[La Big Interview – 1/2] Frank Ntilikina : « Je me suis surtout dit : ça reste du basket ! »
Tout au long de la pré-saison, nous avons suivi la pépite du basket français, double-champion d’Europe avec les U16 et U18 (MVP en décembre dernier), meneur titulaire du finaliste Strasbourg en Pro A, Français le plus jeune et le plus haut sélectionné à la Draft (pète ton CV…), qui s’apprête à faire son entrée en NBA par l’une des plus grandes portes : New York. Mais si tous les signes semblent pointer vers un développement positif (imaginez, les Knicks ont même vraiment pressé le bouton « rebuild » après quinze ans d’entêtement !), « French Prince » n’a pas participé à la Summer League et n’a pu tâter le parquet du Madison Square Garden que pour 18 petites minutes, lors du premier match de pre-season (à chaque fois à cause d’un choc au genou droit)… De quoi créer encore un peu plus de suspense.
Première partie : on récapitule la préparation estivale du meneur et sa découverte de Big Apple, jusqu’à son premier match de pré-saison. Son discours confirme tout ce que l’on a entendu sur Frank Ntilikina: un hyper-bosseur qui reste focalisé sur le jeu et ne se laisse pas trop distraire. Précoce et précautionneux.
Frank, tous les retours que l’on a eus c’est que tu as beaucoup bossé cet été. Peux-tu nous décrire un peu le programme ?
Oui, comme tu dis, j’ai beaucoup travaillé cet été. J’ai passé la plupart du temps avec tous les coaches des Knicks, pour faire du travail individuel. Beaucoup en salle de muscu aussi. On peut dire que mon travail était assez complet. J’ai essayé de travailler sur tous les aspects de mon jeu. Donc physiquement, mais aussi techniquement. Que ce soit mon jeu défensif ou offensif, on a fait le point sur un peu tout. Pour apprendre le plus de choses. Un rookie a besoin d’apprendre tout le jeu ! Donc c’est ce qu’on a fait.
Tu as vu un vrai changement avec l’approche à la française ?
Ah… Bon, on fait du travail en France hein ! Il ne faut pas le minimiser… Mais c’est vrai qu’ici on travaille un peu différemment. Les infrastructures sont différentes, cela nous permet de faire pas mal de choses. C’est vrai que le travail ici est différent. Donc on peut dire que c’était une découverte oui, ou autre chose… Les exercices que l’on a fait, c’était assez différent de ce que j’avais connu. Mais comme j’aime bien apprendre de nouvelles choses, m’améliorer, ça m’a fait plaisir quoi !
Tu peux nous donner un exemple ?
Une machine que je n’avais jamais vue en France par exemple, c’est le versa climber (un axe vertical muni de poignées et de marches qui fait travailler l’ensemble du corps). C’est une machine pour le conditioning et quand je suis arrivé ici, j’en ai vu dans toutes les salles de sport ! Ou pratiquement. Cela te permet de travailler alors que tu ne cours même pas quoi, c’est très utile.
« Chris Brickley, tu as l’impression qu’il ne dort jamais ! »
Tu as aussi travaillé avec un coach particulier, Chris Brickley, hyper réputé dans le milieu NBA. C’était à la fois individuel et cela t’a permis aussi de te mesurer avec d’autres joueurs US ?
Oui, c’était du travail individuel, mais avec un petit groupe de joueurs quand même. J’ai pu travailler avec Carmelo (Anthony), des joueurs de mon équipe ou même d’autres joueurs NBA. Et même certains joueurs Euroligue. C’est toujours bien de travailler à plusieurs. Cela te permet de travailler le un-contre-un, voire certains mouvements spécifiques à deux ou à trois. C’est très intéressant comme travail.
Ce qu’on entend sur lui c’est que c’est quelqu’un qui regarde énormément les vidéos de matchs et sort des points hyper précis à ses clients sur leur jeu. Tu as vécu ça aussi ?
(Il sourit) Oui, c’est vraiment un spécialiste dans le basket. Quand tu parles avec lui, tu as l’impression qu’il ne dort jamais ! Qu’il passe ses nuits sur son ordi à regarder des matches et des matches et des matches… Regarder les forces et les faiblesses des joueurs qu’il aide et aussi regarder des matches pour lui-même, pour apprendre. Et dès que tu le vois le lendemain, il a toujours de nouvelles choses à t’apprendre, à te montrer, sur comment tu pourras marquer plus de points, aller prendre plus de rebonds, faire plus de passes décisives, être plus à l’aise dans le jeu. Voilà, c’est quelqu’un qui étudie le jeu et c’est très fort ce qu’il fait. Il m’a beaucoup parlé, mais c’était surtout sur la transition du jeu européen au jeu NBA. Il était là pour faciliter un peu cette transition, et justement travailler sur les aspects du jeu qui sont fréquents ici.
Tu avais travaillé avec lui dès l’été 2016 en fait. Tout ce travail avec lui, c’était d’autant plus important que tu n’as pas fait les workouts, où l’on découvre un peu plus ce qui est demandé ici ? D’ailleurs c’est un ancien assistant au player development des Knicks…
Bien sûr ! Il m’a beaucoup aidé pour savoir ce que je pouvais exploiter dans le jeu américain, on a beaucoup travaillé là-dessus, on a regardé beaucoup de vidéos, il m’a suivi aussi quand j’étais à Strasbourg, en faisant un découpage sur quelques matchs. Ça m’a aidé à la transition par rapport à la mentalité aussi. Et oui comme tu dis il est proche des Knicks, donc ça aussi c’était intéressant. C’était Richie (l’agent US de Frank Ntilikina, qui collabore avec son agent français, Olivier Mazet) qui m’avait mis en contact avec lui, parce qu’il travaillait avec Carmelo Anthony, qui est représenté par la même agence (CAA).
Tu sentais aussi que c’est quelqu’un qui comprend le jeu « à l’Européenne », où résident beaucoup de tes qualités d’ailleurs ?
Oui ! Après… Lui, il connaît vraiment le jeu, tout ce qui est QI basket. Ça m’a aidé dans le sens où il m’a dit aussi ce que je pouvais prendre dans le jeu européen, et l’amener dans le jeu aux Etats-Unis. Des petites tactiques, à travailler, que je pourrai faire pendant la saison… C’est un petit peu sur tout cela que l’on a travaillé. Et les aptitudes individuelles.
« Mon endroit préféré à New York ? Le MSG »
Donc pas une rupture avec ton travail précédent, mais plutôt un acheminement vers le jeu NBA, c’est ça ?
C’est vraiment un peu des deux. Comme on a pas mal passé de temps ensemble, cela a permis de continuer le travail que j’avais fait en Europe. De travailler sur mes forces, au final. Et puis aussi de travailler sur mes faiblesses…
Tu décris justement le travail sur ton corps comme une faiblesse à laquelle remédier. Tu t’étais fixé des objectifs ?
Physiquement, il n’y a pas le choix, c’est une ligue d’athlètes. Il faut taffer en muscu, sur le terrain en cardio. Je sais que ça va prendre du temps. Ça ne va pas se faire en une semaine. Je n’avais pas vraiment élaboré de plan de toute façon. Je pars dans l’optique de m’entraîner le mieux possible.
Et du coup tu as pris combien de kilos par exemple ?
J’ai perdu ! Enfin, j’ai pris en muscle mais… En fait, à la fin de la saison j’étais à 86, ensuite pendant l’été j’étais à 93, et là je suis redescendu à 90. J’ai perdu en body fat en plus, en masse graisseuse, donc là je suis bien.
Même si tu n’avais pas de plan, tout ce travail a correspondu à l’image que tu te faisais, ou tu ne t’étais même pas projeté en fait ?
Projeté, non. Je suis toujours dans une optique de travail jour après jour. C’est plutôt quotidien. Et puis cela reste du basket, donc je m’étais surtout dit ça quoi.
Il se dit que tu n’as pas vraiment quitté la salle d’entrainement… Tu as privilégié cela à découvrir la ville (sachant qu’il logeait de l’autre côté de l’Hudson, dans le New Jersey, tout près du centre d’entraînement qui se trouve au nord de New York dans le Westchester, et vient d’emménager dimanche dernier encore plus près, dans un logement trouvé par les Knicks) ?
Un petit peu oui. J’y ai passé beaucoup de temps, pour travailler. Après, voilà, pendant les weekends, je prenais aussi du temps pour me reposer et visiter la ville, faire des activités. Je pense que c’est important aussi de profiter de l’instant.
Tu as été voir un match des Yankees…
Ouais, les Yankees, c’était spécial… Mais juste profiter de visiter la ville en général.
Et du coup quel est ton endroit préféré à New York ?
Ah… Euh… Bah le Madison Square Garden !
Non, non, non, ça reste le boulot ça ! Hors taff !
(Il rigole) Ah, alors il y a un endroit que j’aime bien c’est Plataforma. Tu connais ? C’est un restaurant brésilien. J’y suis allé avec mon agent, sa femme est brésilienne, et c’était pendant la fête nationale du Brésil. Du coup ils avaient fermé toute une rue en plus, avec des festivités, c’était vraiment sympa.
Ah quand même… Et tu as de la famille qui est passée aussi ?
J’avais un peu de famille qui est venu pendant une semaine. Au début de l’été ils étaient venus aussi. Mon frère est venu également. Mais sinon j’ai profité tout seul. J’ai des amis de France qui s’étaient déjà installés à New York aussi, avant que je ne vienne, donc j’ai pu les revoir. Et puis j’entends beaucoup parler français ici à New York… Des fois, je suis en train de parler anglais avec des amis, et j’entends parler français tout d’un coup, donc je me retourne quoi ! C’est assez marrant. La ville est très internationale…
« Avec Joakim, on pourra se dire des trucs que les autres ne vont pas capter »
On commence à te reconnaître ? Les fans des Knicks sont connus pour être… direct, on va dire !
Oui, quelquefois je marche dans la rue et on me reconnaît mais bon, ce n’est pas… (il fait une petite moue) Voilà, c’est le petit rookie qui arrive dans la ville… (Il marque une pause) Je suis un joueur des Knicks, donc je vois que les fans sont toujours là, qu’ils aiment l’équipe. Ça fait plaisir. Bien sûr, certains sont un peu… voilà, j’ai entendu quelques petites remarques parfois. Mais ce sont juste des fans qui veulent le meilleur pour l’équipe, donc bon.
Et avec tes coéquipiers, tu as pu les découvrir un peu, ou là aussi c’est resté très boulot-boulot ?
Quand on est sur le terrain, bien sûr, tout le monde bosse. Mais quand on sort de l’entrainement, eh ben on en parle. Ça m’intéresse de parler avec eux, de connaître leurs expériences. Pour le basket, je pense que j’ai de la chance dans le sens où on est une équipe assez jeune, qui évolue avec de très bons vétérans, qui sont là pour nous aider.
On voit qu’ils te parlent tous constamment en tout cas, ton coach (Jeff Hornacek) nous a même dit qu’ils « gravitent vers toi », et on a vu Ramon Sessions te demander de venir s’asseoir à côté de lui au premier match…
C’est un peu la mentalité de toute l’équipe d’aller parler aux autres, surtout aux jeunes joueurs, pour leur donner des conseils. C’était le cas avec Ramon là, comme tu l’as noté, et c’est aussi le cas avec tous les coéquipiers. Ils sont vraiment là pour me conseiller, pour me dire ce que je peux faire de mieux, ce que j’ai bien fait, comment on peut progresser en temps qu’équipe. A chaque fois on essaie de tous se rendre meilleurs pour essayer d’obtenir de meilleurs résultats.
Le fait d’avoir Joakim, c’est un petit truc en plus aussi ?
Ça aide beaucoup à communiquer, même si j’ai pas mal travaillé sur mon anglais. De temps en temps parler français, ça fait du bien ! On parle du jeu, de la saison, de tout… C’est comme une relation dans la vie de tous les jours. On apprend à mieux connaître la personne. On discute de mes forces, mes faiblesses, ce qu’on peut travailler.
Je vous observais un peu et j’ai remarqué que même en pleine action, tu vas par exemple lui parler en français en lui disant « va, va », alors qu’une seconde avant tu avais un échange en anglais avec un autre coéquipier…
Des fois on parle français, des fois on parle anglais… On se chambre même dans les deux langues ! Franchement, ça vient tout seul et je trouve ça super. Il n’y a pas de souci si c’est l’une ou l’autre. Mais j’imagine que de l’extérieur cela doit être marrant à voir que l’on passe de l’un à l’autre. Ça peut être aussi utile d’ailleurs ! Des fois, quand on joue ensemble, on peut un peu se dire des trucs que les autres ne vont pas capter…
La saison va vraiment débuter pour toi jeudi, mais sinon, quand as-tu réalisé : « ça y est, je suis en NBA » ?
Je crois que c’est vraiment pendant l’hymne national (lors du premier match de pré-saison) où… (Il marque une pause) C’est quelque chose que l’on ne fait pas en France, donc c’est là où je me suis dit : « ça y est, j’y suis ». Mais après, je me suis vite reconcentré sur le match.
Revenez demain pour la deuxième partie !
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York