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Quelle place dans l’histoire pour le collectif des Spurs?

En surclassant le Miami Heat et LeBron James durant ces Finals 2014, les Spurs ont réussi un double exploit: dominer outrageusement les « Michael Jordan et Chicago Bulls de notre ère » (dixit Frank Vogel), et faire mentir l’adage, vérifié depuis bien longtemps (en fait quasiment depuis le dernier titre des Spurs en 2007), selon lequel l’équipe qui possède le meilleur joueur d’une série l’emporte.

On pourra discuter de la qualité de l’opposition (ce supporting cast tant décrié), il n’en reste pas moins que le Heat se présentait comme un double champion en titre, présent en finale pour la quatrième fois consécutive, avec dans ses rangs trois Hall-of-Famers (et encore, Chris Bosh peut également prétendre à une place au panthéon du basket), un revanchard ayant retrouvé un niveau proche de sa finale 2010 (Rashard Lewis), des vétérans expérimentés, et un jeune ailier qui plantait encore 10 points de moyenne l’an passé. Bref, un collectif solide, malgré une usure perceptible, et emmené par un LeBron James au sommet de son art, en mission pour réaliser son premier Three Peat et poursuivre sa course sur les traces de Sa Majesté Michael Jordan.

Pour rendre cette équipe longtemps donnée favorite à ce point impuissante, les Spurs ont dû élever leur niveau de jeu jusqu’à atteindre une osmose collective sans précédent dans l’histoire moderne de la ligue. La première stat qui surgit dans cette optique est le nombre d’assists par match. Avec 26 passes décisives en moyenne, les joueurs de San Antonio ont réalisé la meilleure ligne de stats dans ce domaine depuis le début des années 2000. Seuls le Heat 2013 (21 assists par match) et les Celtics de 2008 (23), auxquels il faut ajouter les Lakers du Three-Peat 2000-2002 (23 assists par match sur chaque finale) se sont approchés un tant soit peu des standards texans, sans toutefois rivaliser réellement. Et encore, pour les Lakers du Three-Peat, l’opposition assez faible était de nature à faire s’envoler les statistiques offensives. Plus que les paniers assistés, les Spurs ont surtout fait de la passe leur marque de fabrique. Avec 1723 (!!) passes contre 1250 au Heat durant les Finals, San Antonio a dominé Miami de la tête et des épaules dans ce domaine.

Autre élément important à prendre en compte, et qui accrédite la théorie selon laquelle les Spurs seraient bel et bien le plus abouti des collectifs vus depuis 15 ans, ce grand nombre de passes décisives est très bien réparti. On trouve ainsi parmi les hommes de Greg Popovich six hommes affichant plus de 2 passes décisives par match, dont 3 (Boris Diaw avec 5.8, Tony Parker avec 4.6, Manu Ginobili avec 4.4) tournaient, durant les finals, à plus de 4 APG. Cette distribution variée des rôles se retrouve d’ailleurs dans le scoring, puisque l’on observe 6 joueurs (Parker, Leonard, Duncan, Ginobili, Mills et Green) dépassant les 9 points par match… et aucun au-dessus des 18 points! D’un point de vue historique, toujours en comparant aux autres équipes disputant les Finals depuis 1999, les Spurs version 2013 atteignaient déjà la barre des six joueurs à plus de 9 points mais étaient loin du compte en terme d’assist, le Heat 2012 avait également trois passeurs au-dessus des 4 assists par match (mais pas un autre joueur de l’effectif ne dépassait les 0.5 passe décisive par match, preuve d’une création très orientée autour d’un axe James-Wade-Chalmers), les Pistons 2005 avaient 6 joueurs au-dessus des 10 points mais finalement assez peu d’assists, et les Lakers 2000-2002 et 2004, malgré également 3 passeurs au-delà des 4 APG, concentraient leur jeu offensif sur Shaquille O’Neal et Kobe Bryant (entre 22 et 34 points chacun) uniquement (le troisième scoreur de l’équipe étant à… 6 points de moyenne! dans plusieurs cas, avec une exception notable en 2000 où Robert Horry, 5ème meilleur marquer de l’équipe, affichait 9 points par match).

Cet hallucinant équilibre collectif a d’ailleurs débouché sur d’autres statistiques parlantes, à commencer par une adresse ahurissante à un tel niveau de compétition (52.8% au shoot sur les finales, record NBA), rendue possible par le nombre très important de tirs ouverts trouvés par les hommes de Greg Popovich.

Les Spurs 2014 sont donc, en tout cas à la vue grossière des stats, le collectif le plus abouti de l’ère post-Jordan. Mais au-delà des chiffres, c’est bien évidemment le rendu visuel d’un collectif ayant atteint des sommets de fluidité qui permettra à cette version 2014 des Spurs d’être à jamais considérée comme un summum de jeu d’équipe. Ceux qui ont assisté, incrédules, à cette irruption merveilleuse du jeu d’équipe durant laquelle la solidarité et la volonté de se mettre au service du collectif ont triomphé du meilleur joueur du monde et de ses acolytes ne l’oublieront sans doute jamais. L’impact sera d’autant plus grand qu’en face se trouvait un LeBron au sommet de son art, qui semblait indéfendable avant le début de la série. En triomphant de Goliath, les Spurs ont sans doute laissé une empreinte indélébile qui n’aurait pas été aussi percutante si les Finals avaient été disputées face aux Pacers ou à toute autre équipe que ce Miami Heat double champion en titre. Et les images laissées par les joueurs de San Antonio, sans parvenir à retranscrire le sentiment de perfection et d’aboutissement ressenti en regardant en direct ce monstre crée par l’esprit de revanche et la volonté à la fois tactique et collective portée à son paroxysme, fascineront des générations entières de basketteurs.

Ce titre pourrait d’ailleurs avoir des répercussions insoupçonnées sur le basketball aux USA en général. Implicitement, il est quasiment acquis pour les américains que le jeu collectif, tant mis en valeur en NCAA, fait moins vendre que le fait de mettre en valeur une star. Les mix des finals 2014 déjà disponibles sont ainsi révélateurs: on voit souvent les drives de Kahwi, les shoots de Parker ou Mills et les dunks rageurs de Splitter, beaucoup moins les phases collectives ayant créés ces décalages et permis ces finitions faciles. Pourtant la victoire des Spurs avec ce style de jeu poussé à ce niveau et face à une telle équipe (car en fait, les victoires des Spurs en 1999, 2003, 2005, 2007 étaient, malgré un jeu collectif au-dessus de la moyenne, toujours dans un style assez individualiste et moins collectif qu’aujourd’hui) constitue une petite révolution. On a battu les Bulls de 98, on a triomphé de Jordan, et il n’est pas forcément nécessaire de disposer d’une superstar candidate au MVP pour remporter le titre suprême. Tout un pan du basketball est mis en lumière, car après tout peu d’équipe s’était pliée à ce niveau d’investissement de l’individu dans le collectif, et cette approche semblait posséder ces limites puisque finalement la majorité des titres NBA sont tombés dans l’escarcelle des équipes menées par des superstars.

Nul doute que l’engagement de David Blatt à Cleveland est là un symbole. Les équipes NBA ont désormais compris que le salut face à des superstars rares et difficiles à limiter (en gros, surtout Durant et LeBron), pouvait être trouver dans un playbook précis et efficace. Pourtant, la vigilance est de mise, car le succès des Spurs reposent aussi sur deux facteurs propre aux hommes de Popovich et qui ne se retrouveront pas partout.

Le premier, c’est le niveau défensif des Spurs. En fait, Popovich a su détourner les ego de l’individualisme offensif en demandant une défense de tout instant. Il a exigé de chacun de ses joueurs une volonté sans faille de surpasser individuellement l’adversaire direct sur le plan défensif. La fierté des joueurs en tant qu’individu ne s’est donc plus exprimée au moment de planter un shoot décisif sur la tête de l’adversaire (bon, le dunk de Gino montre quand même que les gars avaient la rage), mais en se donnant pour impératif individuel de limiter l’adversaire. Et on a ainsi vu l’inoxydable Leonard courir après LeBron 5 matchs durant sans jamais montrer de signe de faiblesse, Danny Green plus heureux de voler une balle à Wade que de scorer à 3, ou Splitter monter plus férocement pour contrer Flashes que pour conclure offensivement. Difficile a priori d’espérer voir tous les coachs européens qui seront recrutés dans les prochaines années parvenir à toucher de cette façon l’orgueil de leurs protégés, et obtenir un tel niveau d’investissement défensif. Popovich, en plus d’être un grand meneur d’hommes, disposait lui d’un souvenir percutant pour motiver ces hommes: ce fameux game 6 des Finals 2013.

Le second, c’est le QI basket et la faculté de se fondre dans un collectif des joueurs de San Antonio. Avec plusieurs joueurs passés avec succès par l’Europe (Splitter, Ginobili, Diaw…), il était plus facile de mettre en place un jeu tel qu’on en voit sur le Vieux Continent, fait de systèmes offensifs rodés, d’une défense orgueilleuse et de prises de décision suivant l’esprit du jeu. Certains joueurs européens sont formés dès leur plus jeune âge (Diaw et Parker à l’INSEP par exemple) à ce type de jeu, et il leur est donc très facile d’intégrer ce système et d’y trouver une place naturelle sans perturber le collectif. A Cleveland, on a plus de difficulté à imaginer Irving et Waiters accepter d’évoluer sans le ballon et jouer l’extra-passe, ou même lâcher vite la balle après avoir sollicité l’aide.

Finalement, les Spurs ont clairement développé durant ces finals (et en fait depuis 2 saisons) le jeu collectif le plus abouti du basket moderne (ère post-jordan). On pourrait sans doute étendre ce constat, tant le développement du basket dans les années 80-90 a fait intervenir des stars plutôt que des équipes. Il faudrait alors comparer les Spurs au basket des années 70 et 60 (avec notamment le Boston de Bill Russel), dans lequel le jeu était trop éloigné du basket moderne pour que l’on puisse clairement établir une hiérarchie. La vraie question est en fait de savoir si la qualité du basket proposé par les hommes de Popovich, et le fait que c’est cet esprit d’équipe et cette discipline qui leur ont permis de renverser la montagne estampillée Miami Heat, est susceptible d’engager une petite révolution dans le monde de la NBA, avec un plus grand nombre de coachs européens et un jeu plus proche de celui pratiqué sur le vieux continent. Elément de réponse dès la saison prochaine, avec le succès ou non de David Blatt à Cleveland. Histoire de savoir si ces finals 2014 n’étaient qu’une parenthèse enchantée de basket total, ou si l’on vient d’assister aux prémices d’une nouvelle NBA.

Une réflexion sur “Quelle place dans l’histoire pour le collectif des Spurs?

  • Theloger

    Fan des spurs de toujours j'ai pris bcp de plaisir à lire cet article, merci à l'auteur ;)

    J'ai juste envie d'ajouter quelque chose : le collectif tant mis en avant par tout le monde, il est réel, c'est vrai. Les mecs ont l'état d'esprit et sont encadrés pour le mettre en place. Mais j'ai quand même envie de dire qu'il y a des individualités assez incroyables : Manu et Diaw sont des passeurs géniaux, TP est le parfait playmaker/slasher, celui qui va apporter du jeu sur isolation aux spurs, et Duncan, le Big Fundamental, il va tout bien faire comme il doit (défendre, scorer sans forcer …)
    Alors à la question de savoir si une autre équipe sera capable de jouer comme ça un jour, il faudra d'abord répondre à est ce que des phénomènes tels que Ginobili et Diaw notamment réapparaîtront dans la ligue.
    Ce collectif est une équipe parfaitement construite, une somme d'individualités altruistes qui ont un jeu qui colle bien ensemble.

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