Ma NBA avec Jason Terry : « Ils ont halluciné quand j’ai dit au tatoueur de me mettre le trophée »
Tous les 15 jours, une personnalité nous raconte la NBA de l’intérieur et partage ses impressions. Aujourd’hui, le vétéran, troisième plus gros shooteur à trois points de l’histoire, nous parle de ses hauts (le titre en 2011), ses bas (la finale perdue de 2006 et l’élimination au premier tour en 2007) sans oublier tout le reste (dont Giannis), avec la générosité qui le caractérise.
Jason, qui est le joueur NBA qui t’a le plus inspiré ?
Isiah Thomas et Gary Payton. GP venait à mes matchs de lycée, il bossait avec moi pendant l’été… Il m’a donné énormément d’info et de conseils sur la NBA, ce qu’il faudra que j’accomplisse pour pouvoir y jouer un jour. Isiah Thomas, c’est un gars que j’ai regardé joué depuis que j’étais tout petit, gamin ! J’avais tous ses highlights – c’était des VHS à l’époque – tous ses matchs de finales NBA. Il m’a vraiment inspiré à aller en finales pour gagner un titre. Et lui aussi en avait gagné un à l’université ! C’est vraiment quelqu’un que j’ai cherché à imiter. Les deux, c’étaient vraiment des durs en plus. Et en fait, moi-même, j’étais déjà dur, depuis tout petit. Ça vient de mon enfance. Je n’avais que ma mère à la maison, on était dix frères et sœurs, j’étais le deuxième plus âgé. On vivait dans des quartiers difficiles… Donc j’étais déjà comme ça, mais de voir des joueurs qui jouaient dur aussi, qui avaient cette attitude, qui approchaient le jeu avec une certaine agressivité, c’était ça qui m’attirait chez eux. C’est sûr. C’est deux-là, c’était des bagarreurs, je les ai idolâtrés pour ça. Donc quand ils m’ont encouragé ensuite, ça voulait tout dire pour moi.
Quel est ton meilleur souvenir en NBA ?
Quand on a gagné le titre en 2011 avec les Mavs. Forcément. C’est vraiment le rêve de tout joueur NBA – ou en tout cas ça devrait l’être ! C’est mon meilleur souvenir, de loin. En plus, ce qui a rendu ce titre si spécial, c’est que c’est la même équipe qui nous avait battu en 2006 (le Miami Heat, même si cinq ans plus tôt ce n’était pas encore la version Big Three avec LeBron James et Chris Bosh). Ils avaient énormément de hype autour d’eux en plus ! LeBron venait juste de signer, ils avaient promis qu’ils allaient gagner plein de titres… Et on s’est dit qu’on n’allait pas juste les laisser décider ou non s’ils allaient remporter cette finale. Aucune chance qu’on les laisse gagner tranquille. Il y avait une forme de rédemption, de revanche même franchement, par rapport à 2006. On a su retourner la situation en plus, un peu comme on l’avait nous-même subie, où on était devant dans la série et au final ils avaient gagné. Ce n’était pas aussi choquant, mais on pouvait sentir qu’ils pensaient qu’ils allaient gagner. Or nous on s’était dit que ça serait une longue série quoiqu’il arrive, donc même quand ils ont pris 15 points d’avance après avoir remporté le premier match, moi je savais qu’on trouverait le moyen de plier l’affaire (le Heat gagnera aussi le match 3 à Dallas, forçant les Mavs à devenir la première équipe à remporter une finale malgré ce désavantage dans le format 2-3-2).
2006 c’est donc ton plus mauvais souvenir en NBA, ou 2007 aussi ?
2006, c’est clair, mais 2007 ça vient quand même juste après quoi. On perd ce premier tour contre Golden State, alors qu’on était numéro 1 de la conférence ouest… On avait gagné 67 matchs, on était certains de retourner en finales ! Mais ils avaient une super équipe, avec Stephen Jackson, Baron Davis, Jason Richardson. (On lui rappelle Mickaël Pietrus aussi) Oui ! Pietrus était dans cette équipe également. Gros défenseur, super shooteur, il pouvait t’en rentrer qui faisaient mal… Mais au final, tu vois, c’est pour ça aussi que c’était tellement bon de gagner en 2011. Aucun doute là-dessus. Tous ces échecs en playoffs, on a pu les effacer avec ce titre. Mais ç’a été de longues années avant d’y arriver man ! (Il prend un air pensif) En même temps, chaque été, j’allais m’entraîner à la salle, je me préparais à cette opportunité. Je me disais toujours que ça allait venir…
Tu devais particulièrement y croire à l’automne 2010, vu que tu t’étais fait tatouer le trophée juste avant le début de la saison !
Cette année-là, je sentais un truc spécial oui (alors que tous les observateurs pensaient qu’ils avaient laissé passer leur chance). A cause du talent que l’on avait dans cette équipe : Jason Kidd, Tyson Chandler, Shawn Marion, DeShawn Stevenson, JJ Barea, Caron Butler – et Dirk (Nowitzki) bien sûr, toujours ! Il représente les Mavs à lui tout seul… Quand tu mets autant de talent ensemble dans une seule équipe, tu te dis que tu as une vraie chance d’aller jusqu’au bout, et moi j’y croyais dur comme fer. On était chez DeShawn Stevenson, en pré-saison, on faisait du « team bonding » (passer du temps tous ensemble pour développer la vie de groupe), il avait son tatoueur qui était là et j’ai juste dit devant tout le monde : « OK, je vais me faire tatouer le trophée, parce que j’ai foi en nous, on va gagner le titre cette année ». Ils ont un peu halluciné oui. (DeShawn Stevenson, un gars qui est quand même couvert de tatoos – jusque sur le visage – et qui arbore la tête d’Abraham Lincoln sur sa gorge, déclara plus tard que sur le moment, il pensait que Terry était taré d’avoir fait ça). Et on a fini par le gagner ce trophée !
« La différence entre un titre NCAA et NBA, c’est qu’à la fac tu ne te rends pas compte »
Tu avais aussi gagné un titre en NCAA (avec Arizona), quelle est la différence entre les deux ?
La différence c’est qu’à la fac tu as genre 18 ans, et tu ne sais pas vraiment ce qu’il se passe en fait. Tu joues pour te faire plaisir, tu ne te rends pas vraiment compte. L’autre truc aussi, c’est que même s’il y a du monde qui regarde les finales NCAA, quand tu es en finale NBA, tu sais que c’est l’univers tout entier qui regarde ! Donc tu vois, ces deux souvenirs sont vraiment chers à mon cœur, mais le titre NBA, ça sort encore plus du lot.
Qui est le meilleur joueur offensif contre qui tu as joué ?
Allen Iverson. De loin ! C’était le plus dur de tous. Chaque possession, il se battait, il donnait tout. Et en plus il avait le droit – et la capacité ! – de marquer à chaque possession. A chaque match, tout le match ! Quand tu as un gars comme ça, qui va te faire ça à chaque fois, à chaque possession, c’est vraiment dur à défendre… Il était possédé. Il jouait à vitesse maximale sur chaque possession. Chaque possession ! Tu n’en avais pas une seule où tu pouvais souffler un peu. A 100 km/h, tout le temps !
Et le meilleur défenseur contre toi ?
(Il hésite) Meilleur défenseur ? Probablement… Tu sais, j’en ai affronté pas mal dans ma carrière ! Mais je vais donner du crédit à Bruce Bowen. Il me gênait tout le temps. Il faisait 1m98 (2m01 même selon les sources officielles), du coup il pouvait toujours gêner mon tir. Il était physique aussi. Un défenseur dur sur l’homme, tu vois ? Et bien sûr c’était un champion, il avait cette mentalité. Pour être un bon défenseur, il faut que tu aies aussi quelques tours dans ton sac, le respect des arbitres et une vraie intelligence basket. Et lui il avait tout ça.
« Steph et Klay opèrent encore un niveau au-dessus de nous tous à 3 points »
Qui est le joueur le plus sous-coté que tu aies connu en NBA ?
Probablement Gilbert Arenas. Comme sa carrière s’est terminée tôt, les gens ne se rendent pas compte à quel point c’était de la dynamite en attaque. Son surnom, c’était l’ « agent zéro », mais je peux te dire que le gars avait un arsenal hyper complet. C’était vraiment dur de défendre sur lui, à cause de ça. Si sa carrière ne s’était pas terminée si tôt, on parlerait beaucoup plus de lui. Il était à un niveau énorme. Et en plus il est allé à Arizona lui aussi… (Eric Bledsoe nous interrompt pour nous dire qu’Arizona « ne vaut rien », Terry claque un bon sourire en coin et lâche : « vas-y, demande-lui un peu contre qui on a remporté le titre », avant de répondre lui-même : « Kentucky ! », où jouait Bledsoe…)
Quelle est l’équipe la plus sous-cotée selon toi ?
Les Milwaukee Bucks ! Il n’y a pas beaucoup de gars qui parlent de nous, mais je vais te dire ça là, aujourd’hui, maintenant qu’on commence à être en bonne santé (Jabari Parker venait de revenir de blessure notamment) : on va choquer le monde !
La plus dangereuse, c’est forcément Golden State ?
Tu sais, les Warriors c’est forcément une évidence, mais il ne faut pas croire qu’il n’y en a pas d’autres qui ne peuvent pas être aussi dangereux qu’eux. Tu as les Boston Celtics, qui ont un système vraiment intelligent, avec un super coach, qui met ses joueurs dans une position optimale. Ils ont beaucoup de talent dans leur effectif : Kyrie Irving, Al Horford, Jayson Tatum, Jaylen Brown, tous ces gars jouent bien et en plus ils ont une super alchimie… Ils ont perdu Gordon Hayward cette année, mais ils viennent de récupérer Greg Monroe, qui est vraiment talentueux. Et surtout ils jouent dur en défense tous les soirs. Quand tu combines ça et leur alchimie collective, ça te fait une équipe vraiment dangereuse. Même Oklahoma City ! Dès que tu mets trois All-Stars ensemble, ils ont une vraie chance de gagner n’importe quel match. Ils sont tous explosifs en attaque, Paul George est un défenseur de très haut niveau… Et les Houston Rockets, bien sûr ! Je vais te dire, le truc qui différencie l’Est et l’Ouest, c’est qu’ils vont tous devoir se jouer en playoffs à l’Ouest… (Il regarde un peu des deux côtés, comme s’il ne voulait pas trop qu’on l’entende nous dire ça) Ici, à l’Est, tu passes tes deux premiers tours, ce n’est qu’en finale de conférence que tu vas vraiment avoir un adversaire très difficile. Mais à l’Ouest, chaque tour va être très, très dur.
Quelle est la salle où tu préfères jouer, en dehors de la tienne ?
Bon, quand même, j’ai joué à Dallas, qui a été ma maison pendant de nombreuses années (8 saisons), donc je ne peux pas ne pas les mentionner. Mais sinon, les deux Garden : Boston et Madison Square. Ces deux-là sont vraiment les deux plus historiques, de toute la NBA, et c’est vraiment un plaisir quand tu joues dans ces salles. L’atmosphère est spéciale, la foule est chaude, hostile même parfois – ce que moi j’aime bien ! Tu le sens dès que tu rentres… Les arceaux sont plus doux aussi. (On lui demande d’expliquer un peu plus cette expression typiquement américaine) Quand tu shootes, tu te dis que ça va rentrer plus facilement, parce que toi aussi tu te sens un peu spécial quand tu joues dans une salle comme ça.
Tu as rentré le troisième plus grand total de trois points de toute l’histoire de la NBA (derrière Ray Allen et Reggie Miller). Evidemment, il y a Steph Curry et Klay Thompson en ce moment, mais sinon est-ce que tu vois des jeunes joueurs qui pourraient atteindre ces sommets ?
Déjà, il faut rajouter JJ Redick et Kyle Korver (le Sixer est en fait assez loin dans cette liste, 32ème, il a par contre le 5ème meilleur pourcentage de l’histoire en carrière ; le Cav pourrait lui bientôt dépasser « Jet » en volume). Et franchement Steph et Klay sont même encore un niveau au-dessus de nous, ils opèrent dans leur propre univers… Kevin Durant est pas loin aussi. Mais si tu me demandes des jeunes joueurs, je dirais Devin Booker à Phoenix (le Sun n’avait pas encore remporté le concours à 3 points du All Star Weekend au moment de cette interview…).
« Giannis est déjà parmi les plus grands »
Quel serait ton cinq idéal de tous les temps ?
Forcément, je commence avec Michael Jordan. Ensuite Shaq. Personne ne pouvait stopper Shaq… (Il hésite) Damn, c’est dur ! Attends, attends… Magic Johnson, pour sûr. Donc j’ai Magic, Shaq, Jordan… Comment ne pas mettre Larry Bird ? Il fait partie de mes joueurs préférés, de tous les temps. Ensuite, pour moi c’est vraiment dur. Parce que c’est Dirk ou (Hakeem) Olajuwon. Et tu peux imaginer à quel point j’aime Dirk, mais Olajuwon j’ai aussi un immense respect pour lui… Ecoute, je ne peux pas choisir. Et il me faut aussi Kobe, donc je le prends en sixième homme ! Il passe quand même après, parce que les autres avaient laissé leurs marques avant lui. Mais il est dans une classe à part lui aussi.
Et ton 5 idéal actuel ?
Aujourd’hui ? Oh ! Pas mal ça aussi ! Direct Kevin Durant, Giannis (Antetokounmpo), James Harden, Russell Westbrook et LeBron (James).
Donc tu n’as pas de pivot et tu mets déjà Giannis à ce niveau-là ?
Ouais. Je peux te dire qu’il est déjà en train de s’inscrire parmi les plus grands. Il y a une véritable grandeur chez lui. Et tu sais pourquoi je suis aussi sûr qu’il est à ce niveau, avec les tous meilleurs, et qu’il fera partie des plus grands de l’histoire ? Parce que je le vois bosser tous les jours. C’est ça qui fait la différence entre les meilleurs et les tous meilleurs. Evidemment, il y a toutes ses capacités athlétiques et son corps : il fait 2m10, il peut dribbler, il peut courir, il peut sauter… Mais son éthique de travail, c’est ça qui lui donne un avantage. Il bosse plus dur que n’importe qui. Les seuls qui bossent autant, c’est les plus grands. J’ai vu Dirk bosser, j’ai vu Kevin Garnett bosser : c’était des vrais passionnés, qui étudiaient le jeu à fond. Giannis est extrêmement similaire. Il a soif de connaissance. (On lui dit qu’il va pouvoir l’aider sur son trois points du coup…) Il veut tout apprendre. Je vais te dire, il regarde des vieilles vidéos ! De Michael, Kobe, tous les plus grands. Il en parle, il te raconte les actions qu’ils ont fait… Il me parlait même de mon dunk sur Shaq la dernière fois (pendant les finales 2006, juste après s’être pris un méchant contre du mastodonte) ! Ou de quand j’avais marqué 30 points (ce qui est arrivé deux fois dans ces finales, 32 au match 1 et 35 au match 5) ! Des trucs que des joueurs normaux ne feraient pas, surtout un mec de son statut quoi ! Pourquoi regarderait-il des vidéos sur moi ? Mais il m’a même fait des observations, genre « tu lâches la balle super vite, ton jump-shot est vraiment bon »…
Pour finir, quand as-tu su qu’un jour tu seras vraiment en NBA, que ce n’était pas qu’un rêve ? J’imagine que quand Gary Payton vient te conseiller, ça te met déjà sur la voie ?
Oui. Et même quand j’étais à la fac, il y avait tous les pros qui avaient été à Arizona comme moi : Steve Kerr, Sean Elliott, Ben Davis, qui revenaient jouer contre nous pendant l’été. Comme j’arrivais à me défendre contre eux, à avoir un peu de succès même, et qu’ils me disaient que si je travaillais j’y arriverai, c’est ça qui m’a vraiment fait réaliser que je pourrai devenir pro. D’ailleurs moi-même je fais pareil dans l’autre sens, pour tous les gars de Seattle comme moi : Jamal Crawford, Nate Robinson, Aaron Brooks, Marvin Williams, Isaiah Thomas, Avery Bradley… tous ces gars-là. Tous les gars de Seattle. C’est une grande fraternité entre nous.
Propos recueillis par Antoine Bancharel, à New York
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