La touche Lucas

Boston Celtics, la naissance d’une légende

Bien que dépourvu de climatisation, le Boston Garden pouvait proposer une palette de températures des plus variées. On pouvait s’y trouver au frais, voire en plein courant d’air un jour, et suant dans les vapeurs d’un sauna le lendemain. On raconte que ces températures n’avaient rien à voir avec la météo, mais qu’elles s’adaptaient d’elles-même aux besoins des Celtics selon le cours du match.

Peu importe le climat, c’était tous les soirs que l’atmosphère était étouffante dans ce vieux gymnase humide et puant, où les nombreuses bannières regardaient dans les yeux un parquet que les années avaient craquelé. A Boston, on avait coutume d’appeler cette ambiance le “Celtic Mystique”, mais c’était en réalité bien plus palpable que cela. Année après année, le poids des victoires des Celtics pesait toujours plus sur les épaules de leurs adversaires, rendait le ballon plus lourd quand il était dans leurs mains, et réduisait en miettes leur confiance.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il fut un temps où Boston n’était pas encore assis sur le trône du Basketball, un temps où les Celtics n’étaient qu’une équipe anonyme de plus dans un championnat qui l’était tout autant. Lentement mais sûrement, tout cela allait changer, au fur et à mesure que des joueurs rejoignaient les rangs des Celtics. Des joueurs qui allaient changer la face du Basketball à tout jamais.

Tout commença avec Ed Macauley. Easy Ed était un pivot de 2m03 pour 86 kilos : pas le genre à faire peur, mais il pouvait remonter le ballon et illuminer un match rien que par la finesse de son jeu. Puis il y eût Bob Cousy, un jeune meneur qui avait été All-American à Holy Cross, une petite fac du coin. Dribbles dans le dos, passes aveugles, Cousy était un régal pour les yeux.

Les Celtics ajoutèrent un autre très bon joueur en la personne de Bill Sharman, un vrai sniper en attaque et un vrai chien en défense. Il sortait de Southern Cal et avait joué au Baseball chez les Brooklyn Dodgers. Compte tenu de ses qualités des deux côtés du parquet, les Celtics tenaient avec lui et Cousy le meilleur backcourt du Monde. Sharman et Macauley étaient tous les deux rapides et adroits, soit exactement les joueurs qu’il fallait à Cousy. Mais bien qu’ils fussent aussi doués qu’agréables à regarder, il manquait quelque chose à ces Celtics pour arriver à passer les finales de division.

Red Auerbach, le coach, cherchait en vain l’intérieur qui lui manquait, le joueur spécial qui changerait le visage de son équipe. Et un jour, Bill Reinhart, qui avait entraîné Auerbach à la fac, lui téléphona pour lui demander de venir voir un joueur, Bill Russell, alors sophomore à l’université de San Francisco.

Russell n’avait rien à voir avec les autres pivots. Il faisait 2m06 mais courait le 400m en moins de 50 secondes. Incroyablement athlétique, le sens du timing du jeune Bill faisait de lui un contreur et un rebondeur redoutable. En revanche, son jeu offensif était si brut que la quasi-totalité de ses points provenait des tirs manqués de ses coéquipiers qu’il récupérait pour les remettre dans le droit chemin du panier.

Tout comme Auerbach, Russell ne s’intéressait à rien d’autre qu’à la victoire. Le joueur et le coach n’eurent pas besoin de discuter longtemps pour comprendre qu’ils se plaisaient. “Il était le joueur d’équipe ultime”, déclara un jour Auerbach. “Sans lui, il n’y aurait pas eu de dynastie. Il n’y aurait pas eu de Celtic Mystique.”

St Louis choisit Russell avec le troisième choix de la Draft 1956, et ils l’envoyèrent à Boston contre Macauley et les droits sur Cliff Hagan. Auerbach dénicha deux autres perles dans cette draft : Tom Heinsohn, l’ailier de Holy Cross, et KC Jones, un coéquipier de Russell à San Francisco.

Les Celtics finirent la saison régulière avec un bilan de 44-28, soit 6 victoires de plus que Syracuse, ce qui leur permit de terminer premiers de la division Est. Russell afficha une moyenne de 19,6 rebonds par match. Cousy termina meilleur passeur et fut élu MVP. Alors que les Playoffs débutaient, on apprit que Heinsohn avait été nommé Rookie of the Year.

Bill Russell Red AuerbachBoston n’eût aucun mal à se défaire de Syracuse en finales de la division Est. A l’Ouest, c’était St Louis qui s’était imposé, alors qu’ils avaient terminé la saison avec un bilan négatif de 34 victoires pour 38 défaites. Néanmoins, cette équipe des Hawks avait mis du temps à se trouver, et elle avait quand même sorti Minneapolis et Fort Wayne au cours des Playoffs, deux équipes peu habituées à être éliminées si tôt.

Sur le papier, les finales Hawks-Celtics semblaient pour le moins déséquilibrées. Mais ces finales 1957 étaient bien plus que du papier : les destinées de tous les acteurs, joueurs comme dirigeants, toutes ces destinées s’étaient toujours croisées sans jamais se rejoindre.

Auerbach avait travaillé pour le propriétaire des Hawks, Kerner, à l’époque où la franchise s’appelait encore les Tri-Cities Blackhawks. Macauley avait joué avec Boston pendant six ans. C’étaient les Celtics qui avaient drafté Hagan, avant de l’envoyer aux Hawks. St Louis avait drafté Russell avant de l’échanger. Charlie Share, l’intérieur de St Louis, avait été drafté par Boston sans être conservé. Cousy aurait pu être un joueur des Blackhawks de Kerner, si ce dernier ne l’avait pas envoyé à Chicago. Chacun des joueurs avait une partie de son histoire écrite chez l’adversaire.

De plus, les Hawks avaient de quoi faire le poids face à Boston, et ce malgré leur bilan négatif. A l’intérieur, ils pouvaient compter sur le seul et unique Bob Pettit, mais aussi sur Macauley, Hagan, Share et Jack Coleman. Leurs arrières n’étaient pas en reste, Slater Martin à la mène (les Lakers l’avaient envoyé à New York, mais il n’y était resté que quelques semaines avant que les Hawks ne le récupèrent) aux côtés de Jack McMahon, un solide titulaire que St Louis avait obtenu dans le cadre du trade pour Coleman.

Et dès le premier match, les Hawks prouvèrent qu’ils méritaient d’être pris au sérieux. Devant le public du Garden, Sharman inscrivit 36 points pour les Celtics, mais Pettit lui répondit avec 37 points, tandis que Macauley et Martin ajoutèrent 23 points chacun. Portés par cette puissance de feu inespérée, les Hawks poussèrent les locaux en double prolongation, et s’imposèrent 125 à 123 sur un shoot miraculeux de Coleman au bout de l’horloge des 24 secondes. Les Celtics eurent la dernière possession mais leur shoot ne trouva pas la cible.

On se rendit vite compte que ces finales seraient avant tout une opposition de styles : les intérieurs de St Louis -et notamment Pettit et Macauley, qui avaient écrasé Russell au premier match- assuraient le gros du scoring, alors que l’attaque de Boston passait surtout par ses arrières, des arrières en difficulté puisque St Louis possédait deux excellents défenseurs sur ces postes en les personnes de Martin et McMahon. Boston sut néanmoins rebondir après sa défaite initiale en défendant plus dur, limitant Pettit à 11 points lors du Game 2 pour finalement s’imposer 119-99 et remettre la série à égalité.

Le Game 3 fut lui aussi une lutte défensive de chaque instant. Beaucoup de tension et beaucoup de fautes, les deux équipes se rendant coup pour coup sur la ligne des lancers. Dans les dernières secondes, Pettit rentra un shoot particulièrement lointain et les Hawks s’imposèrent 100 à 98, reprenant ainsi le contrôle de la série.

Boston parvint à remporter le Game 4 à St Louis sur le score de 123 à 118, remettant à nouveau les deux équipes à égalité. Cousy inscrivit 31 points, chacun d’entre eux nécessaire face aux 33 unités de Pettit. Les Celtics gagnèrent ensuite la cinquième manche à Boston sur le score de 124 à 109.

La série repartit donc à St Louis, où allait se tenir une nouvelle bataille défensive. Cousy fut limité à 15 points. A 12 secondes de la fin, il eût l’opportunité d’offrir la victoire à son équipe sur la ligne de réparation, mais manqua ses deux lancers alors que le score était de 94 partout. Sans surprise, c’est Pettit qui hérita du dernier shoot. Il le manqua, mais Hagan prit le rebond et marqua juste avant la sirène, donnant ainsi la victoire à St Louis 96 à 94.

La série était à égalité trois manches partout, avec le dernier match au Garden. Auerbach était à deux doigts du titre qu’il convoitait depuis plus de dix ans. Comme chaque coach qui n’a jamais gagné, il ressassait ses vieux démons : quand il avait entraîné au lycée, son équipe était la grande favorite mais s’était inclinée à chaque fois. L’histoire s’était répétée lorsqu’il avait coaché les Washington Capitols.

Tous ces doutes et ces échecs l’avaient suivi à Boston, où il avait du lutter pour bâtir une équipe digne de ce nom. “Je voyais tous ces coaches autour de moi, et j’essayais de me rassurer, de me dire ‘je pense toujours que je suis aussi bon qu’eux’” se rappelle-t-il. Pourtant, plus ces finales 1957 avançaient, plus il doutait. Il était à nouveau à un match de son rêve. Et s’il échouait à nouveau?

Mais rien ne l’aurait préparé à ce qui allait suivre. Le Game 7 fut un des plus grands matches de tous les temps, mis à part la prestation du backcourt des Celtics : Cousy shoota à 2/20 et Sharman à 3/20, soit un pourcentage total de 12.5% pour les deux arrières. Cette triste performance mit davantage de pression sur les rookies, mais ces derniers ne tremblèrent pas et répondirent avec la manière : Russell avec 19 points et 32 rebonds, et Heinsohn avec 37 points et 23 rebonds!

Dès l’entre-deux, les Celtics prennent le contrôle du match, mais les Hawks sont décidés à ne rien lâcher et reviennent au score, si bien qu’ils mènent 28-26 à la fin du premier quart-temps. Boston passe un nouveau coup d’accélérateur, et reprend l’avantage 41-32 au milieu du deuxième quart. Hagan inscrit alors trois paniers d’affilée, et portés par les ailes de leur ailier, les Hawks pointent devant à la mi-temps, 53 à 51.

Les Celtics récupèrent à nouveau l’avantage à la fin du troisième quart, 73-68, et portent même l’écart à huit points un peu plus tard. Une fois de plus, St Louis répond avec un run de 9-0 pour repasser devant. A deux minutes de la fin, ils ont 4 points d’avance. Boston marque trois lancers pour ramener le score à 101-100. Avec moins d’une minute à jouer, c’est St Louis qui a la balle et Coleman déclenche un shoot qui peut tuer le match.

Mais Russell contre le tir, et marque sur la possession suivante. Boston passe devant, 102 à 101. Les Hawks récupèrent la balle, mais ne marquent pas. Ils font faute sur Cousy, qui peut verouiller le titre sur la ligne des lancers. Une nouvelle fois, le meneur de Boston s’écroule sous la pression et n’en rentre qu’un.

Les Celtics mènent tout de même désormais 103 à 101, mais Pettit parvient à provoquer une faute dans les toutes dernières secondes. Son bras ne tremble pas, il rentre ses deux lancers et envoie le match en prolongation. Les problèmes de fautes commencent alors à peser pour les Hawks : McMahon prend sa sixième et se voit contraint de rejoindre le banc, puis c’est au tour de Hagan de sortir. Pourtant, St Louis reste au contact.

Il ne reste que quelques secondes dans la prolongation et Boston mène 113-111. Coleman, qui avait mis le shoot de la gagne au premier match, rentre un nouveau jumper clutchissime. Double prolongation.

Bien que minés par les fautes, les Hawks refusent d’abdiquer. Seulement une poignée de secondes restantes s’affichent à l’horloge quand Macauley rejoint le banc à son tour après une faute sur Locustoff. Le musculeux ailier des Celtics rentre ses deux lancers et Boston mène 125 à 123. St Louis n’aura qu’une seule chance de marquer, et doit remettre la balle en jeu depuis sa propre ligne de fond.

Alex Hannum, entraîneur-joueur de St Louis (mais qui n’a pas foulé le parquet de la série) est le seul joueur à pouvoir remplacer Macauley car quasiment tous les Hawks ont été sortis sur six fautes. Sur cette ultime possession, il veut lancer une passe tout-terrain contre le panier des Celtics dans l’espoir que Pettit puisse marquer sur une claquette. Aussi fou que cela puisse paraître, la passe d’Hannum rebondit contre la planche, et Pettit la récupère. Sa claquette roule sur le cercle et ressort alors que la sirène retentit. Les Celtics sont champions.

Les joueurs de Boston célèbrèrent leur victoire comme il se doit, en descendant des bières dans le vestiaire bien sûr, mais aussi en rasant la barbe d’un Russell fou de joie. Puis ils sortirent dîner en ville. Pour Boston, c’était le premier bon moment d’une longue série. Cousy s’en rappelle encore comme de la plus grande satisfaction de sa vie.

Red Auerbach aussi d’ailleurs : “Ca a été dur. Le premier est toujours le plus dur, mais aussi le meilleur. Partout où j’allais l’été d’après, je n’arrêtais pas de me répéter “Je suis le coach des champions. Je suis le coach des champions.’”

Cette victoire marque le début de la dynastie des Celtics, et du Celtic Mystique. L’équipe s’inclina l’année suivante en finales face aux Hawks, avant de remporter huit titres d’affilée, auxquels ils ajoutèrent encore deux autres en 68 et 69. Aujourd’hui, les Celtics de Boston sont l’équipe la plus titrée de l’histoire de la NBA avec 17 bannières.

 

Traduction d’un article paru sur NBA.com d’un auteur inconnu. Tous droits réservés. Traduction réalisée par Lucas Saïdi (@SwitchtoLK).

 

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3 réflexions sur “Boston Celtics, la naissance d’une légende

  • JoachimCelts

    Magnifique article. Merci Lucas pour la traduction. J'étais à fond dedans pour le Game 7 ^^

  • Leprechaunn

    Superbe article :)

  • barkul

    je crois que l'auteur a une tel capacité a retranscrire l'intesité du match que tout le monde l'a vecu a fond ^^

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