Chris Paul est-il un loser?
Evidemment, la question peut prêter à sourire. A priori en effet, un joueur 7 fois All-Star, 4 fois membre de la All-NBA First Team n’est pas un loser. Pourtant, Chris Paul, 29 ans, est aujourd’hui à un moment charnière de sa carrière. Sa forme physique actuelle et les blessures qu’il a accumulées tout au long de sa carrière font qu’on ne peut raisonnablement espérer qu’il évolue à son meilleur niveau après un certain âge. Néanmoins, son intelligence de jeu et son profil de meneur gestionnaire permettent de sereinement envisager les saisons à venir. Paul devrait encore lutter pour le titre officieux de meilleur meneur de la ligue pendant quelques années. Sachant qu’il lui reste 4 ans de contrat du côté de L.A, le meneur sera encore une fois durant cet exercice en position de conquérir le titre NBA. Pourtant, Chris Paul est une sorte de Poulidor du basket. Meilleur meneur de sa génération pour beaucoup, il se place en tout cas avec certitude dans le top 3 de son poste sur les 10 dernières années. Il a bénéficié d’une aura grandissante à New Orleans, où ses défaites s’expliquaient aisément par la faiblesse du supporting cast à sa disposition. Mais, depuis son départ des Hornets de l’époque et son arrivée aux Clippers, le meneur n’a toujours rien gagné. Et n’a même pas su emmener son équipe en finale de conférence. Cette absence de résultat dans une équipe pourtant a priori capable de monter plus haut rend légitime notre interrogation. Chris Paul est-il vraiment un gagnant? Ou n’est-il finalement pas programmer pour le succès?
Un premier regard sur le début de carrière de Chris Paul semble contredire notre thèse. Non, le CP3 époque Hornets n’est pas un looser. Loin de là même.
Petit flashback. En 2005, lorsqu’il est choisi par les Hornets, la franchise de la Nouvelle-Orléans sort d’une saison à 18 victoires et est clairement en mal de leader. Baron Davis, le plus gros scoreur de l’équipe, plante 18.5 points par match. Seul bémol, il n’était que de passage chez les futurs Pelicans et est déjà reparti à la fin de la saison. Il est suivi par Dan Dickau (si, si je vous assure) et ses 13.2 points de moyenne, qui sera envoyé à Boston en octobre, après la draft de Chris Paul. David West n’a joué que 30 matchs sur la saison, et celui qui deviendra le lieutenant de Paul en Louisiane ne vaut que 6 points et 4 rebonds. Le tableau est donc peu reluisant, et l’équipe a besoin de renouveau. David Wesley, 34 ans vient d’être envoyé à Houston alors qu’il valait encore près de 14 points de moyenne, un Darell Armstrong vieillissant est parti à Dallas. En fait, un véritable boulevard s’ouvre pour un Chris Paul qui pourra évoluer sans aucune pression et qui ne peut que faire progresser la franchise.
Le meneur saute sur l’occasion et profite en même temps de l’éclosion de David West, qui passe à 17 points et 7 rebonds de moyenne. Celui qui sera Rookie Of the Year 2006 affiche quant à lui quasiment 16 points, 8 passes, 5 rebonds et 2 interceptions sur la ligne de stats. Très très solide pour un rookie, mais il faut garder à l’esprit que Chris Paul disposait des clés de la maison de façon quasi totale étant donné les manques criants de l’équipe avant son arrivée. New Orleans passe ainsi à 38 victoires en 2005-2006, plus du double de l’année précédente, et l’impact de CP3 sur ce résultat est indéniable.
La deuxième période clé du temps passé par Chris Paul en Louisiane se situe deux ans plus tard. Avec une équipe renforcée par les arrivées de Peja Stojakovic et Tyson Chandler, les Hornets rallient les playoffs pour la première fois depuis l’arrivée de Paul sur les parquets de la grande ligue, et passent même un tour contre Dallas avant de tomber au 7ème match face aux Spurs. Paul, auteur d’une fantastique saison régulière (2ème derrière Kobe Bryant au vote pour le trophée de MVP) n’a pas grand chose à se reprocher, l’équipe ne serait jamais allée aussi loin sans lui, n’avait quasiment pas de banc (Paul jouera 47 minutes dans le game 7, et 4 joueurs sont au-dessus de 42 minutes de temps de jeu) et son match 7 est bon (18 points, 14 assists, 5 steals), malgré 4 turnovers et une défense sur l’homme moyenne sur TP et Ginobili (17 et 26 points).
Les highlights du Game 1 contre Dallas en 2008. Sur la dernière action (1:40), on voit que CP3 n’hésite pas à lâcher la balle sur son coéquiper démarqué alors que l’on est quasiment dans la dernière minute et qu’il a scoré plus de 30 points sur le match.
Les saisons suivantes à New Orleans sont plus délicates. En 2009, classés 7ème à l’Ouest, les Hornets tombent sur une équipe de Denver qui ne sera éliminée qu’en finale de conférence par les Lakers. En 2009-2010, Paul ne dispute que 45 matchs du fait des blessures et la franchise de Louisiane ne dispute pas les playoffs. En 2010, Paul revient de blessure et assure quand même 16 points et 10 passes de moyenne. Des stats en basse comparées à celles de ses jeunes années, mais qui restent très brillantes. Les Hornets sont sortis par des Lakers supérieurs en 6 matchs au premier tour.
De la période Hornets de Chris Paul, il apparaît donc que ce dernier est un joueur capable de transfigurer une équipe. Sa gestion impeccable du jeu, son adresse, sa vista, sa façon d’aller chercher les contacts sans les forcer et d’obtenir des and-one, ou de finir par-dessus la défense d’un flotteur après avoir éliminé son vis-à-vis par un cross sobre mais efficace ont permis à l’équipe de la Nouvelle-Orléans d’entrevoir des sommets qui seraient clairement restés inaccessibles sans sa présence. De les entrevoir seulement, mais cela ne peut être reproché à CP3 tant le manque de talent à ses côtés était criant et la concurrence rude. En outre, sa gestion des fins de match est plutôt bonne et Paul s’impose comme un joueur présent lors des grands rendez-vous.
Pour mieux comprendre quelle est la vraie nature de Chris Paul, c’est donc du côté de sa période Clippers qu’il faut regarder.
La première remarque concernant l’impact du meneur au sein de la franchise de L.A. ne concerne pas directement les résultats obtenus par l’équipe. Il s’agit de la progression des deux intérieurs, DeAndre Jordan et Blake Griffin, depuis l’arrivée de l’ancienne star des Hornets en Californie. Mais cette amélioration est-elle vraiment due à CP3? Pas sûr. Griffin a gagné 4 points de moyenne en 2 ans, mais en avait perdu 2 lors de l’arrivée de Paul (moins de ballons touchés en attaque) et a baissé ses stats au rebond (logique au vue de l’explosion de DeAndre Jordan). 4 points en 2 ans pour un joueur de cet âge et de cette stature, c’est une progression normale. On peut alors parler du profil plus complet du Blake Griffin version 2013-2014, mais Doc Rivers a sans aucun doute une grosse part de responsabilité dans ce phénomène. Et le changement de mentalité du Quake, qui semble plus attiré par la victoire qu’autrefois, date plus de l’arrivée de l’ancien coach des Celtics sur le banc des Clipps que de celle de CP3… Jordan est lui passé de 7 à 9 points durant la seconde année de présence de Paul (celle qui devrait le plus révéler son impact), et de 9 à 10.5 la suivante. La progression la plus intéressante pour lui se situe au rebond, un domaine qui peut montrer le niveau de concentration en défense pour un joueur qui cherchait avant tout à contrer lors de son arrivée dans la ligue. Et là, c’est clairement l’impact de Rivers qui se fait sentir. Jordan était à 10.5 rebonds de moyenne en 36 minutes lors des deux premières années communes avec Chris Paul, et est passé à 14 rebonds sur le même laps de temps depuis l’arrivée du coach champion NBA 2008.
En conclusion sur ce sujet, les progressions des deux jeunes intérieurs des Clippers sont « normales », et les quelques améliorations plus spectaculaires semblent avant tout dues à l’arrivée de Doc Rivers et de sa rigueur sur le banc californien. Chris Paul ne peut donc pas vraiment être tenu responsable de ces progrès. On gardera quand même à l’esprit que Paul a sans doute été l’un des artisans majeurs de l’arrivée sur le banc des Clipps de Rivers, preuve de sa volonté de s’entourer du meilleur staff possible pour augmenter ses chances de titre.
Il faut du coup se focaliser sur les résultats des Clippers lors des matchs à enjeux pour essayer de comprendre si oui ou non Paul est un gagneur. Chronologiquement, le premier rendez-vous intéressant du Paul version Clippers avec la pression la plus intense se situe lors du match 7 disputé face aux Grizzlies en 2012. Sur la série, Paul poste 20 points, presque 3 steals, 7 passes et 5 rebonds de moyenne. Costaud encore une fois, malgré un pourcentage faible à 3 points (33%). Dans le match 6, Paul ne marque que 11 points alors que son équipe avait une première occasion de clore la série. Sur le match 7, Paul poste 19 points mais à 7/17 au shoot, 1/6 à 3 points et avec 5 turnovers. Et au moment de creuser l’écart, en début de 4ème quart, c’est Eric Bledsoe qui fait la différence pendant que Paul le regarde du banc. Le meneur n’a donc pas profité de cette occasion pour prouver toute sa mentalité de gagneur, mais la victoire étant là, on ne saurait le lui reprocher. Au tour suivant les Clippers sont balayés par les Spurs. Si Griffin tient son rang, Paul est muselé. Il inscrit 16 points en cumulé sur les deux premières rencontres et totalise 13 turnovers sur ces premiers matchs. Pire, il se montre incapable de trouver la solution face à la défense de Poppovich dans le game 3, qu’il perd alors que son équipe menait de 24 points! Son quatrième match est bon statistiquement (23 points et 11 passes), mais Paul manque de clutchitude et échoue sur deux actions décisives en fin de match (vidéo ci-dessous à partir de 1:20):
Ces deux actions sont extrêmement révélatrices du vrai problème de Chris Paul. D’abord, il souhaite tout contrôler et ne lâche la balle en fin de match qu’en tout dernier ressort. Beaucoup de franchise players ont ce problème mais lui le pousse à son paroxysme: il n’a absolument aucune confiance en ses coéquipiers pour le game-winner (rappelons que Jamal Crawford est sur le parquet mais bref), et ne veut même pas d’aide sur un système, il se contente de jouer une isolation et, pour corser le tout, de tenter de terminer près du cercle plutôt que sur un tir à mi-distance, alors que toute la défense l’y attend. Il peut s’agir d’un problème de remise en cause de son jeu après ses blessures: Paul ne dispose plus de la même explosivité et est donc sans doute moins apte à éliminer complètement son vis-à-vis pour aller finir dans la raquette. C’est aussi un problème de lucidité: on sent bien qu’au fond, Paul estime que l’un de ses shoots, même face à un voire deux défenseurs, à plus de chance de faire mouche que celui de l’un de ses coéquipiers.
CP3 dispose néanmoins d’une circonstance atténuante avec la présence de Del Negro sur le banc, un coach peut enclin à inventer des systèmes décisifs. Il faut alors observer le comportement de Paul avec Doc Rivers pour obtenir plus d’éléments de réponse. L’ex-coach des Celtics a su mettre des dizaines de systèmes en place pour Ray Allen en fin de match, ou a parfois accepté de laisser Paul Pierce jouer l’isolation pour la victoire.
A 4:10 sur cette vidéo, un excellent exemple de système de Rivers: Paul peut jouer l’isolation mais son coach le sait capable de lâcher la balle à Allen si celui-ci se trouve en bonne position après le système. Le temps restant est proche de celui dont disposait Paul pour aller scorer face aux Spurs sur la vidéo précédente.
L’année suivante, les Clippers retrouvent les Grizzlies au premier tour des playoffs. Paul inscrit carrément le game-winner du match 2:
Dans cette série, c’est cette fois Blake Griffin qui n’est pas au mieux (blessé) de sa forme et affiche un faible 13 points de moyenne, alors que Paul plante plus de 22 points par match, assortis de 7 assists environ. Cette opposition n’est pourtant pas réellement pertinente, tant les Grizzlies étaient supérieurs à l’intérieur et inarrêtables pour les Clippers.
On en arrive donc aux playoffs 2014, disputés dans un contexte très particulier du fait de l’affaire Donald Sterling. Le premier tour est disputé face aux Warriors qui semblent intrinsèquement moins forts. Mais le moment qui nous intéresse le plus est la dernière minute du match 5 du second tour face au Thunder, dont la vidéo se trouve ci-dessous:
La première action est plutôt bien exécutée, même s’il s’agit d’un simple pick and roll. Le tir, bien que difficile, est dedans, rien à dire.
Sur l’action suivante, Paul accepte de laisser le balle à Crawford, idem le shoot n’est pas mauvais, mais pas de chance cette fois.
Beaucoup plus problématique, Paul n’a pas le droit, en tant que multi-All Star expérimenté, de perdre ce ballon à ce moment du match. Faute ou non, peu importe, il doit le protéger coûte que coûte, d’autant plus que l’adversaire ne peut que tenter l’interception ou faire faute. C’est une erreur assez énorme de la part d’un meneur de cette trempe. Ensuite, CP3 commet la faute sur Westbrook a 3 points. D’abord on remarquera que, sur la remise en jeu ligne de fond, Paul était déjà presque assez en retard pour permettre à Westbrook de shooter, ensuite, et même si la faute est discutable, Paul ne doit JAMAIS, avec son expérience, se retrouver dans une situation où la faute sera potentiellement sifflée à 3 points. Cela fait 2 grosses erreurs en quelques minutes pour le meneur des Clippers.
Enfin, sur la dernière action, Chris Paul ne parvient même pas à shooter alors qu’il avait a priori créé l’espace nécessaire à mi-distance. Encore une fois, il veut aller chercher les points sous le cercle, ce qui rend la création du shoot autrement plus difficile.
Alors, au regard de toutes ses campagnes de playoffs et de toutes ses fins de matchs, Paul est-il un loser? On a en tout cas l’impression que l’on pardonne beaucoup au leader des Clippers qui perd parfois les matchs à lui tout seul ou presque, en tentant de sauver le monde seul ou par des balles perdues évitables. En fait, la faiblesse de Paul est aussi sa plus grande force: il est capable de prendre complètement le contrôle d’une fin de match par son jeu sur pick-and-roll et ses shoots à mi-distance, et tente souvent de porter son équipe sur ses épaules plus que de raison, en délaissant les systèmes au profit d’un jeu plus direct et forcément plus prévisible, qui lui demande aussi plus d’efforts et limite sa lucidité ensuite. Ses sautes de concentration sont un problème bien plus gênant qui occasionne des fautes bêtes et des pertes de balles évitables dans les grands rendez-vous. Cela reste rare mais extrêmement dommageable lorsque ces erreurs surviennent. Malgré tout son talent, Chris Paul n’a jamais atteint une finale de conférence. Une statistique qui fait mal pour un meneur de cette qualité, qui plus est entouré depuis quelques saisons par une escouade de talent. Bien sûr, il suffirait d’une campagne réussie pour que l’image de Paul change durablement. Mais en attendant, difficile de ne pas lui reprocher cette volonté de toujours vouloir aller au cercle à la dernière seconde même lorsque toute l’équipe adverse l’attend en bas, et cette incapacité à faire jouer ses coéquipiers en fin de match. Alors non, Chris Paul n’est pas un loser. Mais il est encore loin d’être un winner.
Bel article, c'est vrai que CP est une énigme. Tout le monde pensant qu'en allant aux clippers il pourrait être champion très rapidement. Mais à sa décharge quand il débarque Blake Griffin n'avait qu'un an pro, là où Paul aurait eu besoin d'avoir un intérieur confirmé.
Après c'est l'éternelle question : peut on construire son équipe en ayant pour FP un meneur ?
Un mec comme Payton (qui pour moi était 150000 plus fort que paul) n'a eu sa bague nba qu'en allant aux heat à 38 ans.
Stockton n'en a jamais eu, Iverson non plus, Marbury non plus.
Généralement c'est dur pour un meneur d'amener son équipe au titre, les prises a deux sont plus faciles a exécuter sur un meneur, ainsi que pour l'isoler et lui faire perdre la balle ou lui forcer les tirs.
Le problème de CP3 est qu'il joue comme Melo ou Anthony dans les fins de match sauf qu'il n'a ni le shoot en iso de Carmelo ni le clutch de Kobe. Il a du talent pour faire le jeu et dans les dernières minutes il ferait mieux de regarder autour de lui. Et cette année contre le Thunder il faut aussi dire qu'il s'est fait complètement manger physiquement par Westbrook
Entièrement d'accord,par exemple LeBron n'hésite pas à lâcher la balle sur un joueur ouvert en fin de match serré s'il le voit (coucou bosh) alors qu'il pourrait très légitimement prendre, comme Paul, quasi tout les tirs décisifs et que du fait de son statut, son poste et ses capacités de scoreur ne poserait aucun problème.
Après Paul est un meneur, et il faudra surement qu'il apprenne à avoir plus confiance en ses coéquipiers s'il veut un jour gagner, pour de vrai pas juste des matchs de saison régulière.
Tout à fait, et c'est d'ailleurs ce qui sépare les vrais Franchises Players de CP à l'heure actuelle, on voit bien que ce n'est pas une question de talent. A noter que dans mon post précédent le "Antony" est bien entendu à remplacer par un "Kobe" !
c'est sure qu'il va rien gagner en restant au Clippers parce qu'il faut battre des équipes comme Spurs, Okc , Gsw pour atteindre la Finale et c'est franchement pas une Mince affaire !!!
Très bon article. Merci. Au passage, un seul O à loser ;)
Merci pour l\’auteur. Et merci pour Loser, c\’est rectifié ;)