Cahier des rookies: les leçons de la trade deadline
Le petit monde des rookies est un univers à part dans une saison NBA. Toutes les deux semaines, Basket Infos vous propose d’analyser les performances, bonnes ou mauvaises, des débutants dans la grande ligue.
Si vous avez manqué les précédents épisodes du cahier des rookies, on a parlé ici de Jamal Murray et Buddy Hield, ici de Kris Dunn, ici des rookies surprises (Brogdon, Siakam, McGruder, Harrison), ici des trois ailiers stars de la draft 2016 (Ingram, Brown, Chriss) et ici de Dario Saric.
Bien qu’elle n’ait pas été tout à fait aussi passionnante qu’espérée dans ses dernières heures, la trade deadline de jeudi dernier a vu plusieurs mouvements importants avoir lieu (vous pouvez tous les retrouver ici). Ce n’est pas parce qu’ils débutent dans la ligue que les rookies ne sont pas concernés par ces mouvements, bien au contraire. Entre ceux (rares) qui ont changé d’équipe, ceux pour qui la concurrence à leur poste va augmenter ou ceux qui ont reçu une preuve de confiance, la gamme des possibilités est large. Faisons un petit tour des leçons à tirer de cette trade deadline pour nos débutants.
Buddy Hield a la pression
Faire partie d’un échange impliquant une superstar n’est jamais un cadeau. Quand il s’agit, en plus, d’un échange devenu la risée de la ligue entière, la situation est encore plus délicate. Buddy Hield est dans ce cas et, à sa place, on détesterait déjà Vivek Ranadivé. Le proprio des Kings est apparemment persuadé que son nouveau joueur a le potentiel pour être un nouveau Stephen Curry, et il semblerait que Vlade Divac ait pu le convaincre de lâcher DeMarcus Cousins grâce à l’argument consistant à récupérer Hield. Bonjour la pression.
Que l’on soit bien d’accord: rien ne permet de dire, à l’heure actuelle, que Buddy Hield sera un bust. En quatre ans d’université, Hield a progressé à un point que peu d’observateurs imaginaient, et son éthique de travail était unanimement saluée à New Orleans. Avec une réussite de 36.6 % derrière l’arc, il est d’ailleurs déjà un shooteur correct pour un rookie. Mais son jeu, pour l’instant, manque aussi clairement de polyvalence: Hield est un playmaker médiocre (1.3 pds par match), a du mal à marquer dans la peinture (46.3 %, largement en-dessous de la moyenne de la ligue) et à se créer son propre shoot (64 % de ses tirs proviennent d’une passe décisive: ce n’est pas un hasard si sa réussite a explosé à partir du retour de Jrue Holiday). Son profil actuel fait penser qu’il peut devenir, au maximum, un très bon role player dans le style d’un J.J. Redick, s’il parvient à améliorer sensiblement sa défense. Un tel accomplissement serait déjà très positif, d’autant que Hield a déjà 23 ans.
Hield peut surprendre tout le monde, évidemment. Mais les Kings ne le mettent pas dans une position facile en le présentant comme l’un des visages du futur de la franchise, alors que rien ne dit qu’il a les capacités pour assumer un tel rôle. On ne peut pas dire que ce futur soit limpide d’ailleurs: si Hield est l’avenir de la franchise, ce serait peut-être une bonne idée de ne pas avoir quinze prospects jouant au même poste que lui (McLemore, Malachi Richardson, bientôt Bogdan Bogdanovic)…
Les rookies des Kings auront leur chance
En plus de Buddy Hield, les Kings, dans leur roster new look (et qui ne ressemble pas à grand-chose, il faut bien le dire) ont trois autres rookies: Georgios Papagiannis, Skal Labissière et Malachi Richardson. Le dernier faisait de bons passages avant de se blesser, et n’aura pas beaucoup de temps pour se montrer s’il revient d’ici la fin de la saison. Pour les deux intérieurs, tous deux choisis au premier tour l’an dernier, le départ de Cousins laisse un vrai espace pour s’exprimer. Annoncé comme le deuxième meilleur prospect derrière Ben Simmons à son entrée en NCAA l’an dernier, Labissière avait été très décevant à Kentucky, et avait logiquement plongé dans la draft. Depuis le départ de Cousins, le pivot haïtien joue 17 minutes par match, pour des résultats encourageants: 8 pts et 7.3 rbds, à 52% de réussite. Son potentiel de joueur à impact défensif reste en jachère, mais il montre quelques flashs, ainsi que des linéaments de shoot à mi-distance. Son énergie est intéressante et pourrait lui valoir plus de temps de jeu à l’avenir. Quitte à vivre une énième saison pourrie, cela fait au moins une chose à observer pour les fans des Kings.
Le cas de Papagiannis est plus énigmatique. Vaguement utilisé dans le garbage time par Dave Joerger lors des derniers matchs, le pivot grec passe son temps en D-League, où il ne se montre pas franchement impérial. Vlade Divac avait prévenu après la draft qu’il fallait être patient avec Papagiannis, mais si rien ne laissait à l’époque penser qu’utiliser un lottery pick pour le sélectionner était une bonne idée, rien n’a non plus permis de faire changer qui que ce soit d’avis depuis. Le mystère Papagiannis subsiste.
Dario Saric a le champ libre à Philadelphie
Saison terminée avant d’avoir commencé pour Ben Simmons, qui n’aura donc les honneurs de notre cahier des rookies qu’à partir de l’année prochaine. Saison peut-être terminée pour Joel Embiid, dont la blessure a été présentée de manière si incompréhensible par Colangelo qu’on ne comprend plus du tout quelle est sa gravité. Direction Dallas pour Nerlens Noel, échangé contre quelques cacahuètes, et direction Atlanta pour Ilyasova, échangé pour autant de cacahuètes que Noel. Les Sixers n’ont plus assez d’intérieurs pour remplir une baignoire, ce qui laisse toute latitude à Dario Saric pour s’emparer du leadership de l’équipe. En février, Saric tourne à 17 pts, 7.9 rbds et 2.8 pds en 30 minutes et joue avec une énergie jamais démentie. Les limites dont nous vous parlions il y a quelque temps existent toujours, mais ses progrès et sa prise de confiance sont spectaculaires. Au point qu’on peut déjà se demander comment Brett Brown se débrouillera l’an prochain, pour faire cohabiter Saric et Simmons et ne frustrer ni l’un, ni l’autre. Vu l’absence d’Embiid, le Croate pourrait même aller décrocher le titre de Rookie of the Year: après tout, il a déjà joué deux fois plus de minutes que son coéquipier.
Les Lakers croient en Brandon Ingram (pour l’instant?)
Si l’on en croit ce qui s’écrit depuis une semaine, les Lakers auraient refusé de lâcher Brandon Ingram pour récupérer Cousins. Est-ce cette décision qui a précipité l’arrivée de Magic Johnson et Rob Pelinka aux affaires? Difficile à dire, mais il est clair que l’ancienne direction, au moins, croyait dur comme fer dans le potentiel du jeune ailier. Ingram est tout sauf efficace dans sa saison rookie, mais il laisse entrevoir une gamme si importante de qualités qu’il est sûrement sage de prendre son temps pour le développer. Magic Johnson a-t-il le temps, ou veut-il le prendre? Toute la question est là. Si les Pacers, lors de la draft, réclament Brandon Ingram dans un trade concernant Paul George, que feront les Lakers? A l’heure actuelle, il est bien compliqué de répondre à une telle question. Ce qui est certain, c’est qu’Ingram est, d’une manière ou d’une autre, la clé du futur des Lakers.
Jaylen Brown a un vrai coup à jouer à Boston
On a attendu jusqu’au dernier moment que les Celtics annoncent avoir trouvé un accord pour l’arrivée de Jimmy Butler ou Paul George, sans que cela concrétise. Un tel échange, s’il avait eu lieu, aurait eu des conséquences importantes pour le 3e choix de la dernière draft, Jaylen Brown: qu’il fasse partie de la contrepartie ou qu’il devienne la doublure d’un All-Star confirmé, son rôle en aurait été sérieusement changé. Danny Ainge a fait le choix de la stabilité, ce qui donne trois mois à Brown pour se mettre en valeur et prouver qu’il peut être un élément essentiel du futur de Boston. Le message semble avoir été reçu: en trois matchs depuis la trade deadline, Brown joue 27 minutes pour 13.7 pts et 3.3 rbds de moyenne avec, surtout, des pourcentages remarquables (59.3 FG%, 60 3P%!) et un shoot décisif face aux Pistons.
En plus d’être un très bon défenseur, Brown fait aussi preuve d’une grande régularité et d’une grande intelligence dans son jeu, au point d’être déjà l’un des garants de l’efficacité des Celtics. Sa progression linéaire laisse penser qu’il peut réaliser une très belle fin de saison et, sur le long terme, exploser comme ont pu le faire avant lui des ailiers ultra-physiques comme… Paul George ou Jimmy Butler.
Les Wolves croient en Kris Dunn (mais pas trop non plus)
La situation des Wolves au poste de meneur ne ressemble pas à grand-chose. Le plan initial de Tom Thibodeau, qui consistait à installer Kris Dunn comme titulaire en cours de saison et envoyer Rubio sous d’autres cieux, s’est heurté à un sacré problème: Kris Dunn n’est pas bon. Ou plutôt, il est excellent en défense, et catastrophique en attaque. Que ce soit en termes de playmaking ou de scoring, Dunn est à des années-lumières d’être un titulaire en NBA. Cela n’a pas empêché des rumeurs incessantes sur un échange de Rubio, qui aurait sans doute amené à une plus grande responsabilisation de Dunn (même en cas d’arrivée de Derrick Rose). Le meneur espagnol a échappé au couperet, mais il y a fort à parier que le cirque reprendra de plus belle lors de la draft. Thibodeau n’est sans doute pas le moins têtu des hommes, mais il est suffisamment intelligent pour s’apercevoir des limites de son rookie; le parcours des meneurs comparables à Dunn (grands et costauds, bons défenseurs, pas ou peu de shoot) ces derniers temps n’est d’ailleurs pas très encourageant, puisque ni Marcus Smart, ni Elfrid Payton, ni Dante Exum ne sont aujourd’hui titulaires dans leurs franchises respectives. Peut-être faut-il déjà accepter que Dunn, 23 ans ce mois-ci, n’est guère destiné à être autre chose qu’un solide role player.
Les Bulls croient sûrement à leurs rookies (mais on ne comprend pas tout)
Dans le genre peu clairs, les dirigeants des Bulls se posent là. Leurs efforts rhétoriques pour convaincre qu’ils jouent les playoffs tout en développant les jeunes sont à peu près aussi convaincants que les tentatives de Rajon Rondo pour défendre, mais il faut bien reconnaître que le départ de Doug McDermott a laissé de la place au rookie Denzel Valentine. Vendredi, contre Phoenix, Valentine a joué 34 minutes et a rendu une feuille de stats proche de celle qu’il remplissait régulièrement à Michigan State: 15 pts, 5 rbds, 5 pds et 3 stls. Sur ses deux derniers matchs, il tourne aussi à 8/13 à 3-pts. Valentine est un très mauvais défenseur, mais il est capable de faire beaucoup de choses en attaque: shooter, passer, aller au rebond… Dans une équipe où le spacing est un concept étranger, Valentine peut offrir à Butler et Wade des espaces pour attaquer le cercle, ainsi que des solution sur pick & roll. Le problème est que la politique des Bulls est si obscure qu’on n’a aucune idée de l’avenir de Valentine à long terme (pas plus que de celui de Paul Zipser, l’autre rookie): la franchise veut-elle parier sur les jeunes, comme le départ de Taj Gibson et la venu de Cameron Payne le laissent penser? Dans ce cas, un départ de Jimmy Butler pourrait advenir incessamment sous peu, et Denzel Valentine prendre une place encore plus importante. Mais le contraire est tout aussi envisageable. A voir.
La fête est finie pour Pascal Siakam
C’était une des belles histoires du début de saison: un rookie camerounais peu connu, choisi en fin de premier tour, devenu titulaire d’une des meilleures équipes NBA, les Toronto Raptors. La belle histoire n’aura pas résisté à la pression du résultat. Le temps de jeu de Siakam s’était déjà bien appauvri avec le retour de Jared Sullinger, à qui Dwayne Casey a offert quelques matchs comme titulaire avant qu’il parte continuer sa carrière en Chine (est-il mauvais à ce point-là? Oui.). Sullinger est parti traîner son surpoids ailleurs, mais Serge Ibaka est arrivé. Depuis lors, Pascal Siakam n’a pas remis les pieds sur un terrain. Avec Ibaka et Patterson devant lui, voire PJ Tucker ou DeMarre Carroll dans le cas d’un 5 small ball, il y a peu de chances qu’on voie beaucoup l’intérieur camerounais jusqu’à la fin de saison. Ce qui ne préjuge pas de son avenir: avec une masse salariale qui devrait exploser en juin et le duo Ibaka-Patterson free agent, le petit salaire de Siakam est une bénédiction pour Toronto.
(NB: la fête est aussi finie pour Kay Felder, le petit meneur rookie de Cleveland, qui va laisser sa place dans la rotation à Deron Williams).
Rookie Watch
- Est-on parti pour une saison historiquement mauvaise pour les rookies? Entre les absences de Ben Simmons et Joel Embiid et les difficultés des joueurs choisis au sommet de la draft (Ingram, Hield, Dunn), on n’a pas de souvenir d’une cuvée de débutants aux parcours aussi laborieux.
- Jamal Murray reste assez irrégulier au shoot, mais Mike Malone lui fait assez confiance pour lui avoir confié une nouvelle tâche: le rookie canadien est désormais de plus en plus souvent aligné aux côtés de Gary Harris, assumant ainsi par séquences le rôle de meneur remplaçant de Jameer Nelson. Ce qui signifie aussi que Murray est, dans l’esprit de son coach, un meilleur joueur qu’Emmanuel Mudiay, désormais collé au banc. Il semblerait d’ailleurs que les Nuggets aient discuté de plusieurs échanges lors de la deadline, mais en refusant strictement de lâcher Murray.
- L’histoire de Yogi Ferrell a de quoi faire espérer tous les déçus de la draft: ignoré lors de la dernière draft, le petit meneur d’Indiana est aujourd’hui le meneur titulaire de Dallas, qui en est tellement content qu’il s’est débarrassé de ce qu’il restait de Deron Williams. Avec 12 pts, 3.3 rbds et 4.7 pds de moyenne en février, avec 41.2 % de réussite à 3-pts, Ferrell n’a pas des stats de star, loin de là, mais assure parfaitement le boulot. Cela devrait lui valoir au moins quelques années dans la ligue, sauf blessure grave.
- L’ailier espagnol Alex Abrines se régale depuis que Victor Oladipo est blessé. Propulsé dans le 5, il vient de marquer 32 pts en deux matchs, avec un très beau 8/18 à 3-pts. Le spacing étant un problème récurrent pour le Thunder, l’adresse d’Abrines ne peut être qu’une très bonne nouvelle, d’autant que l’Espagnol, contrairement à Kyle Singler et Anthony Morrow, est un vrai athlète, capable de faire bien d ‘autres choses que d’attendre dans son coin qu’on lui passe la balle. Son émergence, ajoutée aux arrivées de Taj Gibson et Doug McDermott, offre à Billy Donovan un éventail de solutions tactiques plus large. En revanche, l’autre rookie du Thunder, Domantas Sabonis, titulaire en début de saison, va sans doute payer ces transferts en passant la majorité de son temps sur le banc.
- Ivica Zubac et Willy Hernangomez, respectivement pivots des Lakers et des Knicks, continuent tout doucement leur bonhomme de chemin, selon le même scénario: leur équipe les drafte sans intéresser personne, puis signe à des prix délirants des vétérans quasi-grabataires (Mozgov et Noah). Les vétérans susnommés se blessent, et voilà les petits jeunes qui se font leur place. Une bonne nouvelle, au moins, dans la saison pourrie de ces deux franchises mythiques.
- Knicks, toujours. Brandon Jennings coupé, les back-ups de Derrick Rose sont désormais deux rookies sans aucune référence, Ron Baker et Chasson Randle. Phil Jackson, un génie incompris?
- Pour finir, un coup d’oeil sur notre classement des pires shooteurs de l’année. Georges Niang reste largement en tête, même si son adresse s’améliore légèrement. Enfin, vraiment légèrement: 25 % de réussite pour ce brave Georges. Derrière lui, deux joueurs de Memphis, qui ont quasiment disparu de la rotation de Fitzdale: Wade Baldwin (31 %) et Andrew Harrison (31.8 %). Pour terminer sur une note positive: bravo à Willy Hernangomez, rookie le plus adroit de la promotion avec ses 54.3 % de réussite.