Sacramento Kings, le dîner de cons
Il y a quelques jours, Kevin Johnson a frappé fort : alors que le déménagement des Kings vers Seattle semblait entériné, il a annoncé avoir mis au point un plan de rachat avec divers milliardaires de la côte Ouest. Les cartes sont totalement redistribuées, mais pas sûr que cela permette à qui que ce soit de remporter la partie. Si l’on regarde de plus près les motivations et les décisions de chacun, on serait même tenté de dire que tout le monde à tort. Faisons un tour de table de ce qu’on pourrait appeler un dîner de cons.
Commençons le tour du propriétaire par les propriétaires. La famille Maloof a investi dans les Kings en 1998, et ceux-ci ont plutôt bien tourné au début des années 2000. En revanche, depuis le départ de Peja Stojakovic il y a 7 ans, la franchise n’a plus participé aux Playoffs, une absence que l’on peut légitimement imputer au refus des propriétaires de lâcher des dollars pour obtenir des agents libres de renom.
En effet, depuis plusieurs années, Sacramento n’a même pas daigné s’intéresser aux free agents présents sur le marché, et a méthodiquement travaillé à transférer ses plus gros salaires, compensant le départ de ses meilleurs joueurs par la draft par des rookies draftés très haut du fait des médiocres résultats de la franchise. De cette façon, la masse salariale a considérablement baissé, jusqu’à atteindre l’avant dernière position cette année, devant les Rockets, à la différence près que ces derniers ont l’intention de sortir le chéquier cet été.
Clairement, les frères Maloof n’ont pas l’intention de monter une équipe compétitive, et visent simplement une réduction des pertes à défaut d’être bénéficiaires. Dans cette optique, la franchise WNBA affiliée aux Kings a été liquidée en 2009, et on voit mal comment un simple déménagement pourrait permettre un renouveau sportif pour l’équipe masculine, puisque dans tous les cas les propriétaires ne seront pas disposés à recruter de nouveaux joueurs. Pour relancer l’équipe, une vente est nécessaire.
Soyons clairs sur ce point, la fratrie Maloof ne compte pas vendre l’équipe pour lui donner un souffle nouveau, mais simplement pour s’en débarrasser. La fantaisie des destinations évoquées en est un bon exemple. Première ville annoncée, Anaheim, une ville plus petite que Sacramento qui compte déjà une équipe NHL. De plus, elle est également en Californie, où on trouve trois autres franchises NBA, toutes virtuellement qualifiées pour les Playoffs. Deuxième proposition, Virginia Beach, station balnéaire de la côte Est plus réputée pour son activité touristique que pour sa passion pour le sport. En gros, le but est de refiler la franchise à quelqu’un, peu importe où et peu importe ce qu’il adviendra par la suite. Autant dire que les Maloof n’ont strictement rien à carrer de l’avenir des Kings.
Ce qui nous amène au deuxième acteur de cette mauvaise comédie : le Front Office des Kings. Tout d’abord, il faut être sacrément naïf pour accepter de rester travailler avec de telles contraintes tout en espérant pouvoir créer une équipe compétitive. Un peu comme si une équipe de mécanos de Formule 1 devait réparer les voitures avec des clés Ikea et les faire rouler à l’huile de colza. Les dirigeants de Sacramento ne sont certes que le prolongement de la volonté des propriétaires, mais à la différence de ceux-ci, ils ont une responsabilité vis-à-vis des fans.
Contraint de monter une équipe avec peu de moyens, le Front Office de Sacramento a pris plusieurs décisions assez judicieuses en son temps, comme la draft de Tyreke Evans et DeMarcus Cousins, depuis ça part sévèrement en sucette. On peut comprendre le fait qu’ils doivent gérer avec des moyens limités, mais laisser partir des joueurs qui ne réclamaient pourtant pas un salaire exorbitant est un exemple de l’excès de zèle des dirigeants californiens. Dans la liste des départs, on pourra lister Carl Landry, JJ Hickson ou encore Samuel Dalembert, qui touchent en combiné moins de 15 millions cette année.
Le départ de ces joueurs, comme évoqué plus haut, a été compensé par la draft de jeunes étudiants assez convoités. Des salaires rookies, même dans le top 5, sont relativement faibles, et Sacto pouvait donc légitimement construire une équipe à fort potentiel avec ses jeunes. Pourtant, le recrutement de vétérans a été orienté sur les postes déjà pourvus, en particulier à l’arrière, réduisant par la même occasion le temps de jeu de ceux qu’on annonçait comme le futur de la franchise. Ce qui a entraîné le départ de Casspi, qui avait participé au Rookie Game en 2010, puis de Thomas Robinson cette année, bien que drafté en 5e position.
Construire son avenir sur des jeunes est une idée intéressante –et à la mode- mais si c’est pour que ceux-ci soient tradés ou ne voient pas leur contrat prolongé, ce qui risque fort d’arriver à Tyreke Evans, la stratégie ne peut être qu’un échec. Si l’on veut confier son destin à des joueurs sans expérience, il faut faire preuve de patience, une qualité qui fait défaut au Front Office des Kings malgré sept années consécutives sans Playoffs.
Au-delà de la construction d’un roster complètement absurde et de la dilapidation des talents qui le constituaient, on pourra également reprocher à la direction des Kings leurs décisions en termes de marketing. Les contrats pour le nom de la salle ont été signés avec Power Balance, qui a fait faillite suite à un procès pour publicité mensongère, puis avec Sleep Train, entreprise de fabrication de matelas. La Sleep Train Arena, sérieusement ?
Autre échec marketing, on peut citer la draft de Jimmer Fredette, qui a été décidée dans l’espoir que l’engouement que suscitait l’arrière de BYU l’accompagnerait sous ses nouvelles couleurs, au détriment des critères sportifs. Outre les doutes concernant la capacité de Jimmer à s’adapter à la NBA, le fait qu’il soit impossible qu’il puisse donner la pleine mesure de ses capacités dans une équipe blindée à l’arrière aurait dû convaincre le Front Office de jeter son dévolu sur un autre joueur. Fredette ne peut permettre de vendre des maillots que s’il joue, ce qui n’allait évidemment pas être le cas.
Un dernier point accablant pour la direction des Kings : leur incapacité à trouver un coach compatible avec le roster qu’ils ont bâti. Face à un effectif jeune, il vaut mieux choisir un entraîneur capable de donner un cadre et responsabiliser ses joueurs. Il aurait pu être judicieux dans cette optique de se tourner vers la NCAA afin de trouver celui qui pourrait gérer un effectif dont les cadres n’ont que trois ou quatre saisons NBA dans les pattes. Ou encore chercher un coach adepte d’un jeu ultra-offensif afin que tous les scoreurs de l’équipe puissent disposer d’un nombre de ticket shoots suffisant pour que leur apport soit maximal.
Bien qu’on puisse continuer pendant longtemps à lister l’incohérence des politiques menées par le Front Office de la franchise, il est temps de passer au personnage suivant : Kevin Johnson. Kevin Johnson est un ancien meneur des Suns, plusieurs fois all-star, et aujourd’hui maire de Sacramento. Il est en exercice depuis 2008, et c’est actuellement son deuxième mandat. Lors du premier, il a mené avec succès plusieurs plans d’action, en particulier concernant l’éducation.
Pourtant, depuis que la famille Maloof a entériné sa décision de séparer son avenir de celui des Kings, le maire de Sacramento a quelque peu délaissé son action sociale pour se focaliser sur le maintien de la franchise dans sa ville. Le plan de rachat qu’il a monté avec des mécènes californiens implique une participation de la municipalité à hauteur de 258 millions de dollars dans le but de construire une nouvelle salle. Bien que Johnson assure que cela ne se traduira pas par des impôts supplémentaires pour les habitants, ce montant représente plus de 100 dollars par contribuable de l’agglomération de Sacramento. Un tel chiffre n’est-il pas déraisonnable dans le simple but de construire une salle pour une équipe qui n’obtient plus de résultat depuis de longues années ?
Bien que les Kings soient la seule équipe pro encore présente à Sacto depuis que les Maloof ont coulé les Monarchs (WNBA), une telle participation financière de la mairie semble folle quand on regarde le budget dont elle dispose. On peut comprendre l’attachement de Kevin Johnson au fait de vouloir conserver les Kings dans sa ville, puisqu’il doit son élection en partie à la popularité de la NBA et à son passé en son sein, mais une dépense inconsidérée viendrait sans doute ternir son bilan plutôt positif jusque-là à la tête de Sacramento.
Si le plan de rachat du triple all-star échoue, les Kings partiront vraisemblablement à Seattle, où une armée de fans s’apprête déjà à les accueillir. Ce qui est gênant dans cette histoire, c’est l’hypocrisie dont font preuve ces derniers. Il y a cinq ans, quand leur équipe était dans la même situation, ils se sont mobilisés pour maintenir leur équipe à Seattle. Maintenant qu’ils sont les bénéficiaires potentiels du déménagement d’une franchise, ils n’ont qu’un souhait, que Kevin Johnson échoue là où ils ont eux-mêmes échoué auparavant.
Alors que le Sonicsgate de 2008 avait ému toute la planète NBA et qu’Oklahoma City avait le rôle du méchant opportuniste, les fans de Seattle n’ont désormais aucun remord à vouloir s’approprier l’équipe de Sacramento. Cela ne semble choquer personne, et surtout pas les principaux intéressés qui ressortent déjà les maillots de Kevin Durant du placard. «C’est la nature humaine, toujours le même problème : écraser l’autre, sinon c’est toi qui te fait kèn’ » comme dirait Stupeflip.
Venons-en maintenant à notre dernier intervenant, celui qui décidera de la vie ou de la mort des précédents, la NBA. Qu’a-t-elle à gagner à voir les Kings mettre les voiles vers Seattle ? Dans un premier temps, cela lui permet de retrouver un marché friand de Basketball, et de rayer de la carte une des quatre franchises californiennes, qui plus est la moins performante. On pourrait donc se dire qu’à première vue elle en serait bénéficiaire.
Mais est-ce vraiment intéressant pour l’association de voir disparaître les Kings ? Au vu de leur volonté d’assister Kevin Johnson contre les frères Maloof lors des propositions de déménagement vers Anaheim et Virginia Beach, il ne semble pas. En effet, bien que les Sonics soient une marque intéressante, les Kings restent une franchise historique, et c’est bien l’Histoire de la NBA qui pourrait se retrouver chamboulée par un tel transfert.
Le Thunder étant toujours en place, et a priori pour un bon moment, il n’est pas judicieux de ressusciter les Sonics, encore moins à la place d’une franchise déjà titrée et installée depuis près de 30 ans dans la même ville. Si les Sonics récupèrent leur palmarès chez le Thunder, celui des Kings est mis en standby. On pourrait également avoir des affrontements entre des joueurs draftés par les Sonics avec le maillot du Thunder et des joueurs draftés par les Kings avec le maillot des Sonics. Ce qui est loin de faciliter la recréation d’une fanbase pour l’équipe de Rain City, d’autant que beaucoup de fans des Sonics restent attachés à leurs ex-joueurs à présent dans l’Oklahoma.
De la même manière, comment garantir que les actuels jeunes des Kings voudront rester dans une franchise qui n’est pas la leur ? En leur montrant des matches historiques des Sonics, comme par exemple les 45 points en Playoffs de Ray Allen contre… Sacramento ? Seattle est une ville bien moins attirante que Sacto, et peu de free agents seront disposés à rejoindre Rain City, surtout si les meilleurs joueurs de l’équipe ne garantissent en rien vouloir continuer l’aventure dans l’état de Washington. Une alternative serait de donner le first pick 2014 à Seattle pour qu’ils draftent Andrew Wiggins, mais bon, à fausser la lottery trop régulièrement ça va finir par se voir.
En somme, le fait de déplacer les Kings à Seattle ne garantit en rien un soutien populaire et présente le risque de voir une équipe qui ne sera pas compétitive avant de longues années, ralentissant à nouveau les rentrées d’argent nécessaires à la stabilité de la franchise et prenant le risque de la voir perdre ses meilleurs éléments. Sans compter que tous ces déplacements de franchises et de palmarès nuisent à l’Histoire de la NBA : New Orleans ayant opté pour le nom de Pelicans, on parle d’un retour des Hornets à Charlotte. Quid des Bobcats ? Quelle histoire pour cette équipe ? Le plus illustre joueur à avoir porté le maillot des Hornets n’a jamais joué à Charlotte, le plus récent All-Star de Charlotte n’a jamais porté le maillot des Hornets. La situation serait la même si l’on recréait les Supersonics à partir des joueurs des Kings.
On peut ajouter à ce paradoxe les difficultés géographiques liées à un tel déménagement : qui pour remplacer les Kings dans la division Pacific ? Le Jazz, qui n’en a jamais fait partie, ou une équipe du Texas, laissant les deux autres dans la division SouthWest ? La dimension historique doit être prise en compte par la NBA dans la perspective d’avoir des équipes réunissant un grand nombre de fans, sans quoi aucune retombée marketing n’est possible dans l’ouverture de nouveaux marchés.
En conclusion, tous les acteurs du rachat des Kings semblent être en tort, que ce soit d’un point de vue sportif, politique, moral ou économique. Ce déménagement maintes fois repoussé pourrait finalement être conclu ou avorté à la hâte, et ce bien qu’il soit discuté depuis plusieurs années. Les différents intervenants occultent trop d’aspects et d’enjeux pour que le deal soit profitable à tout le monde, et il faut craindre que tous sortent finalement perdants de ce jeu de dupes.
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Très bonne article, sa ma permis d'y voir plus claire et de me rendre contre que l'affaire est vraiment dans une impasse ^^
Mais je trouve sa dommage pour cette franchise tous ce gachi, avec notamment un jouer comme Thronton qui s'enterre dans cette franchise et que je verrais bien en 6ème homme dans une bonne franchise (Houston, Bucks, Cleveland, Jazz…)
merci pour l'auteur