolis Lakers, bon derniers de la Ligue, qui reçoivent les Royals pour le dernier match de la saison régulière. «Sur une contre-attaque en fin de match, Maurice fonçait vers le panier et un adversaire a tenté de le bloquer, raconte son adversaire du soir, Bob Leonard. Il y a eu un bruit sourd.» Silence de cathédrale dans l’Auditorium. Stokes, étalé de tout son long sur le parquet, perd conscience. «Je l’ai vu prendre un paquet de coups, passer par-dessus la table de marque se relever à chaque fois, explique un ancien coéquipier, Ritchie Regan. On ne se rendait pas compte de la gravité de la blessure.» Quelques minutes plus tard, Stokes revient dans le match que les Royals remportent (96-89). Tout va bien. L’intérieur prend même part au premier match des playoffs chez les Detroit Pistons, que les locaux dominent 100-83. «Malgré son double-double, il semblait manquer d’énergie», reconnaît le journaliste Scott Pitoniak. Les Royals prennent le chemin de l’aéroport pour rentrer à Cincinnati. Sur le trajet, Big Mo’ se sent mal et vomit. Après un peu de repos, l’ailier fort et l’équipe embarquent à bord de l’avion.​

C’est alors que le drame survient. «Au bout de 10 minutes, Maurice était trempé de par sa sueur, comme si on l’avait plongé dans une piscine», se souvient Jack Twyman. «Il n’arrivait plus à respirer, il convulsait», ajoute Ritchie Reagan. A 30 minutes de l’atterrissage, un coup de fil permet d’alerter une ambulance. Les lumières rouges et blanches envahissent l’aéroport. «Ces lumières… elles m’ont hanté pendant des années», murmure le journaliste Jim Schottelkotte. A l’hôpital, les médecins ne savent pas si Maurice Stokes, plongé dans le coma, passera la nuit. «Quand je suis entré, nous étions seuls dans la pièce, souffle douloureusement son coéquipier Ed Fleming. Je lui ai parlé et il a ouvert les yeux. Puis il s’est mis à pleurer… Il essayait de parler, mais il n’y arrivait pas. J’étais dévasté.»​

Un match de charité avec Wilt Chamberlain et Bill Russell​

Quelques semaines s’écoulent. La sortie du coma de Stokes, 24 ans, s’accompagne du verdict médical : son corps tout entier est paralysé en raison d’une blessure au cerveau. «Son esprit allait très bien, mais il ne communiquait plus qu’en clignant des yeux», confesse Jack Twyman, qui n’était pas son plus proche partenaire aux Royals. «Ils ne se sont jamais entendus sur le parquet», révèle le coéquipier Don Meineke, qui se rappelle de soirs où Stokes faisait savoir à Twyman ce qu’il pensait de sa mauvaise sélection de tirs. Mais leur relation bascule suite à l’accident. Le shooteur de Cincinnati reste à son chevet. Il liste les lettres de l’alphabet afin de composer le mot auquel Maurice pense. «A ? Non. B ? Non. […] S ?» Maurice cligne des yeux. Bis repetita pour avoir la 2ème lettre et ainsi de suite. Surtout, Twyman mène de grandes batailles juridiques afin que Stokes puisse bénéficier d’aides financières, pour couvrir les frais médicaux. Si les joueurs sont fortement protégés et assurés aujourd’hui, ils le doivent à des décennies de combat et à leurs pairs. ​

Ainsi, Twyman accompagna Stokes dans son quotidien. Mieux : il l’adopta, devenant son tuteur légal afin de faciliter les choses. Il lança le Maurice Stokes Memorial Basketball Game, un match annuel de charité qui collectait des fonds pour ses frais médicaux. Des stars telles que Wilt Chamberlain, Oscar Robertson, John Havlicek, Earl Monroe ou Bill Russell se réunissaient le temps de quelques paniers. Cette initiative, la plus visible, n’était que la partie émergée de l’iceberg. Surtout, Stokes est devenu un membre de la famille Twyman. «Ma femme Carol et moi avons accepté Maurice dans notre famille, s’est-il ému lors de son discours à l’introduction de Stokes au Hall of Fame, en 2004. Nos enfants ont grandi avec lui. Nos dimanches soirs, quand Maurice venait manger à la maison, c’était quelque chose.» Avec le temps, Big Mo’ réalisait des progrès et parvenait à articuler des mots, à bouger ses membres, et par-dessus tout à sourire. Un bonheur à la fois pur, démonstratif et poignant. Le résultat d’une lutte sans relâche qui lui permit de vivre jusqu’à 36 ans, soit 12 années après son accident. Jusqu’au bout, Maurice Stokes fut une force de la nature. Une inspiration.​

Wilt Chamberlain et Maurice Stokes

«Il a inspiré tous ceux qui l’ont approché.»​

Big Mo’ n’aura pas eu la chance de côtoyer Big O, Oscar Robertson, drafté par les Royals en 1960. Nombreux sont ceux à penser que la domination sans partage des Celtics de Bill Russell (11 titres entre 1957 et 1969) n’aurait pas été la même si Stokes avait pu poursuivre sa carrière. Néanmoins, l’héritage fut assuré. D’abord au travers du match de charité mentionné plus tôt, mais aussi avec un film biographique, Maurie, sorti en 1973. Et surtout grâce au Twyman-Stokes Teammate of the Year Award, qui récompense le meilleur coéquipier en NBA depuis 2013. En 2004, Maurice Stokes a donc intégré le Hall of Fame de la Ligue. Qui d’autre que Jack Twyman, devenu lui-même Hall of Famer en 1983, pour s’exprimer ce jour-ci sur scène et recevoir l’honneur en son nom : «Durant 12 longues années, je ne l’ai jamais vu triste, énervé ou se plaindre de sa condition. C’était une personne fantastique et une merveilleuse opportunité pour moi d’être au contact de cet homme. Il a inspiré tous ceux qui l’ont approché.»​

C’est l’histoire d’un grand rebondeur qui a magnifiquement rebondi. D’un homme encore plus admirable que l’était le basketteur. Et d’un ami qui l’a épaulé jusqu’à la fin, donnant naissance à une amitié unique. Il convient de mentionner la dimension raciale du lien entre Twyman et Stokes, dans une Amérique ségrégationniste qui ne savait pas ignorer la couleur de peau d’un homme, d’une femme ou d’un enfant. C’est l’histoire d’une camaraderie qui traverse les époques et qui restera à jamais le fruit du basketball.

Par Sébastien Ferreira (@sebferreira23)

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